Un texte à ne pas mettre sous n'importe quels yeux

 
  • Jelisetalors

    Les doigts collés au papier

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    #1 05 Octobre 2018 15:47:31

    Bonjour,

    à l'instant, les mots sont sortis de mon esprits et je me suis mise à taper sur le clavier. Sans réfléchir, sans rien préméditer. La scène est venue toute seule, a coulé directement de mon esprit à une page Open Office. Je ne savais pas du tout de quoi j'allais parler, et les mots se sont presque écrits tous seuls.

    Ce qui va suivre est un peu violent, ici ce n'est clairement pas les Bisounours...


    C'est la première fois que j'écris quelque chose de ce style.
    Je n'ai rien corrigé, mais n'hésitez pas à me faire part de vos avis, je n'ai aucun problème avec ça.


    A plus, bande de lecteurs.
  • Jelisetalors

    Les doigts collés au papier

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    #2 05 Octobre 2018 16:02:40

    Elle était là, sur le sol, seule, prête à attendre que quelque chose se passe. Sa vie entière défilait sous ses yeux, les souvenirs se mélangeant pour former une sorte de film avec les pires et les meilleurs d'entre eux. Elle avait été heureuse, avant, en épousant cet homme qu'elle avait rencontré à la fin de leurs études de droit. Son avenir était tout tracé. Ils avaient choisi ensemble une petite maison proche du centre ville, afin de se rendre plus facilement au travail, dans un cabinet d'avocats très réputé. Il n'avait pas fallu longtemps à Angie pour tomber enceinte. Des jumeaux. Des perles, plus précieuses que n'importe quel autre caillou au monde. Ils faisaient partie de leur bonheur. Mais un jour, tout a changé.

    A la mort du premier, Angie était devenue l'ombre d'elle-même. Elle ne travaillait plus, ne mangeait pratiquement pas, ne dormait que quelques heures par nuit, vivait tel un fantôme. Son mari la tenait comme personnellement responsable de la mort de leur enfant. Elle qui n'avait pas su « le surveiller correctement ». Elle qui l'avait perdu de vue pendant cinq secondes. Cinq secondes pour qu'une voiture déboule à une vitesse folle. Cinq secondes d'inattention qui ont permis à Mathys de traverser en courant. Cinq secondes qui avaient scellé le destin du petit, et foutu en l'air la vie d'Angie et de sa famille. Pour elle, elle était morte ce jour là, en même temps que son fils.
    Depuis, elle endurait quelque chose de sournois, de dur, d'affreux, de complexe et qui pourtant, à certains moments, ne lui faisait ni chaud ni froid. Elle se disait qu'elle méritait tout ce qui lui arrivait. Qu'elle payait son erreur commise trois ans auparavant.

    Le premier coup l'avait surprise, mais lui avait fait ressentir deux sentiments contradictoires. La peur, tout d'abord, forte et tellement violente qu'elle avait débarqué avec une force décuplée, tout comme le coup de poing dans la mâchoire. Puis, quelques secondes après seulement, le soulagement. Comme si on lui arrachait une dent qui pourrissait depuis des lustres, sans l'anesthésier, afin qu'elle embrasse cette douleur de toute son âme de mère coupable. Quand les autres coups s'étaient mis à pleuvoir, au début, elle ne disait rien. Elle encaissait. En silence, un peu par peur mais surtout par fierté. Tous les jours une nouvelle partie de son corps changeait de couleur, et elle avait d'ailleurs connu toutes celles qu'il était possible de connaître dans l'arc en ciel des coups.
    Noir d'abord, comme l'espoir qui s'envole en cinq secondes. Violacé ensuite, comme la couleur des fards à paupières qu'elle adorait porter avant car ils mettaient ses yeux verts en valeur. Bleuâtre les jours suivants, comme la beauté du ciel qu'elle aurait encore aimé être capable d'admirer les jours de grande tristesse. Verdâtre quand la couleur fondait avec la douleur en prenant la couleur de ses yeux. Et enfin jaunâtre, presque marron, la couleur qu'elle détestait par dessus tout, car elle lui rappelait que bientôt sa peau allait retrouver sa couleur d'origine pour pouvoir accueillir à nouveau l'arc en ciel, mois après mois. En cinq ans de violence, elle avait déjà eu 38 côtes de cassées en tout, son nez était presque aplati car sa paroi était si fine qu'elle avait même du mal à respirer certains jours, il lui manquait trois dents, avait les lèvres qui oscillaient entre le bleu mauve et le rouge sanguinolent, avait subi 17 « œil au beurre noir » car ceux-là mettaient plus de temps à disparaître, eu le coccyx fêlé, les deux jambes cassées deux fois, l'épaule gauche démise 3 fois et cassée une fois, la droite 4 fois. Ses cuisses avaient même réussi un jour à être complètement bariolées, si entièrement recouvertes par les ecchymoses multicolores qui lui était impossible de s'assoir, de s'allonger et parfois même de marcher.

