Roman en cours d'écriture

 
    • Rin

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #1 27 Mai 2013 09:58:18

      Bonjour à tous,

      Je suis en train d'écrire un roman et j'aimerai avoir vos avis honnête sur celui-ci. Merci d'avance ! :)


      Seven Days
      La chute de l’Ange



      « Les anges d'aujourd'hui, ce sont tous ceux qui s'intéressent aux autres avant de s'intéresser à eux-mêmes. »
      Wim Wenders


       


      Prologue

      Montant dans sa vieille Ford grise délabrée, il s’installa sur son siège, le cœur battant. Ses yeux d’un vert fade écarquillés par la peur tandis qu’une pointe de détermination les faisait luire d’un air étrange, il régla une dernière fois son rétroviseur intérieur, vérifiant que nul ne le suivrait. Mais comme toujours à cette heure si tardive de la nuit, les ruelles étaient désertes. Seuls quelques camés gisaient au sol, s’injectant leur dose quotidienne après avoir sèchement reposés leur bouteille d’alcool pour un cocktail détonnant qui aurait tôt ou tard raison de leur peau. La gorge sèche, Mark déglutit avec peine en posant ses mains tremblantes sur le volant de sa voiture. Dans une dernière inspiration alors que tout son être tremblait nerveusement, il tourna sa clé dans le démarreur.
          Lâchant un nuage noir de pollution, le vieux moteur vrombit dans le silence implacable de la nuit avant qu’il n’enfonce durement la pédale d’accélération pour s’enfuir. Les doigts crispés avec force au point d’en faire pâlir leurs jointures, il n’avait de cesse de regarder en arrière, sa paranoïa mutilant de l’intérieur son esprit aux idées si troublées par ce qu’il venait de faire.
      S’éloignant de ce vieux quartier miteux et mal famé de Chicago, il s’enfonça dans les rues principales de la ville pour partir le plus loin possible. Mais où ? Il n’en savait rien. N’importe où, du moment qu’il serait loin de cet immonde appartement. N’importe où, mais dans un endroit où nul ne pourrait le retrouver alors qu’il avait laissé gisant là, à même le sol, le cadavre de sa femme contre laquelle il s’était une nouvelle fois emporté. Une fois de trop.
      Sortant son paquet de cigarettes de la boîte à gants qui empestait la poussière comme tout le reste de l’habitacle, il mena l’une d’elles à ses lèvres sans quitter la route des yeux, n’entendant seulement dans ses oreilles que les battements anarchiques de son cœur qui semblait vouloir violemment lui transpercer les entrailles. Tremblant de tout son long, il lui fallut de longues secondes avant qu’il ne parvienne à allumer l’extrémité de la nuisible, qui laissa enfin s’échapper une bouffée de cet air nocif qui s’évaporait à travers la fenêtre entrouverte de sa voiture.    
      Déconnecté de la réalité, il ne faisait plus attention à rien, ni même au froid glacial de ce mois de décembre qui s’engouffrait dans cette vieille caisse dont il se demandait encore comment elle pouvait rouler. Ses cheveux châtains et bouclés en batailles, totalement décoiffés tandis que son attitude ne donnait à voir de lui rien de moins que l’image d’un homme dépravé entre deux âges, il continuait d’avancer encore et encore, s’éloignant le plus possible de la ville. Est-ce qu’il regrettait son geste ? Non.  Dans un état totalement second, ses muscles se contractaient encore sous l’effet de la colère qui l’animait. Elle n’aurait jamais due aller aussi loin. Le quitter pour quoi, au juste ? Pour prétendre pouvoir être heureuse ailleurs ? Parce qu’il buvait trop ? Parce qu’elle ne supportait plus ses gifles à répétition ? Allons bon. Cette garce ne méritait rien d’autre. Jamais elle n’aurait due vouloir partir. Jamais elle n’aurait due lui dire qu’elle le laissait platement tomber, faisant ses valises en hurlant contre lui. Elle n’aurait pas due lui parler sur ce ton, se monter contre lui... Alors cette sale garce n’avait rien mérité d’autre que ce qu’il venait de lui infliger. Absolument rien d’autre.
      Claquant des dents sous l’effet de cette nervosité extrême qui le rongeait de l’intérieur, cette rage en lui ne disparaissait pas, seulement peut-être atténuée par l’horreur de l’acte qu’il venait de commettre. Devait-il s’en vouloir ? Il n’en savait rien. La seule et unique chose qui accaparait son esprit à cet instant, c’était cette crainte que l’on ne l’arrête. Il n’irait pas en prison, non, c’était hors de question. La peur au ventre, l’estomac noué avec douleur, il jeta le mégot de sa cigarette dont il ne restait plus que les cendres.
      Les lumières clignotantes de l’épicerie d’une station service ouverte de nuit pour les routiers à la sortie de la ville lui apparaissant enfin, il se gara un instant et sortit de sa voiture en frissonnant non pas seulement de froid, mais surtout de ce mélange de ressentiments étonnamment destructeur. Entrant dans la boutique tenue par une femme aussi obèse qu’antipathique mollement assise sur sa chaise de comptoir, il s’acheta trois bouteilles de vodka et sortit un billet de quelques dollars de sa poche sans prendre le soin d’en récupérer la monnaie. Il avait beau ne presque plus avoir d’argent, il s’en contrefichait. Tout ce qui lui importait, c’était qu’il parte le plus loin possible de tout. Rien de plus.
      Retournant dans son siège décrépi et empestant la moisissure, il posa ses deux bouteilles sur le siège passager et dévissa la troisième dont il but au goulot de longues gorgées. Sentant à peine les brûlures de l’alcool dans sa trachée tant il en avait l’habitude, il remit le contact et s’éloigna en continuant de boire à n’en plus finir. Lâchant des jurons à tout va en pensant à sa femme qui croupissait dans une mare de sang à cet instant-même, ses propos perdaient toute logique au fur et à mesure que l’ivresse s’emparait une fois encore de lui.
      L’alcool coulait aussi vite dans ses veines que son esprit, lui, perdait de plus en plus le Nord. A tel point qu’il ne remarqua même pas qu’il roulait sur la mauvaise voie. A tel point qu’il ne remarqua même pas le camion qui se dirigeait vers lui, le bruit assourdissant de son klaxon raisonnant dans sa tête comme un vague écho auquel il ne prêtait guère attention. Jusqu’à ce que ses yeux s’écarquillent d’horreur, et que le choc soit inévitable. Projeté dans le fossé qui bordait la route, une fumée noire s’échappait du véhicule qui, après quelques tonneaux, se fut retournée sur le toit.
      Une larme se mit à couler  lentement sur sa joue. Mais non pas celle de Mark. Celle de cet homme qui était resté au beau milieu de la route, spectateur impuissant devant l’horreur de cette soirée qu’il n’avait pu empêcher de se produire. Le routier sortant aussitôt de son camion sans voir l’inconnu qui n’était pourtant qu’à quelques maigres mètres de lui, accourut vers la voiture dont il ne restait plus en son sein que des cadavres de bouteilles brisées et le corps d’un homme dont l’âme rejoindrait celle de sa femme qu’il avait assassinée quelques instants à peine plus tôt.
      Immobile, Skymniar s’efforçait de rester sourd face aux lamentations du chauffeur impuissant. Statique, il ne pouvait qu’une fois encore pleurer sur le sort de cette âme perdue qu’il n’avait pas su protéger. Mark avait fait ses choix, et nul n’avait pu s’y opposer. Ce soir, il avait vu tant d’horreurs que cette puissante lumière qui émanait autour de lui, invisible aux yeux des vivants, semblait s’être assombrie tant il souffrait. Non, il ne pouvait rien faire pour lui, si ce n’est que l’accompagner dès à présent dans l’Autre Monde.
      Transparent, impalpable, Mark était sorti de sa voiture. Tournant dans tous les sens, affreusement désorienté, il ne comprenait rien de ce qu’il s’était passé. Hurlant au chauffeur qui s’effondrait de remord qu’il allait bien sans que l’homme ne l’entende, à sa plus grande stupeur, cette lueur qui se dégageait de l’inconnu au milieu de la route attira aussitôt son attention. D’un pas déterminé les poings tremblants de peur et de rage, il s’arrêta devant l’étrange inconnu et lui demanda :
          _ Que se passe-t-il ? Qui êtes-vous ? Je ne comprends pas ! Je ne comprends plus… Se lamenta-t-il, en proie à cette peur terrifiante qui le martyrisait mais qu’il tentait de dissimuler derrière une sorte de colère qui ne leurra pourtant pas son interlocuteur. S’interrompant soudainement, il eut un instant le souffle coupé lorsque son regard se plongea dans les yeux d’un bleu si pur qu’ils lui donnèrent l’impression d’être happé dans les profondeurs de l’infini. Pourtant, étrangement, il n’avait pas peur. Il avait beau contempler cet inconnu, rien en lui ne lui inspirait la moindre crainte, pas même ses cheveux si noirs qui auraient pu durcir les traits de son visage, mais en vain. Ses larmes continuant de s’échouer sur sa peau si blanche et si inhumainement belle, l’ange lui tendit doucement la main en lui murmurant dans une douceur qu’il n’avait jamais entendu de tout son vivant :
          _ Viens, Mark. C’est fini.
         

