#194 08 Décembre 2014 12:37:54
Encore un changement radical de sujet, que j'ai beaucoup apprécié.
L'hiver dernier, j'ai mis la main sur un vieux bouquin dans le grenier familial : Interprète volant, de Jean Ably. Le journal d'un Français qui a suivi la «72e escadrille de liaison américaine (1944-1945) de Grenoble jusqu'en Allemagne ». J'ai failli ne pas le lire en entier pendant l'année, parce que j'étais sans cesse attirée par d'autres livres plus neufs, aux pages plus régulières, mais je ne regrette pas d'avoir fini par le sortir de l'étagère.
Expérience originale, pour commencer, que ce livre au papier jauni, d'épaisseur inégale, aux pages plus ou moins bien coupées. Avec une date d'impression en octobre 1946, j'imagine que l'édition faisait les frais des difficultés de l'après-guerre.
Quant au contenu, c'est un mélange étonnant d'événements très forts et de détachement. L'auteur a suivi une escadrille de liaison, donc une unité non combattante, de septembre 1944 à juin 1945. Au gré de l'avancée du front, son groupe s'est déplacé dans l'Est de la France et en Allemagne, jamais très loin des combats, mais pas sous le feu de la mitraille. En tant qu'interprète, il était chargé de réquisitionner des terrains et des lieux d'hébergement pour l'escadrille en France, mais aussi en Allemagne puisqu'il maîtrisait aussi l'allemand.
Lire ce livre fin novembre, alors qu'on commémore la libération un peu partout dans ma région, c'était un parallèle original.
Un peu décalé aussi, parce que c'est difficile de s'imaginer qu'on ait pu s'ennuyer d'inactivité à quelques kilomètres de villes où je sais par ailleurs que de rudes combats ont eu lieu à la même période. L'arrière, c'était surtout beaucoup d'attente.
Le récit donne aussi un aperçu de l'état d'esprit des troupes, des populations - allégresse modérée en France, fatalisme teinté de soulagement en Allemagne... Quelques anecdotes sur les grands de ce monde, sur les petites gens rencontrées ici et là. Beaucoup de stéréotypes aussi. La Lorraine est sale, l'Alsace est propre. L'Allemande de l'Ouest est "mastoc" (sic), la Bavaroise en costume traditionnel est bien plus accorte... Parfois c'en est presque risible !
C'est un témoignage intéressant aussi par son côté ordinaire, je trouve. Émaillé de noms qui évoquent des scénarios hollywoodiens (la prise de Remagen s'est téléscopé avec l'annonce de Un pont trop loin dans le programme télé), il renvoie au quotidien des populations loin des feux de la rampe, aux habitants expulsés de leur maison avec plus ou moins de bonne volonté - et un certain cynisme aussi : peut-on imaginer jeter dehors une femme avec 6 enfants dont un âgé de quelques mois seulement en disant d'un air détaché « ils n'ont qu'à se trouver un autre endroit où dormir », tout cela parce qu'on est du côté des vainqueurs, et elle de la nationalité des vaincus ? En 1945, visiblement, cela n'émeut personne.
Bref, une lecture originale, qui m'a un peu transportée dans un passé pas si lointain.
Et 220 pages de plus pour l'ABC qui se retrouve à 21/26. :-)
Dernière modification par marmeline (08 Décembre 2014 13:49:59)