Une Arme de Réflexion Massive pour un chemin vers soi
L'homme est quelque chose qui doit être surmonté.
<image> Le lien que j’ai avec Nietzsche est un peu singulier… Il m’a toujours en quelque sorte « attiré » sans savoir pourquoi, j’ai toujours eu l’intime conviction que je devais le lire mais je n’osais pas ! La philosophie m’a très longtemps intimidé ! Puis on m’a ouvert une ou deux portes que j’ai saisies… Mais en évitant bien de lire Nietzsche malgré tout, toujours intimidé. Et puis la vie (sans blague, mais c’est une autre histoire) m’a littéralement mis Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche dans les mains. Et c’est ainsi que j’ai fait le grand plongeon…
Auquel j’ai survécu puisque j’ai voulu profiter du confinement pour le relire ! :D
Mais d’abord, le devenir de ce temps de lecture :
Ainsi parlait Zarathoustra est une œuvre philosophique magistrale. Elle a bouleversé la pensée de l'Occident. "Nietzsche démolit, il sape", disait Gide. Il remet définitivement l'homme en question.
Poète-prophète, Zarathoustra se retire dans la montagne et revient parmi les hommes pour leur parler. Sa leçon essentielle : "Vouloir libère." Son leitmotiv : rejeter ce qui n'est pas voulu, conquis comme tel, tout ce qui est subi. C'est le sens du fameux : "Deviens celui que tu es." La vertu est souvent le droit du plus faible, elle paralyse tout, désir, création et joie. Le surhomme nietzschéen est celui qui a la plus grande diversité d'instincts qui s'opposent puissamment mais qu'il maîtrise. La pensée de Nietzsche est un défi permanent. Elle échappe à tout système politique.
Presque aussi connu pour sa moustache que pour ses idées, Nietzsche est un cas particulier sur bien des points. Loin de moi l‘idée de vous comptez son histoire (non moins intéressante que sa pensée pourtant), mais il est un homme dont on a souvent une idée erronée tant du personnage que de ses idées sans doute pour plus d’une raison : un visage au regard sombre et dérangeant, sa fin de vie (hypocondriaque, au bord de la folie), une philosophie très différente de la plupart de ses contemporains mais très ambitieuse, souvent cité par des idéologies qui l’ont (très) mal interprété (nihilisme, fascisme…)… Tout ça donne souvent une image bien sombre si on ne se penche pas un peu sur son cas.
<image>Mais loin de moi, l’idée d’en donner l’image d’un tendre non plus !
Non car d’après Nietzsche, il faut détruire afin de créer !
Détruire les notions de morale héritées du passé (de la « chrétienté », des penseurs précédents) et se construire une morale (immorale pour l’actuelle mais une morale) qui nous correspond : notre propre morale afin de vivre, se construire, s’affirmer soi-même et s’élever au-delà de ce que l’homme est avec les croyances (de la « chrétienté » et des penseurs précédents), c’est-à-dire limité, dépendant…
Méfie-toi des bons et des justes, ils aiment à crucifier ceux qui s'inventent leur propre vertu.
Oui annihiler la notion de « bien et mal » que nous connaissons pour promouvoir une pleine pensée par soi-même : rien que ça !
Il prône une certaine « éthique de la joie » mais qui nous soit propre : aimer la vie mais pas d'une quelconque façon nous ayant été dictée par d'autres.
Et je vais freiner quand même sinon, je vais me lancer dans une thèse. :D
Voyez les croyants de toute foi ! Qui haïssent-ils le plus ? Celui qui brise les tables de leurs valeurs, le destructeur, le criminel.
Mais celui-là, c'est le créateur.
Avant de parler de ce livre en particulier, un petit mot rapide à propos du « vrai » Zarathoustra (pas celui de Nietzsche) me semble nécessaire…
Zarathoustra était un « prophète » (fondateur du zoroastrisme), un réformateur religieux de l'ancien Iran (Perse). Celui qui est à l’origine de l'introduction du monothéisme en Perse ainsi que des dualités lumière-ténèbres, Dieu-Diable, bien-mal. Zarathoustra renversa les anciens cultes perses et présenta un code de « bonne conduite ».
Il faut savoir que l'influence de la religion iranienne sur la chrétienté est étonnante : les notions de Sauveur, de Résurrection des morts, de Paradis et Enfer, d’anges et de démons, de Dieu le père ainsi que la lutte éternelle du Bien et du Mal et une certaine austérité/pénitence permettant de libérer les croyants…
Appréciant l’ironie, Nietzsche utilise en 1885 le nom de ce personnage « historique » pour un personnage littéraire qui son exact opposé : Zarathoustra de Ainsi parlait Zarathoustra ! Car le Zarathoustra de Nietzsche, lui se dresse contre ce dualisme entre Bien et Mal, contre cette religion responsable de l’obscurantisme (notamment européen).