      Un de plus. Un de plus qu’il emportait avec lui, et qu’il n’avait pas réussi à aider…



      Chapitre 1 – A tout jamais



      « L’ange est le musicien du silence de Dieu. »
      Dominique Ponnau



      Partout autour, l’immensité des jardins fleurissants et le doux murmure de la cascade qui s’écoulait devant elle laissaient une quiétude innommable l’envahir. Paradis… Les rêves des hommes même les plus imaginatifs ne parviendraient jamais à frôler la beauté improbable de ce monde qui existait bel et bien. Un doux soupir se détachant de ses lèvres, Esora ferma les yeux et posa ses mains fines et blanches sur le sol aussi doux que l’était la caresse d’une plume. Partout autour d’elle, elle pouvait ressentir cette vie qui parcourait la sève des arbres et le cœur des fleurs immenses et magnifiques qui faisaient de cet endroit le monde le plus merveilleux qui soit. Celui que les âmes peinaient à quitter pour retourner dans un nouveau corps afin de débuter une nouvelle vie, celle qui les mènerait à cet état suprême de pureté qu’elle avait acquise depuis quelques temps. Combien au juste ? Il lui était impossible de le dire. Dans cet Au-delà, le temps n’existait pas. Pure invention humaine, ici les êtres qui y flânaient ne craignaient plus que la Mort s’empare d’eux. Après tout, ils n’étaient déjà plus, et pourtant ils étaient tout. Qu’il est étrange de penser au fond que, mort, c’est là que nous sommes le plus vivant.
      Partout autour d’elle, elle ressentait une énergie immense l’envahir, un bien-être indéfinissable et surtout un amour intense la pénétrer, qu’elle n’avait jamais pu connaître de son vivant et ce malgré ces milliers de vie qu’elle avait vécues, d’incarnation en incarnation. Se penchant légèrement en avant, elle laissa sa main fine et parfaite glisser dans l’eau tiède du ruisseau qui se faufilait devant elle, prenant naissance depuis cette immense cascade au loin dans laquelle de jeunes enfants s’amusaient et riaient en sautant des rochers pour s’y baigner. Le sourire aux lèvres, elle observa ces chérubins avec une infinie douceur, jusqu’à ce qu’une main se pose doucement sur son épaule.
      Un sourire aux lèvres, elle n’avait nul besoin de se retourner pour savoir de qui il s’agissait.
          _ Que fais-tu ici, Skymniar ? Demanda-t-elle de sa voix mélodieuse.
      S’asseyant à ses côtés, le jeune homme lui adressa un sourire avant de lever ses yeux d’un bleu intense vers le ciel. Le même que celui d’Esora. Le regard des anges...
          _ Il me fallait un peu de repos, lui répondit-il en posant les paumes de ses mains en arrière avant de fermer ses paupières, inspirant l’air si pur qui envahissait son être.
      L’observant quelques instants d’un air interdit, Esora le détailla longuement. Son visage couleur porcelaine aux traits si fins semblait paisible, pourtant quelque chose en lui la dérangeait. Il avait l’air si bien, et en même temps tellement troublé… A quoi cela tenait-il ? Très sincèrement, elle l’ignorait. Ca n’était pas la première fois qu’elle le sentait si distant, mais jamais encore elle n’avait osé lui en parler. Après tout, même les protecteurs avaient parfois besoin de repos, et Skymniar se donnait tellement pour ses protégés qu’il méritait bien de pouvoir à son tour profiter de ces lieux. Alors d’une voix douce et cristalline, elle osa lui dire :
          _ J’ai su ce qu’il était arrivé à l’un de tes protégés. Je l’ai vu arriver aux Portes, perdu et déboussolé. Mais pas autant que toi-même pouvais l’être.
      Ouvrant les yeux à ses paroles, il la toisa un instant, ne pouvant s’empêcher de sentir un certain trouble l’envahir. La tentation était tellement grande, mais un ange jamais ne mentait.
          _ Il m’est difficile d’accepter que je n’ai rien pu faire pour lui. L’emmener ici m’a été douloureux, lui confia-t-il sans désirer s’étendre outre mesure sur ses émotions.
          _ Je le sais. Je le sens. Mais à présent il a trouvé le repos parmi nous, et lorsqu’il sera prêt il reviendra. Son âme est lourde de péchés, tu le sais aussi bien que moi, alors sa prochaine vie sera une nouvelle chance pour lui de tout recommencer. Elle sera loin d’être simple, certes, mais un jour il y parviendra. Skymniar, toi comme moi nous savons que nous ne pouvons rien faire pour eux de plus que de tenter de les guider et de les protéger à notre manière. Mais Dieu a créé le libre-arbitre, et il n’y a qu’eux et eux seuls qui peuvent décider des choix qu’ils désirent faire.
      Acquiesçant d’un hochement de la tête, il laissa son regard se perdre au sol tandis qu’il passait ses mains dans ses cheveux noirs d’ébène si rebelles. Esora avait entièrement raison, il le savait. Ainsi la vie était-elle faite, et il n’avait pas d’autre choix que de l’accepter. Seulement voir les hommes renoncer autant et se détourner de ce qui pourrait leur faire du bien et les sauver était si douloureux qu’il ne parvenait pas à l’admettre. Mark avait eu le choix. Combien de fois avait-il fait des rencontres, avait-il croisé « par hasard » la route d’une personne qui aurait été prête à l’aider dans sa souffrance et s’en sortir ? C’était là pour son ange la chose la plus difficile à admettre. L’homme avait ignoré tous ses messages, il n’avait pas voulu accepter cette main tendue que des personnes avaient pu lui offrir et que lui-même, son gardien, avait placés sur son chemin. Car c’était là le seul moyen que les anges avaient d’agir. Le hasard n’existe pas, et chaque jour les hommes passent à côté de ce qui pourrait les conduire sur le chemin de leur salut. Mais ils ne le voient pas. Aveuglés, ils continent à tracer leur route, s’en sortant pour certains, s’enfonçant dans les méandres d’une noirceur infinie pour d’autres. Après tout, le Mal était si facilement à portée de main…
      Las, il se laissa tomber en arrière contre l’herbe fraîche et ferma les yeux. S’il n’avait nul besoin de sommeil qui n’était qu’une nécessité purement humaine, sentir cette brise si douce lui caresser le visage lui procurait le plus grand bien. Sentant son être s’apaiser et se calmer, il pourrait rester ici des heures durant tant il se sentait bien…



