La perle de Wyletown, Kirell Wyle

 
  • Wyletownien

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    #11 28 Mars 2016 11:45:38

    Très bien, merci ! C'est une mise en bouche mais si déjà ça vous incite à continuer ça me fait très plaisir! :)
  • Mansuz

    Amant des romans

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    #12 28 Mars 2016 13:10:23

    Quand tu écris tu as déjà une idée de ta trame avenirs ? Ou tu écris au fur et à mesure ?
  • Wyletownien

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    #13 28 Mars 2016 18:29:36

    J'ai vraiment commencé à rédiger une fois que j'avais toute l'histoire. Certaines choses ont évolué, cependant, au cours de l'écriture, parfois même un nouveau personnage s'est créé mais, en général, je connais déjà la fin du roman lorsque je commence à écrire.

    Dernière modification par Wyletownien (18 Avril 2016 16:39:22)

  • Mansuz

    Amant des romans

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    #14 28 Mars 2016 21:17:06

    Merci pour ta réponse ;)
  • Wyletownien

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    #15 28 Mars 2016 22:10:18

    De rien, et encore merci d'avoir pris le temps de lire!
  • Wyletownien

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    #16 28 Mars 2016 23:17:56

    Chapitre 3
    Les perles de la ville


    Mes affaires étaient prêtes depuis trois jours. La dernière nuit me semblait interminable, puisque j’étais plongé dans un demi-sommeil, trop excité par la journée du lendemain. Cela me rappelait mon enfance, lorsque je ne parvenais pas à m’endormir à poings fermés après le réveillon de Noël. Dans mes rêves, je revivais sans cesse l’ouverture des cadeaux. Je ne faisais qu’alterner éveil et sommeil : un cycle infernal. Cette fois, je n’avais pas fait de rêve sur Wyletown, même si bien sûr je ne pensais qu’au festival. Dans la lettre, il y avait deux Pass à mon nom que j’avais précieusement placés dans mon portefeuille, ainsi qu’un petit dépliant avec les horaires de projection des long-métrages en compétition et les lieux où ils étaient diffusés. Je prévoyais de partir vers huit heures mais, comme j’étais prêt depuis longtemps, j’avais commencé à faire mon programme. Le festival se déroulait sur seize jours exactement, du samedi 6 au dimanche 21 septembre. Une seule œuvre était projetée les trois samedis à 21h : le film d’ouverture, le Between et le film de clôture. C’était aussi les trois jours où se déroulaient les plus importantes soirées bien qu’elles étaient légion lors de l’événement. Il n’y avait aucune projection le dimanche. Contrairement aux autres jours pendant lesquels deux films passaient. Je savais bien que je n’assisterai pas aux vingt-trois séances, et je n’en avais pas envie, même si mon sésame m’ouvrait toutes les portes. La ville était complètement transformée et il me tardait de découvrir en exclusivité les décors. J’essayais d’imaginer ce que les décorateurs avaient bien pu créer quand ce fut enfin  l’heure de partir.
    Milt et Wyletown n’étaient pas très éloignées l’une de l’autre et j’arrivais vite aux portes de la ville. Dernières traces visibles des fortifications médiévales, deux grandes arches de pierre subsistaient. Je passais en-dessous. Des aménagements provisoires avaient été érigés pour réguler le trafic. Hautement sécurisée, la ville ne contiendrait en ces murs uniquement ses habitants et les festivaliers jusqu’au 21 septembre. On ne pouvait y accéder que par deux endroits : un point d’entrée et de sortie pour les habitants et un autre pour les festivaliers. Malgré plusieurs véhicules qui me précédaient, mon tour arriva rapidement. Deux contrôleurs dans leur guérite montée, pour l’occasion, regardèrent mon accréditation et la lettre officielle.
    - Prenez ce macaron et mettez-le en évidence au niveau du pare-brise. Si vous voulez aller et venir, nous n’aurons plus besoin de contrôler votre identité les prochaines fois. Après les barrières, l’hôtel Pleewells se trouve au bout de la route, à gauche, et votre numéro de place de parking est sur ce macaron.
    Le numéro 8.
    - Merci, bonne journée, chantais-je.
    - Bon festival, M. Atlanters.
    J’entrais enfin pour de bon. Je ne savais pas où poser mes yeux. C’était surprenant, je constatais que, même s’il y avait beaucoup de monde, ce n’était pas du tout étouffant. J’avais entendu dire que le nombre de personnes présentes avait été établi selon la capacité de toutes les infrastructures de Wyletown.  Je devinais au loin l’arrière de grands aménagements vers le centre-ville, mais  la route de l’hôtel s’en éloignait et je ne pus en apercevoir davantage. J’avais tellement hâte de garer ma voiture (qui ne bougerait pas beaucoup lors de mon séjour), de poser ma valise et de partir à l’assaut des rues. Le parking de l’hôtel Pleewells était déjà bien rempli. Je descendais de mon véhicule face au bâtiment impressionnant. Il était principalement en pierre avec un grand escalier taillé dans la roche qui aboutissait sur une véranda ouverte constituée de piliers de pierres blanches et bleues. La galerie s’étalait sur toute la longueur de l’hôtel.  J’allais à la réception et patientais en parcourant des yeux l’endroit, pendant que les réceptionnistes s’occupaient d’autres clients. L’intérieur était plutôt simple comparé à la monumentalité de l’édifice. Sur un carrelage clair, un tapis foncé montrait le chemin vers les escaliers et les ascenseurs menant aux chambres, et seules quelques plantes dans de grands vases décoraient le hall. Trois lustres magnifiques en verre et perles noires rendaient l’atmosphère chaleureuse.
