[Suivi Lecture] Zorba

 
  • Zorba

    Livraddictien débutant

    Hors ligne

    #11 15 Novembre 2019 19:03:11

    <image>

    Pierre Milza nous offre une somme de 1100 pages avec son Histoire de l'Italie. Je pense qu'il faut un talent de romancier pour réussir à immerger son lecteur dans son "essai-fleuve" qui retrace 3000 années d'histoire. Notre historien a dédié sa vie à l'histoire de ce pays, il nous communique ainsi sa passion. Bien-sûr, certaines périodes sont plus sourcées, plus travaillées et plus longues (notamment l'histoire de l'Italie contemporaine dont Milza est un spécialiste), néanmoins, Pierre Milza s'attache à subdiviser chaque partie en trois thèmes:
    une histoire diplomatique consacrée à l'événementiel, puis économique et sociale et il termine par une histoire culturelle de la période étudiée (on pourrait y voir le processus de l'historiographie française). Grâce à cette structure, Pierre Milza réussit remarquablement à inscrire cette simple entité géographique dans le temps long braudélien. Mais où et quand situer la notion "Italie" comme une réalité imprimée dans les mémoires des habitants ? Serait-ce sous Auguste avec l'établissement d'une unique province romaine pour toute la péninsule italienne ? Ou la conquête définitive de Rome des mains du Pape, en 1870 ? 1800 ans sépare ces deux dates, deux millénaires de troubles, de divisions, mais aussi de rayonnements et d'alliances qui font de l'Italie un des phénomènes les plus saisissants de l'histoire de l'humanité.

    Dernière modification par Zorba (16 Novembre 2019 23:50:33)

  • Zorba

    Livraddictien débutant

    Hors ligne

    #12 18 Novembre 2019 09:16:39

    <image>

    Mouais pas convaincu par cette novélisation de cette série de bd iconique, on perd beaucoup en enlevant les dessins. N'est pas Joseph Conrad qui veut. Au moins ça va me donner la curiosité de (re)lire les aventures de Corto Maltese en bd.



    Après avoir lu le deux premiers tomes des aventures de Corto Maltese, je dois dire que l'histoire possède beaucoup plus de charme avec les sublimes dessins de Hugo Pratt. La BD originale du livre ci-dessus est plus claire et plus limpide que le roman qui m'a noyé dans une suite absconse de textes sans transition logique.

    Dernière modification par Zorba (23 Novembre 2019 17:31:49)

  • Zorba

    Livraddictien débutant

    Hors ligne

    #13 18 Novembre 2019 16:41:05

    <image>

    Il est chimérique de penser que le Japon s'est préservé de toute influence étrangère tout au long de l'ère Edo (1603-1868).  Les échanges avec l'extérieur sont limités à la ville portuaire de Nagasaki dans laquelle, dès le XVIIe siècle, des marchands chinois s'y  installent. Les Japonais s'intéressent aussi à la science occidentale, à travers le Rangaku, terme qui désigne la science hollandaise, puisque les marchands néerlandais sont les seuls Européens à pouvoir résider dans la ville de Nagasaki.
    Au XVIIIe siècle, avec leur poussée en extrême-orient, les Russes tentent de rentrer en contact à deux reprises avec les Japonais, ces deux tentatives se soldent par un échec, mais sont, pour les Japonais, un choc majeur. Le pays cherche alors à développer sa science géographique pour faire face à l'avidité colonisatrice des Russes, en particulier sur les îles Kouriles et les îles Sakhalines.
    Le livre d'Elizabeth de Touchet s'intéresse à la période charnière de la seconde moitié du XIXe siècle japonais. Le Shogun, en 1635, avait limité sa flotte navale, réduite seulement à quelques navires. Le gouvernement s'empresse, dès son ouverture au monde, en 1854, à chercher une aide étrangère afin de rattraper son retard en  science navale. La France est ravagée par une maladie qui annihile  sa sériciculture. Le pays cherche un fournisseur étranger pour relancer sa production. Les deux pays vont lancer une politique d'entente afin d'échanger leurs biens dont ils ont mutuellement besoin. C'est pourquoi la France va établir le premier arsenal du Japon à Yokosuka, en 1865. L'arsenal est dirigé par Léonce Verny,  jeune polytechnicien ambitieux, mais cette aventure est vite terminée, puisque le jeune gouvernement impérial destitue le Shogun (suite à la guerre civile de 1868), il  voit, dorénavant, d'un mauvais œil la France, ancienne alliée du Shogun. Petit à petit, l'autorité nippone va "nationaliser" l'arsenal pour en faire une institution 100% japonaise.
    Je ne sais pas trop quoi penser de l'ouvrage d'Elizabeth de Touchet. D'un côté, il répond avec une extrême précision aux problématique apposées au début du texte, mais d'un autre, on se perd et on s'ennuie profondément dans ces suites d'études microstructurales sur l'arsenal (fournitures, salaires, évolution de carrière etc). J'imagine qu'il faut en passer par la pour comprendre en profondeur la rapidité de la modernisation du Japon.

