[LC] Babel - R. F. Kuang (début 01/02/2024)

 
  • Shkolopendre

    Livraddictien débutant

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    #11 13 Février 2024 20:28:30

    Hello !

    Je l'ai commencé lundi dernier, j'en suis au dernier tiers. Et franchement, j'adore, ça touche à plein de thèmes qui me tiennent à coeur, c'est super bien mené. J'attends de voir comment ça finit mais ça sent le gros coup de coeur pour ma part :heart:
  • Vinushka

    Bookworm

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    #12 19 Février 2024 23:08:18

    J'ai terminé le Livre 1. J'ai l'habitude d'utiliser des post-it pour annoter les livres, et franchement là, j'en ai trop mis ! (littéralement TROP, j'ai dû me calmer, sinon ça n'avait plus aucun intérêt) Enormément de passages ont attiré mon attention. Les 144 premières pages pourraient être vite résumées, mais l'autrice détaille bien la psychologie des personnages et le mécanisme de la colonisation. L'intrigue n'en ai pas moins intéressante, du moins je suis intriguée pour la suite car le premier livre se termine sur des événements qui titillent la curiosité. Idem pour la magie de l'argent, on sait ce que c'est, mais j'ai hâte de voir la place que ça va prendre dans l'intrigue.

    Spoiler (Cliquez pour afficher)

    Le personnage de Lovell est inquiétant dès le départ, mais l'autrice le décrit comme une figure qu'on a l'habitude de trouver rassurante (le vieux professeur au nez en bec d'oiseau qui recueille l'orphelin, etc.). Je trouve ce retournement des clichés intéressant, car on sent la confusion de Robin qui n'a de toute façon plus que lui. Lovell arrive en sauveur mais impose beaucoup de choses à Robin (dont on ne connait pas le vrai prénom du coup) comme le changement de langue, le changement d'identité.... A chaque fois, cela parait à la fois brutal et justifié par les circonstances. Le lecteur sait que c'est brutal et injuste, mais si on se met à la place du petit garçon, c'est très insidieux.
    Il dit qu'il veut le transformer en anglais (ce qui est en soi problématique), mais on voit bien par la suite que quoique fasse Robin pour s'adapter, ça ne suffira jamais, et encore moins pour échapper au racisme. Dès que ça ne va pas, il redevient un "chinois paresseux" (p71).

    Parmi les passages qui m'ont le plus marqués : le premier moment où Robin doit faire l'interprète (p34) où il est obligé de transmettre une injustice, de prononcer des mots cruels, des mots qu'il ne pense pas et qui le font culpabiliser. Il devient en quelque sorte, déjà, un outil de l'oppresseur.

    Il a aussi la rencontre entre Ramy et Robin et leurs différences : Robin qui souhaite attirer l'attention le moins possible, et Ramy qui utilise les fantasmes des anglais pour se faire passer pour un aristo. Ramy est un personnage qui semble beaucoup plus s'affirmer, vouloir se défendre, et manie l'ironie. Comme le passage avec les indiens assis par terre, d'ailleurs j'ai retrouvé la sculpture :

    <image>

    L'appropriation est bien illustrée, surtout au chapitre 4, le fait de ne pas créditer les personnes concernées... lorsque Robin tombe sur les traductions du professeur Lovell (tiens tiens) et de tous ces blancs qui sont spécialistes, sans avoir eu besoin de l'aide de natifs étrangement. Ces mêmes blancs qui savent mieux que les personnes concernées ce qu'elles sont, ce qu'elles aiment, etc. en plus de leur langue. Evidemment, on sent venir gros comme une maison l'exploitation des universitaires par des petites mains étrangères (on sait aussi que Robin n'est pas le premier "protégé" de Lovell). 

    Autre passage marquant, la petite histoire tout mignonne du professeur Playfair avec tout son laïus sur le lien entre la traduction et la paix, tempéré dans les pensées de Robin qui sait que les petits Egyptiens étaient des esclaves (p128). On voit bien les biais raciaux et l'importance de bien rapporter une telle histoire, sans occulter les aspects coloniaux.

    J'ai aussi hâte d'en savoir plus sur ce groupe d'amis. L'autrice nous tease sur leurs différences qui les amèneront, d'après ce que j'ai compris, à se scinder en deux camps.



