[Marsay, Isabelle] Le fils de Jean-Jacques

 
    • litterature_et_chocolat

      Petit joueur sur les mots

      Hors ligne

      #1 11 Juin 2012 21:32:06

      L’édifiante mauvaise foi du grand philosophe dévoilée par Isabelle Marsay dans Le Fils de Jean-Jacques ou La Faute à Rousseau.

      Jean-Jacques Rousseau, philosophe éclairé du siècle des Lumières, rédacteur pour l’Encyclopédie de Diderot, est célèbre pour ses  traités sur l’éducation des enfants qui font encore autorité de nos jours. On ignore généralement que le grand penseur de la parentalité a abandonné, contre le gré de leur mère, les cinq enfants qu’il a eus avec Thérèse Levasseur entre 1746 et 1752. Isabelle Marsay imagine, dans Le Fils de Jean-Jacques, le destin du fils aîné de Rousseau placé en nourrice, à une époque où 70% des nourrissons abandonnés à l’hospice mourraient avant d’avoir un an. Rousseau ne semblait pourtant pas ignorer cet état de fait.

      <image>

      Lien BBM

      L’avènement de la raison et de la science ont créé un étonnant clivage entre les sages antiques et les penseurs éclairés du siècle des Lumières. Dans l’Antiquité, la philosophie était un art de vivre. Pour Platon, Aristote ou Epictète, la philosophie ne peut se concevoir en dehors de l’expérience empirique . A Rome et en Grèce, on pensait sa vie et on appliquait les principes qu’on édictait. Comme le rappelait Épictète dans ses Entretiens : “Les raisonnements, ce n’est pas ce qui manque ; les livres sont pleins de ceux des stoïciens. Qu’est-ce qui manque donc ? L’homme qui les appliquera, qui, par la pratique, rendra témoignage pour eux”. Les philosophes étaient des modèles, validant par leur conduite leurs théories.

      Que s’est-il donc produit dans l’histoire de l’humanité pour que les philosophes deviennent de simples penseurs, des théoriciens de la métaphysique? Toujours est-il que l’histoire méconnue de la vie personnelle de Jean-Jacques Rousseau est symptomatique d’un clivage qui n’aura de cesse de perdurer dans la construction de la société occidentale: “faites ce que je dis, pas ce que je fais”. On y apprend donc comment le philosophe de l’éducation infantile, dont Émile ou De l’éducation est encore aujourd’hui une lecture imposée aux instituteurs des écoles maternelles japonaises, a d’abord nié avoir abandonné ses enfants avec une mauvaise foi édifiante, avant de se justifier sans conviction. Il a d’ailleurs longtemps refusé d’épouser la mère de ses enfants.

      Dans cet excellent roman-fiction, Isabelle Marsay met en lumière les contradictions flagrantes et la lâcheté de Jean-Jacques Rousseau, sans porter de jugement. L’auteur se contente en effet d’alterner très judicieusement des tranches de vie (imaginée) du fils aîné de Rousseau avec des écrits de ce dernier sur les devoirs et obligations qui incombent aux parents. On plonge dans le quotidien d’un siècle où la modernité n’était encore qu’un concept, la mort et la maladie le lot banal de toutes les familles. Gageons que la lecture de ce roman déclenchera un regain d’intérêt pour un philosophe dont on fête en grande pompe le tricentenaire de la naissance actuellement.
    • barbouille

      Pèlerin des mots

      Hors ligne

      #2 12 Juin 2012 16:06:42

      intéressant ce livre je ne savais pas tous ces faîts...comme beaucoup de lecteur je pense.
      C'est une bonne raison pour lire ce livre.
    • Ellcrys

      Serial lecteur

      Hors ligne

      #3 18 Juin 2012 12:33:23

      Je l'ai reçu dans le cadre de l'opération Masse critique. Ce sera ma prochaine lecture et je dois dire que j'ai hâte. Il me fait vraiment envie... Un sujet passionnant.
    • litterature_et_chocolat