    Dernière modification par Zorba (23 Novembre 2019 17:34:41)

  • Zorba

    Livraddictien débutant

    Hors ligne

    #14 22 Novembre 2019 18:12:48

    <image>

    Moi qui lisais ce livre pour en connaître un peu plus sur les échanges culturels entre Byzance et l'Europe du Moyen-Âge, je viens de découvrir que Sylvain Gouguenheim a fait polémique dans un ouvrage précédant nommé Aristote au mont Saint-Michel où il souligne l'importance de Byzance et de traducteurs comme Jacques de Venise dans l'apport de la culture "hellénique"  classique (surtout Aristote)  en Europe, au détriment de la civilisation islamique.Sa thèse reçut l'ire de tous les arabisants et de la gauche française,  stipulant qu'il ne connaissait même pas l'arabe qu'il développait une forme "d'islamophobie savante". Par ailleurs, influençable que je suis, je me méfie de porter tout jugement au préalable sur l'ouvrage ci dessus, bien qu'il semble que dans ce nouvel essai, l'auteur mesure un peu sa thèse initiale.
    Il explique que l'Empire byzantin a réussi à concilier deux formes antithétiques : la religion orthodoxe et la culture "hellénique", ce lien se forme grâce à la sauvegarde du système scolaire grec que l'on nomme paideia, sorte de syncrétisme entre une éducation religieuse mais aussi laïque où l'enfant étudie des textes antiques. Il prouve ainsi que tout au long de l'Empire byzantin, la connaissance des classiques antiques n'a pas disparu (elle trouve son apogée au XVe siècle avec la renaissance byzantine; je reviendrai dessus dans un post sur Bessarion, symbole de cet âge d'or intellectuel).
    Il justifie l'apport culturel byzantin par un lien jamais éteint avant l'an mil, qu'il soit politique ou culturel. Puis, il revient sur sa thèse montrant que l'Italie du sud — longtemps byzantine — joua un rôle majeur dans la copie de manuscrits,  et ce dès la première moitié du Xe siècle.  Il me semble que ce livre est une réponse aux allégations reçues sur son livre Aristote et le mon Saint-Michel, mais comme je n'ai pas lu celui-ci, je ne mesure pas bien tout l'enjeu de ce livre.

    Dernière modification par Zorba (22 Novembre 2019 18:18:06)

  • Zorba

    Livraddictien débutant

    Hors ligne

    #15 24 Novembre 2019 17:02:04

    <image>

    Voila le récit bref d'un empire injustement méconnu,  qui poursuit l'Empire romain d'Occident de  plus de 1000 ans! Car à l'origine ces deux Empires sont une même entité, et L'Empire byzantin, pendant sa domination sur la Méditerranée,   n'a de cesse de revendiquer cet héritage face aux ordres barbares d'Europe occidentale. Après sa disparition, en 1453, les deux Empires montants: les ottomans et la Russie revendiqueront ce legs, à jamais marqué à travers leurs symboliques du pouvoir. Mais que penser de cet essai qui résume 1000 ans en à peine 300 pages ? Le travail de Michel Kaplan répond parfaitement à ce défi, il distingue nettement les originalités de l'Empire byzantin. Par ailleurs, pour revenir à l'essai de Sylvain Gouguenheim: La Gloire des grecs, l'essai de Kaplan corrobore l'héritage antique assuré par l'Empire byzantin, bien qu'il étende sa chronologie, contrairement à Gougenheim qui s'acharne à prouver que la redécouverte des classiques antiques s'est faite, premièrement, à travers les Byzantins, puis, après le XIIe siècle, à travers la pensée islamique (Thomas d'Aquin pour sa Somme théologique travaille sur une traduction de Jacques de Venise et non d'une traduction des travaux d'Avicenne).