    Elle avait l'impression d'avoir perdu la tête, sa féminité, son intelligence, son bon sens, le contrôle de sa vie. Tout cela lui était complètement égal, car selon elle, les coups étaient mérités. Et son mari s'en donnait à cœur joie. Il laissait rarement du répit à Angie, juste quelques jours, quand les bleus étaient trop visibles, car il disait qu'elle l’écœurait avec toutes ces couleurs sur la tronche. Ce qu'il aimait, c'était l'attraper par les cheveux, caresser son joli visage vierge de toute trace et de commencer « une nouvelle toile ». Et alors il se mettait à la frapper, encore et encore, sur le front, les sourcils, les yeux, les joues, le nez. Il se gardait la bouche pour la fin. Quand il était un peu calmé il la lâchait, en la jetant contre le sol. Angie, qui malgré toute vraisemblance, se disait qu'elle était habituée à la douleur, lui répondait parfois. Elle le provoquait, pour voir si cet homme qu'elle détestait tant à présent était capable de pire.
    Alors il la rouait de coup dans le ventre, lui donnant des coups de pieds si violents qu'elle saignait à chaque fois. Son ventre, de toute façon, n'accueillerait plus jamais un enfant. Elle était partie à la recherche d'une douleur assez forte pour lui faire oublier celle de son cœur. Celle du vide immense qu'elle ressentait. Cette douleur était pour elle la pire, car elle savait qu'elle ne partirait jamais.

    Elle pensait tous les jours à Mathys, se demandait à quoi il ressemblerait aujourd'hui. Ce soir, son instinct lui disait qu'elle allait enfin pouvoir ressentir cette douleur. Elle avait provoqué son mari d'une telle hargne qu'elle ne se reconnaissait pas elle même. En même temps, elle n'était plus très sûre de ce à quoi elle ressemblait tout court. Il l'avait jetée contre le mur, frappée avec une ceinture, ses poings, ses pieds, l'avait étranglée jusqu'à décider de la relâcher « juste à temps ». Mais Angie en voulait plus.

    Elle avait alors rassemblé toutes ses forces pour ramper jusqu'à la cuisine, se relever, ouvrir le tiroir à couverts. Elle avait saisi un couteau de boucher, celui qu'elle utilisait pour couper les gros morceaux afin d'en faire un bourguignon. Elle s'était avancée vers lui et lui avait simplement dit « Tu n'en seras jamais capable », en lui jetant le couteau à la figure. Il s'en était alors emparé, avait serré les dents en marmonnant quelque chose d'incompréhensible, lui avait lancé un regard à la fusiller sur place. Il s'était ensuite jeté sur elle avec une telle rapidité qu'elle avait à peine eu le temps de réagir. Là, collé contre elle, il lui caressa encore le visage. Il la fixait avec un amour colérique, une lueur de folie brillant dans ses yeux.