      Petit joueur sur les mots

      Hors ligne

      #4 02 Juillet 2012 13:38:36

      J'ai hâte de connaitre ton avis, Ellcrys!
    • Ellcrys

      Serial lecteur

      Hors ligne

      #5 02 Juillet 2012 14:44:58

      Ce sera ma prochaine lecture, après mon Arto Paasilinna... Il me tente vraiment beaucoup
    • Ellcrys

      Serial lecteur

      Hors ligne

      #6 04 Juillet 2012 10:18:56

      C'est un livre fort intéressant et très agréable à lire que nous offre Isabelle Marsay. Jean-Jacques Rousseau, vous connaissez ? Mais oui, souvenez-vous de vos années lycée et de l'étude des ouvrages de ce philosophe (L'Emile, Les rêveries d'un promeneur solitaire ou encore Du contrat social)... Lui, philosophe qui traitait de l'éducation dans son Emile a abandonné cinq enfants. L'auteur, à travers ce roman, nous pose une question : doit-on condamner Rousseau ?

      Alternant passage de correspondances ou des ouvrages du philosophe et histoire fictive, Isabelle Marsay nous éclaire sur un homme qui a marqué son siècle.
      L'histoire fictive nous raconte ce qu'aurait pu être la vie de Baptiste, fils de Jean-Jacques Rousseau et de Marie-Thèrèse, sa compagne qui n'a jamais eu l'honneur le droit d'être son épouse.  Baptiste, abandonné à l'hospice des Enfants-trouvés en novembre 1746 est l'aîné des enfants du philosophe/écrivain. Et nous le suivons donc, dès ce moment.

      Isabelle Marsay se base sur des faits historiques et nous raconte des choses véritables, au milieu de la fiction. Ainsi, elle nous fait découvrir ce que vivent les Enfants Trouvés, qui mouraient bien souvent, dans ce que l'auteur qualifie de mouroir : "L’hospice fondé par saint Vincent de Paul au siècle passé était en 1746, un immense mouroir. Les parents pouvaient-ils l’ignorer ?"

      L'auteur nous interroge et nous confronte au sors de ces enfants à une période où des "savants, des instruits" réfléchisse sur l'éducation, la liberté, l'être humain... Pourtant, à l'époque de ce livre, le taux d'abandon des enfants était vraiment très important. Les nourrices étaient engagées mais bien souvent elles ne se souciaient que peu du bien-être de ces bambins.
      Bien souvent dans le texte, je me suis arrêtée pour réfléchir sur les contradictions de cette époque. C'est au moment où les esprits semblent s'éveiller, prendre conscience de l'homme, de son bien-être, de ses libertés que l'on abandonne des enfants à la pelle et qu'on ne réagit pas toujours de la manière dont pense les philosophes de l'époque.

      A travers le destin, hors du commun de Baptiste, Isabelle Marsay nous entraîne dans un siècle parfois sombre mais qui commence à s'ouvrir.
      J'ai été vraiment charmé par le personnage de Jeanne, qui venant de perdre son enfant se voit confier le petit Baptiste. Dès lors, l'instinct maternel prend le dessus et quand après quelques mésaventures, le jeune Baptiste sera accueilli et élevé par un médecin-guérisseur, sa vie prendra un autre détour, un nouveau souffle...

      Tout m'a plu dans ce livre, que ce soit la partie fictive qui est magnifique et porté par une plume très belle, fluide et d'une grande richesse ou bien, les extraits de correspondances de Rousseau, de ces ouvrages. Ce livre est très riche et m'a appris beaucoup de choses. Comment joindre l'utile à l'agréable.
      J'aime beaucoup ce genre d'ouvrage où l'on apprend tout en se faisant plaisir... Et pour autant, il n'est pas un livre difficilement abordable ou qui est lourd à suivre... Cette lecture coule de source.

      En réfléchissant bien, je ne trouve que des qualités à ce livre (style de l'auteur, sujet, construction, réfléxion qu'il suscite...). C'est donc pour cela que je vous le recommande vivement car, je suis certaine que vous passerez un excellent moment, instructif et d'une grande richesse.