    Dernière modification par Zorba (24 Novembre 2019 19:19:58)

  • Zorba

    Livraddictien débutant

    Hors ligne

    #16 25 Novembre 2019 11:12:11

    <image>

    La Corée est, pour le Japon, un moyen essentiel d'acquérir une place dans l'échiquier des nations.  L'ouvrage porte majoritairement sur une histoire des perceptions du Japon envers la Corée. Lionel Babicz étudie, à travers un paquet de sources japonaises, la construction du Japon moderne, puisque le Japon bâtit son identité nationale au regard de l'autre, formant ainsi une "imagologie" asiatique. Bien que l'arrivée des Européens sur la scène asiatique soit un choque majeur pour les Japonais, l'auteur entend redonner de l'importance aux relations japonaises avec ses pays limitrophes. Et dans cet imbroglio asiatique, le Japon se place comme sauveur de "la race jaune" face à l'hégémonique "race blanche" (représentée en grande majorité par les Russes). Cependant, dans le Japon de l'ère Meiji, il n'existe pas une pensée simple, mais deux gros courants de pensées qui s'affrontent: l'une "pro-occidentale" qui veut lancer le Japon dans la "civilisation guizotienne" (universaliste), représentée par  Fukuzawa Yukichi qui veut "se dégager de l'Asie et rejoindre l'Occident", et l'autre, plutôt "panasiatique", de Tarui Tokichi, intellectuel formé par les classiques chinois qui souhaite une "fédération de l'Orient".   Néanmoins, ces deux pensées se rejoignent, elles cherchent toutes deux à justifier la domination du Japon envers ses voisins asiatiques. On remarque alors, l'incroyable capacité du Japon à s'approprier un code de pensée importé d'Occident, avec son dictionnaire et ses images. Il y a clairement une révolution des mentalités durant l'ère Meiji, le Japon intègre de nouvelles notion comme civilisation, progrès, race. Et La Corée est un outil, une barrière pour Japon, elle est le moyen d'accès à une supériorité qui permettrait de rivaliser avec le danger russe. D'autant plus que ce conflit conduira indirectement à la guerre russo-japonaise de 1904-1905, première grande victoire (toute symbolique) d'un pays non-occidental sur une grande puissance.

    Dernière modification par Zorba (25 Novembre 2019 11:14:14)

  • Zorba

    Livraddictien débutant

    Hors ligne

    #17 26 Novembre 2019 19:17:57

    <image>

    La pensée mystique n'est pas uniquement liée à la culture juive, elle se retrouve aussi bien dans le Christianisme que dans l'Islam. Elle est le constat d'une impasse, d'une dimension ineffable où le croyant ne peut atteindre Dieu qu'hors de sa propre raison. C'est une expérience de Dieu, et dans la pensée juive, cette expérience s'incarne à travers L'En-Sof: le Dieu caché. Ainsi il existe deux faces d'un même dieu, le premier aspect de Dieu est révélé grâce à la Torah, alors que l'autre face cachée ne peut être révélée qu'a travers une quête mystique. Dès le Moyen-Âge, un corpus symbolique va se mettre en place dans la Kabbale.
    Après ce bref résumé abscons et incomplet (que j'ai raccourci puisque j'ai perdu mon brouillon initial), je trouve que l'ouvrage est une impressionnante somme d'érudition. Gershom Sholem réussit à désacralisé un courant religieux qui anime encore les fantasmes européens (pensons à Jan Potocky et son Manuscrit trouvé à Saragosse). L'auteur va aussi à l'encontre de la doxa juive qui  choisit de sciemment d'oublier quelques aspects peu reluisants de la mystique juive (comme le sabbatianisme qui développe un code de conduite allant  à l'encontre de la Torah). Bien que datant un peu, Les grands courants de la mystique juive de Gershom Scholem reste encore la référence de l'histoire de la mystique juive en terme de concision et de clairvoyance.

    Dernière modification par Zorba (26 Novembre 2019 19:21:48)

  • Zorba

    Livraddictien débutant

    Hors ligne

    #18 28 Novembre 2019 18:22:23

    <image>

    Alexandre Papadiamantis dans son roman Les Petites Filles et la mort  peint le récit sombre d'une Grèce paysanne archaïque. A l'orée du XXe siècle, nous suivons la vieille Francoyanou,  personnage principal du livre qui prend subitement conscience de la situation de la femme dans un monde profondément patriarcal. Elle choisit de délivrer les femmes, à la manière d'une faiseuses d'ange postnatale, d'une Thierry la Fronde délivrant de la vie par le meurtre. On est rapidement décontenancé par la portée du geste de Francoyannou, puisqu'une femme âgée  — dans notre construction mentale — ne peut accomplir de tels actes. Son geste démesuré répond à une violence que l'on retrouve dans Alexis Zorba de Níkos Kazantzákis où une jeune veuve est lapidée en public par la vindicte populaire. Cependant, j'ai moins apprécié ce récit court et intense puisque l'on rentre vite dans une symbolique grossière qui se nourrit d'un pathos grossissant, mais le livre garde quand même tout son intérêt pour la précocité du sujet abordé.