    - Bonjour, monsieur, je suis Hugh Bremann, le gérant. Pouvez-vous me présenter votre Pass, s’il vous plaît ?
    Il étudia les documents que je lui tendais.
    - M. Atlanters, nous vous avons attribué la chambre 8. C’est au premier étage et vous disposez d’une vue sur la mer. Avez-vous besoin que l’on monte vos bagages ?
    - Non, merci, je n’ai qu’une valise, dis-je en la lui montrant.
    - Entendu, il ne me reste plus qu’à vous donner la clé et vous souhaiter un agréable séjour à l’hôtel Pleewells.
    Hugh Bremann était très professionnel. Un homme d’une petite quarantaine d’années, très élégant. Il était très calme malgré l’ampleur de sa tâche et c’était donc une personne rassurante de prime abord.
    - Passez un bon festival, M. Atlanters.
    - Merci, M. Bremann.
    J’allais vers l’ascenseur et appuyais sur le bouton quand une journaliste, que j’avais remarqué en entrant, vint à ma rencontre. Elle débita d’une traite :
    - Joe-Atlanters-Jessie-Prim-Prestige-Gazette ! Vous êtes l’un des rares élus à pouvoir profiter de cet événement vers lequel les yeux du monde sont tournés ! Quelles-sont-vos-impressions ?
    Sa main était prête à courir sur son carnet de notes, crayon-mine-bien-taillée sur les starting-blocks. Elle me fit sourire car elle attendait, regard fixé sur moi sans ciller. Elle me rappelait l’une des perruches de la volière.
    - Miss Prim, reprenez votre souffle. Euh, et bien je suis impatient d’aller en ville pour me plonger dans l’ambiance du festival.
    - C’est la première fois que vous participez au tirage au sort ?
    - Non, j’ai tenté plusieurs fois. Ce doit être la troisième…
    - Pour quelles raisons était-ce important pour vous de venir au festival de Wyletown ? me coupa-t-elle. 
    Ses manières m’agacèrent.
    - Les mêmes que les autres passionnés de cinéma.
    L’ascenseur ouvrait ses portes.
    - Excusez-moi mais je vais m’installer.
    - Oui, bien sûr. Je couvre l’événement, ce serait sympa si vous partagiez plusieurs moments à nos lecteurs.
    - Je suis plutôt discret, dis-je sèchement.
    - Mais…
    Les portes se fermèrent sur le visage déconfit du rapace et je n’entendis pas la suite.
    Ma chambre était impeccable, sobrement décorée dans des tons clairs avec une vue imprenable sur la crique. Mes affaires posées en hâte, je redescendais par l’escalier. Il était temps de passer aux choses sérieuses. J’étais toujours dans un état de vive excitation. J’en aurais ri de joie tellement je me sentais bien. Wyletown était belle, vraiment. Le chemin entre l’hôtel et le centre-ville était envahi par les festivaliers qui se baladaient comme moi, observant les allées d’arbres-lilas rouges et les bâtiments blancs un peu plus haut. Je saisissais des bribes de conversations, alors que je croisais d’autres personnes. Un couple et un petit garçon revenaient du centre-ville et, croisant mon passage pour rejoindre l’hôtel, j’entendis leur fils :
    - T’as vu, papa, comment il était trop beau le cheval !
    Comme je comprenais l’entrain du bambin… Au fur et à mesure que je m’approchais, je réalisais que la ville de mon souvenir serait difficilement reconnaissable. Des aménagements se voyaient déjà sur les façades des plus simples bâtiments. Chaque édition voyait émerger une nouvelle Wyletown. Il n’y avait pas de thème, les rues pouvaient être complètement différentes. Le festival, c’était donc l’occasion pour les décorateurs chevronnés de montrer toute l’étendue de leur talent au monde entier. Avec le temps, et les avancées techniques, c’était de plus en plus impressionnant. Si bien que les décors éphémères étaient vraiment crédibles et qu’il n’y avait plus l’effet carton-pâte, à moins que ce ne soit voulu. À l’entrée de la rue principale qui traversait le centre-ville, les organisateurs avaient installé un panneau avec le plan. Un groupe s’était déjà formé devant. Certaines petites ruelles n’étaient accessibles que par le personnel autorisé, car elles se trouvaient derrière des décors. Les noms des rues changeaient pour l’occasion. J’observais donc l’affichage qui indiquait la disposition provisoire choisie pour le festival. Il y avait la Rue de la Mairie, devenue l’Allée du Tapis Rouge, qui traversait le centre-ville de part en part. Si l’on tournait immédiatement à la première à droite, on trouvait le Chemin du Kiosque renommé Rue du Cygne. C’était un long chemin qui formait un coude et qui rejoignait le milieu d’une autre artère, La Far-West (anciennement Rue des Ducs), perpendiculaire à l’Allée du Tapis Rouge et qui permettait donc de revenir à cette dernière. En progressant alors sur la deuxième partie de la rue principale, on trouvait une dernière allée à droite, qui pour l’occasion s’appelait Rue des Glaces et non plus Chemin de l’Alouette. C’était donc trois axes qui se trouvaient à droite de l’Allée du Tapis Rouge. Ils communiquaient tous avec elle, mais la Rue du Cygne et La Far-West se rejoignaient aussi, formant un circuit avec la première partie de la voie centrale. Sur la gauche, il y avait aussi trois rues mais indépendantes les unes des autres : l’Impasse du Temps (au lieu de Rue de l’Eglise), le Ventre (pour la Rue de la Cloche) et la Rue du Village (à la place du Chemin du Calvaire). Elles n’étaient pas dans l’axe de celles d’en face. Le grand panneau devant lequel je me tenais proposait une courte description de chacune des rues :

