Les trois côtés d'une pièce : Quelques jours à Moscou.

 
  • Matilda

    Collectionneur de pages

    Hors ligne

    #1 30 Mai 2010 23:18:46

    En Russie, il est d'usage d'utiliser un diminutif pour nommer des amis proches ou collègue ; Sergueï devient Serioga ou Serojia ; Anastassia devient Nastia.

    Pour nommer officiellement quelqu'un, on ajoute à son nom et prénom un patronyme qui vient s'intercaler entre les deux ; ce patronyme est le prénom du père et décliné au féminin ou masculin. Par exemple Sergueï Mikhaïlovitch, dont le père se nomme Ivanov sera appelé Sergueï Ivanovitch Mikhaïlovitch. De la même façon Anastassia Mikhaïlovitch (on ne décline pas au féminin les noms de famille terminant par -itch) sera nommée : Anastassia Ivanovna Mikhaïlovitch. Et puisque on utilise très peu le M. Mme en Russie, on utilisera le prénom et le patronyme pour parler respectueusement à quelqu'un, par exemple : « Bonjour Anastassia Ivanovna. »

    Pour exprimer une relation d'amitié ou d'intimité plus spécifique on utilisera la forme superlatif -ïenk : Maria qui devient Macha en diminutif deviendra Mashen'ka. Alexandre qui devient Sacha se transformera en Sachen'ka.

    Jusqu'aux années 1990, les prénoms d'immigrés russes étaient traduits à leur enregistrement en France. Ainsi Sergueï devint Serge, Anastassia est devenue Annabelle (même si les deux prénoms ne sont pas équivalents, il devaient assez se ressembler pour l'employer chargé de l'enregistrement ce jour-là et Maria, Marie.

    Je m'excuse auprès des russophile du coin s'il y a des erreurs, signalez-le moi si c'est trop gros.




    1.

    « A quoi servirait des ailes à qui gémirait dans les fers ? Elles ne feraient qu'accroître son désespoir. J'étais comme le dragon qui couvre son trésor, dépourvu de toute consolation humaine, et misérable au sein de mes richesses ; je les maudissais comme une barrière qui me séparait du reste du monde. »

    Adelbert de Chamisso in L'étrange histoire de Peter Schlemihl.




    « On boit sa propre peine et on dirait qu'elle vous enivre »

    Fedor Dostoïevski in L'Éternel Mari.

    Et moi, qu'est-ce que je fais avec trois pièces ?

    C'était l'odeur qui était la plus insupportable. Un relent d'alcool bon marché noyé dans l'écœurante saveur du tabac froid. L'odeur que dégageait mon frère le jour de l'enterrement. L'odeur qu'il dégageait depuis plus d'un an, l'odeur qui avait commencé à l'habiter quand on avait diagnostiqué le cancer de Nastia.
    C'était les migraine qui nous avait alerté. Les migraines puis les évanouissements. Le verdict avait été sans appel, cancer du cerveau, inopérable et rapidement dégénératif. Nous avions alors vu notre soeur décliner un peu plus chaque jour. Ou en tout cas, je l'avais vu. Lui, le frère préféré de la mourante, n'avait pas la force de rester et préférait faire une visite ponctuelle pour se donner bonne conscience.
    J'avais donc vécu presque en tête à tête avec Anastassia pendant la courte année où elle avait déclinée. Ce n'était d'abord que de très fortes migraines, de l'inattention, puis des évanouissements, et enfin la perte totale de sommeil. Elle ne parvenait à fermer l'œil qu'une heure par jour, les médicaments ne parvenaient pas à l'assommer assez pour qu'elle puisse dormir sans se faire réveiller par une migraine lancinante. Puis elle commença à crier quand la douleur était trop forte ; à crier toujours plus fort pour surpasser la douleur et essayer de l'oublier. Elle en est ensuite venue à se taper la tête contre les murs, et à essayer de se suicider.
    Patiente, méthodique, je préparais ses médicaments, calmais les voisins dérangés par ses cris, et éventuellement étudiais lors de son heure quotidienne de sommeil. L'héritage touché à la mort de notre mère me permettait de ne pas travailler, mais j'aurais aimé pouvoir sortir de l'appartement quelques heures par jour pour respirer. Je l'aurais sans doute pu. Après tout Nastia ne se comportait pas en tyran et ne m'empêchait pas de mener ma vie, c'est moi qui avait arrêté la mienne pour elle. Le jour de l'annonce de sa maladie j'avais arrêté mes études de mathématiques et m'étais auto-proclamée garde malade de ma soeur. Au début, quand ses douleurs étaient supportables, nous avions l'impression d'être retournée en enfance et d'être en vacances ; ou tout du moins de vivre une enfance que nous n'avions pas eu en Russie à la fin des années 80. Nous pouvions nous lever à l'heure que nous voulions, partir nous promener toute la journée, écumer les vendeurs de DVD d'occasions et passer ensuite la soirée à visionner de mauvais films d'horreur avec de petits gâteaux tout chaud. Nous nous amusions aussi à nous balader dans les rues de Paris en parlant russe comme des petites vieilles crêpées de noir et buvant du thé en nous plaignant de la chaleur et etc ...
    Cet état de fausse insouciance et de gaité dura peut-être un mois et demi. Et même pendant ce mois où elle n'avait pas encore trop décliné, le frère chéri et adoré, ne montrait le bout de son nez qu'une fois par semaine, et encore. Quand il venait nous voir, je devais l'écouter se plaindre. Il avait la décence d'attendre que Nastia dorme pour me parler de sa grande souffrance, de son angoisse, de sa tristesse. Mais il n'avait pas la décence de m'épargner le spectacle de sa déchéance. Que je le fisse ivre mort ne lui posait aucun problème ; que je dusse m'occuper de ranger son appartement, de payer ses factures et d'expédier son courrier non plus. Je pouvais tout endurer. Parce que je n'avais pas étalé ma douleur en place public, c'est que j'étais forte et que je parvenais à gérer. Parce que je n'avais pas été égoïste comme lui, je n'avais plus la parole. Le premier qui pleure à gagné.
    Je devais donc m'occuper à plein temps d'une mourante et d'un grand bébé de vingt-sept ans. Ce que je supportais le moins encore une fois, c'était l'odeur qu'il dégageait. Cette odeur qui pour moi symbolisait le désespoir et la honte. La honte qu'il ne puisse avoir le contrôle de lui-même et donner une belle image de lui à Anastassia comme je le faisais.

