MyFloXyBabY a écritEn même temps comme ça on tombera pas plus bas ! :goutte:
Et puis faut pas trop en attendre de ma part. Par exemple discuter de Balzac ce sera sans moi :tim:
Et pourquoi pas Balzac?
Sinon, j'ai fini Tous le hommes du roi de Robert Penn Warren. C'est effectivement un grand roman mais c'est aussi un roman très bavard. J'ai eu du mal avec certains chapitres que j'ai un peu lu en diagonale. Je dois avouer que je sèche un peu pour en parler. On suit un personnage principal, Jack Burden, ancien journaliste qui s'est mis au service du politicien Willie Stark. Mais ce n'est pas seulement ça. En effet on suit l'évolution de Stark dans le monde politique à travers Burden mais c'est surtout un livre sur ce dernier et les évènements de sa vie passé et leur répercussion sur le présent. Un grand livre.
"On est revenus à pied vers l'hôtel, et je ne la revis pas avant la sauterie d'Upton, si ce n'est une ou deux fois en coup de vent. Les choses n'allaient pas mieux. J'étais retourné en ville, laissant le candidat se débrouiller pendant une semaine ou deux, mais j'eus bientôt de ses nouvelles. La veille du grand barbecue, je le rejoignis par le train.
Upton était un coin paumé dans l'ouest de l'Etat. C'était là que se concentraient les voix paysannes qu'on comptait récolter en masse après la fête. Un peu au nord se trouvait la région où le charbon était roi et où les plus pauvres habitaient dans les cabanes de la Compagnie en priant pour avoir du boulot pendant au moins sept jours consécutifs. Une région idéale pour faire salle comble. Ces gens-là vivaient dans une telle misère qu'ils auraient fait trente bornes à pied pour une bouchée de viande fraîche s'ils en avaient encore eu la force, et que ça avait été gratuit.
Mon tortillard haletait, cahotait, faisait des embardées et des arrêts brusques, serpentait à travers les champs de coton puis stoppa soudain sur une voie de garage pendant une demi-heure, attendant je ne sais quoi. Je contemplais les rangées de coton convergeant vers un horizon qui paraissait mijoter au soleil, apercevant ça et là quelques pins désséchés. A la fin de l'après-midi, le train avançait désormais dans un paysage de souches et de buisson d'armoise. On s'arrêta devant une petite gare, une boîte jaune plantée au milieu de nulle part, derrière laquelle s'alignaient, comme tombées du ciel, des maisons qui n'avaient jamais connus la peinture. Mon regard suivait le petit chemin qui allait vers le centre de ce bled. Le train se remit en branle et je vis les arrières-cours des maisons, entourées de clôtures de planches ou de fils de fer, comme pour refouler ce pays accidenté, couvert de mauvaises herbes, qui semblait prêtes à engloutir les bâtiments et à recouvrir leurs toits. Ces maisons ne paraissaient pas à leur place ici, elles étaient jetés là au hasard, sur le point d'être abandonnées. du linge pendait sur une corde, mais les habitants allaient fuir et sans doute le laisseraient-ils comme ça. Ils n'auraient pas le temps de l'emporter. Bientôt il ferait noir, ils avaient intérêt à se dépêcher.
Comme le train s'éloignait, j'aperçus une femme - seulement sa silhouette car je ne distinguais pas son visage - qui sortait d'une des maisons, une casserole à la main. Elle la vida dans la cour, ce qui provoqua un éclair argenté à la lueur du soleil couchant, puis elle retourna se claquemurer dans sa cahute fragile dont le plancher n'était guère plus épais qu'une plaque de carton, posée à même le sol. Les murs et le toit ne valaient pas mieux, uniques et frêles remparts contre le monde ; malgré tout, ce qui se cachait derrière demeurait invisible, et la femme s'était ainsi engouffrée dans le mystère de son intérieur.
Le train prit de l'allure, la femme avait disparu, cloîtrée chez elle à jamais. Brusquement, tu te dis que tu étais celui qui s'enfuyait, qu'il fallait te dépêcher d'atteindre ton but, quel qu'il soit, car il allait bientôt faire noir autour de toi. Le train fonçait à présent, mais il semblait se tailler un chemin dans un air dense, épais, résistant, à la manière d'une anguille dans une rivière de mélasse. Il luttait contre une implacable force magnétique qui pourrait soudain le propulser dans le vide. Tu te pris à imaginer que si la Terre se mettait à avoir un spasme, le train convulserait et basculerait sur lui-même, le moteur cracherait et suffoquerait tandis qu'ailleurs, une roue renversée tournerait dans le vide, continuant soigneusement sa colossale et onirique révolution.
Rien de tel ne se produisit. Dans un éclair te revint le souvenir de cette femme qui n'avait pas même daigné lever les yeux. Puis tu l'oublias et le train prit de la vitesse, ne ralentissant pas en traversant un petit pont à tréteaux. Tu aperçus une étendue d'eau pure, métallique, parfaitement lisse sous le ciel de fin de journée; plus loin une vache, les pattes dans la rivière se rafraîchissait sous l'unique saule qui bordait les berges. Tout d'un coup tu as eu envie de pleurer. Mais le train filait et, dans sa course, t'arrachait pensées et sentiments."
Désolé d'avoir posté un extrait aussi long mais je le trouve représentatif de la richesse et de la qualité de l'écriture de Warren tout en démontrant le petit défaut que je peux lui reprocher (si on peut qualifier cela de défaut); c'est-à-dire d'être un peu bavard.
Pour ma prochaine lecture, je commence La preuve d'Agota Kristof aux éditions Points. C'est la suite du livre Le grand cahier que j'ai lu un peu plus tôt dans l'année.