    L’Allée du Tapis Rouge : amoureux cinéphiles, foulez le célèbre tapis et n’hésitez pas à vous engouffrer dans six mondes incroyables !
    Rue du Cygne : cette rue, dit-on, est propice à la promenade, à la danse et à la rêverie romantique.
    La Far-West : une allée pleine de vie où les portes des saloons chantent.
    Rue des Glaces : un vent de grand froid souffle sur des beautés glacées.
    L’Impasse du Temps : ici le temps arrêté dissimule la vie sous la poussière.
    Le  Ventre : et si vous regardiez la terre d’un peu plus près ?
    La Rue du Village : la campagne rêvée s’immisce à Wyletown.


    D’autres personnes étaient rassemblées autour de moi, le panneau était assez grand pour être lu par un groupe. Il me tardait toujours autant d’entrer. D’où j’étais positionné, je voyais l’Allée du Tapis Rouge. Elle était longue, mais je pouvais en voir la fin car elle était large et dégagée. Une peinture rouge au sol figurait le tapis. L’allée était bordée de grosses ampoules éteintes sur toute la longueur. Les façades des grands bâtiments bordaient les deux côtés, sauf au niveau de la Rue du Cygne. Là, il n’y avait que le haut bâtiment de la mairie, mais on apercevait un grand parc et le sommet d’un kiosque. Pour voir les autres rues, il fallait forcément s’engouffrer à l’intérieur. Des affiches géantes de cinéma en noir et blanc dissimulaient les façades des éléments qui composaient la rue principale. Il était presque impossible de reconnaître un petit hôtel, des commerces ou encore le Casino à cause des décors peints qui dissimulaient leur apparence. Je décidais de commencer à parcourir les lieux puisque j’avais quelques heures devant moi avant d’aller patienter dans la file d’attente pour le film d’ouverture. Je posais mon pied sur la peinture rouge, prêt à entrer, quand je reconnus une voix :
    - Vous, ici ?   
    Je me retournais. C’était elle.

