Nina

 
    • Nituti

      Lecteur initié

      Hors ligne

      #1 26 Mai 2016 15:37:23

      -          Slante ! Encore une pinte et j’arrête.
      Une fois de plus comme chaque soir depuis un mois, je me répétais qu’il fallait que j’arrête, mais je la regardais douce et amère. Elle est si belle sous cette lumière tamisée. Elle l’est toujours. Elle parlait de tout, à tous. Elle se moquait de ces conneries. Ce qui lui fallait c’était sa dose, chaque jour la même chose. Nina. Ce prénom plein d’osmose et de contradiction. Il faisait plutôt chaud. Cette chaleur nous est montée à la tête, la rareté de cette agréable atmosphère  nous donnait des idées nouvelles, partir. Quitter ce monde pourri, ce monde de rejetons qui empestait la mort. On ne supportait plus cette merde de société. Pourtant on se plaisait à rester dans cet endroit, malgré la lassitude avec laquelle nous y allions. On décampait de ce bar, pour changer d’endroit, bien évidement c’était notre refuge on connaissait tout le monde et personne nous connaissait vraiment, quoique cela nous paraissait bien.  Il ne faisait pas si chaud. Mais, on y est allé. Au bord de cette mer, dans un coin plein de sable. Il n’y avait que nous, pas étonnant, le vent était glacial. Je la regardais, cette danseuse nuptiale, celle qui me donnait la vie. Plaisante et adorable. Elle est un rêve, c’est ce que je me disais en la voyant, aussi fluide que l’air et volatile que le vent. Elle était là et pourtant nous échappait, on ne pouvait l’atteindre. La liberté, voilà ce qu’elle incarnait. Cette fille-là, tu ne pouvais pas la rater. Elle faisait rêver, remuant sur cette musique saccadée, elle donnait l’impression de la fabriquer avec le mouvement de son corps et de sa robe pleine de légèreté qui était si près de sa chair. Je m’étendais dans le sable, si humide et inconfortable, je ferais tout pour elle. La lune était nette, ronde, elle brillait, l’illuminait. Elle devenait sainte dans cette nuit noire et dangereuse. Adorable et vivifiante. Elle écoutait encore et encore son cœur sur ce rock’n’roll qu’elle pensait fait pour l’amour. L’amour de quoi ? Elle s’assit, épuisée de sa danse. Pris ce petit sac qu’elle avait toujours avec elle. Elle s’en roulait un, le troisième de la soirée. Elle se calma et respira profondément.
      -          Tu cherches quoi exactement ? Je la regardais sans comprendre. A qui elle s’adressait ? Elle regardait la mer, ou plutôt essayait de la deviner, la marrée était basse. La nuit était trop écrasante pour que l’on puisse voir quoi que ce soit, seule la lune nous guidait.
      -          Je veux dire par-là, dans ta vie, tu veux ressentir quoi ? J’ai des ambitions, je sais que je peux faire peur, je touche à toutes les drogues, je suis jeune. Je ne suis pas majeure. Je fais croire que je ne veux rien, que je peux me démerder seule, parce que je suis une femme, pure féministe. Dans ma tête, nous sommes encore dans les années 60, les femmes séduisantes, les femmes fortes. Ouais, c’est ce que je suis au fond. Mais, ce que je veux aussi, c’est pouvoir avoir de grands rêves, une belle destinée. Dis, tu crois vraiment en l’amour ? Je ne parle pas seulement des plans que l’on peut avoir chaque soir dans les bars, mais de l’amour pour chaque chose, l’art, la musique, les rêves et le tabac. Je suis persuadée que ce que je ressens, c’en est. Je suis bien incapable d’aimer une personne. Toi par exemple, tu es là, près de moi, mais il faut que tu saches que je n’ai aucune confiance. Je te protégerais, te défendrais devant n’importe qui parce que tu m’accompagnes chaque jour dans ma débauche, mais je ne t’aime pas de cet amour pur. Je ne crois pas en ces romans à l’eau de rose, à ces histoires de conte de fée. Ce que je veux seulement c’est continuer à ressentir cet élément que je pense pouvoir admirer quelquefois en fumant et en écoutant une mélodie. Mon cœur s’emballe que dans ces instants de pur plaisir. Elle semblait ailleurs quand elle parlait, pendant de longues minutes j’attendais et l’observais en voulant saisir ce qu’elle disait, finalement, elle finit par me demander : « Et toi alors, tu perçois quoi de ce sentiment ? »
