Servir Froid, de Joe Abercrombie
Fiche Bibliomania : http://www.livraddict.com/biblio/livre/ … froid.html
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Résumé :
La Styrie émerge d'une longue période de guerre. Les duchés se sont entredéchirés, et un gagnant émerge, le Grand Duc Orso. À son service, une jeune femme mercenaire devenue générale de sa campagne, Monzcarro Murcatto écrase les ennemis du Duc, et s'apprête à le retrouver dans sa forteresse juchée dans la montagne. Ses nombreuses victoires lui ont valu une réputation glorieuse, quoique teintée de malaise quant à ses massacres. Malheureusement pour elle, la Styrie est une contrée de guerre comme d'intrigues, et les personnages puissants s'attirent vite les foudres des politiciens installés. En accord avec son frère, Benna, il est temps de se retirer. C'est pour cela qu'elle va voir Orso.
La rencontre se passe comme chacun le pressentait : mal. Monzcarro est littéralement jetée à bas de son piédestal, séparée de son frère, et laissée pour morte. Mais le Serpent de Talins ne périt pas, et jure vengeance, au nom des supplices qu'on lui a infligé, au nom de sa loyauté bafouée. Œil pour œil, dent pour dent, sa revanche sera totale, ou ne sera pas. Elle se met donc en route, et s'achète les services de mercenaire, de bandits et d'anciens amis : Shivers, un barbare du nord arrivé en Styrie pour abandonner sa vie de batailles et de morts ; Nicolo Cosca, son ancien mentor et ami, aujourd'hui rongé par l'alcool et l'amertume ; Cordial, un criminel aussi placide que meurtrier, obsédé par les nombres et angoissé par l'immensité du monde ; Morveer, un dandy passé maître dans l'usage de poisons, accompagné de son angélique assistante.
Son voyage en Styrie à la poursuite du Duc Orso sera une longue balafre dans la politique du pays.
Mon avis ?
Mon roman préféré à ce jour, j'allais dire "en fantasy" mais finalement, tout genre confondu.
Joe Abercrombie est un pilier du cynisme comme de la Fantasy. Son œuvre prend place dans un univers riche, inspiré tour à tour de l'Italie renaissante, des vikings, des contes de Mille et une nuits, ceci en un savant mélange qui sonne juste, qui prend vie au gré des pages tournées. Servir froid est un contre-voyage initiatique, pour son personnage comme pour le lecteur : on désapprend sa moralité à mesure que l'on plonge avec Monzcarro et ses compagnons dans l'abîme du cœur humain pour ne plus jusqu'à ne plus s'encombrer de concepts rendus creux par trop de naïveté. Cela dit, si ce livre de Joe Abercrombie a l'air de détruire sans vergogne ce qui partout ailleurs semble faire la beauté et la grandeur du genre humain (l'honneur, le courage, la bonté, la loyauté...), il opère au contraire une mise à plat de l'être humain, comme un retour à une réalité concrète : ses personnages sont des salauds, digne des plus terribles protagonistes de Tarantino, mais enfin, ils ne sont pas inhumains.
Et s'il tourne en dérision les déclarations épiques, les promesses grandiloquentes, les belles paroles bienveillantes, il ne départit pas ses anti-héros de comportements admirables. Mais évoluant dans une civilisation pour le moins sauvage, il n'est permis aux protagonistes de se révéler ainsi que par petites touches, qui en deviennent infiniment plus poignantes.
En clair, Abercrombie brosse une esquisse de l'âme humaine en s'attardant sur ses traits grossiers, honteux, ceux que l'on aime cacher aux regards. Mais cela sans oublier de suggérer, en un léger et subtil contraste, la part plus admirable de notre nature.
Bref, pour en terminer avec cette analyse un peu personnelle, Servir froid n'est pas à mettre entre toutes les mains à cause de cette acidité presque perpétuelle. Toutefois, pour ceux qui s'y attaqueraient, réjouissez-vous : les dialogues d'Abercrombie sont probablement les meilleurs qu'il m'ait été donné de lire. Incisifs, vivants, dynamiques, les discussions du livre sont à la fois triviales et percutantes, les grands discours sont rares et bien amenés. Ici, pas de discours soutenu ailleurs que dans la bouche des manipulateurs sereins, l'auteur préfère un argot mordant, les personnages vomissent leur haine, leurs insultes ou leurs suppliques dans une spontanéité parfois sordide, souvent cocasse.
Et donc, c'est une dernière caractéristique du livre, une dernière que je vais aborder en tout cas, Servir froid est drôle. Le vocabulaire est rarement soutenu mais les traits d'esprits fusent, les sarcasmes sont légions, le cynisme de l'auteur et de ses personnages autorisent la dérision partout. Pour autant, on ne sort pas de l'immersion du récit : on accepte juste d'être dans un monde peuplé de protagonistes désabusés, lassés par un passé riche en peines et en échecs, où les hautes valeurs morales sont l'apanage des niais et des menteurs.
C'est donc un roman sombre, en ce qu'il explore essentiellement la part sauvage et impitoyable de l'être humain. Mais c'est aussi un roman d'aventure extrêmement visuel, amusant pour peu qu'on se prête au jeu, et habité par des personnages hauts en couleurs, de véritables forces de la nature en terme de caractère, de force de volonté et de pugnacité.
À noter (et promis, après, je me tais) que ce roman est le premier d'un lot de trois romans qui peuvent chacun être lus indépendamment, les deux autres étant Les Héros et Pays Rouge. Je pense faire une fiche sur eux à l'occasion. Ils sont considérés comme des one-shots par l'auteur et par tout le monde en général, et s'insèrent à la suite de la trilogie La Première Loi. Toutefois, à mon avis, Servir Froid est le seul des trois à pouvoir véritablement se lire indépendamment. Les Héros raconte une bataille durant trois jours entre deux nations, mais qui est l'aboutissement des nombreux événements racontés dans la trilogie. Et quant à Pays Rouge, il offre un chapitre final à l'aventure de plusieurs personnages récurents de la saga, bien que l'histoire soit centrée sur de nouveaux personnages.
Donc si je devais conseiller un ordre de lecture : commencer par Servir Froid est tout à fait possible, les quelques références à la trilogie permettent juste de comprendre quelques insinuations de géopolitique. Avant, ou juste après, partir sur la trilogie où l'on suit l'histoire de Bayaz, Logen, Glotka et Jezzal, puis embrayer sur Les Héros et enfin Pays Rouge.
Voilà, j'espère que je n'ai pas été trop long, que j'ai été clair, et que certains d'entre vous auront trouvé l'envie de découvrir Joe Abercrombie qui, à mon sens, est un très grand monsieur de la Fantasy)
(et pour ceux qui ont lu ce livre, ou la trilogie, ou tout le reste, bavardons-en !)
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