    J'ai aussi beaucoup apprécié les notes de bas de page intégrées au récit. L'autrice y est souvent ironique, et on apprend autant de choses historiques que de choses sur les personnages eux-mêmes.

    Bref, une très bonne lecture pour le moment. Je ne suis pas encore hyper attachée à Robin, par rapport à Ramy, mais j'espère qu'avec la suite, ce personnage se dévoilera davantage.

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    C'est un personnage très crédible, mais qui encaisse beaucoup pour le moment. Il est intelligent, ressent le malaise de sa condition, mais il semble taire ces petites voix de la raison pour ne pas s'attirer des ennuis (Ramy, par exemple, aurait sûrement signalé que les Egyptiens de l'histoire étaient des esclaves s'il l'avait su). Je pense que ce personnage sera très intéressant à suivre.

    Dernière modification par Vinushka (19 Février 2024 23:10:00)

  • Fäelrina

    Espoir de la lecture

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    #13 20 Février 2024 08:23:31

    Bonjour tout le monde,
    .
    J'en suis au Livre 3, et pour l'instant l'histoire suit son cours. Je prends plaisir à ma lecture, sans pour autant ressentir de frénésie et une envie féroce de lire la suite.
    Je trouve très intéressant la manière dont l'autrice parle de la traduction et de nombreuses phrases m'ont parlé. En revanche, comme le récit est au passé, le narrateur nous racontes les événements qui lui sont arrivés, j'ai du mal à me projeter dans l'ambiance scolaire du récit.
    Contrairement à Harry Potter par exemple, que je prends parce que c'est l'un des exemples les plus célèbres en récit scolaire, j'ai du mal à une lire une scène et me dire "ça c'est un chouette moment entre amis". Le narrateur est toujours là à dire "Ce fut un des moments les plus heureux de nos années universitaires". Et ce recul immédiat, non seulement me sort de la scène mais me pousse aussi à attendre l'élément déclencheur ou le drame, sans profiter de ces moments quotidiens et heureux.
    Donc c'est un petit bémol pour l'instant, les thématiques autour du colonialisme, de la position de chacun, de la langue, sont intéressantes mais j'ai l'impression que l'autrice m'empêche de profiter de l'atmosphère scolaire de son récit.
  • Maa

    Lecteur initié

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    #14 20 Février 2024 09:37:45

    Coucou,
    Je le commence tout juste aujourd'hui.
  • Coccinelle8

    Néophyte de la lecture

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    #15 20 Février 2024 18:42:02

    Hello !

    Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour lire dernièrement mais je suis en vacances vendredi donc je le lirais sûrement la semaine prochaine. En tout cas vos retours piquent ma curiosité.
  • Vinushka

    Bookworm

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    #16 21 Février 2024 21:07:00

    @Maa Bonne lecture !

    @Coccinelle8 Pour ma part, c'est cette semaine que je suis en vacances, et que j'en profite.^^ Vivement le week-end alors !

    @Fäelrina C'est vrai que le récit au passé avec des révélations sur certaines choses nous empêche de vivre pleinement du moment présent. Personnellement, cela ne me dérange pas plus que ça, mais je vois ce que tu veux dire !

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    "certaines choses", je parle surtout du fait qu'on sait que la cohorte va se séparer en deux camps et que leur amitié va se terminer. Je pense déjà que Letty décevra ses amis, il y a trop de petites phrases qui montrent qu'elle ne les comprend vraiment, qu'elle est intelligente scolairement mais ne voit pas plus loin que le bout de son nez.





    Pour ma part, j'ai terminé le Livre II. Je trouve toujours les thèmes du livre très intéressants, ainsi que son univers. Je suis très prise dans le livre, même si en refermant le livre II, je me rends compte qu'il ne s'est pas passé 1000 choses non plus. J'aime autant les passages d'action que les digressions sur la langue, la traduction.