      Je prenais conscience avec beaucoup d’amertume de ce qu’elle venait de me révéler. Elle ne m’aime pas, elle peut accepter ma présence, mais elle ne ressent rien. Je n’hasardais plus de lui donner ma réponse, parce que moi au fond, ce que je ressens c’est de l’amour. Juste pour elle. Je déteste tout ce qui m’entoure. Manger, m’occuper des autres et de leur vie inintéressante, de sa drogue que je prenais seulement pour me sentir proche d’elle, rien, en fin de compte, rien à part elle. Oser lui dire, jamais. Comment allait-elle le prendre ? Je l’aime sincèrement, d’un amour profond, celui d’une amitié qui ne pourrait jamais quitter mon cœur. Alors je continuerai à jouer cette comédie, qui finirait par me plaire. Boire à n’en plus finir, fumer un peu, et vomir tout le reste de la nuit. Terminer par s’endormir. Regretter  le matin, manger un peu de pâtes, sans rien, pour ne pas grossir. Recommencer. Nous allâmes un peu plus près de la mer, là, où il y avait seulement l’obscurité. Nous nous allongeâmes, dégageant sous nos corps les galets trop pointus ou inconfortables pour nous créer un cocon, l’endroit où nous ne voudrions plus dégager nos membres, et surtout notre esprit qui s’éloignait et s’élevait. Nous étions seules face à la nature, loin de toutes constructions humaines et cela nous faisait enfin du bien. Nous ressentions les vagues vibraient dans les galets, on se laissait emporter par cette mer qui remontait lentement. On écoutait le bruit de la houle s’accouplait avec celui de nos respirations, on se fondait parfaitement dans cette nature agile et paisible. En fin de compte, on a le droit d’être paisiblement en colère contre le monde. En observant cette nature capricieuse, nous pouvons nous apercevoir que de temps à autre, malgré une sagesse exemplaire, nous pouvons être destructeurs et calomnieux.
      La fin des vacances arrivait, je venais de quitter celui que je n’aimais pas. Je cherchais où loger pour pouvoir reprendre mes études. Hypokhâgne. Quel choix. Fini la vie de bohême, à rêver d’elle, voir mon ange toute la nuit auréolée par la lumière jaune et sale de notre bar. Maintenant, je devais être sérieuse, travailler, m’ouvrir aux autres pour me faire des contacts, tout ce que l’on fait habituellement. Hypokhâgne. Ce mot qui sonne comme une prison. Et pourtant j’y suis allée avec beaucoup d’ambitions et de regrets à la fois. Qu’elle merde cette vie qui ne nous laisse plus le choix de vivre ce que l’on désire réellement, c’est-à-dire elle. Alors j’y suis allée, je m’épanouissais entre ces livres épais et ces gens ennuyeux. Ils m’amusaient. Ils avaient l’air ridicule en ce donnant une prestance intelligente alors qu’ils déblatéraient des conneries à longueur de journée. Je rentrais tous les soirs épuisées, je mangeais les deux trois trucs qui trainaient par-ci par-là et m’enfermait dans ma chambre. J’écoutais sa musique, et ne pensais qu’à elle. Un mois déjà, et plus aucune nouvelle, qu’est-elle devenue ?  De toute manière quelle importance, elle, pense-t’elle à moi ? Je continuais à vivre sans ma vie, désespérément, ma tête éclatait tous les soirs dans cette petite chambre aménagée provisoirement. Je prenais des médicaments, à ce moment c’est ce qui me calmait, lors de mes crises de panique, de mes détresses sans fin où seule la folie me dirige. Parfois même je buvais, en même temps, espérant qu’un événement se passe, que je trépasse. Je décidais, au mois de décembre, d’arrêter les cours, cela me faisait trop mal de continuer, de plus elle paraissait toujours comme morte à mes yeux. Je pris une feuille, près de moi, et j’écrivis, j’écrivis sans relâche tout ce qui me tourmentait et me traversait l’esprit, en buvant un bourbon pur et mangeant des chips sans goût. La frénésie me prenait, je mis Hannibal, sur un fond de Marilyn Manson, j’occupais ainsi mon esprit, ne sachant plus que penser, mes écrits ne voulaient plus rien dire, mes mots ne ressemblaient à rien, je continuais ainsi encore et encore. Soudainement prise d’une crise, j’avais déjà pris trois anxiolytiques et un somnifère, mais rien n’y faisait, je m’extirpais de mon lit, m’habillais d’une manière qui n’avait rien de naturel, un tee-shirt déchiré par-dessus un corset de velours associés d’une jupe écossaise courte, je pris mon téléphone, et composai ce numéro, le sien, elle ne répondit pas, je ne fus pas plus surprise que cela, et je m’écroulai sur le sol, d’une position fœtale, je voulais mourir ainsi, elle ne voulait délibérément plus de moi, s’en était fini. Mes yeux finirent par se clore.
       