Nietzsche aimait comprendre les choses, retourner à leur source pour mieux les percevoir jusqu’à leurs origines ! Il est donc tout naturel qu’il en soit retourné aux sources de la chrétienté pour extraire un personnage comme Zarathoustra, « responsable » de ce qu’il reproche à la chrétienté, à la religion.
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Alors il ne faut pas se voiler la face, Zarathoustra n’est qu’un « pseudonyme » adopté par Nietzsche pour amener ses idées et se présenter en réformateur à son tour : un réformateur de la pensée décadente afin de libérer l’homme pour l’amener à se retrouver lui-même et se recréer pour devenir le surhomme/surhumain.
L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhumain, - une corde sur l'abîme.
Il est dangereux de passer de l'autre côté, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière - frisson et arrêt dangereux.
Ce qu'il y a de grand dans l'homme, c'est qu'il est un pont et non un but, ce que l'on peut aimer en l'homme, c'est qu'il est un passage et un déclin.
Après cette trop longue mais nécessaire introduction, j’en viens au livre en lui-même, bien que pas mal d’éléments aient été amenés et présentés dans cette introduction.
De ce livre, peut-être sans le savoir, vous en connaissez sans doute certaines citations célèbres. Pour ne citer qu’elles :
- Dieu est mort. (même si on ne la retrouve pas que dans celui-ci)
- Deviens qui tu es ! Fais ce que toi seul peut faire. (probablement la plus proche de l’essence de ce livre)
- L’homme a besoin de ce qu’il y a de pire en lui s’il veut parvenir à ce qu’il a de meilleur.
- Plus tu t’élèves, plus tu parais petit aux yeux des envieux.
- Qui trop combat le dragon, devient le dragon lui-même.
Comme je l’ai dit c’était donc une re-lecture. La première fois que je l’ai lu, cette lecture m’a fait l’effet d’un coup de masse, ça m’a assommé (mais pas de sommeil). Et en la terminant, j’avais déjà en tête que je la relirai plus tard car c’est le genre de livre qu’on pourra lire 15 fois, chaque fois on percevra et accrochera sur des passages différents, donnant une réflexion qu’on n’avait pas eu lors de la lecture précédente.
Je l’ai donc relu et je ne peux que confirmer. Des tas d’éléments supplémentaires sont venus se greffer à mes réflexions en le lisant. Oui ce livre est avant tout une critique vis-à-vis de la religion et de la chrétienté mais bon nombre de ses facettes et de ses nuances peuvent interpeller à bien d’autres degrés que simplement religieux…
C'est une lecture toujours aussi éprouvante mais même si bon nombre des propos de ce livre peuvent laisser pantois (surtout la première fois), ils n’en sont pas moins propices à la réflexion (personnelle ou générale) et au recul sur notre (propre) perception des choses qui nous entourent ou qui nous concerne personnellement.
Et comme la première fois, je trouve ce livre saisissant de modernité pour un livre qui a plus de 130 ans. Les propos de Nietzsche semblent d’une justesse folle par moment… et sur de nombreux sujets, y compris certains qu’il n’a pas connu lui-même… En effet, le monde moderne n’est peut-être plus aussi « chrétien » que celui que notre moustachu allemand a connu, d’autres « dieux » sont arrivés entre temps auquel son discours s’applique tout aussi bien…
Mais la pensée est une chose et l'action en est une autre, et une autre encore l'image de l'action. Entre elles ne passe pas la roue de la causalité.
Une image fit blêmir cet homme. Il était à la hauteur de son action quand il la fit : mais une fois qu'il l'eut faite il ne put en supporter l'image.
Il ne cessait désormais de se voir comme l'homme d'une seule action. Ceci, je le nomme folie : l'exception chez lui, est devenue son être, elle s'est muée en son essence.
La ligne tracée hypnotise la foule ; le méfait qu'il a commis a hypnotisé sa pauvre raison - Ceci je le nomme la folie après l'action...
(celle-ci me fait penser en partie aux réseaux sociaux par exemple)
Ou encore
Tu es jeune et tu désires femme et enfant. Mais je te demande : es-tu un homme qui ait le droit de désirer un enfant ?
Es-tu le victorieux, vainqueur de lui-même, souverain des sens, maître de ses vertus ? C'est ce que je te demande.
Ou bien ton vœu est-il le cri de la bête et de l'indigence ? Ou la peur de la solitude ? Ou la discorde avec toi-même ?
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Ma réflexion va paraître étonnante, voire peut-être idiote mais il est important de ne pas lire cette histoire de Zarathoustra au premier degré… Sinon non seulement vous risquez d’arrêter votre lecture très vite ou vous ne lirez pas la moitié du livre sans en avoir ras-le-bol mais surtout vous passerez à côté des messages et de l’importance de la pensée de Nietzsche.