      Chapitre 2 – Les pleurs d’un cœur



      « Le souvenir commence avec la cicatrice. »
      Alain



      « Se sentir impuissant. Qui n’a jamais eu cette sensation, cette certitude au fond de soi que tout ce que nous pouvions faire n’est vouée qu’à une seule et même finalité : l’échec ? J’ai essayé tant de choses, de m’en sortir, encore et toujours, mais c’est comme si devant moi une route infiniment longue m’attendait, sans que je n’en vois ni le bout, ni le but. A quoi bon toujours courir en vain, engaillardi par un espoir illusoire qui te répète chaque jour à l’oreille : « avance, et si tu tombes relève-toi, encore et encore » ? Pourquoi s’acharner, en fin de compte, alors que tout ce que je fais ne sert à rien ? Tout ce que je  vois de moi, c’est l’image d’une pauvre fille perdue et dépassée, qui en a marre de se lever chaque jour pour lutter contre elle-même tant et plus et contre une vie qui, à ses yeux, n’a plus aucun sens depuis de trop nombreuses années. La mort fait partie de la vie, on me l’a tant de fois répété. Et un jour, nous sommes tous voués à disparaître, les uns après les autres, en ne laissant pour témoin de notre passage qu’un millier de larmes qui ont bercées notre vie et qui se sont échouées sur un sol souillé par le temps qui passe, et par nos misères. Alors si tout a une fin, pourquoi ne puis-je pas faire en sorte qu’elle vienne plus tôt pour moi ? Car je suis fatiguée, lasse, et que je n’en peux plus. Je voudrais que la Faucheuse vienne me chercher et qu’elle m’emporte une fois pour toute dans ce monde qui a l’air si beau pour que je rejoigne enfin Maman. La vie est une chance, me dit-on. Mais je ne la considère pas comme telle. Pour moi elle est un enfer, mais un enfer pour lequel je m’accroche pourtant tous les jours. Pour ma survie. Celle que je ne veux pas, et pourtant je n’arrive pas à me résoudre à tout abandonner. On me dit que ma vie à un sens, que j’ai un rôle à jouer ici, comme nous tous. Et moi, malgré que plus rien ne semble animer mon cœur et mon âme, je continue à les croire. Peut-être parce qu’au fond je ne supporterais pas de savoir que par mon geste, Papa et Damien seraient anéantis... Certainement est-ce donc pour cela que je m’efforce à avancer, alors que je tiens tant à tout abandonner. Non, en fait je n’en ai pas la moindre idée. Comme pour beaucoup de choses, tout reste sans réponse à mes yeux. Mais tant pis, je n’ai pas d’autre choix, n’est-ce pas ? S’il faut continuer, alors continuons. Ce n’est pas mon heure oui, sans doute. Mais s’il-vous-plait, si Dieu existe ou un truc dans le genre,  dîtes-moi seulement où je dois aller, vers quoi me diriger, si un jour je vais réussir à me sortir de ma douleur et de ma détresse qui noient leurs épées maléfiques dans mon corps visuellement intact aux yeux de tous, mais détruit de l’intérieur. On me dit d’écrire, soi-disant pour que je parvienne au moins à me libérer de mes maux que je cache à tous, de mes émotions que je laisse enfermées au plus profond de mon être pour ne pas montrer mes faiblesses. Et combien c’est prétentieux de vouloir prétendre que l’on n’en a pas, mais je n’arrive pas à faire autrement. Peut-être est-ce là le seul brin d’orgueil que je possède. A vouloir toujours montrer aux autres ce que l’on n’est pas pour mieux pouvoir être aimé, on fini soi-même par s’y perdre. Alors qui suis-je, moi ? Qui sait, peut-être est-ce que cela ne vaut même pas la peine de le savoir. Et en même temps, je ne pourrais pas être plus déçu par mon identité que je ne le suis déjà… »

          Reposant son stylo plume sur son bureau, Ambre laissa sa tête retomber en arrière dans un long et profond soupir. Se redressant légèrement, elle prit sa lettre et la froissa énergiquement avant de la lancer avec agacement et lassitude contre le mur. La boule de papier roula alors un instant sur le sol avant de se figer, un silence de plomb s’imposant dans sa chambre d’où filtraient de rares rayons de soleil à travers les volets qu’elle avait soigneusement refermés pour ne laisser que peu de lumière pénétrer dans la chambre. Çà et là reposaient quelques bibelots asiatiques, quelques cadres photos accrochés à ses murs beiges ne mettant en scène que sa famille et leur chien qui gambadait dans le jardin, la langue pendante au vent. A quoi bon y mettre des photos d’amis, elle n’en avait aucun.
          Pivotant sur elle-même, légèrement affalée sur la chaise roulante de son bureau, l’adolescente parcouru de son regard d’émeraude les quelques portraits qu’elle y voyait, se figeant sur l’un d’eux en particulier. Quatre personnes souriaient de bonheur, les bras entrelacés devant La Statue de la Liberté. Qu’elle âge pouvait-elle avoir là-dessus ? 5 ? 6 ans tout au plus ? Un de ces âges où l’on ne se pose que peu de questions sur l’avenir, où l’on ne pense qu’à s’amuser et profiter de la vie comme elle vient, sans se douter que les choses n’arrivent pas qu’aux autres. Un jour la roue tourne, et aléatoirement l’épée de Damoclès qui pend au-dessus de notre tête s’effondre tout à coup.
          Déglutissant légèrement, Ambre ne pouvait pas détacher son regard du portrait de sa mère qu’elle ne quittait pas des yeux. C’était vrai. Plus le temps passait, et plus elle lui ressemblait. Ces mêmes yeux en amande, cette même couleur verte profonde et ces lèvres si fines, cet air timide et à la fois rieur… Pourtant elles avaient beau être semblables, elle se trouvait incomparablement moche à côté de sa mère Helena, qui n’était devenue rien de moins qu’un modèle à ses yeux. Imminente docteure en psychologie, sa mère avait vouée sa vie entière à travailler dans le secteur de la santé, accompagnant ses patients dans la maladie, et trop souvent jusqu’à la mort. Et en cela, sa fille l’avait toujours admirée. Sa mère avait été si forte, tellement empathique et sans pour autant ne jamais se laisser s’effondrer… Alors non, si elle avait ses yeux et sans doute les traits de son visage, Ambre ne lui ressemblait en rien. Dire qu’elle n’était même pas fichue de gérer sa propre vie, de faire son propre deuil depuis le temps qu’elle était morte, et de se sortir de cette espèce de dépression qui l’enlisait chaque jour… Jamais elle ne pourrait être comme sa mère.
          Toquant à la porte de sa chambre, la jeune fille laissa simplement un soupir s’échapper de ses lèvres, n’ayant pas particulièrement l’envie de s’adresser à qui que ce soit en ce jour. Ni bien d’autres encore, fallait-il le dire. S’ouvrant dans un léger grincement, une tête aux cheveux aussi bruns et épais que les siens dépassa de la porte. Réflexes obligeant depuis près de 17 ans maintenant, elle attrapa au vol le ballon de basket qui lui arrivait droit sur le thorax.
          _ Tu viens ? C’est jour d’entraînement aujourd’hui. Sors un peu, ça te fera toujours du bien vu ta tête de cadavre.
          _ T’as quasiment la même, je te rappelle… lui répondit-elle mollement.
          Lui renvoyant la balle dans une énergie bien plus diminuée, la jeune fille regarda son frère jumeau d’un air qui en disait long sur sa profonde envie de voir ses amis inintéressants courir derrière une balle dans l’espoir de faire quelques malheureux paniers. Comment peut-on être jumeau et être à la fois si différent ? Car rien ne les unissait véritablement. Rien hormis un amour fraternel profond, malgré qu’aucun intérêt commun ne les unissait. Le sport était aux yeux de Damien sa seule raison de vivre, là où sa sœur ne savait plus où elle en était. Alors elle passait ses journées et parfois ses nuits à lire quelques livres ou à écrire sur son ordinateur, travaillant pour passer le temps et combattre le sommeil et ses rêves immondes qui la hantaient. Tout ce qu’Ambre désirait, c’était d’occuper son esprit, de s’enfuir. Pour son frère, la seule solution c’était le sport et les sorties. Pour elle, c’était d’écrire. Purement et simplement, avec ses écouteurs aux oreilles qui diffusaient des chansons aussi diverses que variées, en passant de quelques morceaux de son opéra préféré, Le Fantôme de l’Opéra, à quelques groupes de métal.
          Tout à coup, un brusque frisson lui parcourut l’échine. Passant ses mains sur ses bras, elle tourna la tête vers la fenêtre de sa chambre, et se redressa pour s’assurer que le verrou était bien fermé. Et il l’était. Soit.
          _ Bon, tu fais quoi ? S’impatienta Damien, adossé contre la rainure de la porte.
          _ C’est bon, j’arrive, lui répondit-elle en saisissant sa veste courte en simili cuir noir, fourrant son baladeur Mp4 dans sa poche avant de le suivre.
      Que pouvait-elle faire d’autre de toute manière ? Déprimer toute seule dans sa chambre pour écrire des sortes de mélodrames barbants et aussi noirs que pouvaient l’être les nuages qui se profilaient à l’horizon ? Non merci. Au moins pourrait-elle retrouver sa place habituelle, assise contre un vieux chêne centenaire au tronc massif, à l’ombre là où un léger courant d’air viendrait caresser son visage blafard qui contrastait avec ses yeux d’un vert clair pourtant cernés d’un épais coup de crayon noir. Et pour eux deux, ce serait au moins un moment pour discuter qu’ils s’offraient à chaque fois qu’ils arpentaient la route sinueuse et tout juste suffisamment large pour deux voitures, qui menait en contrebas à leur ville aussi petite que pittoresque. Silencieux au départ, Damien posa son regard sur sa sœur qui mesurait une bonne tête de moins que lui, et l’attira tout contre son torse avec douceur.
      _ J’imagine que ça n’est pas la peine que je te demande à quoi tu penses.
      Un soupir s’échappant d’entre ses lèvres légèrement rosées, Ambre déposa sa tête contre son épaule musclée et lui répondit d’une voix qu’elle tentait de garder mesurée :
      _ Ca fait déjà dix ans aujourd’hui, tu te rends compte ? Dix ans qu’elle n’est plus là.
      Acquiesçant d’un simple hochement de la tête, Damien resta profondément muet. Alors doucement la jeune fille posa sa main sur son avant-bras tandis qu’elle l’entendait déglutir avec peine lorsqu’ils parvinrent à ce fameux virage protégé par des barrières qui les séparaient d’une falaise abrupte. Les yeux brillants de ces larmes qui lui montaient et lui brûlaient les yeux, ses mâchoires se contractèrent durement pour retenir ses émotions. Le cœur prenant un battement beaucoup trop anarchique à son goût, le goût de la bile lui montait à la bouche lorsqu’un brusque flashback lui revint une nouvelle fois en mémoire :