      Le lendemain, en me redressant de ce sol dur et froid, je compris. Ce soir, c’est sortie. Je n’en peux plus de cette vie monotone et trop quotidienne à mon goût. Tournée des bars, je trouverais bien quelque personne à qui parler et chez qui dormir. Je choisis ce bar, celui que je n’aimais pas en général, trop de monde, trop de bruit, trop de lumière éclaboussante. Je pris ma demie, je suis un peu sur la paille en ce moment, et sortie m’assoir sur le rebord de la devanture. Je buvais dans le froid de l’automne. Ce vent qui me rappelle ma danseuse. Je levais les yeux, regardais le ciel, on voyait la croix de l’église saint Jo briller dans le ciel, est-il là pour me guider ? Me parler ? Il était déjà là, la dernière fois que je l’ai vue. Ce christ surplombe cette ville impie. Le mérite-t’elle ? Je vis un groupe de gars qui me disait quelque chose. « Salut les mecs, ça va ? ». En effet, celui à ma droite est son meilleur ami. Chanceux. Je n’osais pas lui en parler. Et, merde, lui l’entreprend. « J’ai vu Nina il y a un quart d’heure, saoule à son habitude mais heureuse comme une furie. ». Je lui répondis avec nonchalance que j’étais contente pour elle, mais que je m’en moquais. On parla encore un peu, mais on ne se connaissait pas vraiment. Il se foutait de moi, comme moi de lui. Une fois que j’étais sûre d’être bien seule et que personne ne me suivait, je partais pour la retrouver. Le Mac. Elle y est sûrement si elle fut ici un instant auparavant. Courir. Courir à l’affut de chaque signe qui  pouvait me la rappeler, me dire qu’elle avait été là quelques instants auparavant, dans ce quartier Perret, bétonné et linéaire, où il était difficile de se perdre, cette ville emplie d’une modernité, qui n’avait rien des petites rues moyenâgeuses que d’autres quartiers pouvaient avoir. Tout s’entrechoque en moi, son nom, ce verbe, l’alcool n’aide pas dans ce type de moment, surtout lorsque l’on s’est fait offrir quelque pinte par de charmantes personnes, mais seuls ces mots cognaient dans ma tête, je me concentrais seulement sur mon envie de la revoir. Et je la voyais, enfin, toujours vêtue de son air de nonne sournoise. Je vivais. La pression de mon cerveau se détendit. Je la pris dans mes bras sans lui donner le délai de comprendre ce qui lui arrivait, elle me regarda, sans réaliser réellement que je me trouvais devant elle, le temps n’était pas le même pour elle, une semaine, un mois, un siècle seraient identique dans sa bulle. Sa chopine dans ma main, je la bu d’une traite et l’emmena avec moi sur ce bord de mer pour retrouver cet instant de plaisir qui était plus fort qu’un orgasme. Elle me suivait, je crois que cela l’amusait, et qu’elle ne voyait pas avec qu’elle sévérité je la tenais par le poigné. Je ne voulais pas la lâcher, elle devait me suivre. A peine arrivée que je lui exposais d’emblée mon propos avec de la tempérance et de l’entrain.
      -          Ecoute Nina, écoute-moi bien, et ne t’enfuis pas, je t’en supplie, veux-tu tout plaquer pour venir avec moi ? Es-tu prête à faire certains sacrifices pour partir loin, sur ma bécane, celle que tu adores celle qui te fait penser aux anciens temps ? Es-tu d’accord pour fuir et voyager dans la montagne, je te montrerais le paradis et nous serons bien là-bas, tu sais, j’ai quelques économies à nous deux ça suffira. Acceptes-tu de découvrir le pays, tous les pays ?