    Le jour de l'enterrement, nous n'étions que quatre au cimeterre. Il n'y avait pas eu de cérémonie religieuse, et seul deux cousins éloignés du côté de ma mère s'étaient déplacés pour déposer une rose fanée sur le cercueil de Nastia. Elle était allergique au pollen me rappelai-je en voyant la fleur tomber dans la fosse, et je fus prise d'un fou rire incontrôlable.
    Devant la tombe encore ouverte de ma soeur je me mis à rire sans pouvoir m'arrêter. Les deux cousins ne restèrent pas longtemps, mais mon frère lui, resta pour exprimer tout le mépris qu'il  avait envers mon attitude. Je ne pouvais cependant m'empêcher de rire en pensant qu'Anastassia, qui avait toujours était au bord de l'asphyxie à la campagne, se voyait noyée sous une flopée de fleurs et autres végétaux et irait dormir au coeur de la terre.
    L'image de son corps amaigri se tordant sous les effets maléfique du pollen m'empêchait de penser à autre chose et de me ressaisir. Le tout dû bien durer une demi-heure, quand j'émergeais à nouveau, la fosse était presque comblée, et mon frère n'avait pas bougé de sa place, une cigarette se consumant au bout de ses longs doigts jaunes. Il me regardait avec colère, quand je repris enfin mon souffle entre deux hoquets d'hilarité. Et avant qu'il ne puisse me dire à quel point mon attitude était indigne :

    -Nasten'ka ne pense plus rien à présent, Sergueï, dis-je froidement. Que je ris sur sa tombe ne lui fait rien, pour une simple et bonne raison, elle est morte. Elle est morte et elle n'entend plus rien. Ni tes jérémiades, ni mes pleurs. Elle ne les entendais déjà plus ce mois dernier quand elle était même trop faible pour tenter de se suicider à nouveau.
    -Tu es ignoble ! S'exclama mon digne frère, titubant presque et se retenant sur une pierre tombale. A peine Nastia enterrée et déjà tu crache ton venin ! Tu peux bien faire croire à tout le monde que tu es gentille et dévouée, moi je sais bien comment tu es ! Tu ne penses qu'à toi et ne t'occupe que de toi !

    Un instant étourdie je ne pus répondre que lentement :

    -Je ne pense qu'à moi ? Je ne pensais qu'à moi quand je nettoyais ton vomi dans la maison de maman ? Je ne pensais qu'à moi quand je suis venu te chercher, deux fois, trois fois à l'hôpital après tes tentatives de suicides et tes comas éthylique ? Je ne pensais qu'à moi en tuant Nasten'ka ? C'est moi qui lui ai injecté une dose énorme de morphine pour stopper son coeur. C'est moi qui l'ait tenu dans mes bras quand elle est morte. C'est moi qui pendant un an l'ait aidé, soigné, supporté. C'est aussi moi qui pendant un an t'a materné. C'est moi qui ait écouté ta douleur, ta grande détresse et ta peur. Et après ça tu oses encore me regarder en face et me juger ?

