#379 01 Décembre 2021 12:09:31
Il y a longtemps que je n'avais enchainé trois lectures aussi satisfaisantes :trinquent:
Meurtre au 31e étage de Per Wahlöö
Ce premier roman d'un diptyque étonne par son style et son propos social. L'enquête du commissaire Jensen porte sur une menace d'attentat à la bombe contre une multinationale qu'on devine omnipotente au fil des pages. Pas de travail d'équipe ici, ni de collaborateurs; Jensen donne des ordres, les autres obéissent au doigt et à l'oeil sans poser de questions ni, surtout, faire de commentaires. Car ceci se déroule dans une société autoritaire où crise du logement, criminalité et désordre de tout ordre ont été pratiquement éradiquées au prix cependant d'une augmentation spectaculaire de suicides et un taux galopant d'alcoolisme. On pense facilement dans ce contexte à “1984” ou à “Fahrenheit 451” et, à sa manière, ce livre s'inscrit aussi brillamment dans cette veine en exploitant la puissance des média. L'enquête en soi est intrigante, son déroulement atypique, son dénouement étonnant, tout cela dans un univers cauchemardesque. Vivement la suite.
Du balai de Ed McBain
Ce coup d'envoi d'une très longue série, il y aura plus de cinquante tomes, m'a paru très réussi compte tenu de l'époque où il a été écrit. L'ambiance fait songer aux séries télévisées policières des années 60, préférablement en noir et blanc, du temps où les moyens techniques à la dispositions des enquêteurs étaient à leurs balbutiements, ce qui fait que ces derniers devaient faire leur travail en s'appuyant sur l'art de l'enquête plutôt que sur les éléments scientifiques. La vedette du roman n'est pas tellement l'enquêteur principal, quoiqu'il tienne une grande place, mais la vie du commissariat qui donne son nom à la série. On a chaud avec cette équipe, on tâtonne avec elle, on se demande bien jusqu'à la fin qui est le fameux tueur de flics Nous sommes loin ici des thrillers modernes avec leurs rebondissements constants, des avancés technologiques étonnants et des héros flamboyants. Mais l'atmosphère du commissariat, la détermination des enquêteurs, les intéressantes incursions dans leur vie privée et le rythme général m'ont donné le goût de poursuivre cette série d'époque.
Prisonniers du ciel de James Lee Burke
Impliqué par hasard dans une embrouille, Dave Robicheaux devra faire des pieds et des mains pour s'en tirer et protéger, en autant que faire se peut, les siens. L'histoire met en scène la faune locale brillamment illustrée: flics du patelin débordés, roitelets du crime amoraux, les fédéraux qui magouillent en arrière-plan, les belles créoles envoûtantes etc. Le récit n'a pas de temps mort, la tension monte progressivement, la violence explose et le dénouement ne saurais convenir à tous; déjà à ce niveau nous sommes en présence d'un très bon opus.
Le personnage comme tel de Robicheaud dévoile ici une facette fondamentale de sa personnalité. Déchiré entre ses démons, alcoolisme et une rage intérieure qui le consume, il reste cependant fidèle à ses valeurs en aidant une amie aussi tourmentée que lui, en prenant d'énormes risques pour protéger une fillette innocente et en poursuivant son rêve chimérique d'une vie “rangée”. Cette tension perpétuelle permet à Burke d'y aller de réflexions sur la quête existentielle qui m'ont fait songer, dans un tout autre contexte au Wallander de Henning. Et surtout, l'auteur se fait presque poète lorsqu'il évoque avec un amour évident sa Louisiane adorée; on sent les odeurs du bayou, on visualise les couchers de soleil, on salive devant les écrevisses, crevettes et riz brun . . . En somme une série qui s'annonce plus profonde qu'elle n'y parait de prime abord tout en restant très bonne du coté strictement policier. On en redemande.