#18 22 Mai 2021 07:45:48
Bonjour à toutes et à tous !
Je trouve enfin un peu de temps pour venir évoquer, plus longuement que dans mon commentaire sur Bibliomania, ma dernière lecture achevée. Il s'agit d'un recueil comprenant les derniers écrits d'Oscar Wilde: De Profundis, La Ballade de la geôle de Reading, accompagnés de plusieurs écrits, dont une préface d'Albert Camus, intitulée "L'Artiste en prison".
Je ressors très touchée de cette lecture et avec l'impression d'avoir entrevu quelque chose de l'âme de Wilde. En effet, De Profundis est une confession poignante dans laquelle il se livre avec beaucoup de sincérité.
Je rappelle brièvement le contexte d'écriture de cette œuvre.
Accusé de sodomie (alors considérée comme un délit par la loi anglaise), Oscar Wilde, au faîte de sa gloire, est condamné à 2 ans de travaux forcés en 1895 et perd tout: sa liberté, son honneur, sa fortune, ses biens, sa position, sa gloire, son nom, son bonheur et même la garde de ses petits garçons, Cyril et Vyvyan.
Écrite alors que son incarcération approchait de sa fin, De Profundis est une extraordinaire lettre d'amour à son jeune amant, Lord Alfred Douglas, surnommé Bosie, dans laquelle Wilde décrit toute l'ambivalence de la passion amoureuse. On distingue clairement deux parties dans sa lettre. La première est le mea culpa de Wilde dans lequel il admet ouvertement ses erreurs et décrit, sans ambages, leur relation aussi intense que tumultueuse. Flatté par l'admiration que Bosie portait à l'auteur du Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde fut, en outre, séduit par l'extraordinaire beauté physique de ce jeune homme de 16 ans son cadet. Mais ce visage d'ange cachait une personnalité égoïste, capricieuse, colérique et frivole. Wilde nous donne alors à lire un récit-confession empreint de tristesse, de reproches et de souffrance. Mais malgré les défauts qu'il trouve à Douglas, Wilde accepte sa part de responsabilité et reconnaît les faiblesses de son caractère qui ont permis que leur relation délétère perdure . Il passe en revue ses défauts avec une sincérité et une humilité bouleversantes: il condamne la vie superficielle et dissipée, faite de vains plaisirs, qu'il a menée ainsi que son manque de fermeté face à Douglas.
Wilde apparaît comme un être blessé, humble, qui reconnaît ses erreurs, refuse la colère et la haine et essaie de donner du sens à cette expérience traumatisante. Sa mise au point sur lui-même est d'autant plus lucide et touchante que Wilde était flamboyant et narcissique et parfaitement conscient de son talent et de sa valeur.
Car si le ton de la lettre révèle l'amertume de son amour pour Douglas, on peut aussi y lire l'attachement profond et l'affection sincère qu'il éprouvait à son égard.
Cette détermination à "rendre bon pour [lui] tout ce qui [lui] est arrivé", ce désir d'expiation caractérisent notamment la seconde partie de cette longue lettre. Wilde explique qu'il souhaite tirer de son châtiment autre chose que du désespoir et de l'amertume et c'est à ce moment-là que De Profundis prend une dimension quasi christique: sa souffrance ouvre la voie à un renouveau plein d'espérance; son incarcération va le conduire à se donner de nouvelles valeurs, à se re-créer en tant qu'homme et en tant qu'artiste car De Profundis ne peut se réduire à un simple examen de conscience;
c'est l'oeuvre qui permet à Wilde de se réapproprier son génie après avoir été dépossédé de tout. Wilde a su re-créer l'Art en transcendant la réalité sordide d'une geôle victorienne. Et j'ai trouvé cela admirable et profondément touchant.
Voici ce qu'écrit Albert Camus dans sa préface à De Profundis, intitulée " L'Artiste en prison":
"Si l'artiste ne peut refuser la réalité, c'est qu'il a pour charge de lui donner une justification plus haute. Comment la justifier si on décide de l'ignorer ? Mais comment la transfigurer si on consent à s'y asservir ? À la rencontre de ces deux mouvements contraires, comme le philosophe de Rembrandt entre l'ombre et la lumière, se tient, tranquille et étrange, le vrai génie".
J'ai beaucoup souligné, annoté. Tout dans ce récit était digne d'intérêt: les observations d'Oscar Wilde sont profondes, touchantes, intimes, profondément introspectives, il livre son âme et se met à nu d'autant plus sincèrement qu'il a tout perdu après avoir tout reçu. Il se dégage De Profundis une grande humanité qui ne peut laisser indifférent(e).
Si vous vous intéressez à cet artiste singulier, je vous conseille cet écrit qui nous éclaire tellement sur la personnalité d'Oscar Wilde.
Pour finir, figurent également dans ce recueil le poème La Ballade de la geôle de Reading, son chant du cygne, ainsi que deux lettres qu'Oscar Wilde a envoyées au rédacteur en chef d'un journal après sa libération.
Dans la première, il prend publiquement la défense d'un gardien de prison avec qui il s'était lié d'amitié et qui fut renvoyé pour avoir donné un biscuit à un enfant affamé incarcéré à Reading.
La seconde, publiée sous le titre "Ne lisez pas ceci si vous voulez être heureux aujourd'hui" est une dénonciation des conditions de vie effroyables dans les prisons et vise à appuyer une réforme du régime pénitentiaire.
Ces écrits étaient tous extrêmement intéressants mais, ce post étant très très long (difficile de se "canaliser" quand on est passionnée !!!) je reviendrai peut-être en parler une autre fois.
Et côté lectures actuelles, je poursuis l'énorme biographie d'Oscar Wilde, par Richard Ellmann. C'est complexe et extrêmement détaillé mais très intéressant. Simultanément, je parcours The Wilde Album, un recueil de photos, inédites pour certaines, accompagnées des commentaires de son petit fils, Merlin Holland.
Je vous souhaite de belles lectures et un excellent week-end !