    Spoiler (Cliquez pour afficher)

    Le livre II s'ouvre et se termine sur l'engagement de Robin, demandé par son frère. Robin n'est pas un personnage qui va foncer pour la révolution, et j'aime suivre sa psychologie. Il a ses contradictions et elles ne sont pas balayées d'un revers de main, même quand il décide d'aider Hermès (sur un déclic quasi personnel puisque c'est après le diner avec Lovell qui montre que sa mère n'était pour lui qu'une "bonne femme" + l'humiliation subi). Mais dès que ça le touche un peu moins, Robin semble prêt à s'enfoncer dans une sorte de déni. Quand il est en cours et qu'il s'y sent bien, il se dit que finalement, ce que dénonce Griffin, ce sont des complots. Il est aussi partagé, il veut faire partie de ce monde (Babel, l'intelligentsia en général) mais éprouve aussi envers eux un mépris (surtout envers Lovell). Je trouve que l'autrice saisit bien ce mélange d'émotions contradictoires qui façonnent Robin. C'est peut-être ce qui me le rendait moins attachant que Ramy, mais c'est ce qui le rend plus intéressant à suivre d'un point de vue évolutif.
    En plus de cela, il y a cette notion de survie : entre les protections de Babel qui peuvent être mortelles et la pauvreté apparente de Griffin, Robin sait que sans Babel, il perdra tout. Et pour quoi ? Pour des idéaux dont il n'est pas encore totalement convaincu... ou plutôt, il n'est pas convaincu que son implication changera quelque chose. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?
    Le passage p266 m'a interpellée car il saisit la différence majeure entre Griffin et Robin. Griffin pense que ça vaut la peine d'essayer, qu'on peut influencer le cours de l'Histoire même si on ne peut pas prédire dans quelle mesure. C'est aussi la différence, dans la vie, entre les personnes militantes et les autres. Bien souvent, on se convainc que se battre ne changera pas grand-chose. Est-ce qu'on le pense vraiment ? Est-ce qu'on le pense par confort ? Car se battre peut signifier renoncer à des choses plus ou moins précieuses pour son confort personnel : de l'argent, un travail, des relations, etc. Renoncer à se battre, c'est pouvoir se permettre de ne pas culpabiliser. Or, les personnes victimes d'oppression ont rarement ce luxe. Peut-être que c'est ce que l'histoire de Babel va nous montrer, entre autres choses. Il y a toujours un moment où la réalité nous rattrape de plein fouet. N'était-ce pas le cas pour Griffin qui n'a pas pu finalement accéder à un emploi prestigieux du fait d'avoir perdu son chinois ? Est-ce que s'il avait réussi, il aurait été militant ? Robin, en tout cas, a trop peur pour le moment pour se jeter dans la lutte à corps perdu.

    L'univers magique est génial, simple à résumer, mais terriblement bien pensé dans ses détails. J'aime le fait qu'il soit inscrit dans notre monde, et j'ai aimé le passage sur les ouvriers sans emploi qui ont manifesté devant Babel. Ces ouvriers "briseurs de machine" ont réellement existé. C'était aussi troublant de voir notre personnage principal faire un détour pour éviter de croiser une famille de mendiants ! Entre ça et ces questionnements, c'est un personnage un peu gris. Même s'il ne fait fondamentalement rien de mal, il n'est pas parfait.

    Pour finir, il y a cette intrigue avec Anthony qui est sûrement la voix familière entendu lors d'un cambriolage. Vu la réaction de Victoire et de Griffin, on suppose qu'il n'est pas réellement mort, mais que simuler sa mort a été le seul moyen de se faire oublier de Babel ? (si c'est bien la voix familière, il aurait donc été dans le groupe de résistants depuis le début, et s'il simule sa mort, c'est peut-être qu'il s'est passé quelque chose entre temps ?)

    Dernière modification par Vinushka (21 Février 2024 21:07:31)

  • bagin

    Baby lecteur

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    #17 23 Février 2024 17:36:50