    Dernière modification par Wyletownien (13 Avril 2016 10:47:30)

  • Wyletownien

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    #17 01 Avril 2016 00:50:24

    Chapitre 4
    Le coiffeur muet


    J’étais arrivée à Wyletown la veille au matin. Déjà je sentais que je pourrais m’acclimater très vite, car le personnel de l’hôtel était très sympa et l’ambiance qui régnait dans cette ville était étrangement rassurante, malgré l’ampleur de l’événement. Je n’aimais pas les suites prétentieuses qui semblaient agrandir le vide que je ne pouvais combler. Ainsi fus-je heureuse en entrant dans cette chambre que, malgré l’espace,  j’assimilais à un cocon douillet. J’admirais la vue à couper le souffle lorsque j’entendis frapper à la porte :
    - Mme Awotadoe, un message de la part de Daisy Kell.
    Le groom me tendit la lettre.
    - Merci, voilà pour vous.
    Je lui donnais une pièce et refermais la porte lorsqu’il tourna les talons. Je savais que Daisy ne serait pas là si tôt et qu’elle devait me fournir les dernières informations.

    « Line,
    Un empêchement de dernière minute, comme toujours. Je serai là lundi au plus tard. Pour l’heure, n’oublie pas l’équipe coiffure et maquillage, il faut fixer les derniers choix. Et l’interview pour « Les Belles Bobines » est prévue à 17h, dans le hall du Casino.
    Bises
    Daisy. »