    Dernière modification par Zorba (29 Novembre 2019 14:00:05)

  • Zorba

    Livraddictien débutant

    Hors ligne

    #19 29 Novembre 2019 15:27:27

    <image>

    Le Concile de Ferrare-Florence est l'illustration d'une chrétienté en crise 100 ans avant l'arrivée du protestantisme. Il s'inscrit dans la continuité d'une chaîne de conciles qui traversèrent ce début du XVe siècle. Après le concile de Constance qui résolut le problème du grand Schisme d'Occident (avec l'aventure des papes d'Avignon), le Pape de Rome renoue quelque peu avec sa légitimité.  La vieille idée d'un Concile voulant réunir l'Eglise d'Orient et celle d'Occident est vue comme une opportunité pour réaffirmer la légitimité du Pape. L'Etat critique de Byzance le permet, l'Empire moribond vassalisé et quasi-conquis par le grand Turc, cherche une aide salvatrice auprès de ses "frères" chrétiens. Le Pape, en position de force, peut appuyer ses conditions et décide de réunir toute la chrétienté à Ferrare au sein un grand Concile œcuménique. Ainsi, cette réunion a pour objectif d'aborder tous les problèmes, les dissensions entre les différents dogmes. Le premier point sensible concerne le purgatoire, invention du XIIe siècle romain (pour comprendre son processus de création, je vous conseille le livre de Jacques Le Goff). Cependant, le Concile déménage rapidement du fait de la peste qui éclate à Ferrare. Rétabli à Florence, le Concile évoque le sujet sensible du filioque, mais aussi du pain azyme, et de la trinité. Les orthodoxes, grâce au patriarche de Constantinople Joseph II, puis de Bessarion tendent à accepter le dogme catholique. En juin 1439, le concile se clôt, les deux Eglises se réunissent, après 400 ans de séparation. C'est un événement majeur pour le Pape, mais cette nouvelle église uniate ne fait pas long feu, puisque la majorité des fidèles orthodoxes (surtout des moines et des prêtres) refusent d'adhérer au nouveau dogme. En définitive, cette réconciliation éphémère n'est qu'une tempête dans un verre d'eau, mais qui clarifie l'état du monde face au danger turc.
    Que penser de ce livre essentiel pour avoir un récit détaillé du Concile, inutile de vous dire que le récit reste profondément ennuyeux, détaillé, presque au jour le jour, de plus en anglais, il remplit tous les critères pour être un bon somnifère (puis faut avouer que Joseph Gill, en bon dominicain, a choisi son camp). Il n'en reste pas moins un compte-rendu précis d'un événement symboliquement majeur.

    Dernière modification par Zorba (17 Décembre 2019 15:20:49)

  • Zorba

    Livraddictien débutant

    Hors ligne

    #20 30 Novembre 2019 12:31:59

    <image>

    Encore un brillant livre sur la naissance de la haine contre les turcs avec le Quatrocento italien. Nancy Bisaha avec son essai Creating East And West: Renaissance Humanists And the Ottoman Turks constate que l'apogée de la renaissance italienne passe par une mise en place de l'altérité entre Est et Ouest au sein des mentalités européennes. Cette vision de l'altérité ne naît pas avec les Turcs, mais débute déjà avec les byzantins; de nombreux clichés sont observés dans les textes de Pétrarque, par exemple, qui prône la supériorité des latin face aux grecs "mal rasés" et décadents. Toutefois, la haine contre les Turcs l'emporte contre celle des Byzantins. La date fatidique, gravée dans toutes les mémoires, reste la prise de Constantinople, le 29 mai 1453. Pour les humanistes, cet événement est réellement perçu comme la fin d'un temps, et même le symbole de la fin des temps, puisque que le Turc — au delà de son gros nez et son poil dru — est interprété par certain comme l'incarnation de l'antéchrist. La prise de "la seconde Rome" annoncerait alors le début de l'apocalypse!
    Ces thèses millénaristes fleurissent dans le corpus européen, on les retrouve dans l'essai intriguant de George de Hongrie des Turcs, écrit par un ancien esclave chrétien qui dans son traité frôlant la confession, illustre à merveille le rapport ténu, parfois conflictuel construit en dichotomie, entre Orient et Occident, qui alimente encore nos disputes dans la société actuelle.

    Dernière modification par Zorba (30 Novembre 2019 13:31:58)