Quand je parle de style pouvant être lourd, pour vous donner une idée voici le premier paragraphe du livre :
Lorsque Zarathoustra eut atteint sa trentième année, il quitta sa patrie et le lac de sa patrie et s’en alla dans la montagne. Là il jouit de son esprit et de sa solitude et ne s’en lassa point durant dix années. Mais enfin son cœur se transforma, — et un matin, se levant avec l’aurore, il s’avança devant le soleil et lui parla ainsi :
« Ô grand astre ! Quel serait ton bonheur, si tu n’avais pas ceux que tu éclaires ?
Depuis dix ans que tu viens vers ma caverne : tu te serais lassé de ta lumière et de ce chemin, sans moi, mon aigle et mon serpent.
Mais nous t’attendions chaque matin, nous te prenions ton superflu et nous t’en bénissions.
Voici ! Je suis dégoûté de ma sagesse, comme l’abeille qui a amassé trop de miel. J’ai besoin de mains qui se tendent.
Je voudrais donner et distribuer, jusqu’à ce que les sages parmi les hommes soient redevenus joyeux de leur folie, et les pauvres, heureux de leur richesse.
Voilà pourquoi je dois descendre dans les profondeurs, comme tu fais le soir quand tu vas derrière les mers, apportant ta clarté au-dessous du monde, ô astre débordant de richesse !
Je dois disparaître ainsi que toi, me coucher, comme disent les hommes vers qui je veux descendre.
Bénis-moi donc, œil tranquille, qui peux voir sans envie un bonheur même sans mesure !
Bénis la coupe qui veut déborder, que l’eau toute dorée en découle, apportant partout le reflet de ta joie !
Vois ! cette coupe veut se vider à nouveau et Zarathoustra veut redevenir homme. »
Ainsi commença le déclin de Zarathoustra.
(la suite si vous voulez tenter un peu plus loin)
Vous venez donc de le comprendre également en lisant ce passage, ce livre c’est un style littéraire, c’est une plume, c’est une forme certes lourde mais bougrement enthousiasmante, autant le dire le plus souvent c’est une frappe !
La chose qui m’avait déjà saisi la première fois et à nouveau cette fois-ci, c’est à quel point sa plume donne une lecture qui « taillée » pour l’oral : rien qu’en la lisant, vient l’envie de lever le poing par instant tant les termes frappent, percutent avec un ton porteur, criant, clamant, …
Par bien des chemins et bien des manières, je suis parvenu à ma sagesse : ce n'est pas par une seule échelle que je suis monté à la hauteur, d'où mon œil plonge dans mes lointains.
Et ce n'est que de mauvais gré que je demandais mon chemin, - cela allait toujours contre mon goût! Je préférais interroger et essayer les chemins moi-même.
Une tentative et une interrogation, voilà ce que fut ma marche, - et en vérité il faut aussi apprendre à répondre à une telle interrogation! Mais cela, - c'est mon goût :
- ni bon, ni mauvais goût, mais mon goût, dont je n'ai plus honte et que je ne cache plus.
"Or ceci est - mon chemin - , où est donc le vôtre?" Voilà ce que je répondais à ceux qui me demandaient "le chemin". Le chemin, en effet, - il n'existe pas!"
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Malgré une attitude pouvant paraître misanthropique de son vivant, Nietzsche garde espoir en l’homme et son devenir.
Car au final que fait Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra ?
Il nous parle de l’être humain, il nous parle de nous…
- L'un va auprès de son prochain, parce qu'il se cherche lui-même, et un autre parce qu'il aimerait se perdre. Votre mauvais amour pour vous-même fait pour vous de la solitude une prison.
- Or votre esprit a honte d'être soumis à vos entrailles, et pour fuir sa propre honte, il suit des chemins détournés et trompeurs.
- Qui ne sait mentir ignore ce qu’est vérité.
- Se taire est pire encore ; toutes les vérités tues deviennent vénéneuses.
- Que l’on ne confonde pas : les acteurs meurent de n’être pas loués, les vrais hommes de n’être pas aimés.
- Avez-vous du courage, ô mes frères ? Êtes-vous résolus ? Non pas du courage devant des témoins, mais du courage de solitaires, le courage des aigles dont aucun dieu n'est plus spectateur ?
- Quand la paix règne, l'homme belliqueux se fait la guerre à lui-même.
… mais souhaite surtout nous faire changer de mentalité, évoluer, grandir, nous élever.
- A certains hommes tu ne dois pas donner la main, mais seulement la patte. Et je veux que ta patte ait aussi des griffes.
- Souffrir de la solitude, mauvais signe : je n’ai jamais souffert que de la multitude
- La douleur est aussi un plaisir, la malédiction est aussi une bénédiction, la nuit est aussi un soleil, - allez-vous-en ou bien apprenez-le : le sage est aussi un fou.
- Il faut apprendre à s'aimer soi-même, c'est ma doctrine, d'un amour entier et sain, afin de demeurer fixé en soi au lieu de vagabonder en tous sens.
- Et ceux qui dansaient furent considérés comme fous par ceux qui ne pouvaient entendre la musique.
En attendant la prochaine re-lecture... :cool:
Rêver de la vie, c'est justement ce que j'appelle : " être éveillé ".