    La petite boule que j’avais à l’estomac ne tarda pas à revenir. La matinée ne faisait que commencer et, si je m’acquittais de ma première tâche avant midi, j’aurais le temps d’aller sur le bord de mer avant ce rendez-vous avec le magazine spécialiste du septième Art. Quelques minutes plus tard, je marchais en direction de l’entrée ouest du centre-ville. Un groupe lisait le panneau sur lequel se trouvait le plan des rues. Ma surprise fut grande lorsque l’une des silhouettes devint soudain familière. C’était bien le dernier endroit où je pensais tomber sur l’homme de l’animalerie. Il m’était apparu en rêve la nuit précédente, mais le voir physiquement éveillait bien plus de sensations et j’en oubliais mon anxiété. L’étonnement se lisait sur son visage. Je m’adressais à lui :
    - Vous, ici ?
    - Ça par exemple ! répondit-il.
    Nos bouches laissèrent échapper des rires discrets, mais nous n’étions pas gênés le moins du monde.
    - Faites-vous partie des gagnants, comme moi ? me demanda-t-il.
    Il me montra son Pass et cherchait sûrement le mien du regard mais ses yeux se perdirent derrière mon épaule.
    - Non. Non, je suis là en tant que… professionnelle.
    Je cherchais mes mots, j’avais l’impression de mentir.
    - Oh… Incroyable !
    - Oui, je joue dans un petit film qui va être présenté.
    Il ouvrit la bouche, mais mit du temps avant de poursuivre :
    - Sans déconner ? Oh, pardon. Vraiment, c’est dingue ! Une actrice ! Si j’avais su, quand vous étiez à l’animalerie… 
    Je sentais qu’il se contenait pour me poser d’autres questions.
    - Qui aurait pu le prévoir ? ajoutais-je. 
    Il remonta les manches de sa belle chemise. Il avait un charme fou. Son visage aux yeux gris clair et les traits dessinés de sa mâchoire me faisaient beaucoup d’effet. Une vraie douceur émanait de cet homme viril. Je m’efforçais de ne pas l’observer trop longtemps et expliquais :
    - Pour être franche, je suis très impressionnée par le festival. Mon agent n’arrive pas avant deux jours.
    Je ne savais pas vraiment comment poursuivre, mais osais :
    - Mais, si vous vouliez bien m’accompagner aujourd’hui… à moins que vous ne soyez occupé… oui, excusez-moi, bien sûr que vous êtes occupé… En plus, vous n’êtes sûrement pas venu seul…
    - Ah, non, j’ai le temps avant la séance de ce soir ! Et, je ne suis pas accompagné, j’avais bien un Pass pour deux mais personne ne pouvait. Je n’aurais manqué cela pour rien au monde, j’espérais pouvoir venir au festival un jour.
    J’étais soulagée de le savoir seul et me trouvais quand même égoïste.
    - Ne croyez pas que je veuille me servir de vous, ou que je considère les autres comme à mon service.
    C’était la vérité, mais en disant cela je me sentais plus bête encore. Lui semblait plutôt amusé.
    - Je ferais un très bon majordome, j’en suis sûr.
    Il arrivait pour la deuxième fois à me détendre en agissant avec humour et tact. Je continuais, moins embarrassée :
    - Je vous trouve sympathique.
    Il me semblait le voir rougir, ou peut-être l’avais-je trop espéré.
    - Vous avez l’air passionné, il me ferait plaisir de vous montrer l’envers du décor.
    - Je n’ai pas encore vu le décor, mais si en plus j’ai un accès aux coulisses… Qu’attendons-nous ?!
    Nous ressemblions tellement à deux enfants à cet instant : excités par une combine élaborée à l’insu des autres.
    - Au fait, je m’appelle Line.
    - Enchanté, moi c’est Joe. 
    Il me tendit son bras et nous entrâmes d’un même mouvement dans le centre-ville. Ce n’était pas du tissu pour le tapis rouge, mais de la peinture étalée sur un plancher couvert de béton. Je me tournais vers Joe qui découvrait l’endroit.
    - Je ne reconnais rien de Wyletown.
    - Vous êtes venu il y a combien de temps ?
    - Environ huit ans. Mais, on m’avait dit que les décorateurs pouvaient transfigurer les lieux. Après tout, une couche de neige parvient à perturber nos repères, alors des décors de cinéma...
    Il s’arrêta un instant au niveau des façades à notre gauche. Elles étaient dissimulées par une grande affiche, peinte en noir et blanc, d’un film qu’il disait aimer : le visage d’une femme en clair-obscur dont on devinait les yeux et les lèvres. C’était très beau, je l’avais aussi remarquée la veille.
    - Grandiose ! Cette allée est grandiose !
    Il regardait les autres façades, tournant sa tête de droite à gauche.
    - Attendez de revenir l’observer à la nuit tombée.
    Deux lignes de grandes ampoules bordaient le chemin rouge.
    - Il me tarde de voir l’ensemble allumé.
    À droite se trouvait la Rue du Cygne, mais nous ne la prîmes pas.
    - Je dois aller sélectionner mes derniers choix pour mes tenues et coiffures.