    Bonjour

    J'ai commencé le livre 1, il y a une semaine pour découvrir l'histoire et si le scénario m'a parut intéressant, le choix narratif de l'auteur de faire vivre les emotions des personnages pr un regard extérieur m'a empêché de m'attacher aux personnages. Après une pause pour lire un gros pavé aussi (je sais pas pour vous, mais j'arrive à lire plusieurs romans court ou moyen mais deux pavés mon cerveau fait tilt, fin de la parenthèse) j'ai repris l'histoire et même si je continue à ne pas m'attacher aux personnages, malgré l'émotion de certaines scènes, la description de Babel, la "magie" de l'argentogravure et les relations qui se tissent entre les personnages font que c'est un véritable page turner quand on décide de rentrer dans cet univers
    Je suis en début de chapitre 17 et si la lecture est aussi enrichissante pour la suite, je dirais qu'il rentrera dans la catégorie haut du panier de la fantasy, un chef d'oeuvre mais pas un coup de coeur. A noter les triggers warning en début du roman, ce qui n'est pas toujours le cas, donc un point positif.
    L'autre gros point positif est son univers et le regard des protagonistes sur le colonialisme, le racisme au quotidien, le sexisme  dans une époque victorienne. C'est assez rare en SFFF que les auteurs portent un regard politique et philosophiques sur l'appropriation culturelle.
    Avec le recul, je me demande si mon incapacité à m'attacher aux personnages, mais en apprécier les relations ne vient pas du fait que j'ai le sentiment que  les héros servent de pions/ élément théorique à une démonstration et manquent de vie propre.
  • Vinushka

    Bookworm

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    #18 24 Février 2024 21:24:44

    @bagin, je ressentais la même chose pour les personnages, mais en avançant dans l'histoire, je me sens plus impliquée, surtout pour Robin et Ramy. Mais c'est vrai que chaque personnage semble incarner un élément théorique.

    Je n'avais pas vu les triggers warning. ^^




    J'ai lu les livres 3 et 4. J'ai l'impression que plus on avance, plus on se sent dans le présent. Si j'étais déjà très intéressée par l'histoire dans les deux premiers livres, je la trouve de plus en plus prenante.

    Spoiler (Cliquez pour afficher)

    Les deux premiers chapitres du livre 3 sont assez lents en comparaison de ce qui suit. On dirait presque que le monde extérieur n'existe pas avec les examens, puis le bal. Même si le bal se termine par un rappel à la réalité avec la scène de l'agression de Victoire et Letty. Il est souligné que c'est surtout Victoire qui est visée, et c'est vrai, mais ils essaient tout de même de comparer les deux. Je pensais que le personnage de Letty illustrait la fragilité blanche. Elle se tait moins que les autres, elle sait se plaindre même quand elle n'est pas la plus à plaindre... à un moment il y a une parenthèse où Robin pense qu'en gros Letty n'aide pas les féministes en chialant tout le temps. Rare passage du livre où j'étais sceptique (peut-être une façon d'aborder l'intersectionnalité, le white feminism, mais j'ai trouvé ce passage maladroit... l'autrice l'a laissé entre parenthèse). Je vois que le livre 5 s'ouvre sur Letty donc peut-être qu'on sera plus éclairé sur ce personnage. J'ajoute qu'elle semble insupportable depuis le début et que j'ai vraiment peiné à les croire vraiment amis. Qu'en pensez-vous ? Depuis le début, ils vivent dans deux mondes différents et j'ai l'impression qu'ils n'ont jamais dépassé ça... il est écrit de temps en temps qu'ils sont très amis tous les quatres, mais avez Letty, j'ai eu du mal à le croire. Sa trahison était prévisible, mais je ne la voyais pas aussi franche (elle tire sur Ramy!), j'imaginais plus un truc "stupide" allant dans le sens de sa croyance en l'institution, dans son déni de privilégié, etc. Bon à voir ce que la chapitre sur Letty nous dit là-dessus, mais elle a tout de même tiré sur Ramy (qu'elle disait aimer, ou alors le rejet a participé à sa décision de trahir?). Je voyais une trahison plus "subtile".  Bref, j'ai hâte de voir si le chapitre sur Letty va m'éclairer sur ces points, c'est un personnage que je trouve très détachée du groupe depuis le début, on n'a pas vraiment sa psychologie si ce n'est que c'est la blanche du groupe, intello mais aveugle, dans son monde de bourge. A vrai dire, Victoire c'est un peu pareil, c'est un personnage discret et on en revient à ce que disait @bagin, le côté pion des personnages, même si je trouve que Robin s'étoffe et que Ramy était le plus attachant.

