#155 30 Avril 2018 18:27:42
Mirmont a écritJ'ai vu sur ton profil que tu étais une lectrice de Dostoievski, auteur que je préfère à Tolstoï. Je n'ai lu que Crime et Châtiment et L'idiot (un de mes livres favoris) mais je préfère la narration de Dostoievski qui se concentre beaucoup sur la psychologie de ses personnages et leur vie intérieure.
Cela m'évoque le livre de Georges Steiner. Je partage ton avis sur ce point et me sens bien plus dostoïevskien que tolstoïen - mais c'est une question de tempérament, ce sont incontestablement deux immenses auteurs.
Merci en tous cas pour ces critiques (qui me rappellent ma honte de n'avoir pas encore lu une oeuvre de Thomas Mann - je compte bien réparer bientôt cette criminelle lacune !).
Merci pour le partage. J'ai adoré cette analyse des deux auteurs et de la raison du choix des deux romanciers russes par rapport aux romanciers français. J'ai juste un point de désaccord de Steiner avec son point de vue qui veut que "l'oeuvre mince se refuse à la vie". Je suis d'autant plus en désaccord que j'ai eu pendant plusieurs années ce même avis.
Sinon, j'ai fini Le secret de Wilkie Collins et je vais un peu m'attarder sur pourquoi j'apprécie cet auteur en invoquant Dickens dont il est proche (ils étaient d'ailleurs amis).
Dickens et Collins construisent leurs personnages de la même façon, c'est-à-dire à gros trait. Cela ne veut pas dire qu'ils sont écrits grossièrement mais que leurs traits de caractère s'imposent sans nuances aux spectateurs. Ainsi dans le secret, chaque personnage ne représente plus une personne mais des caractéristiques. L'oncle Joseph est l'innocence et le dévouement, Andrew Treverton est le misanthrope, Sarah Leeson est l'angoisse, etc... Ils sont des masques qui servent à l'histoire, oui, mais aussi à concentrer sur eux l'idée de la caractéristique humaine qu'ils incarnent.
Dickens a la même approche. Oliver Twist, Faggins, Sikes, Nancy (pour ne prendre que l'exemple du livre le plus connu de Dickens) sont tous des personnages dont les traits spécifiques sont très prononcés. Ils ont les caractéristiques des héros de notre enfance dont les qualités et les défauts sont exagérés.
Mais là où on ne prend pas de recul avec les héros pour enfants, les personnages de Dickens et Collins ne sont pas pris au premier degré. Ce qui permet aux deux auteurs de les utiliser pour dénoncer des traits de caractères, soit en s'en moquant soit en les poussant jusqu'au bout, et parfois aussi de les promouvoir.
Le directeur de l'orphelinat d'Oliver Twist était outrancier et cruel mais il était aussi ridiculisé par son auteur. De même dans Le secret de Collins, Andrew Treverton, par sa misanthropie extrême, devient un personnage ridicule. Et comment ne pas rire lorsqu'on lit au début du roman cette conversation entre le Dr. Chennery et Mr Phippen, où Mr Phippen n'écoute que d'une oreille l'histoire de son compagnon, cherchant la meilleur façon de s'installer pour ménager ses troubles d'estomac.
Si je cite souvent La dame en blanc de Collins parmi mes livres préférés, c'est principalement parce qu'il crée une héroïne et un méchant que j'aurais aimé créé moi-même. L'héroïne personnifie l'amitié, le bon sens et le courage. Tandis que que le méchant personnifie le machiavélisme, l'amoralisme et le bon sens (oui aussi, car dans cette histoire l'héroïne et le méchant sont des personnages aux même caractéristiques mais qui les utilisent dans deux buts diamétralement différents, l'un au profit des autres et l'autre à son profit).
Là où Dickens et Collins diffèrent c'est sur les intrigues. Là où Dickens écrit plutôt des livres sociétaux, d'apprentissage, Collins s'est tourné vers le policier et le suspens. Sauf que les intrigues de Collins souffrent un peu des années qui passent et l'intérêt qu'elles pouvaient soulever au moment de la parution du roman chute de nos jours. "Le secret" de ce roman manque un peu de sel par rapport aux milles intrigues tarabiscotées que la littérature a construites depuis (1000 points pour l'utilisation du mot "tarabiscoté"). Alors que les sujets de Dickens, en plus de leur vertu de témoignage du monde des miséreux d'Angleterre (ne pas oublier que Dickens fait apparaître des gens qui n'avaient pas beaucoup de place dans la littérature) gardent une actualité et une universalité dont Collins ne peut se vanter.
Dernière modification par Cachal_eau (02 Mai 2018 11:36:54)