Retour de l'enfer

CHAPITRE 1 ****

     « Ah, Julien ! Te voilà enfin ! »
     Depuis notre retour du front, on se retrouve tous au café. Tous les jours. C’est devenu notre routine. En même temps, qui voudrait de nous? Certains, comme Thomas, ont la moitié du visage en moins. On n’est plus des hommes. On est des déchets.
     « Ca va, mon Julien?
– A ton avis, Frédo, comment tu crois que je vais ?
– Bien sûr, répliqua Frédo ».
     Il s’appelle Frédéric, mais tout le monde l’appelle Frédo. C’était le boss, comme il aimait qu’on l’appelle. Tout ça parce qu’il avait dégommé plein de ‘monstres’. J’ai jamais compris comment ça pouvait être une fierté. On a de l’estime pour lui, tout ça parce qu’il a tué.
     « Les amis, reprit-il, ça a assez duré. On nous a assez pris pour des cons ! On nous a dit que cette guerre ne durerait pas, et c’était des conneries ! Quatre années passées, face aux boches. On nous a dit qu’on reviendrait comme des héros, mais on nous a caché que ça ne durerait qu’un court temps. Que quelques jours. Thomas, combien de personnes te dévisagent sans te parler, comme si tu allais les contaminer ? On nous a dit qu’on se battait pour défendre notre patrie, mais on nous a caché que l’on perdrait nos amis un à un, qu’ils seraient abattus devant nous, et qu’on n’y pourrait rien ! On nous a caché qu’on était condamné à les voir crever, et qu’on ne pourrait rien y faire ! J’en ai ma claque de leurs beaux discours ! Il est temps de repartir au combat ! Il est temps de leur montrer qui nous sommes ! Il est temps qu’ils voient ce qu’ils ont fait de nous !
– Mais… Pourquoi ? demandais-je
– Pourquoi? Pour Jean, qui s’est pris une balle en pleine tête, devant toi. Pour Pierre, qui est mort transpercé sous une pluie de balle. Pour tous nos amis disparus. Pour toi, pour moi, pour nous, qui ne sommes plus que des marginaux. Il faut que ça change ! il faut qu’on venge nos amis ! Œil pour œil, dent pour dent ! Ils vont savourer, ces ordures de boches ! »
     Son discours fut suivi d’une ovation. En même temps, il parle bien, Frédo. Il a un don pour faire changer les opinions. Moi aussi, j’ai pris part à l’ovation. Mais je ne suis pas d’accord avec lui, avec eux. Pourquoi je ne pense pas comme eux ? Tout serait tellement plus simple… Mais non, j’ai assez tué. Je ne veux pas alourdir ma conscience. Quand comprendront-ils que les ‘boches’, comme ils les appellent, sont des hommes comme nous ? Je me déteste, encore. Toujours plus. En plus d’être un assassin, je suis un lâche. Incapable de défendre mes idées. Je ne suis qu’un mouton. Qu’un con. Qu’un faible. Pour Jean, pour Pierre, je devrais y retourner. Pour Léna, qui était ma fiancée, et qui m’a rejeté à mon retour à cause de ce que j’étais devenu… Mais non, je n’y irai pas. Je ne me vengerai pas. Car je ne veux pas rester l’homme que je suis devenu. Je veux redevenir celui que j’étais avant. Jeune, insouciant, débordant de joie de vivre… Le temps a passé. Trop sang a coulé. Trop de morts se sont entassés. Je veux redevenir celui que j’étais… Mais je ne le peux pas.