    Sergueï, pendant toute ma tirade avait ouvert des yeux de hiboux. Visiblement il ne comprenait pas que je puisse, moi aussi avoir des sentiments à exprimer. Mais je ne le laissais pas le temps de me baragouiner une autre de ses répliques avinées.

    -Je ne veux plus te voir, lui assenai-je. Je ne veux plus sentir l'odeur immonde que tu dégages. Je ne veux plus passer des heures au téléphone à t'écouter geindre. Je ne veux plus nettoyer derrière toi. Je ne veux plus te préserver, car Anastassia est morte. Anastassia est morte et c'est moi qui l'ait tué, c'est moi qui ait accepté de tuer ma soeur parce que tu n'avais pas la force de le faire, ni d'être là. Que tu sois un lâche, je m'en fous. Mais ne viens pas me déverser tes larmes et ta si grande détresse, jamais plus. Tu es pathétique, incapable de penser à quelqu'un d'autre que toi. Et je suis fatiguée de m'oublier pour toi.

    Sans lui laisser le loisir de répondre, je tournai les talons et sortis du cimetière au pas de gymnastique, laissant mon frère pleurer. Encore.

  • Jyu

    Apprenti Lecteur

    Hors ligne

    #2 30 Mai 2010 23:58:32

    Alors là chapeau ! :clapi: J'aime beaucoup ! Le personnage principal me plaît !
    On sent qu'elle a refoulé beaucoup de sentiments "négatifs" durant l'année où elle s'est occupée de sa soeur mais qu'elle l'aimait aussi beaucoup pour ne pas le montrer, son frère n'arrangeant d'ailleurs rien les choses et qu'à la fin du texte, elle se lâche. J'ai aimé sa répartie ! Et Sergueï me fait l'effet d'un moins-que-rien !

    Et c'est sympa de nous avoir précisé l'info sur les prénoms russes. ;)
    Il y aura une suite ? :)
  • Miss Spooky Muffin

    Mange-mots

    Hors ligne

    #3 31 Mai 2010 09:08:11

    Une russophile (ou russophone plutôt) approuve ton explication - juste, euh, c'est pas plutôt Ivan le prénom ? Ivanov ça ne me dit rien.
    Sinon, l'histoire est sympa, un peu courte pour moi mais bien menée.

    Un bref check fautes: que je le fisse > visse, tu crache > craches, moi qui ait - moi qui t'a > ai, et accorder aidé, soigné au féminin.

    Bonne continuation !

    Dernière modification par Miss Spooky Muffin (31 Mai 2010 09:09:43)

  • Matilda

    Collectionneur de pages

    Hors ligne

    #4 31 Mai 2010 10:48:40

    Merci ^^ de donner votre avis.
    Miss Spooky mufin : Ivanov n'existe pas mais en patronyme ça devient Ivanov ^^ J'aurais peut-être dû le préciser ...

    Oui il y a une suite, et je l'ai déjà écrite ^^
  • Azariel87

    Chevalier des ouvrages

    Hors ligne

    #5 31 Mai 2010 10:53:10

    Bravo, j'aime bien c'est très sympa ! :)
  • Matilda

    Collectionneur de pages

    Hors ligne

    #6 31 Mai 2010 12:41:27

    Merchi ^^ fait plaisir d'avoir des retours parce que sur le site ou je publie c'est un peu mort ^^
  • Miss Spooky Muffin

    Mange-mots

    Hors ligne

    #7 31 Mai 2010 13:01:33

    Tu publies où si c'est pas indiscret ?
  • Matilda

    Collectionneur de pages

    Hors ligne

    #8 31 Mai 2010 14:27:12

    Je ne l'ai pas mis en lien parce que je ne savais pas si je pouvais faire de la pub. mais je publie sur L'encrier (tu trouveras un lien sur mon blog en dessous de celui de Livraddict ^^). Il y a des potterfiction (trois donc deux volumes d'une série), des nouvelles, des poèmes, etc ...
  • Miss Spooky Muffin

    Mange-mots

    Hors ligne

    #9 31 Mai 2010 16:11:08

    Je ne connais pas du tout mais c'est rectifié. J'espère que tu auras plus de retours alors !
  • Mr. Zombi

    Amant des romans

    Hors ligne

    #10 01 Juin 2010 08:59:30

    J'ai beaucoup aimé, c'est vrai que le sujet est pas forcément super joyeux, mais ça passe très bien. Chapeau :ok: