Trois derniers ouvrages lus<image>-
La Plage de Scheveningen,
Paul Gadenne (1952). Voici un grand écrivain qui n'est malheureusement que peu lu aujourd'hui (un seul de ses ouvrages était enregistré sur Livraddict lorsque je me suis inscrit). J'avais déjà particulièrement apprécié
L'Invitation chez les Stirl et
L'Avenue (un peu moins le
Vent Noir, en revanche). Dans la
Plage de Scheveningen, il est question de jugement, de trahison, de fraternité, de la difficile (impossible ?) communication entre les êtres, d'Abel et de Caïn, de meurtre et de cruauté, de réconciliation avec les Hommes et la tragédie ; le tout sur fond de guerre, d'Occupation et d'épuration. Gadenne (Arnoult dans le livre) y évoque notamment Brasillach (Hersent) qu'il a fréquenté plus jeune. C'est bien écrit, c'est très intelligemment construit et c'est d'une grande profondeur - un petit bémol pour les amours malheureuses du narrateur avec Irène, intéressantes car au coeur de l'ouvrage et des thèmes abordés, mais qui ont eu tendance à m'ennuyer un peu. En tous cas, lisez Gadenne.
15/20.
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Lettres à Louise Colet,
Gustave Flaubert (1846 à 1848 pour la rédaction des lettres). Poétesse (de talent, parait-il) et pivot de la société littéraire parisienne sous la Monarchie de Juillet, Louise Colet a été éprise de manière particulièrement vigoureuse du jeune Flaubert - il avait 25 ans lors du début de cette correspondance enflammée, elle 10 de plus. Ce petit recueil édité chez Rivages Poche à deux particularités : il ne reprend que les lettres de Flaubert et s'arrête lors de leur première rupture (la liaison, et donc la correspondance, a repris brièvement bien des années plus tard). On y trouve un Flaubert, tendre, confident, volontiers rassurant mais ne pouvant jamais entièrement satisfaire l'amour débordant et passionnel que lui livre son amie. Semaine après semaine, le ton (que l'on devine) des lettres de Louise Colet se fait plus amer, plus pressant, et une rapide dégradation intervient dans leur relation malgré la patience infinie de Flaubert ; Flaubert qui toutefois fera vite comprendre en creux à Colet que seul l'art l'intéresse, que son travail littéraire est la seule chose qu'il met sur un piédestal, et qu'il n'est guère en mesure de répondre à ses ardentes sollicitations et supporter indéfiniment ses imprécations. Mise à part cette relation amoureuse asymétrique d'une banalité finalement confondante, ces lettres sont très précieuses pour les considérations que Flaubert développe au sujet de son rapport à l'art, à l'écriture, à la vie et - Flaubert oblige - par la superbe du style employé.
15/20. (Premier auteur cité par Régnier lu cette année, mon petit challenge personnel débute ici).
Je ne résiste pas à l'envie de restituer ici la toute dernière lettre de Flaubert à Colet, qui n'est pas dans ce livre (elle date de 1855) - lapidaire, cruelle et efficace :
Madame,
J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois, chez moi.
Je n’y étais pas. Et dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais.
J’ai l’honneur de vous saluer.
Ouch...
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- Œuvres complètes, Platon (IVème Siècle av. J.-C. - quelques siècles plus tard pour certaines oeuvres apocryphes). Après une année d'attente dans ma bibliothèque et trois mois et demi de lecture quasi-quotidienne, je suis enfin venu à bout de ce pavé (qui tutoie tout de même les 2200 pages !). Je sais gré à Flammarion et à Luc Brisson (qui a dirigé cette publication) d'avoir rendu cette lecture-fleuve particulièrement plaisante. Le parti-pris de cette édition a été de réunir tous les textes de Platon et ceux qu'on a pu lui attribuer faussement (45 écrits au total - d'Alcibiade à Sur la vertu - dont un bon tiers de textes apocryphes) avec le moins de notes possibles et avec des traductions élégantes, modernes, tout en restant le plus fidèle possible aux sources (traduction issues du travail de Brisson pour la collection GF pour la plupart - mais il y en a également des inédites). C'est parfaitement réussi : la lecture est fluide et le plaisir littéraire est indéniablement présent, sans enlever à l'intérêt philosophique proprement dit. Bien évidemment, les textes - qui vont d'une dizaine de pages à 350 pour les Lois - sont d'un intérêt inégal, mais les lire d'une traite dans un même volume permet de faire des rapprochements et des comparaisons, d'observer les évolutions, les récurrences, la profusion et la diversité des thèmes et styles employés, et - dans le cas des écrits apocryphes - de dégager certaines tendances et écarts dans la première réception de l'oeuvre platonicienne. L'édition est toutefois accompagnée d'annexes (d'un intérêt variable) et d'un fort utile (et fourni) index. Le défaut majeur de cette édition est la contrepartie de ses qualités : peu d'éléments de contexte et un ordre des textes purement alphabétique qui ne fait guère sens. Pour les amis de la maïeutique, de la métaphysique et de l'ironie socratique, cette édition semble parfaite pour une fréquentation régulière et je dirais plus littéraire que philosophique des textes mais néanmoins insuffisante pour une étude approfondie de Platon. Je vais compléter sous peu cette lecture par le Lire Platon de Brisson également, paru chez PUF. 19/20.