      Le soleil descendait lentement à l’horizon, laissant ses derniers rayons se perdre derrière les pics boisés de la montagne. Adossée à la fenêtre de sa chambre, les coudes repliés contre le rebord de sa fenêtre, la petite fille laissa son regard d’un vert profond et innocent se perdre derrière ce magnifique spectacle qui s’offrait à elle.
      « Damien ! Viens voir ! » S’écria-t-elle.
      Le bruit de ses pas lourds malgré son âge résonnait dans la pièce annexe, d’où en sortit le garçon qui s’élança vers sa sœur et attira une chaise auprès de lui pour pouvoir grimper dessus et la rejoindre dans sa contemplation. S’extasiant devant ce ciel qui semblait être de feu, nul ne disait le moindre mot, laissant simplement son imagination vagabonder tandis qu’ils imaginaient chaque nuage prendre vie au loin, celui-ci un peu joufflu ressemblant à un lapin pour l’un, l’autre plus majestueux lui faisant penser à un dragon. A sept ans, un rien peut devenir une merveille. Mais lorsque l’on grandit, le concept même de nuage laisse présager dans l’esprit de la plupart des adultes le symbole d’un mauvais présage. Pourquoi change-t-on à ce point ? Parfois parce que la vie nous réserve des surprises inattendues. Et dans ces moments-là, on grandit vite. Beaucoup trop vite.
      Une sonnerie au loin retentit, et nul ne réagit. Le regard perdu, dans leurs rêves, un évènement aussi banal n’aurait jamais su troubler cet instant. Jusqu’à ce qu’un autre son, plus rare, plus amer, plus effrayant encore ne retentisse. Celui d’un cri de désespoir. Aussitôt, Ambre et Damien se redressèrent. Echangeant un bref regard plein d’angoisse, ils se précipitèrent dans les escaliers, trouvant leur père qui gisait là, sanglotant et frappant du poing contre le sol sur lequel il s’était agenouillé.
      Une heure plus tard. Pas un son. Un silence de mort. Pas un mot, ni un sanglot. Seules des larmes qui s’écoulent sur des joues blafardes. Un homme demeure immobile, assis, sa main caressant tendrement celle bien plus glaciale et blanche comme de la porcelaine de la femme qui est allongée devant lui. Son visage à tant souffert que Charles peine à la reconnaître. Le corps brisé recouvert d’un drap d’un blanc si pur, seul son visage déformé par les blessures est découvert pour qu’il puisse l’admirer une dernière fois. Cette femme qu’il a tant aimée. Sa femme qu’il n’oubliera jamais. Son Helena. Se penchant en avant, il déposa un dernier baiser sur son front avant de se lever, et d’hocher la tête. A ce signe, l’inconnu tout de blanc vêtu recouvrit le visage de la défunte tandis que l’homme devenu veuf lui tournait le dos pour s’en aller. Blafard, las, vide et épuisé, il sortit de la morgue pour rejoindre la seule famille qui lui restait, et qui l’attendait, assise sur les chaises en plastique de la salle d’attente. Relevant légèrement la tête pour croiser le regard noyé de larmes de ses enfants qui semblaient peu à peu réaliser ce qui venait de se passer quelques heures plus tôt, il s’accroupit et ouvrit grand ses bras pour que tous deux viennent s’y blottir, laissant aller leur peine et leur chagrin que rien ne saurait plus consoler.
      Morte.
      Elle était morte…

      Dix ans s’étaient écoulés… et pourtant elle ne parvenait pas à comprendre, ni à oublier. Comment avait-elle pu tomber dans ce ravin ? Comment Helena avait-elle pu rater ce virage ? Avait-elle perdu le contrôle de son véhicule ? Roulait-elle trop vite ? Nul ne l’avait jamais su, mais le résultat était de toute manière le même. La douleur jamais ne disparaitrait, et il ne se passait pas la moindre journée sans qu’elle ne pense à elle avec autant d’amour qu’un amer sentiment, au fond, de trahison. Commet avait-elle pu les laisser ainsi tomber ? Pourquoi fallait-il qu’elle meure alors qu’ils avaient tous les trois beaucoup trop besoin d’elle… ? Elle ne le saurait jamais. Tout ce dont elle avait conscience, c’était que sa mère lui manquait. Cruellement et profondément, et le temps qui passait ne changerait rien à cela. Après tout, qui peut remplacer l’absence d’une mère ? Alors oui, traverser chaque jour cette inévitable route pour rejoindre le lycée ou bien tout simplement flâner à travers la ville éveillait en eux des souvenirs qu’ils tentaient non pas d’oublier, mais de supporter avec le temps. Car rien ne pourra jamais effacer le passé. La mort fait parti de la vie, et, au fond, sans la vie il n’y aurait jamais eu d’être comme elle. C’était du moins et aussi ce que tentait sans cesse de se répéter mentalement Damien pour parvenir à dépasser sa douleur qu’il masquait toujours derrière un visage toujours peint par un sourire franc qu’il espérait communiquer autour de lui. Là était d’ailleurs certainement la plus grande différence qui pouvait exister entre sa sœur et lui : il voyait la mort non pas comme une fin en soit, mais plutôt comme une épreuve de la vie qu’ils auraient tôt ou tard à affronter. Mais malgré tout, il sentait au fond de son cœur qu’il espérait bien plus aider sa sœur à changer de vision sur le monde ou sur les choses de façon optimiste, en se demandant malgré tout si, intérieurement, il y croyait véritablement lui-même. Oui, sa mère lui manquait, mais peut-être était-elle toujours là, qui sait. Au plus profond de son cœur en tout cas, elle ne disparaîtrait jamais.
      Le regard perdu sur l’asphalte, tous deux se turent et continuèrent de marcher dans un silence presque religieux devant ces yeux qui ne les quittaient pas un instant du regard, depuis de longues minutes déjà.

      Debout derrière eux, l’ombre les observait sans qu’ils ne le ressentent le moindre instant.