      Je ne lui laissais plus le temps de répondre, je m’exprimais sans pouvoir m’arrêter, sans le vouloir. Elle me regarda, ébahie, interloquée, me sourit, et me dit enfin qu’elle le désirait, mais qu’elle craignait que l’on ait des problèmes, que l’on soit recherchées. Mais, qu’est-ce qu’elle racontait ? Elle savait, tout comme moi, que rien ne nous retenait ici. Nous prîmes alors le tram pour aller chez elle, prendre les choses les plus importantes, il fallait être méthodique, malgré les portes bagages et les sacs-à-dos dont j’étais dotée pour ma moto nous ne pouvions nous charger de choses futiles. Quelques vêtements chauds, son blouson en cuir, une gamelle, un réchaud, des couverts et des couvertures. Je mis dans la poche interne de mon cuir, celle côté cœur, le roman  que j’affectionnais particulièrement en ce moment. Tout était prêt. Demain sera le grand départ. A la « Easy Rider ». Ensemble nous avions un petit paquet d’argent, on était heureuse, heureuse et fière de se dire que l’on pouvait se le permettre et que nous serions bien là-bas, dans cet ailleurs qui nous est encore totalement inconnu mais que nous adorions déjà d’une véhémence folle. Je lui expliquais jusqu’à une certaine heure pas mal de consigne pour se tenir sur la moto, si elle voulait se reposer, ou communiquer avec moi. On alla enfin se coucher, la dernière nuit dans cet appartement qui contenait de nombreux souvenirs, demain sera le grand jour, notre grand jour. Nous pourrions dire adieu à cette ville, adieu à ces ennuies que nous pourrions oublier. Demain sera le début de la liberté. 
      -          Tu es prête ? Tu as mangé un peu ? Veux-tu toujours partir avec moi ?
      Je n’avais pas besoin de lui poser ces questions, je le voyais à ces vêtements et les sachets vides éparpillés sur la table, qu’elle l’était. La moto se trouvait déjà en bas, une BSA Gold Star, l’héritage de mon grand-père, c’est lui qui m’a donné cette passion. J’ai été la chercher un peu plus tôt dans la matinée, je préférais qu’elle se repose encore, je me suis réveillée tôt, ce qui était rare, mais l’excitation est telle, que je ne pouvais plus rester en place.  Elle me fit un signe de la tête, et nous descendîmes l’escalier crasseux, obscurci par les graffitis et les ampoules grillées. Nous faisions un bruit immense qui se multipliait par la cage métallique et la hauteur de l’immeuble. Arrivée devant la moto, j’installais tout pour que ce soit le plus confortable possible, mais cette machine datée des années 60, l’année où sa production s’achèvera. Elle se constituait de deux chambres à air d’origine et d’une selle fine que nous devrions nous partager à deux. Les passants, qui allaient au travail, nous regardaient d’un œil sournois et hypocrite n’acceptant pas de montrer leur envie. Nous ne nous occupions de rien autour de nous, le large trottoir nous permettait de nous éparpiller un peu sans gêner qui que se soit. Je vérifiais encore quelques bricoles pour être sûre de ne pas rater ce départ inespéré. Nous montâmes sur l’engin, fit un signe à Nina, j’appuyais sur l’accélérateur et nous quittions ce trottoir, puis cette rue, ce quartier et enfin cette ville. Nous prenions les routes de campagnes, plus sûres pour ma Gold Star, elle pouvait pointer jusqu’à 180 km/h environ mais je ne voulais pas la bousiller, on n’était pas à Bonneville non plus. La première heure se passait sans encombre, nous étions sur les routes encore belles et larges de la périphérie des villes que nous contournions. Je ne voulais pas prendre le grand pont, alors nous faisions un détour, mais peu importe, ce qui nous intéressait c’était de voir pour une dernière fois cette Normandie qui dans les alentours de cette ville était somme toute plutôt agréable mais tant pis notre choix est fait, nous voulons voyager. Visiter des « ailleurs » comme nous les appelions.




      Je vous partage le premier jet d'un écrit qui je l'espère deviendra un jour un roman. J'aimerais connaître vos avis dessus. Soyez indulgent par rapport aux fautes s'il vous plaît...