    Puis, tout à coup, elle avait sentit quelque chose de dur lui transpercer le cœur. Elle avait crié, à s'en briser la voix, les larmes emplissaient ses yeux et elle savait qu'elle arrivait. Elle était là, cette douleur qui lui faisait oublier l'autre. Ou plutôt, elle se mélangeait à celle qu'elle ne connaissait que trop bien depuis des années. Les deux s'entremêlaient maintenant avec une telle évidence que c'était comme si elles n'avaient toujours formé qu'une seule et même horrible douleur.
    Son mari la regardait tendrement, avec un sourire froid au coin des lèvres. Il s'était relevé, étalant Angie sur le dos, lui levant les deux bras à hauteur de la tête « pour la faire ressembler à un ange », avait-il dit. Après avoir récupéré le couteau, il l'enfonça une seconde fois, puis une troisième, une quatrième, jusqu'à ne plus compter les coups de sa folie. Il laissa le couteau planté là, il était recouvert du sang de sa femme, et il avait envie de vomir.

    Il sortit de leur maison en courant, comme un fou s'étant échappé de l'asile, et traversa la rue à toute vitesse. Il n'avait même pas vu le camion qui passait. C'était comme si il s'était littéralement jeté sous ses roues. Après un crissement de pneus et un klaxon qui avait sonné l'heure de sa fin, il avait disparu sous le camion.

    Angie, à demi consciente, toujours allongée au sol, souriait. Sa douleur l'enveloppait maintenant de toute sa force et de sa douceur en même temps. Elle sentait la chaleur de son sang qui se répandait autour d'elle. Elle ne pleurait plus, elle pensait à Mathys. Elle pensait également à son autre fils, celui qui avait perdu sa mère le même jour où il avait perdu son frère. Celui qui voyait tout ce que sa mère endurait depuis des années, mais qui n'osait pas broncher. Celui qu'elle n'avait plus été capable de regarder, d'aimer, de protéger. Et enfin, alors que la douleur lui refroidissait tout le corps, que le jour tombait dans la maison, que toute sa vie avait défilé devant ses yeux, elle poussa un dernier soupir atroce et soulagé.

    Ce soir, Angie était morte.

    Dernière modification par Jelisetalors (06 Octobre 2018 14:36:00)

  • Matea

    Commence à sentir l'encre qui colle aux doigts

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    #3 05 Octobre 2018 20:50:40

    C'est violent, le style est plutôt fluide. Quelques sous-entendus nous tiennent en haleine, puis tout s'enchaîne si vite qu'on en oublie de respirer. C'est un texte coup-de-poing, mais c'es bien mené. Il n'y a que peu de fautes qui m'ont interpellée, je pense qu'en te relisant tu trouveras vite les deux ou trois coquilles. Ça claque. Mais parfois, on a besoin d'écrire comme ça. =)
  • Jelisetalors

    Les doigts collés au papier

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    #4 06 Octobre 2018 14:05:24

    Matea a écrit

    C'est violent, le style est plutôt fluide. Quelques sous-entendus nous tiennent en haleine, puis tout s'enchaîne si vite qu'on en oublie de respirer. C'est un texte coup-de-poing, mais c'es bien mené. Il n'y a que peu de fautes qui m'ont interpellée, je pense qu'en te relisant tu trouveras vite les deux ou trois coquilles. Ça claque. Mais parfois, on a besoin d'écrire comme ça. =)


    Merci beaucoup pour ton retour !!!

  • FloXy

    Empereur des pages

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    #5 06 Octobre 2018 14:06:43

    En effet n'importe quels yeux ne supporteront pas ce texte... parce qu'il n'est pas aéré du tout ! :goutte:
    Je suis curieux mais je n'ai pas le courage de lire tant qu'il n'y aura pas quelques paragraphes et autres alinéas.
  • Jelisetalors

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    #6 06 Octobre 2018 14:37:02

    MyFloXyBabY a écrit

    En effet n'importe quels yeux ne supporteront pas ce texte... parce qu'il n'est pas aéré du tout ! :goutte:
    Je suis curieux mais je n'ai pas le courage de lire tant qu'il n'y aura pas quelques paragraphes et autres alinéas.


    Cela convient-il à Mr FloXy ? Je voulais le faire, en plus, car j'ai moi même du mal avec les textes serrés... ^^

  • Naviss

    Lecteur assidu

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    #7 13 Octobre 2018 16:02:26

    Coucou :)

    J'apprécie beaucoup la thématique, qui est un sujet difficile, cruel, mais réel. Ton style est plutôt concis, un peu travaillé mais pas trop, ce qui n'est pas gênant car ça rend le fond plus percutant. Mais j'ai quelques soucis avec la manière dont tu traites cette thématique.

    - Déjà, je trouve très intéressant de parler du revirement de "un homme" - un type sympa mais qui devient violent, parce que les hommes violents y'a pas écrit "méchant" sur leur front quand tu les rencontres. Mais ce revirement est un peu brusque et pas assez développé à mon goût, du coup on ne sent pas à quel point elle est bloquée dans cette situation et on se demande juste : "pourquoi elle ne part pas ?". Enfin on conçoit pourquoi, mais on ne le sent pas. Alors qu'avec un revirement un peu plus lent et pernicieux, avec des retours de gentillesse par exemple (je ne parle pas de plusieurs pages, mais d'un ou deux paragraphes), on sentirait beaucoup plus à quel point elle est coincée dans cette relation.

    - Par ailleurs, même si ce personnage est un connard, il a ses propres ambitions : là tu dis que c'est le ressentiment quant au fait qu'elle ait laissé mourir un de leurs enfants, OK, mais joue-le jusqu'au bout du coup et fais-le s'intéresser davantage au second enfant (exemple : l'empêcher de s'en approcher car elle pourrait lui faire du mal, ce qui la fait souffrir encore plus). Ou si ce n'est qu'un prétexte (après tout, il n'a pas l'air de s'y intéresser plus que ça), fais-le sentir !

    - Je ne trouve pas pertinent ton traitement de la folie, et je trouve que ça "gâche" un peu ton texte. Là, tu utilises comme justification aux violences qu'elle subit l'idée qu' "il est fou". Il fait ça parce qu'il est fou. Je trouve ça un peu pauvre du coup, parce que tu écris en ayant une idée très vague (ou du moins c'est l'impression que ton texte donne) de ce que c'est que "être fou" (on n'est plus sur un mot valise qui regroupe de nombreuses pathologies très différentes et distinctes ; mais sur une vague menace). D'autant plus que cette situation existe dans le monde réel, et ce n'est pas "la folie" qui fait que des hommes battent et tuent leur conjointe...

    - Un dernier point mais qui est beaucoup plus personnel donc peut-être moins pertinent/intéressant : tu ne nommes que certains personnages (Angie, Mathys) et pas les autres (l'homme, l'autre fils). Je trouverais ça beaucoup plus fort si aucun personnage n'était nommé, d'une part parce que dans l'état des choses ça fait un peu arbitraire, comme choix ; d'autre part parce que du coup ça ferait beaucoup plus "une histoire banale" (en gros, un texte cruel qui montre une situation qui arrive tous les jours, mais dans son horreur), et ça rendrait le personnage beaucoup plus identifiable... car ça pourrait arriver à n'importe qui.

    Voilà.

    Et sinon j'ai une question : le début, "Elle était là, sur le sol, seule, prête à attendre que quelque chose se passe. Sa vie entière défilait sous ses yeux (...)" fait bien écho à la fin : "Angie, à demi consciente, toujours allongée au sol, souriait" ?

    Dernière modification par Naviss (13 Octobre 2018 16:17:32)

  • Jelisetalors

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    #8 13 Octobre 2018 16:23:56

    Oui cela fait bien écho à la fin. Je vais essayer de retravailler le texte, comme je l'ai indiqué c'est quelque chose qui est sorti comme ça sans que je pense à quoi que ce soit. Mais j'ai bien noté tes remarques ! ;)
  • Naviss

    Lecteur assidu

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    #9 13 Octobre 2018 16:46:17

    j'ai hâte de te lire ! :D
  • Jelisetalors

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    #10 13 Octobre 2018 17:07:39

    Je n'ai pas apporté énormément de changements, mais j'ai l'impression que ça a quand même bien fait avancer mon texte. J'espère qu'il n'y a pas trop de fautes...



    Elle était là, sur le sol, seule, prête à attendre que ça arrive enfin. Sa vie entière défilait sous ses yeux, les souvenirs se mélangeant pour former une sorte de film avec les pires et les meilleurs d'entre eux. Elle avait été heureuse, avant, en épousant cet homme qu'elle avait rencontré à la fin de leurs études de droit. Son avenir était tout tracé. Ils avaient choisi ensemble une petite maison proche du centre ville, afin de se rendre plus facilement au travail, dans un cabinet d'avocats très réputé. Il n'avait pas fallu longtemps à Angie pour tomber enceinte. Des jumeaux. Des perles, plus précieuses que n'importe quel autre caillou au monde. Ils faisaient partie de leur bonheur. Mais un jour, tout a changé.

    A la mort d'un des deux enfants, Angie était devenue l'ombre d'elle-même. Elle ne travaillait plus, ne mangeait pratiquement pas, ne dormait que quelques heures par nuit, vivait tel un fantôme. Son mari la tenait comme personnellement responsable de la mort de leur enfant. Elle qui n'avait pas su « le surveiller correctement ». Elle qui l'avait perdu de vue pendant cinq secondes. Cinq secondes pour qu'une voiture déboule à une vitesse folle. Cinq secondes d'inattention qui avaient permis à l'enfant qui était sorti en second de son ventre de traverser en courant. Cinq secondes qui avaient scellé le destin du petit, et foutu en l'air la vie d'Angie et de sa famille. Pour elle, elle était morte ce jour là, en même temps que son fils.
    Depuis, elle endurait quelque chose de sournois, de dur, d'affreux, de complexe et qui pourtant, à certains moments, ne lui faisait ni chaud ni froid. Elle se disait qu'elle méritait tout ce qui lui arrivait. Qu'elle payait son erreur commise trois ans auparavant.

    Le premier coup l'avait surprise, mais lui avait fait ressentir deux sentiments contradictoires. La peur, tout d'abord, forte et tellement violente qu'elle avait débarqué avec une force décuplée, tout comme le coup de poing dans la mâchoire. Puis, quelques secondes après seulement, le soulagement. Comme si on lui arrachait une dent qui pourrissait depuis des lustres, sans l'anesthésier, afin qu'elle embrasse cette douleur de toute son âme de mère coupable. Quand les autres coups s'étaient mis à pleuvoir, au début, elle ne disait rien. Elle encaissait. En silence, un peu par peur mais surtout par fierté.

    Elle aurait pu partir, s'enfuir, quitter cet homme qu'elle aimait autrefois de toute son âme, mais elle ne le voulait pas. Elle restait dans cette famille, n'étant plus que l'ombre d'elle-même, et effectuant les tâches du quotidien comme une machine. Elle avait pourtant un autre fils, un autre enfant qui ne demandait que son attention. C'était le frère aîné, celui qui avait échappé à la mort. Mais Angie avait cessé de s'occuper de lui presque instantanément. Dès que son plus "jeune" fils avait rendu son dernier souffle, elle ne voyait plus le plus grand. Comme si il était devenu invisible. Elle savait qu'il était là, encore vivant, tout comme son mari. C'est lui qui avait du prendre le relai et s'occuper de son éducation. C'est d'ailleurs aussi ce qu'il lui reprochait, le fait d'avoir non seulement « tué » le petit dernier, mais d'avoir complètement laissé tombé le premier. Il aimait son aîné de tout son cœur, même si il sentait bien que plus rien ne serait jamais comme avant. Sa femme lui empêchait quelques fois d'être totalement conscient qu'un autre enfant avait besoin de lui. Il nourrissait une haine envers elle qui grandissait de jour en jour, et quand il la battait, c'était toujours de plus en plus violemment. Angie s'était convaincue qu'elle avait besoin de cette violence, que c'était bien sa pénitence pour n'avoir pas su protéger son petit ange. Elle ravalait ses larmes sous les mains de son mari, et elle espérait trouver quelque chose de puissant qui mettrait un terme à tout ce cirque. C'est pour cela qu'elle était toujours là, tel un fantôme, dans une existence qui n'avait quasiment plus rien d'humain. Seuls les coups qu'elle recevait lui rappelaient qu'elle faisait toujours partie de ce monde.

    Tous les jours une nouvelle partie de son corps changeait de couleur, et elle avait d'ailleurs connu toutes celles qu'il était possible de connaître dans l'arc en ciel des coups.
    Noir d'abord, comme l'espoir qui s'envole en cinq secondes. Violacé ensuite, comme la couleur des fards à paupières qu'elle adorait porter avant car ils mettaient ses yeux verts en valeur. Bleuâtre les jours suivants, comme la beauté du ciel qu'elle aurait encore aimé être capable d'admirer les jours de grande tristesse. Verdâtre quand la couleur fondait avec la douleur en prenant la couleur de ses yeux. Et enfin jaunâtre, presque marron, la couleur qu'elle détestait par dessus tout, car elle lui rappelait que bientôt sa peau allait retrouver sa couleur d'origine pour pouvoir accueillir à nouveau l'arc en ciel, mois après mois. En cinq ans de violence, elle avait déjà eu 38 côtes de cassées en tout, son nez était presque aplati car sa paroi était si fine qu'elle avait même du mal à respirer certains jours, il lui manquait trois dents, avait les lèvres qui oscillaient entre le bleu mauve et le rouge sanguinolent, avait subi 17 « œil au beurre noir » car ceux-là mettaient plus de temps à disparaître, eu le coccyx fêlé, les deux jambes cassées deux fois, l'épaule gauche démise 3 fois et cassée une fois, la droite 4 fois. Ses cuisses avaient même réussi un jour à être complètement bariolées, si entièrement recouvertes par les ecchymoses multicolores qui lui était impossible de s'assoir, de s'allonger et parfois même de marcher.

    Elle avait l'impression d'avoir perdu la tête, sa féminité, son intelligence, son bon sens, le contrôle de sa vie. Tout cela lui était complètement égal, car selon elle, les coups étaient mérités. Et son mari s'en donnait à cœur joie. Il laissait rarement du répit à Angie, juste quelques jours, quand les bleus étaient trop visibles, car il disait qu'elle l’écœurait avec toutes ces couleurs sur la tronche. Il se disait pourtant qu'il aimait toujours sa femme, tout en la haïssant au plus profond de lui même. Il était lui aussi tiraillé entre deux sentiments complètement opposés. Il lui arrivait de ressentir de la pitié pour elle, il ne savait alors plus très bien si ce qu'il ressentait était réellement de l'amour. Sans doute que non. Quelques rares fois, il faisait quelque chose de gentil pour elle, comme lui ramener des fleurs, lui coiffer les cheveux comme elle aimait qu'il fasse quand ils étaient plus jeunes. Mais la voir survivre dans une existence qui était vide de sens lui faisait « péter les plombs ». Alors ce qu'il aimait, c'était l'attraper par les cheveux, caresser son joli visage vierge de toute trace et de commencer « une nouvelle toile ». Et alors il se mettait à la frapper, encore et encore, sur le front, les sourcils, les yeux, les joues, le nez. Il se gardait la bouche pour la fin. Quand il était un peu calmé il la lâchait, en la jetant contre le sol. Angie, qui malgré toute vraisemblance, se disait qu'elle était habituée à la douleur, lui répondait parfois. Elle le provoquait, pour voir si cet homme qu'elle détestait tant à présent était capable de pire.

    Alors il la rouait de coup dans le ventre, lui donnant des coups de pieds si violents qu'elle saignait à chaque fois. Son ventre, de toute façon, n'accueillerait plus jamais un enfant. Elle était partie à la recherche d'une douleur assez forte pour lui faire oublier celle de son cœur. Celle du vide immense qu'elle ressentait. Cette douleur était pour elle la pire, car elle savait qu'elle ne partirait jamais.

    Elle pensait tous les jours à son petit ange, se demandait à quoi il ressemblerait aujourd'hui. Ce soir, son instinct lui disait qu'elle allait enfin pouvoir ressentir cette douleur. Elle avait provoqué son mari d'une telle hargne qu'elle ne se reconnaissait pas elle même. En même temps, elle n'était plus très sûre de ce à quoi elle ressemblait tout court. Il l'avait jetée contre le mur, frappée avec une ceinture, ses poings, ses pieds, l'avait étranglée jusqu'à décider de la relâcher « juste à temps ». Mais Angie en voulait plus.

    Elle avait alors rassemblé toutes ses forces pour ramper jusqu'à la cuisine, se relever, ouvrir le tiroir à couverts. Elle avait saisi un couteau de boucher, celui qu'elle utilisait pour couper les gros morceaux afin d'en faire un bourguignon. Elle s'était avancée vers lui et lui avait simplement dit « Tu n'en seras jamais capable », en lui jetant le couteau à la figure. Il s'en était alors emparé, avait serré les dents en marmonnant quelque chose d'incompréhensible, lui avait lancé un regard à la fusiller sur place. Il s'était ensuite jeté sur elle avec une telle rapidité qu'elle avait à peine eu le temps de réagir. Là, collé contre elle, il lui caressa encore le visage. Il la fixait avec une telle haine qu'on aurait presque dit qu' une lueur de folie brillait dans ses yeux.

    Puis, tout à coup, elle avait sentit quelque chose de dur lui transpercer le cœur. Elle avait crié, à s'en briser la voix, les larmes emplissaient ses yeux et elle savait qu'elle arrivait. Elle était là, cette douleur qui lui faisait oublier l'autre. Ou plutôt, elle se mélangeait à celle qu'elle ne connaissait que trop bien depuis des années. Les deux s'entremêlaient maintenant avec une telle évidence que c'était comme si elles n'avaient toujours formé qu'une seule et même horrible douleur.

    Son mari la regardait tendrement, avec un sourire froid au coin des lèvres et les larmes au bord des yeux. Il s'était relevé, étalant Angie sur le dos, lui levant les deux bras à hauteur de la tête « pour la faire ressembler à un ange », avait-il dit. Après avoir récupéré le couteau, il l'enfonça une seconde fois, puis une troisième, une quatrième, jusqu'à ne plus compter les coups de son hystérie. La vue du sang l'avait mit dans un état de transe telle qu'il mit un moment à se rendre compte de ce qu'il avait fait.  Il laissa le couteau planté là, il était recouvert du sang de sa femme, et il avait envie de vomir.

    Il sortit de leur maison en courant, réalisant son geste, se sentant à la fois affreusement coupable et honteusement soulagé, et traversa la rue à toute vitesse. Il n'avait pas prit la peine de regarder la route avant de traverser. Il n'avait pas eu le temps de voir le camion qui passait. C'était comme si il s'était littéralement jeté sous ses roues. Après un crissement de pneus et un klaxon qui avait sonné l'heure de sa fin, il avait disparu sous le camion.

    Angie, à demi consciente, toujours allongée au sol, souriait. Sa douleur l'enveloppait maintenant de toute sa force et de sa douceur en même temps. Elle sentait la chaleur de son sang qui se répandait autour d'elle. Elle ne pleurait plus, elle pensait à son bébé. Elle pensait également, pour la première fois depuis trop longtemps, à son autre fils, celui qui avait quitté ses entrailles le premier, celui qui avait perdu sa mère le même jour où il avait perdu son frère. Celui qui voyait tout ce que sa mère endurait depuis des années, mais qui n'osait pas broncher. Celui qu'elle n'avait plus été capable de regarder, d'aimer, de protéger. Et enfin, alors que la douleur lui refroidissait tout le corps, que le jour tombait dans la maison, que toute sa vie avait défilé devant ses yeux, elle poussa un dernier soupir atroce et soulagé.

    Ce soir, Angie était morte.

    Dernière modification par Jelisetalors (13 Octobre 2018 17:13:33)