      Chapitre 3 – Souvenirs d’une vie




      « Le mal existe, mais pas sans le bien, comme l’ombre existe, mais pas sans la lumière. »
      Alfred de Musset




      The Ghost of You des My Chemical Romance passait en boucle dans ses écouteurs, la rendant sourde aux cris bestiaux de son frère et de ses coéquipiers qui se livraient un match de basket sans merci.  Les paupières closes, elle murmurait presque inaudiblement les paroles de cette chanson qu’elle aimait tant et qui, aujourd’hui, avait une signification particulière à ses yeux. Le chanteur du groupe pleurait la souffrance due à l’absence, tout comme elle laissait ses larmes s’évader de ses yeux. Reniflant légèrement, la jeune fille ramena ses jambes contre elle et les enroula de ses bras avant de poser sa tête sur ses genoux, se recroquevillant sur elle-même avec la profonde sensation d’être plus seule que jamais.
      S’arrêtant au milieu du terrain, la respiration saccadée et le cœur battant à tout rompre, Damien posa ses mains sur ses hanches et s’efforça de reprendre son souffle. Tournant la tête vers sa sœur, il l’aperçut au loin, à cet endroit habituel qui était devenu le sien à chaque fois qu’elle l’accompagnait pour ses entraînements. Certes il savait combien elle détestait le sport et l’inintérêt total qu’elle vouait à ses amis, mais aujourd’hui plus qu’un autre jour il refusait de la laisser seule. Leur père était comme toujours au travail, en réunion quelques part dans le vaste Texas, les laissant une nouvelle fois seul à seule dans ce jour tragique qu’était les dix ans de la mort d’Helena. D’ailleurs, le jeune homme ne se leurrait pas : il savait pertinemment que si leur père ne les avait pas encore appelés bien qu’il soit déjà onze heures passées, ça n’était pas pour rien. Habituellement, lorsque Charles partait en voyage d’affaire, il leur passait constamment un coup de fil à cette heure bien précise : 09h15. Ni plus, ni moins. Mais aujourd’hui, rien. Le néant. Comme chaque 24 mai, il serait en retard. Qu’il le veuille ou non, il n’avait jamais fait le deuil de sa défunte épouse, et ses enfants savaient parfaitement que jamais il ne désirerait refaire sa vie. Il avait encore de belles années devant lui, certes, mais il ne le pourrait pas. Certainement même qu’eux non plus ne le supporteraient pas. Voir une nouvelle femme s’installer dans leur vie, voler son cœur brisé et chercher à remplacer celle qu’elle ne pourra jamais être était une idée qui ne leur était même pas envisageable. C’était peut-être égoïste de la part des deux adolescents, mais pourtant Damien ne pouvait que constater ce qu’il avait sous les yeux : aucun d’eux ne s’en était encore remis.
      D’un geste de la main, il demanda un temps mort pour lui, et vint rejoindre sa sœur qui ne l’entendit même pas arriver. S’asseyant à ses côtés, il continuait de regarder le terrain devant lui sans réellement l’apercevoir, l’esprit accaparé par ses pensées.
      _ Comment fais-tu ? Lui demanda-t-elle soudain, d’une voix faible.
      _ Comment je fais quoi ?
      _ Pour ne jamais pleurer. Pour être aussi fort alors que j’ai juste l’impression de n’être bonne qu’à ça. Ca fait dix ans Damien, pourquoi est-ce que ça fait toujours aussi mal ?
      Plongeant dans ses bras, sa voix se brisa dans ses sanglots qu’elle ne parvenait plus à contenir. Déglutissant lentement mais difficilement, il cherchait sans relâche les mots qui seraient les plus justes pour pouvoir la réconforter. Mais il n’y en avait aucun.
      Glissant sa main dans ses cheveux, il caressa doucement sa tête, attendant que ses sanglots se dissipent pour pouvoir lui répondre avec calme, malgré la sensation  qu’un noeud invisible lui nouait la gorge.
           _ Je pleure aussi, Ambre, je n’ai pas honte de le dire. La tristesse, c’est tout ce qu’il nous reste d’elle, avec nos souvenirs et nos sentiments. J’essaie de me raccrocher simplement davantage à ces deux derniers, au lieu de revoir sans cesse ce film dans ma tête. Mais ce n’est pas parce que je ne le montre pas, que je ne suis pas triste. Au contraire même, je sais que mieux que quiconque tu sais ce que je ressens, et même davantage que Papa. Seulement t’enfermer dans ta misère et ta noirceur ne te sortira pas de ça, et tu le sais aussi bien que moi. Tu es quelqu’un de fort à l’intérieur, mais tu te laisses littéralement bouffer.
          _ Quelqu’un de fort… Si seulement je pouvais le croire. J’ai juste l’impression d’être une pauvre loque,  tout juste bonne qu’à pleurer. Je n’arrive pas à penser à autre chose, à me demander ce qu’il se serait passé si elle avait été encore en vie. Ce que nous aurions fait aujourd’hui si elle était là.
          Etouffant un soupir, Damien déclara naturellement :
          _ Des pancakes.
          Fronçant les sourcils, sa sœur tourna la tête vers lui et le dévisagea d’un air interrogateur, auquel il lui répondit par un haussement d’épaule comme s’il ne s’agissait rien d’autre qu’une évidence :
          _ Ben oui, on est mercredi ! Et comme chaque mercredi elle aurait brûlé des pancakes et nous aurions continué de sourire en mettant une couche de chocolat épaisse comme mon bras pour cacher le goût et lui faire croire qu’on les adore. Et comme toujours, elle en aurait été ravie.
          Aussitôt, un éclat de rire s’échappa de la gorge de la jeune fille, qui sécha ses larmes d’un revers de la main en ne pouvant pas s’empêcher d’acquiescer.
          _ C’est vrai qu’elle les ratait toujours. Mais qui sait, peut-être qu’elle se serait améliorée depuis le temps.
          Echangeant un bref regard, ils lâchèrent en même temps un « non » catégorique et collectif avant d’éclater une nouvelle fois de rire.
      La prenant par la main, Damien se redressa alors et lui dit :
          _ Maintenant, tu arrêtes de te morfondre, et tu joues avec nous. Les pauvres sont tellement mauvais en face qu’on doit bien leur laisser une chance de gagner ! Lui dit-il, avant de se recevoir un coup de coude protestataire dans les côtes qui les fit d’autant plus rire. Et ce que cela pouvait être bon.
          Que serait-elle sans lui ? Elle n’en avait pas la moindre idée, et ne préférait même pas se la poser. Alors même si dans les secondes qui suivraient elle se prendrait des réflexions amicalement moqueuses dans les dents tant elle savait aussi bien jouer au basket que parler le mandarin, au moins les minutes, si ça n’étaient des heures qui suivirent, lui permirent de se vider totalement la tête, et même pour la première fois de s’amuser comme une gosse.
          Les rebonds du ballon contre le sol caoutchouteux du terrain laissaient s’échapper un bruit qui s’effaçait derrière les rires et les éclats de voix qui s’élevaient de toute part. Tapi dans l’obscurité des arbres, ses yeux ne cessaient de fixer les jumeaux avec une attention toute particulière. Le visage froid et lisse, l’ombre les avait suivis jusqu’ici, comme elle les suivait chaque jour depuis tant de temps. Dénuée d’expression, la chose se volatilisa tout à coup pour disparaître à sa guise dans ce monde duquel elle provenait.

