Trois derniers ouvrages lus...<image>Abrégé de l'histoire de Port-Royal de
Jean Racine (publication posthume, en 1767). Vingt années passées en tant qu’historien officiel de Louis XIV ont donné à Racine une connaissance fine des méthodes et des règles de l’historiographie. Il en résulte un travail, pour l’époque, sérieux et relativement fiable de l’histoire du monastère de Port-Royal et plus particulièrement de la période couvrant les années 1602-1665. Orphelin, il avait lui-même été élevé par les Solitaires qui lui ont inculqué une solide culture religieuse et classique et a subi les persécutions à l'encontre de l'institution janséniste. Il en résulte un ouvrage où, au-delà de la simple évocation historique, Racine cherche à défendre Port-Royal et à lui rendre sa dignité, dénonçant les cabales spécieuses et les machinations des Jésuites. Bien évidemment, c’est superbement écrit et intéressant à plus d’un titre sur les rapports entre le clergé français, les divers ordres religieux, la papauté et la royauté au XVIIème Siècle. Merci à Joyce pour m'avoir pertinemment conseillé cet ouvrage il y a quelques mois. Je compléterai cette lecture avec le Port-Royal de Sainte-Beuve, mais pas avant quelques temps (entendre années).
14/20.
<image>Cheminements et carrefours de
Rachel Bespaloff (études parues en recueil pour la première fois en 1938). Née en Bulgarie de parents juifs ukrainiens, émigrée successivement en Suisse, en France (sa patrie et sa langue de coeur) et aux États-Unis où - malgré un poste de professeur dans une prestigieuse université - elle s’est suicidée par lassitude de vivre et de penser, Rachel Bespaloff est une figure importante mais peu connue de la philosophie existentielle. Inspirés par Kierkegaard qu’ils ont fait connaître en France dans les années 30, Wahl, Fondane, Marcel, Chestov et Bespaloff ont en commun une grande connaissance de l’Ancien Testament (ils étaient tous juifs, bien qu’athées pour la plupart hormis Marcel qui, lui, se convertira au catholicisme ; cette connaissance intime des écrits religieux expliquent sans doute cet intérêt et cette profondeur dans l'approche des textes kierkegaardiens ; ce sera par ailleurs un des points de divergences avec l’existentialisme sartrien, dont ils ont parfois été rapprochés), un sentiment tragique de la vie, de la conscience et des impasses de la métaphysique. Dans ce petit livre qui regroupe ses articles sur Green, Malraux, KIerkegaard, Marcel, Chestov et Nietzsche, Bespaloff fait montre de toutes ses qualités de lectrice (activité qu’elle a d’ailleurs théorisé par ailleurs) : attention soutenue aux textes, intelligence, grandes subtilité et profondeur - ses éclairages sur Kierkegaard que je lis depuis quelques temps sont notamment très précieux. Je continuerai avec cet auteur, si possible par l'intermédiaire de ses lettres à Jean Wahl qui paraissent très prometteuses mais qui ne sont hélas plus disponibles - je vais fouiller un peu.
16/20.
<image>Le Métier de vivre de
Cesare Pavese (première publication posthume, en 1952). Un autre suicidé, Cesare Pavese. Son
Métier de vivre est un journal couvrant les années 1935 (il avait 28 ans et se trouvait en exil forcé) à 1950 (année de son suicide dans une chambre d’hôtel à Rome, alors qu’il était au sommet de sa gloire littéraire). C’est un journal passionnant et percutant. Les phrases sont courtes, les entrées parfois éloignées de plusieurs semaines ; il y parle de son oeuvre qu’il théorise, de ses lectures (c’était un autre très bon lecteur, en plus d’être un excellent traducteur), de ses amours malheureuses dues à son impuissance (physique et psychologique), et du suicide qui le hante depuis toujours. De l’histoire alors agitée de l’Italie, lui qui pourtant a eu un engagement antifasciste fort, il n’en sera pas question - comme si c’était, après tout, parfaitement secondaire (on pense à l’entrée du journal de Kafka du 2 août 1914 :
"L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Après-midi piscine”). Mort, sexualité, littérature, poésie, création et écriture, sentiment de vide, misanthropie, misogynie, passage difficile à l’âge adulte - voici les thèmes récurrents de ce journal. Dur, âpre, toujours intéressant et intelligent, dans une langue directe, ciselée et extrêmement bien maîtrisée - avec un arrière-goût de Cioran en plus brutal et moins ironique - jusque dans la forme aphoristique de certaines entrées. Voici ses terribles derniers mots, quelques jours avant l'acte fatidique :
"Tout cela me dégoûte. Pas de paroles. Un geste. Je n'écrirai plus.". Du très lourd.
17/20.