    Je me suis penché sur quelques faits historiques et j'ai notamment tapé le nom d'Afong Moy qui a réellement existé (même si elle était en Amérique) et a été exhibée comme une bête de foire. J'ai vu parmi les critiques le reproche de manichéisme fait à Babel, mais même si c'est un roman classé fantasy, il y a une énorme part historique, sourcée, sur l'Angleterre de la révolution industrielle, sur la colonisation, et sur toutes ces anecdotes infâmes illustrant un racisme bien réel (et qui perdure). En plus, à un moment, le commissaire est gêné du terme cantonais pour désigner les étrangers (connotation barbare selon lui), c'est vraiment l'hôpital qui se fout de la charité.

    Quand ils entrent dans la maison de Lovell décorée façon colonial avec tout un tas d'objets chinois... ça m'a fait sourire jaune, car j'ai vraiment pu constater ça dans la vie de tous les jours, cet attrait pour l'art et la décoration "exotique" par des gens xénophobes. C'est fou. Je me demande comment ça s'explique (Victoire dit que d'un côté il y a des objets et de l'autre des gens, mais l'explication ne me suffit pas).

    J'ai aimé le passage avec Anthony qui "traduit" toutes ses idées pour qu'elles passent auprès des blancs. N'oublions pas que le premier dans le livre à dire que la violence est nécessaire est Lovell.

    Bref, beaucoup d'actions, des morts... hâte de lire la conclusion de ce récit !

  • Maa

    Lecteur initié

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    #19 26 Février 2024 08:52:58

    J'ai lu le livre 1. Pour l'instant j'apprécie ma lecture l'histoire se met documents en place.
    Je ne suis pas plus attaché que ça aux personnages pour le moment surtout pas pour le personnage de lovel

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    le passage où il bat Robin m'a marquée

    .
    En tout cas la fin du livre 1 a attisé ma curiosité.
  • Vinushka

    Bookworm

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    #20 26 Février 2024 20:16:29

    @Maa. Oui Lovel est tout sauf attachant !




    Pour ma part, j'ai terminé le livre, je mets mon avis en spoiler même si je reste évasive (c'est l'avis que j'ai posté sur le challenge "je voyage") :

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    Je pense que c’est un livre qu’on ne présente plus. Un orphelin chinois, rebaptisé Robin au début du récit par son tuteur blanc, est recueilli dans le but de devenir un traducteur à Oxford, métier très prestigieux. En effet, la traduction est la base du système de magie qui crée des sortes de "sorts" grâce à des mots gravés sur des barres d’argent. Bref, cet enfant quitte donc Canton pour l’Angleterre et finit par intégrer Babel où il ouvre peu à peu les yeux, grâce à de nouvelles connaissances, sur la colonisation. Car tout ceci se passe au début du XIXème et il rencontre d’autres étudiants issus de pays colonisés, certains ayant une conscience politique. Il se rend alors compte que par sa fonction de traducteur, il sera amené à servir l’Angleterre dans ce contexte de domination coloniale. Ce roman, que j’ai énormément aimé, fait presque parfois l’effet d’un essai. Ces thèmes me passionnent : la traduction, le pouvoir des mots, la colonisation, le racisme, les rapports de domination, le militantisme, etc. L’autrice détaille ces thèmes et la part historique avec des anecdotes. Le seul bémol, c’est que les personnages manquent parfois de relief. Paradoxalement, la psychologie de certains personnages est bien décrite, surtout Robin, mais pas leur caractère. On sait en long et en large ce que ressent Robin et c’est très intéressant… mais ça reste centré sur les points thématiques choisis la plupart du temps. Parfois l’autrice dit mais ne montre pas les amitiés/la complicité de la promotion de Robin et j’ai eu du mal à y croire. Il manque des moments où on serait amené à ressentir vraiment tout ça. Cela ne m’a pas empêché d’aimer ce livre, juste que je ne me suis pas vraiment attachée aux personnages. C’est presqu’un roman à thèse en fin de compte. Avec des personnages plus consistants, ça aurait pu être un coup de cœur, mais je n’ai vraiment pas boudé mon plaisir et je relirai R. F. Kuang !