      ***

      Ce monde. Existe-t-il ? Nul ne le sait, ou du moins prétend-t-on que personne n’en est jamais revenu pour le conter. C’est ce que croient certains, c’est ce qu’en réfutent bien d’autres, pourtant aucune science ne saurait l’affirmer. Seuls ceux qui sont parti peuvent en témoigner. Seuls ceux qui reviennent ne pourront jamais en parler. Il avait regardés les deux adolescents jouer, le visage figé dans une expression si neutre que même le meilleur profileur n’aurait jamais pu interpréter. Seul, invisible aux yeux de tous, Skymniar devait veiller sur Ambre comme il veillait sur ses autres protégés. Il n’en aimait pas plus l’un que les autres, car son amour est infini. Il est celui de Dieu. Pourtant, pourquoi ressentait-il cela ? Ce mélange d’émotions qu’il ne comprenait pas, et sur lesquels il ne pouvait pas mettre le moindre mot ? Car c’était cela, la vérité : il ignorait tout des sentiments, hormis la tristesse et l’amour. Il n’était plus humain depuis longtemps, il avait tout oublié. Oublié ce que c’était de rire, oublié ce que c’était de craindre, oublié… Non. Quelque chose au fond de lui subsistait, en réalité. Quelque chose qu’il lui était impossible d’éprouver en tant qu’Ange, mais qu’il ressentait pourtant.
          _ Skymniar ? Demanda subitement une voix derrière lui.
      Le regard fixe rivé vers les jeunes gens qui jouaient et criaient à chacun de leurs paniers mis, l’intéressé refreina un soupir avant de demander sans se retourner à celle qu’il avait aussitôt reconnue, et dont la main venait délicatement se poser sur son épaule :
          _ Esora, tu vas devoir l’accompagner dans l’Au-delà, c’est bien ça ?
          _ Que vois-tu dans son âme ? Lui demanda-t-elle en retour d’une voix aussi calme et pure que les chants du paradis, en s’arrêtant à côté de lui.
      Silencieux, Skymniar savait parfaitement la réponse. Baissant la tête, il se tourna alors vers elle et lui répondit avec une pointe de colère dans sa voix :
          _ Comment cela peut-il te rendre insensible ? Ils sont tes enfants !
      Impassible, son regard toujours empreint d’une si grande douceur, elle rétorqua calmement :
          _ Ils furent mes enfants. Dans l’une de mes vies comme dans celle où j’étais Helena, et tout comme tu as pu avoir toi aussi des enfants. Bientôt je le retrouverai, mais en attendant ils doivent vivre leurs derniers instants ensemble. Tu le sais aussi bien que moi. Mes sentiments pour eux sont immenses, mais ils ne sont plus ceux d’une mère avec son enfant. Ils sont ceux d’un protecteur envers un humain.
      Hochant la tête, Skymniar aurait presque put sentir la bile lui monter à la gorge si celle-ci était encore matérielle.
          _ Non, je ne peux pas comprendre cela. Je ne peux pas, je n’y arrive plus.
          _ Arrête, tu fais erreur. Tu n’as pas d’autre choix que de l’accepter. Chaque jour nous les protégeons, chaque jour nous les guidons, et chaque jour nous veillons sur eux. Mais tout comme nous l’avons été auparavant, ils sont mortels, et tu ne pourras rien y changer.
          _ Je le sais. Mais je refuse de voir quelqu’un mourir de cette façon là. Tu dois l’en empêcher.
      Lâchant un léger soupir, un sourire compatissant se dessina sur les fines lèvres d’Esora, qui lui répondit au bout d’un court instant :
      _ Je ne suis plus cette Helena. Je n’ai pas à décider de qui doit mourir, et comment. Il en va de la vie, et de la volonté de Dieu et tu dois lui obéir, même si tu ne comprends pas Ses raisons.
      Les mâchoires crispées, Skymniar s’apprêta à quitter ces lieux, avant de sentir la main glaciale de l’ange le retenir :
      _ Fais attention à toi. Une dernière fois, lui demanda-t-elle, sincèrement inquiète.
      Le voyant s’éloigner sans mot dire, Esora le suivit du regard, jusqu’à ce que sa silhouette se dématérialise.
          _ Fais attention à toi… Répéta-t-elle dans un murmure, avant de disparaître à son tour.






      Chapitre 4 – Pour un moment de paix



      « Chaque souffle nous rapproche de la mort. »
      Hazrat Ali



      _ Pff, je suis vraiment nulle… Soupira Ambre, alors que le ballon finissait de rebondir sur le sol avant de terminer sa chute au loin sur le terrain, à quelques mètres du panier.
          Passant son bras autour des épaules de sa sœur, un sourire aussi compatissant qu’éternellement espiègle se dessina sur le visage de Damien.
      _ Arrête, tu n’es pas nulle. Il ne vaut simplement pas mieux que tu t’engages dans une équipe pro. Pro ou amateur, d’ailleurs ! Plaisanta-t-il pour tenter de détendre un tant soit peu l’atmosphère.
      Lui lançant un regard noir, la jeune fille ne put s’empêcher de se mettre à rire. Il était vrai qu’en basket elle n’était absolument pas douée. Pour quoi l’était-elle, d’ailleurs, se demandait-elle constamment.
          _ Ta dévalorisation excessive. Lâcha Damien.
          _ Hein ? Lui demanda-t-elle, les sourcils froncés en ne voyant pas ce qu’il voulait dire par là.
          Lui assignant une tape derrière la tête, l’adolescent ne prit pas garde aux protestations de sa sœur et s’expliqua :
          _ A tous les coups tu es en train de te dire que tu n’es bonne à rien dans ta petite tête de linotte. Alors je te réponds simplement que niveau dévalorisation je crois que t’es juste imbattable, lui dit-il en riant.
      Ne pouvant pas s’empêcher de mêler son rire au sien, accompagné d’un léger coup de coude de protestation plus pour la forme qu’autre chose, Damien essuya son visage dégoulinant de sueur sur son maillot de basket.
      _ On s’en fait une autre ?
      _ Non merci, je ne devrais pas tarder à mourir là, j’en peux plus ! Lui répondit-elle dans un geste de la main qui traduisait tout son épuisement.
      D’un hochement de la tête, Jim lança la balle à Damien qui les salua à tour de rôle, avant de la caler sous son aisselle et de quitter le terrain accompagné de sa jumelle.
      _ Tu sais, tu n’étais pas obligé de…
      _ Chut. On y va, lui répondit-il dans un clin d’œil complice, traversant avec elle la route.
      Perdue dans ses pensées, Ambre ne cessait de se dire combien elle se sentait déçue d’elle-même. Bien sûr n’avait-elle jamais été une grande sportive, mais chaque élément qu’elle ne parvenait pas à accomplir la ramenait constamment vers cette éternelle pensée d’auto-insatisfaction et de dégoût à son égard. Pourquoi ne parvenait-elle pas à se mélanger aux autres ? A dix-sept ans encore elle n’avait jamais eu le moindre petit ami, pas franchement d’amis, et bien plus encore. Seuls ses résultats scolaires étaient un moyen pour elle de se prouver sa valeur, mais au fond elle n’y croyait même pas. Aussi bonnes que puissent être ses notes, jamais elle ne se sentait satisfaite. Pourquoi ? Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ? Etait-elle donc la seule dans ce foutu monde à se sentir aussi à part ? Elle n’en avait pas la moindre idée. C’était juste purement et simplement une sensation qu’elle avait, et qui l’oppressait à chaque seconde de sa vie. Pourtant elle savait que ses notes ne représentaient pas la réelle valeur de quelqu’un. Rien qu’à voir son frère qui était l’incarnation-même de ce que l’on pouvait qualifier de cancre, tout semblait pourtant lui réussir. Et il était heureux. Oui, il était heureux…
      _ Ambre, attention !!!  Hurla son frère, avant qu’elle ne sente une poigne puissante la tirer par le col de son tee-shirt pour l’attirer en arrière.
      Aussitôt, un bruit de klaxon et de freins se fit entendre, avant que des injures ne s’échappent de la voiture qui venait de piler sous l’effet des réflexes et de la peur.
      _ Putain t’as dix-sept ans, tu ne peux pas regarder quand tu traverses une route ?  Hurla Damien.
          Son cœur tambourinait avec force dans sa poitrine, tant la peur venait de le dévaster sur place.
      _ Si je n’avais pas eu de réflexes tu serais raide et plate sous des roues, c’est ce que tu veux ? Le jour de l’anniversaire de la mort de Maman ? Ajouta-t-il, les larmes lui montant aux yeux.
      _ Je… Non… Je suis désolée… J’étais perdue dans mes pensées… je ne l’avais pas vue arriver… Arriva-t-elle à peine à articuler, des tremblements la parcourant de tout son corps.
      Aussitôt, elle sentit deux bras puissants la serrer contre elle. Son oreille appuyée contre son torse, elle pouvait entendre les battements anarchiques du cœur de son frère lui prouver combien il avait été terrifié pour elle.
      _ Ne me refais plus jamais ça… Murmura-t-il, respirant lentement pour essayer de se calmer.
      _ Je te le promets…
      Ca n’avait pas été dans l’intention de se suicider, simplement elle n’avait pas fait attention. Pas fait attention à la voiture qui passait, pas attention à ce qu’il y avait autour d’elle, ni à aucune autre chose. Distraite, elle ne pensait qu’à ses malheurs, jusqu’à en oublier de vivre. Et si Damien n’avait pas été là… elle non plus n’y serait plus.
      Reprenant leur route dans le silence absolu, ils rentrèrent chez eux sans un mot, la mort dans l’âme et la peur enserrant leur cœur tambourinant encore contre la paroi de leur thorax.  Tout s’était passé si vite… Et dire que l’on passe sa vie à essayer de bien faire les choses, à tenter de vaincre ses doutes et ses craintes, à lutter contre soi-même pour pouvoir s’en sortir, et voilà qu’en un instant le fil de la vie peut être rompu. Est-ce cela que l’on appelle la justice de la vie ? Si seulement il y en avait une…
      Oui, si seulement il y en avait une, pensa Skymniar qui n’avait pas lâché un morceau de ce qui aurait pu être un tragique accident. Mais pour une fois il n’avait pas eu peur. Sa protégée ne pouvait pas mourir, il en était certain, du moins pour le moment, car s’il y avait bien une vie qui allait être ôtée, c’était bien celle de son frère… Et Esora restait ici, sans agir. Elle observait son fils, ne le quittait pas un instant des yeux, mais ne faisait rien de plus que de le suivre.
      _ Combien de temps cela durera-t-il ? Lui demanda-t-il.
      _ De quoi parles-tu ?
      _ De tes réactions. Ou plutôt de tout ce que tu ne fais pas pour lui.
      Aussitôt, le visage d’Esora d’ordinaire si doux se figea dans une expression glaciale. Se plantant face à lui, elle croisa les bras devant sa poitrine et lui répondit sur un ton aussi calme que dur :
      _ Skymniar, sais-tu combien de vies ai-je vécues ? Non ? 224. 224 vies différentes, où j’ai rencontré des personnes différentes, où j’ai aimé des personnes différentes, où j’ai été moi-même des personnes différentes, et surtout où j’ai eu des enfants différents. Chaque être est particulier, tout comme l’est Damien, mais il n’est rien de plus ni de moins qu’un humain parmi d’autres. Humains que nous aimons, mais qui doivent mourir à un moment ou à un autre pour se purifier, que tu l’acceptes, ou que tu ne l’acceptes pas ! Tu as vécu la même chose, comme chaque âme. Il serait tant que tu le comprennes.
      Sans broncher, Skymniar détourna son regard du sien, avant de lâcher un profond soupir à peine audible. Au fond il savait qu’il n’y avait nulle utilité à débattre sur la question, elle avait raison. Mais plus le temps passait, et plus il doutait du bien fondé des choses. S’ils étaient leurs protecteurs, pourquoi devaient-ils garder autant de distance ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas seulement les aider, les secourir eux-mêmes ? Son regard perdu dans l’océan tumultueux du sien, Esora le fixait gravement, avant de lui dire sur un ton redevenu doux :
      _ Il s’agit de leur vie, pas de la tienne. Aider ne signifie pas d’agir à la place de. Tu dois guider Ambre car tu es son gardien, la supporter dans ses moments les plus difficiles et l’aider à aller vers le meilleur chemin qu’il soit pour elle, jusqu’à ce que son heure ne vienne. Je ne t’apprends rien, tu le sais depuis des générations, mais pourquoi aujourd’hui ne le supportes-tu même plus ? Je pense que c’est là que se trouve la réelle question, Skymniar.
      Chacune de ses paroles prononcées avec calme et dureté à la fois lui donnaient l’impression de parvenir à ses oreilles comme dans un écho infernal dans lequel les mots se mélangeaient pour former un tas aussi frappant qu’un coup de poing en plein ventre. Chacun le torturaient à tour de rôle, alors que dans son esprit mille et unes questions le taraudaient. Esora avait tellement raison, pourquoi ne le supportait-il plus ?
      _ Peut-être que je ne dois plus être un ange. Je ne suis pas prêt.
      _ Arrête cela de suite, ça fait un temps incalculable que tu en es un, pourquoi aujourd’hui même doutes-tu de toi ?
      _ Je l’ignore moi-même… Lui avoua-t-il.
      Dans un soupir, Esora ferma un instant les yeux, avant de poser sa main sur son épaule et de partir, ses dernières paroles venues de nulle part retentissant avant de s’évanouir peu à peu telle l’écume sur le sable d’une plage déserte.
      _ Ne commets pas d’erreur, Skymniar. Ne commets pas d’erreur…
      Passant une main épuisée sur son visage, l’ange contempla une dernière fois les deux adolescents, avant de disparaître à son tour.