    - Oui, au boulot! Je vous suis.
    Nous étions à côté d’un long bâtiment également dissimulé par des peintures d’affiches. Deux bâtiments plus petits se trouvaient à chaque extrémité. C’était la mairie et ses deux annexes. Celle de gauche était réservée pour les coiffeurs, habilleurs et maquilleurs. Si à l’extérieur c’était relativement calme, l’agitation régnait à l’intérieur : parmi les miroirs et vêtements suspendus déambulait une armée de professionnels. Une vingtaine de personnes s’affairaient pour ajuster des mèches, peindre des bouches ou ajuster des tenues. C’était un tourbillon de couleurs, d’odeurs, de reflets et de lumières. Avec les miroirs dispersés dans la pièce, l’endroit semblait encore plus grand et foisonnant. Quelques beaux paravents peints ou brodés offraient de l’intimité pendant les essayages. Je m’adressai à Joe :
    - Je cherche Alice, du côté des femmes.
    Une petite blonde à lunettes bleues, juste derrière nous, m’entendit :
    - C’est moi ! Line, super, tu es en avance !
    - Alice, bonjour. Joe, un ami, qui m’accompagne.
    - Daisy ne m’a pas dit que tu étais accompagnée ! La cachottière !
    Elle était très volubile et passait très bien en société, surtout dans ce milieu artistique où les caractères forts s’entrechoquaient.
    - C’est un hasard, nous ne pensions pas se retrouver au festival.
    Alice comprit qu’il n’y avait rien entre nous.
    - Ah !! D’accord, je pensais que …
    Je la coupais :
    - Excuse-moi, Mike préparait une tenue régulière d’après Daisy…
    J’entrais dans le vif du sujet et la maquilleuse rebondit, faussement professionnelle :
    - V’oui, v’oui !! 
    Elle agitait sa tête et ses boucles d’oreilles dansaient. Il fallait suivre son pas énergique, alors qu’elle se dirigeait au fond de la pièce.
    - Mike est son mari, expliquais-je, il a créé mes tenues et est aussi un coiffeur réputé.
    Joe souriait, amusé du petit personnage que nous suivions.
    - Il est muet, donc ne prend pas son silence pour de l’impolitesse.
    - Un coiffeur muet ? Intéressant. Les salons de coiffures sont réputés pour être des endroits de cancans, ses clientes doivent être tristes !
    Je riais, imaginant les monologues des dames que le capilliculteur avait dû subir.
    - Miky !! Line est arrivée !
    Mike avait l’un des plus grands emplacements. C’était le seul à s’occuper à la fois de l’habillage et de la coiffure. Alice l’aidait. Il nous serra la main.
    - Line, ma biche, assieds-toi face au miroir, Miky va tester une dernière coiffure. Il faudra peut-être un coup de ciseaux mais ça ne devrait pas être long. Je vais te parler du reste pendant ce temps.
    Elle prit ma veste et mon petit sac à main qu’elle posa sur une chaise déjà envahie.
    - Joe… attends, j’arrive…
    Elle débarrassait une autre de plusieurs tissus et peignes pour lui faire une place. Les mains prises et le menton appuyé sur la pile qu’elle tenait lui donnait un air comique.
    - Voilà, prends cette chaise en attendant.
    - Merci, Alice, je peux aider peut-être avec…
    - Non, non, chaton, merci.
    Elle disparut derrière un paravent bleu et or puis revint avec deux catalogues épais dans les mains. Je pouvais la voir dans le miroir, alors que Mike coiffait mes cheveux. Elle posa son fardeau sur la coiffeuse devant moi.
    - Tes cheveux sont tellement beaux ! Hein, Mike ? On a de quoi s’amuser avec elle ! Un vrai terrain de jeux !
    Son mari lui fit un signe de tête mais restait concentré. Alice poursuivit :
    - Alors, Line chérie, la tenue « régulière » c’est pour la maison Duroc. Ils ont été conquis par les essayages, c’est toi le modèle qu’ils veulent ! Ils ont donc réalisé la robe en trois exemplaires pour que tu portes leur création propre et repassée tous les jours de la semaine. Avec les photographes et les quelques télés, le but c’est que le public vous associe. On doit te voir la porter le plus souvent possible, même si tu n’as pas de rendez-vous ; quand tu sors en ville pour te balader, même seule, il faut qu’elle soit sur toi.
    C’était une robe très confortable. Mes mouvements n’étaient pas entravés. J’avais la chance d’avoir une taille bien dessinée, ce qui me dispensait d’un corset. Le vêtement était donc confectionné sur mesure. Le haut était blanc, une ceinture en tissu brodé de fines perles noires marquait la taille et le reste de la robe était bleu. Un foulard, des boucles d’oreille et des chaussures complétaient la tenue. Inspirée des danseuses, la robe semblait glisser sur l’air au rythme de mes pas. Alice poursuivait :
    - Et puis, ensuite, pour les tenues de soirées, ce sont les créations de mon Miky.
    Elle tendait le book ouvert à Joe qui acquiesça.   
