#13 13 Décembre 2013 22:33:12
Apparemment la parution française du quatrième tome est pour février prochain ! :)
Et je suis d'accord avec toi Taliesin, le Sans-Visage n'a probablement pas dit son dernier mot.
Même si je lui trouve quelques défauts et que je la considère plus comme un excellent divertissement, j'ai beaucoup d'affection pour cette série. J'adore la façon dont est traité le surnaturel, sans fascination excessive, à travers le regard somme toute extrêmement scientifique de Peter. Il appréhende le fonctionnement de la magie de manière très empirique, surtout dans le premier tome, quand il essaie de comprendre comment fonctionnent les sorts, et qu'il essaie de fabriquer ses propres combines magiques (avec des résultats plus ou moins heureux). Idem dans l'institution policière : pas besoin de clandestinité ou de tabou particulier, la plupart des gens considèrent Nightingale et sa clique comme des espèces de marginaux un peu chelous, et restent sceptiques sur leurs méthodes, même quand ils ont eu sous les yeux des phénomènes extra-ordinaires.
Le fantastique apparaît comme un versant alternatif de la réalité, et en particulier de la ville de Londres, qui est présent dans tous les coins, mais qu'on n'a même pas réellement besoin de cacher tant elle s'y imbrique depuis des lustres. Or, je trouve que cette espèce de démystification du surnaturel participe bien à l'immersion dans l'univers de cette série : déjà, ça confère une dimension intrigante à la ville, à ses quartier, et ajoute à leur caractère pittoresque (j'ai bien aimé, en particulier, toutes les descriptions de Soho et des clubs de jazz). De ce point de vue, Aaronovitch rejoint la tradition de toute une littérature, toute une culture du Londres ésotérique et fantastique, qui est riche et fascinante dans sa tendance à brouiller les frontières entre la réalité et l'imaginaire, avec des faits divers célèbres comme celui Jack l'Eventreur qui font désormais figure de légende urbaine, ou à l'inverse, des récits fictifs qui deviennent emblématiques de la ville (comme le personnage de mr. Punch, repris dans le premier tome de la série). On peut penser aussi à d'autres univers d'urban fantasy centrés sur Londres, comme Neverwhere de Nail Gaiman, qui participent de l'aura si particulière de cette ville, et dont Ben Aaronovitch se fait le très honorable héritier.
Et puis, cette dimension démystifiée dont je parlais a tendance à renforcer la sympathie qu'on peut avoir pour les personnages principaux, éventuellement l'identification, tant leur rapport à cet univers qu'ils découvrent est dénué d'émerveillement candide. Peter, c'est pas Harry Potter, ce petit garçon fasciné par la découverte qui va faire basculer sa vie dans un univers totalement différent. Non, c'est un mec de plus de vingt qui a grandi avec Harry Potter, et qui, comme tous les jeunes de notre époque, a été nourri de nombreuses références de fiction de cette sorte : or, je trouve que son regard et ses réflexions sur son propre apprentissage reflète tout à fait cela. Il fait montre d'une certaine distance, un peu ironique, où l'on perçoit aussi la voix d'un auteur qui sait son lectorat déjà gavé de toute une culture populaire de la fantasy et du merveilleux, et qui ne se prive pas de jouer avec. Entre autres, on sent le gros clin d’œil, quand Peter demande à Nightingale : "Vous êtes comme Harry Potter ?", et que celui-ci répond "Oui, sauf que je ne suis pas un personnage de fiction", ou au moment où Peter découvre l'existence d'une espèce d'école de magie, dans le tome 3.
Ainsi, l'intérêt qu'éprouve Peter pour sa condition d'initié à la sorcellerie, dans tout ce qu'il comporte de déjà vu et de mise à distance, est vraiment communicatif, parce qu'il intègre, en quelque sorte, l'idée que le lecteur ne découvre pas un univers inexploré (comme s'il était devant son premier conte de fées, dont le seul caractère extra-ordinaire serait susceptible de l'émerveiller), mais qu'il est déjà familier (voire revenu de) tout un tas de mondes fictifs dont Aaronovitch ne prétendra pas renouveler les codes. C'est-à-dire qu'il ne cherche pas à "rejouer" l'exposition d'un nouveau monde magique, exclusif, dont l'intrusion bouleverserait en profondeur la vie de son personnage.