    Et là je spoile à fond les manettes pour expliciter certaines choses :

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    Avant d'entamer la dernière partie, j'avais hâte de lire le chapitre sur Letty du fait de ce que j'avais dit précédemment, de son détachement et du fait qu'on ne ressentait pas tellement l'amitié "fusionnelle" que la cohorte était censée avoir. Mais Letty, je l'avais finalement à peu près cerné, par la déduction et par ce qu'avait montré l'autrice (elle a montré bcp de passages où Letty est agaçante, assez peu où elle est attachante je trouve). Mais le pire, c'était Victoire... En réfléchissant, on ne savait quasi rien de ce personnage. J'ai d'ailleurs vraiment aimé son dernier chapitre. C'est un peu comme si effectivement l'autrice avait fait une fiche personnage, mais qu'elle avait tout gardé pour elle, et qu'ils se bornaient bien souvent à être des archétypes la plupart du temps : le jeune homme chinois qui veut s'intégrer à un monde qui l'utilise sans jamais vraiment l'accueillir et est dans le déni, le jeune homme indien qui a conscientisé plus de choses et veut prendre sa revanche, le frère plus extrême dans son militantisme car plus avancé dans sa réflexion, l'ami blanche qui est agaçante dès qu'elle ouvre la bouche (mais qu'ils adorent... euh où ça ? Robin avait l'air d'être le seul à l'aimer), aveugle de ses privilèges, et l'amie noire qui sert de deuxième fille + à montrer la double oppression. D'ailleurs, la réaction sur la trahison de Letty, je ne sais pas si c'est fait exprès, mais c'est un peu sexiste en mode "oh non, la rose anglaise, si mignonne et gentille". Ils l'ont un peu trop pris pour une potiche aussi. Bref ! Victoire était vraiment délaissée et c'est fort dommage. R.F. Kuang a fait un choix avec sa narration et si certaines d'entre vous ont percuté plus vite que moi, c'est parce que ça ne me gênait pas vraiment au début. J'avais un autre os à ronger, car j'ai vraiment adoré l'univers créé, mi-historique mi-magique avec l'importance du langage, toutes ces réflexions sur la traduction, l'engagement contre la colonisation... Sur ça, R. F. Kuang est géniale, je la trouve impressionnante, elle a vraiment bien travaillé son sujet.

    Mais je pense que si le traitement des personnages avait été plus étoffé avec des scènes qui auraient montré leur amitié, et davantage l'ambiance scolaire, ça aurait pu être un coup de coeur. Paradoxalement, je trouve l'intériorité de Robin très riche et intéressante, mais on apprend à la fin qu'il était carrément amoureux de Ramy. Je comprends que l'autrice n'ait pas voulu donner plus de détails à ce pan de l'histoire, mais je trouve que ça aurait participé à l'attachement des personnages. En se focalisant autant sur le côté "thèse/archétype", on en oublie parfois qu'ils sont plus que ça, et c'est dommage. Cela dit, Ramy était mon personnage préféré. L'éloignement entre lui et Robin aurait dû me donner davantage d'émotion (quand Ramy apprend que Robin a donné l'adresse d'une cachette), ou bien sa mort. Il y a des morts dans certains livres/séries qui me donnent tellement d'émotions que je fais une pause car je suis trop dégoutée, en colère contre l'auteur, etc. Là j'étais pas vraiment deg (peut-être aussi car j'ai trouvé la scène too much, ça m'a fait penser à la saison 8 de Games Of Thrones qui m'a déçue, pas par la direction de l'histoire, mais par sa réalisation). Il y a ce conseil d'écrivain bien connu "show, don't tell" et je pense que l'autrice a été un peu à côté sur ce point (pas forcément sur tous les pans de l'histoire, mais sur tout ce qui est amitié très forte, émotions). Et il y a des trucs qu'on sait après, des trucs assez fous... genre ils étaient trop amis mais durant toutes ces années, Letty n'a jamais remarqué que Victoire n'avait pas accès à la salle de bain (pour une fille qui a l'air coquette et tout, c'est pas crédible, même en admettant qu'elle soit égocentrique) et Victoire ne lui a jamais dit... hum
    Bon, j'adhère à cette amitié qui part en sucette à cause des différences, mais là ça manquait de crédibilité à mon sens et la fin nous montre que c'était factice dès le départ.