      ***

      _ Où étiez-vous ? Ma parole, t’as réussi à mettre ta frangine en nage, quel miracle s’est produit pour qu’elle fasse du sport ? Un chien vous a couru après ? Demanda Charles, à moitié rieur.
      S’affalant sur le fauteuil du salon sur lequel elle s’allongea mollement, Ambre lâcha un rire forcé et moqueur avant de lui rétorquer :
      _ C’est malin… Moi aussi je peux jouer au basket, papa.
      Etouffant un rire sous le regard noir de sa sœur, Damien se mordit la lèvre inférieure pour mieux se retenir.
      _ Elle a du moins essayé, c’est déjà pas mal. Il fallait juste lui expliquer que c’était le panier qu’il fallait viser, mais à part ça elle s’est bien débrouillée, lâcha-t-il avant de se recevoir un coussin en plein visage.
      _ Tu sors ce soir ? Demanda leur père au jeune homme, croisant les bras sur son ventre légèrement enrobé.
      _ Ouais, je retrouve l’équipe pour qu’on fête notre futur match aux nationales.
      Acquiesçant d’un simple hochement de la tête, Charlie observant un bref instant sa fille avant de lâcher un soupir. Elle resterait à jamais une énigme pour lui. A dix-sept ans, elle ne faisait rien d’autre que d’étudier, de lire ou bien de rêvasser, mais en aucun cas elle ne vivait pleinement sa vie comme son frère. Seulement il avait beau lui dire quoi que ce soit à cet égard, Ambre ne changerait jamais d’avis. C’était dans sa nature, voilà tout.
      _ Bon, je me douche et j’y vais, leur lança Damien avant de monter les escaliers quatre à quatre dans la précipitation.
      Pénétrant dans la salle de bain, Damien ferma la porte à clé derrière lui avant de se déshabiller et de se glisser sous le jet d’eau brûlante sous laquelle il resta plus d’une demi-heure. Fermant les yeux, il pouvait sentir l’eau glisser sur son visage et le long de son corps, avant de se saisir du gel douche qui trônait sur son support. Se débarrassant de toute la sueur cumulée après le match, se fût lorsqu’il se sentit enfin véritablement bien et relaxé qu’il put sortir de la pièce d’eau, enroulant une serviette autour de sa taille musclée. Prenant une seconde serviette afin de se frotter énergiquement les cheveux, il put alors saisir un jean noir ainsi qu’une chemise blanche qu’il enfila précipitamment, avant de se figer soudainement devant le miroir de la salle de bain devant lequel il faisait face. Il l’avait sentit depuis quelques instants déjà, ce regard qui pesait lourdement sur lui. Mais cette fois, plus qu’un regard ce fut une silhouette blanchâtre et translucide d’une femme qui lui apparue derrière son épaule. Faisant aussitôt volte face, le cœur sur le point d’imploser de peur, un léger rire crispé s’échappa d’entre ses lèvres tant il se sentait stupide. Il n’y avait rien eu derrière lui, absolument rien.
      Se passant un peu d’eau de Cologne autour du cou et sur le torse qu’il laissait découvert de quelques boutons, Damien sorti de la salle de bain, tandis que retentissait déjà les klaxons au-dehors.





      Chapitre 5 – Au détour d’une vie



      « Le temps passe et la mort vient. »
      Proverbe français.