Peter apprend la magie, mais ça n'est pas pour ça qu'il abandonne le confort de la vie moderne, et par exemple, j'aimais bien toutes ces histoires de téléphone portable : d'un côté, on voit que l'usage de la magie n'exclut pas la technologie "moldue" (oups =D), bien qu'ils entrent en tension (puisque la première a tendance à bousiller la seconde), et de l'autre, le portable est carrément intégré à l'apprentissage que fait Peter de la magie (dont il cherche à comprendre, en bon individu positiviste du XXIé siècle, le fonctionnement et les arcanes), puisqu'il infère certains principes de la destruction de son téléphone par ses premières tentatives de sortilèges.
De même, le fait que Leslie puisse décider de devenir à son tour une sorcière, j'ai trouvé ça intéressant, car ça disqualifiait le caractère "spécial" de tout un pan de la littérature de ce genre (je vais encore citer HP, mais on se souvient tous de la fameuse lettre pour Poudlard, qui vous "élit", en tant que naturellement apte à faire partie de ce monde magique... les plus de 11 ans savent qu'ils peuvent aller se brosser !). C'est quelque chose qui fonctionne drôlement bien dans la littérature enfantine, voire adolescente, parce que ça fait rêver, mais à 20 ans passés, on sait tous bien qu'aucun gros géant débraillé ne viendra nous annoncer qu'on est investi d'un pouvoir très spécial et qu'on devrait tout lâcher fissa pour aller vivre notre authentique destinée.
Bref, j'aime beaucoup ce côté désabusé de l'univers et des personnages de cette saga, non seulement en raison du ton vraiment accrocheur de la narration, mais aussi parce que l'auteur a réussi à adopter un regard lucide, teinté d'auto-dérision, sur son propre univers, et à jouer avec nos références et nos attentes en matière de merveilleux, parvenant ainsi à nous entraîner dans une histoire qui n'aurait pas parue si originale, si elle n'avait pas autant pris acte du fait qu'elle ne l'était pas fondamentalement. En ce sens, d'ailleurs, je trouve que le titre de la saga ("Le dernier apprenti sorcier") fait presque figure de pique !
On sent également que l'auteur vient du milieu télévisuel, non seulement dans son écriture, mais aussi parce que le côté "consultant en affaire surnaturelles" (même si Nightingale et cie sont intégrés au corps de la police : d'ailleurs j'aime beaucoup les petites réflexions de Peter sur le fonctionnement de l'institution policière) fait très série TV, je trouve, avec toute cette tendance à créer des séries policières autour d'un électron libre (profiler, criminel, écrivain...), qui vient ajouter du piment à l'enquête classique en la prenant sous un autre angle. D'ailleurs, si je devais rapprocher ces bouquins d'un autre univers de fiction, dans un tout autre registre bien sûr, ça peut paraître idiot, mais c'est le nom de "Castle" qui me viendrait spontanément aux lèvres, à cause de l'humour avec lesquelles ces deux séries se servent des codes de la culture populaire un peu geek, ainsi que de notre rapport à la fiction. Après, bien sûr, je ne les rapproche que sur ce point, car le surnaturel est bien une composante essentielle du Dernier Apprenti Sorcier, et d'ailleurs, je trouve la plupart des intrigues de la saga originales et bien trouvées (en particulier l'intrigue du tome 2, avec ses vampires du jazz et surtout : les relations diplomatiques entre les esprits des rivières, c'était assez fun !).
En fait, à mon avis, ces romans s'adressent parfaitement à des lecteurs de fantasy de notre génération : des irréductibles, encore et toujours avides d'imaginaire, mais qui ne s'en laissent plus si facilement conter !
Crotte, j'avais prévu de donner un "avis rapide", et crac, pavé. :goutte:
Du coup, je laisse tomber les autres remarques que je voulais faire sur ces livres, pour conclure là dessus : le narrateur se fait volontiers passer pour un gros loser, mais personnellement, je trouve que ça n'est pas non plus le dernier des empotés, et dans pas mal de situations, même s'il foire son coup deux fois sur trois, il fait montre d'un sang froid et d'une ingéniosité dont le premier venu ne serait pas forcément capable. Du coup, je ne sais pas si c'est une stratégie de l'auteur qui veut nous faire croire que son personnage est un anti-héros, mais en tout cas, ce personnage ne manque pas de ressource ! Mais cette auto-dérision, c'est une des choses que je préfère dans le bouquin, et les remarques de Peter me font vraiment marrer par moments. Quand je vois les personnages qui m'ont séduite le plus dans la fiction ces derniers temps (le capitaine Villon et Don Benvenuto), je me dis que je suis vraiment trop faible face au racolage d'un narrateur première personne un peu canaille !
Dernière modification par Saintrailles (13 Décembre 2013 22:34:28)