Posséder et détruire
Régis Michel2000

L'art occidental ne traite du sexe que sur un mode unique (ou presque) : la violence. Il n'est guère question, dans les fables qui le hantent, que de ruse et de piège, de rapt et de viol, de lutte et de meurtre. La métamorphose ovidienne est le modèle séculaire de ces pratiques douteuses, où s'épanouit un rituel transgressif, c'est-à-dire transformiste, dont le coït zoophile de Léda paraît l'emblème. Et le motif obsessionnel de l'étreinte finit par y devenir le prétexte ambigu d'une fusion délétère où se cristallise l'amour du même. Or nous avons depuis longtemps cessé de voir ces images pour ce qu'elles sont : une métamorphose inlassable et cruelle de ce qu'on nommera d'un mot féministe, cher à Bourdieu, la domination masculine. Le vieil humanisme de l'Occident ne fait que démontrer (une fois de plus) son principe d'imposture. Cette intervention, qui se réclame de la liberté critique initiée par les Parti pris du Louvre, dont l'auteur a dirigé la série, n'est pas une exposition ordinaire. On n'y pratique point le culte des artistes, mais le travail de l'interprétation : une archéologie du symptôme qui vise à traquer les stratégies du désir et les ruses de l'inconscient. Ainsi s'élabore, à la faveur d'une centaine d'?uvres, une autre histoire, une contre-histoire où, d'Ingres à Duchamp, de Michel-Ange à Degas et consorts, ce qui compte est moins la forme visuelle que la structure sexuelle de l'oeuvre.