Alimentaire, mon cher Watson !
Anne Martinetti2010

Synopsis

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TRES BON

Nero Wolfe et son vitello tonnato, Hercule Poirot et son chocolat chaud ou sa crème de menthe (sans parler des escargots !), Miss Marple et ses muffins beurrés, Maigret et la blanquette de veau confectionnée par son épouse... Quel limier, quel enquêteur ne s’est pas arrêté un instant de traquer les criminels pour se régaler de son plat favori, voire d’un repas complet d’où sortira peut-être la solution de l’énigme ? Kay Scarpetta elle-même, l’héroïne de Patricia Cornwell confrontée à des morts sans nom, n’avoue-t-elle pas que la confection de sauce tomate pour agrémenter pâtes et pizzas lui détend les nerfs ? Ces créatures de papier pour la plupart bien en chair – du léger embonpoint d’Hercule Poirot aux 130 kilos de Nero Wolfe, jusqu’à l’obésité du commissaire Richard Séléna, l’Outremangeur de Tonino Benacquista – vouent souvent à la gastronomie un véritable culte, à la manière du détective barcelonais Pepe Carvalho. Selon le créateur de ce dernier, Manuel Vázquez Montalbán, dans Les Recettes de Carvalho, la cuisine serait même un rempart élevé contre le côté obscur de l’humanité : « Si nous dévorions l’animal mort ou la laitue arrachée tels quels, d’aucuns diraient que nous sommes sauvages. Maintenant, si nous faisons mariner la bête en vue de l’accommoder plus tard avec des herbes de Provence et un verre de vin vieux, alors nous avons mis en œuvre une délicate opération culturelle, fondée à parts égales sur la brutalité et sur la mort. » C’est un fait, les plus célèbres enquêteurs de la littérature policière sont passés maîtres dans l’art de « cuisiner » les coupables et de décortiquer leur modus operandi, afin de leur faire « manger le morceau ». Pour le commissaire Maigret, dans Mon ami Maigret, avec les suspects la méthode s’applique au premier degré : « On les laisse jeûner un peu pour les aider à se souvenir. » Un repas s’avère parfois un indice savoureux, comme dans l’œuvre de Fred Vargas, où la brusque interruption d’une routine gourmande alerte les protagonistes de Debout les morts de la disparition de Sophia Siméonidis. Celle-ci dégustait chaque jeudi, au restaurant Le Tonneau, un émincé de veau aux champignons… Quant aux génies du crime, très rapidement ils ont appris à transformer le péché de gourmandise en une arme redoutable. Dans La Mystérieuse Affaire de Styles, Agatha Christie n’a-t-elle pas malicieusement ordonné au meurtrier de précipiter quelques gouttes de strychnine dans le cacao de la malheureuse Emily Inglethorp ? De prime abord, Arthur Conan Doyle n’a pas souhaité, lui, souscrire au crime par empoisonnement qui fit les beaux jours de ses confrères écrivains. Est-ce parce que en tant que médecin, la ficelle lui apparaissait trop grossière ? Ou bien parce que ses passions de lecteur (son écrivain favori resta longtemps le célèbre romancier d’aventures Mayne-Reid) le portaient à imaginer de plus sombres machinations que de « simples » empoisonnements constatés après un repas ? Ainsi, si Sherlock Holmes élucide un certain nombre d’escroqueries, de meurtres, de vols, on dénombre à notre connaissance une seule affaire d’empoisonnement par la nourriture, celle de Camberwell, évoquée mais non racontée par Conan Doyle, et qui sera reprise par June Thomson dans Les Carnets secrets de Sherlock Holmes. Notre héros présente à première vue, lui, un cerveau déconnecté du corps et de ses contingences. Si l’on devait compléter la liste des connaissances et des ignorances de Sherlock Holmes, élaborée par Watson peu de temps après son emménagement au 221b Baker Street, peut-être serait-on tenté d’inscrire Connaissances en gastronomie : nulles. Eh bien ce serait une erreur, car s’il semble plus enclin à disparaître derrière les volutes de sa célèbre pipe, le fameux détective n’en demeure pas moins un véritable gourmet, fréquentant les meilleures tables de Londres tout en discourant sur le jeûne, qui aide à la réflexion. S’il fait mine d’alléger au possible son régime alimentaire à des fins d’élévation spirituelle ou saute parfois un repas pour ne pas perdre une piste, Sherlock Holmes est souvent pris en flagrant délit gourmand. Car c’est bien là un des paradoxes les plus intéressants du personnage inventé par Sir Arthur Conan Doyle, qui ne se lasse jamais de surprendre le lecteur par une personnalité insaisissable, à mi-chemin entre Bohémien (ainsi le qualifie Watson) et dandy anglais, capable de rester cloîtré chez lui plusieurs jours puis d’endosser un habit pour se rendre chez Simpson’s, table dont la renommée a traversé les années jusqu’à nous. Manifestant ainsi qu’il peut s’adapter à tous les aléas de la vie, ainsi que le fit son créateur, passé d’une enfance modeste sinon miséreuse à Édimbourg jusqu’à devenir l’auteur le plus lu d’Angleterre, décoré par Édouard VII et comptant parmi ses admirateurs la reine Victoria. Du pain noir jusqu’au festin de Buckingham Palace, il n’y a parfois qu’un trait de plume...

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2010 Editions du Chêne

Française Langue française | 255 pages

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