      Assis à la table de la cuisine, seul le bruit de la cafetière automatique retentissait dans la maison. Allongée là, sur le canapé, Ambre ne bougeait pas, ses larges écouteurs placés sur ses oreilles tandis qu’elle écoutait tranquillement la musique, enfuit dans son monde duquel personne ne pouvait l’en sortir. Lâchant un profond soupir, Charlie pris sa tasse d’expresso restreto qu’il but tranquillement, jetant un coup d’œil à la pendule qui affichait une heure déjà tardive. Tout à coup, la sonnerie de son téléphone portable retentit dans la pièce, qu’il saisit de suite avant d’entendre une voix rauque et dure retentir dans le combiné.
      _ On a des automobilistes qui se sont plantés sur la route. Passe par la caserne et vous irez tous ensemble sur les lieux.
      Acquiesçant brièvement, Charlie accourut dans sa chambre pour enfiler sa tenue de sapeur pompier avant de redescendre en courant, lançant rapidement à Ambre qui commençait à avoir l’habitude de ses départs précipités depuis qu’il s’était engagé :
      _ Il y a une urgence, je rentrerai certainement tard. Préviens-moi dès que ton frère sera rentré, lui dit-il avant de refermer rapidement la porte de la maison derrière lui.
      S’engouffrant dans la vieille Cadillac, le quadragénaire s’élança rapidement en direction de la caserne qui était déjà sur le branlebas de combat. Montant aussitôt dans le camion, leur coéquipière démarra en trombe pour traverser la ville le plus rapidement possible afin de rejoindre les lieux de l’accident. Aussitôt arrivé, un concert de sirènes des ambulances et de la police les attendait.
      Se précipitant vers le commissaire, la chef d’unité lui demanda :
      _ Que s’était-il passé ?
      _ Deux voitures sont entrées en collision. On a deux passagers blessés dont un grièvement, et le conducteur de l’autre voiture qui ne répond pas à nos paroles.
      Leur faisant signe de la suivre, Charlie se précipita vers les deux voitures aux pare-brise explosés et à la carrosserie délabrée, se chargeant du jeune homme qui ne répondait pas à leurs appels.
      Saisissant précautionneusement sa main, il lui demanda alors :
      _ Est-ce que vous m’entendez ? Parlez-moi, serrez-moi la main.
      Mais rien. A nouveau, Charlie répéta ses ordres, jusqu’à sentir une légère pression s’exercer autour de la sienne.
      _ Il est vivant, dégageons-le de là !
      Sortant leur brancard, les pompiers le dégagèrent aussitôt avant de passer le relais aux ambulances.
      Lâchant un soupir de soulagement en même temps que la pression descendait peu à peu, une voix s’éleva au-dessus des autres pour leur annoncer :
      _ Chef, on nous appelle pour une nouvelle intervention ! Des jeunes qui auraient apparemment trop bu, sur le chemin 27.
      A quelques kilomètres de là, Ambre n’avait de cesse de bouger. Profondément endormie, des images cauchemardesques s’enchaînaient les unes à la suite des autres dans son esprit, sous le regard douloureux de son ange. Bleu, rouge, bleu, rouge… ces couleurs lui donnaient le tournis en même temps qu’un mauvais pressentiment l’assaillit au point de la réveiller en sursaut.
      _ Non !!! Hurla-t-elle, le cœur battant la chamade.
      La main sur la poitrine tant elle se sentait mal, Ambre accouru vers l’évier de la cuisine alors que, saisie de nausées, elle se mit à vomir tout ce qu’elle avait, des larmes coulant sur ses joues pour une raison qu’elle ignorait. Soudain, un courant d’air glacial la parcourue, lui arrachant un frisson. Debout derrière elle, Skymniar venait de poser ses mains invisibles sur ses épaules…

      ***
      Hurlant à travers la ville, les sirènes dessinaient leurs contours lumineux sur les façades des maisons qui s’éloignaient peu à peu du cœur de la ville montagnarde. S’engouffrant sur des routes plus que sinueuses et bordées de conifères, une voix résonnait dans l’habitacle du camion, leur donnant les dernières informations :
      _ Selon la police, des jeunes ayant trop bu sont tombés dans le ravin en négociant mal un virage. Quelques équipes sont déjà en bas sur place, nous vous attendons.
      Regardant à travers la fenêtre, Charlie put voir en contrebas l’épave d’une voiture écrasée contre des arbres qui la retenaient du précipice.
      _ Les gars, il va falloir faire attention en descendant. On dégage doucement les corps et on essaie de laisser un poids égal de chaque côté de la voiture pour ne pas la déséquilibrer et qu’elle tombe dans le vide. Faites aussi attention à vous. Allez-y.
      Se retenant comme il le pouvait aux branchages des arbres alors que la pente était abrupte, Charlie calait ses pieds aux sillons étroits et profonds qu’avait tracés la voiture lors de sa chute. Descendant lentement, il aperçut rapidement la carcasse de la voiture encore fumante qui abritait en son sein les corps des jeunes gens certainement décédés à l’heure qu’il était avec une chute pareille.
      Mais dire qu’il s’était attendu à tout sauf à cela était un euphémisme… Un cri déchira le silence de plomb qui s’était installé quelques instants plus tôt. Accroché à la portière de la voiture qu’il tentait en vain d’ouvrir, Charlie hurlait de tout son être, ses larmes lacérant son visage à la vue du corps de Damien baigné de sang.
      Il n’entendait plus rien. Il ne voyait plus rien, une cascade de larmes noyant ses yeux marron, alors que le monde semblait s’être effondré sous ses pieds. Il ne sentait plus rien, ni même ses coéquipiers qui tentaient de le faire reculer de là en l’enveloppant de leurs bras robustes.
          _ Charlie arrête, lâche-le.
      _ C’est mon fils ! Mon fils !! Hurlait-il, sa voix résonnant dans la montagne amère au goût de tragédie.
      Tentant en vain d’ouvrir la porte de la voiture, ses bras semblèrent se dérober tant il n’avait plus de force. Tombant à genoux à même le sol, il avait la sensation que le sang qui lui montait à la tête ne tarderait plus à la faire imploser. Il avait beau tenter de prendre de l’air, celui-ci lui manquait tout comme son fils, à présent, ne respirerait plus jamais. De violents vertiges l’assaillir, alors que son corps ne semblait plus répondre de rien. Tiré en arrière, Charlie fut conduit vers l’ambulance pendant que l’on tentait précautionneusement d’en dégager les corps sans vie d’un conducteur trop ivre pour conduire et de ses amis qu’il avait emportés avec lui…

         
      ***

      Appuyé contre le siège avant, il se recula légèrement avant d’entendre une main frapper à la porte de la voiture. Les yeux encore perdus dans le vague, Damien commençait à peine à entrevoir la silhouette qui se dessinait à côté de lui.
      _ Mam… Maman ?
      Elle était à portée de main. Tellement près de lui, qu’il aurait pu la toucher. Tellement près de lui, qu’il pouvait la toucher. Etendant son bras vers elle, sa main passa au-travers de la portière.
          _ Comment… ? Demanda-t-il, tandis que sa main effleurait la sienne.
          La sensation était tellement étrange. Tout à coup, il prit conscience qu’il ne ressentait plus, mais qu’il percevait tout. Les odeurs, les sons… Tout, même jusqu’à sa vision s’en trouvait décuplé. Au-dessus, derrière lui, en dessous, il pouvait tout percevoir sans aucune limite, ni même celle de ses yeux qui pouvait découvrir jusqu’à la rainure la plus fine des feuilles de cet arbre au loin.
          _ Que se passe-t-il ? Je ne comprends pas…
      Egaré, perdu, tout n’avait plus le moindre sens. Etait-il endormi ? Etait-ce un cauchemar ? Il ne le savait pas. Tout semblait tellement réel.
          Soudain, la caresse des longs doigts fins de sa mère sur le dos de sa main le rappelèrent à la réalité. Son regard se faisait tellement doux qu’il se sentit instantanément apaisé.
          _ N’ais pas peur, je suis là.
          _ Mais pourquoi ? Comment est-ce possible ? Que se passe-t-il ? Pourquoi est-ce que je ne ressens aucune douleur ? Pourquoi est-ce que je ne ressens plus rien ?!
          _ Viens avec moi, Damien. Tu comprendras.
          Glissant sa main dans la sienne, Damien se redressa et ferma les yeux lorsqu’il sentit qu’il traversait la carlingue défoncée de la voiture. Là, il croisa une nouvelle fois le regard d’Esora qui le regardait avec un amour aussi infini qu’aucun mot ne pourrait le retranscrire. Jamais il n’avait ressenti cela, cette lueur aussi étrange que magnifique et inhumaine, mais lorsqu’elle détacha ses yeux si bleus des siens, Damien se retourna pour faire subitement face à la voiture dans laquelle gisait son cadavre ensanglanté, affaissé contre le siège du conducteur qui avait été projeté en avant.
          S’il avait encore eu un cœur, nul doute que celui-ci aurait implosé sous l’effet du choc.
          _ Je… je suis… mort ? C’est impossible… Lui dit-il, avant de sentir deux mains qui se posaient sur ses épaules.
          _ Viens avec moi, Damien. Viens…
      _ Non ! Je refuse de partir ! Et pour aller où, de toute manière ? Je ne peux pas mourir maintenant, c’est impossible ! Hurlait-il de ce sentiment profond d’injustice que nul ne pouvait entendre. Nul, à part elle.

    • Sapotille

      Petit rat de bibliothèque

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      #2 29 Mai 2013 13:56:19

      Promis, je lis ça ce soir et je te donne mon avis =)
    • Rin

      Livraddictien débutant

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      #3 29 Mai 2013 17:43:28

      D'accord, je te remercie ! =D
    • Sapotille

      Petit rat de bibliothèque

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      #4 01 Juin 2013 22:58:24

      zut, je t'ai pas oublié !
      J4ai juste pas eu le temps, mais lundi, ça ira mieux, à c'est la folie par ici