    Mike avait relevé mes cheveux, retenus désormais par des peignes.
    - Parfait ! Tu vois, c’est rapide et ton visage est mis en valeur grâce à la forme de ce chignon. On devine la longueur de ta chevelure qui reste belle à regarder. Pour le maquillage, on reste sur des couleurs naturelles et claires, de toute façon avec ta peau tu n’as rien à cacher, chanceuse ! Où sont mes vingt ans ?!
    Alice pouffa et eut l’air d’une vieille chouette, avec ses yeux ronds et sa manière de chercher quelque chose.
    - Oh, l’idiote, si je ne te montre pas le book alors ça ne sert à rien que tu viennes !
    Elle prit le catalogue des mains de Joe.
    - Voilà, deux robes de soirées « designed by Miky » ! Pour le gala de charité et l’avant-première. Il est possible qu’une autre tenue s’ajoute, mais Mike n’est pas sûr d’avoir le temps de la terminer.
    Eblouie, je contemplais les photographies des textiles.
    - Elles sont magnifiques…
    J’étais émue. J’aimais bien m’habiller mais ce n’était pas non plus une passion. Habituellement je mettais des robes simples ou des chemises et pantalons pour être à l’aise à pied ou à cheval. Les robes élégantes et sophistiquées me faisaient peur ; elles me donnaient l’impression d’être quelqu’un d’autre. Mais celles que je voyais, malgré les tissus nobles, précieux et les bijoux incrustés, me ressemblaient : ce n’était pas outrancier. La première avait l’aspect du satin, de couleur prune avec des touches de fil d’or. C’était une longue robe qui, à l’arrière, faisait penser à la traîne d’un paon. De fines bretelles de perles retenaient le bustier simple qui suivait la courbe de la poitrine jusqu’aux hanches. La seconde était jaune pâle avec quelques motifs brodés au niveau du buste. Elle était à manches courtes, semblait légère et s’arrêtait sous le genou. Je m’imaginais tournoyer avec pour former un cercle de tissu autour de moi, comme lorsque j’étais petite, avec mes robes d’anniversaire.
    - Merci, Mike !
    Je ne parvins pas à retenir ma main qui pressa amicalement son épaule. Il me sourit.
    - Il a été très inspiré, mon Miky, car ils nous ont montré un court extrait qui sert à la promotion du film et nous avons pu y voir ton allure. Tu vas les éblouir !
    J’étais gênée par ce compliment. Et, en pensant aux attentes du public, au film, malgré ce tourbillon magique dans lequel j’étais tombée, l’anxiété surgit à nouveau.
    - Merci encore, pouvons-nous y aller ?
    - On a fini pour les derniers ajustements, et si besoin tu sais où  nous trouver. Daisy m’a parlé de ton interview !
    - Oui, à dix-sept heures, la première.
    - Dix-sept heures ! Mais, vous avez du temps à tuer alors ! Ça vous dit de voir quelque chose que les autres n’ont pas encore vu?
    - On n’a pas encore…
    Elle ne laissa pas à Joe le temps de répondre :
    - Rolaand !!
    Un technicien accourut vers nous. Il devait avoir au moins cinquante ans, il arborait une petite moustache et avait l’œil rieur. Il portait un béret sur la tête.
    - Alice, que j’aime entendre le son de ta jolie voix ! dit-il non sans ironie.
    - Roland, ces deux jeunes viennent pour la première fois au festival et ils me sont très sympathiques.
    Elle lui jeta un regard entendu.
    - Rapidement alors, on est débordé.
    Je précisais :
    - Ne vous inquiétez pas, vous avez du travail, nous n’allons pas vous retarder.
    - Vous faites pas de bile, j’allais sortir fumer, ma jolie, suivez-moi.
    Joe me fit signe de passer devant lui.
    - Je me trompe peut-être, mais moi je dis que cette année est prometteuse ! Miky, mets la gomme ! Pas le temps de bayer aux corneilles, on a du travail ! chantait Alice en s’agitant dans tous les sens.
    C’est ainsi que Joe et moi suivîmes Roland, intrigués.

    Dernière modification par Wyletownien (13 Avril 2016 10:55:32)

  • Lunayia

    Magicien des lignes

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    #18 02 Avril 2016 12:50:15

    Ce soir je prend ma tablette et je lis les 2 chapitres que j'ai pas lu ! :D
  • Wyletownien

    Casual lecteur

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    #19 02 Avril 2016 13:42:34

    En espérant qu'ils plaisent! :)
  • Lunayia

    Magicien des lignes

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    #20 02 Avril 2016 14:53:03

    Bon au faite ma connexion internet à tenue bon alors je viens de me lire les 2 chapitres. J'aime toujours autant et en plus il y a plusieurs point de vue et j'adore ça !
    Peut être juste quelque chose à dire pour le chapitre 4 un moment je me suis demandé que faisait Joe pendant qu'on avait le point de vue de Line, mais mise à part ça rien a redire ! =)