    La fin... bon j'ai un peu regardé les avis sur internet et certains n'ont pas aimé, trop violent, pas assez d'espoir, une "mauvaise morale". En même temps le sous-titre c'est "la nécessité de la violence" ou un truc du genre. Personnellement, ça ne me choque pas et je trouve un peu dur ceux qui disent que l'autrice prône la violence. Victoire, à la fin, sert enfin à quelque chose parce qu'elle choisit de survivre et de se battre, autrement que par la violence. Et c'est avec elle que se clôt réellement le roman. Pour moi, l'autrice montre deux chemins, mais elle ne dit pas que le choix de Robin est souhaitable, je ne pense même pas qu'il choisisse réellement : il avait des revendications non acceptées, il était désespéré et a tout essayé depuis le début du roman, et malgré tout il a vu ses amis mourir (un frère et un crush en plus). Il a perdu le peu qu'il avait. J'ai compris son "choix". Ce n'est peut-être pas "moral", mais je ne pense pas que la littérature doivent forcément être morale. Je comprends moins le choix des autres résistants de la tour, surtout de Madame Craft dont le soutien a l'air sorti de nulle part.^^
    J'ai adoré la dernière phrase de l'avant-dernier chapitre avec la mère de Robin qui prononce son nom, que nous lecteurs ne connaitront jamais. C'est très fort. C'est comme s'il reprenait enfin son identité volée par le processus de colonisation.
    Et j'ai aimé l'épilogue, même si je trouve que ce relief donné à Victoire vient trop tard. C'est un peu une "contre-fin". Pensez-vous que cela nous ouvre sur une potentielle suite avec Victoire comme personnage principal ?

    Et je remonte dans le temps, encore avant la fin, j'ai aimé le lien que R. F. Kuang fait avec les ouvriers révoltés. Là encore j'ai vu des critiques que j'ai trouvé injustes sur internet, reprochant à Babel d'être trop manichéen, et parce que tous les blancs sont méchants, que son projet est trop focalisé sur la race et non les inégalités sociales, etc. Bon déjà, la colonisation, c'est malheureusement pas une invention sortie du chapeau et il faut encore se battre en 2024 car la fin de la colonisation n'a pas engendré la fin des oppressions, que certains ne veulent toujours pas le reconnaitre ou veulent enterrer ce passé en oubliant que les européens ont battis leurs empires là-dessus, que ça continue de bousculer la politique de certains pays, d'engendrer des inégalités, et qu'on a gardé des richesses (y compris dans les musées par exp), qu'il y a encore du racisme plus ou moins conscientisé, et que je suis sûre que certains pensent encore que la colonisation était une bonne chose ou que ce n'était pas si mal. Eduquer là-dessus reste donc primordial. J'ai revu le film La Vague de Dennis Gansel hier où un prof doit leur enseigner ce qu'est l'autocratie : les élèves au début sont en mode "ouais bon c'est bon, y a plus de nazis, et c'était trop la honte, l'Allemagne ne pourra jamais redevenir une autocratie, on sait que c'est mal et on va pas s'excuser toute notre vie" et toute l'histoire montre, en décortiquant les mécanismes, qu'on peut retomber dans des travers du passé, car il ne suffit pas de dire que c'est mal, il faut le comprendre et rester vigilant.

    Je disais aussi dans mon commentaire que pour moi c'était un roman à thèse, et je l'ai adoré en tant que tel. Je trouve franchement que sa correspond à la définition : "Le roman à thèse est une expression utilisée en littérature pour classer des romans dans lesquels la réflexion philosophique, politique, scientifique ou religieuse prime sur l'histoire. Ce sont des romans mettant en scène des personnages destinés à illustrer ou représenter des concepts ou des courants philosophiques." L'analyse y est riche et je pense que j'aurais encore plus aimé ce livre si je l'avais lu il y a quelques années, avec moins de connaissances sur tous les concepts illustrés par l'autrice. N'empêche qu'elle offre un point de vue et un univers original pour appuyer son propos.

    Pour finir, pensez-vous que les personnages du XIXème siècle pensent trop comme des personnages de 2024 ? C'est un point que j'ai vu soulevé, et ça m'intéresserait d'avoir votre avis sur la question. Cela ne m'a pas gêné car l'imaginaire permet cela, et je n'avais même pas percuté.



    Voilà, c'était très long et détaillé... haha J'ai hâte d'avoir votre avis sur la suite, notamment sur ce que vous avez pensé des personnages et de la fin du roman.

    Dernière modification par Vinushka (26 Février 2024 20:23:39)