Les voilà (texte issu du blog Les micro-nouvelles d'Hervé Beauno)

 
    • Herve_Beauno

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #1 27 Novembre 2018 12:21:23

      LES VOILÀ

      Publié le 14/06/18 par Hervé Beauno sur hervebeauno.over-blog.com

      - J’ai 15 ans et je suis possédée par le Diable.

      La vérité avait jailli si violemment dans l’âme tourmentée d’Anaïs qu’elle en tomba à genoux, le reflet dans son miroir pour seul témoin. Bientôt, ce corps ne serait plus le sien. Terrorisée par la peur de se consumer dans le Mal, elle se laissa emporter par un long sanglot.

      Bien sûr, la jeune fille était souvent trop alarmiste. Tant Bien que Mal, elle tenta de relativiser, de prendre du recul. Après tout ce n’était peut-être qu’un simple démon de bas étage ou un esprit frappeur de mauvais goût. Tremblante, elle observait chaque parcelle de son corps, espérant y découvrir la bête qui dormait en elle.

      - Comment ai-je fait pour choper ce truc ? soupira-t-elle.

      La bestiole avait rejoint son corps depuis peu, un mois ou deux peut-être, sans qu’elle ne s’en soit rendue compte. Peut-on attraper le Diable en regardant des films d’épouvante ? Ou bien était-ce parce qu’elle avait mal répondu à son père ? Ou encore parce qu’elle avait écrasé une araignée l’autre jour dans la rue, sans le moindre scrupule ?

      Enveloppée de méfiance et d’ignorance, elle rapprocha le visage de son reflet, espérant y déceler enfin ce colocataire qui la faisait tant souffrir. Rien. Ses yeux bleus et doux étaient toujours bleus et doux. Son rictus naïf, toujours aussi naïf. D’un grand A, elle ouvrit la bouche. Hormis sa glotte vibrante, elle n’y remarqua rien d’anormal.

      Soudain, la douleur recommença. Encore plus intense, encore plus violente. Le monstre l’avait sûrement vu en train de le chercher. Elle hurla en silence. Bientôt il lui prendrait sa vie mais jamais elle ne lui offrirait son cri en cadeau. Il ne fallait pas non plus affoler sa mère dans la pièce voisine. La pauvre ne pourrait jamais accepter le triste sort de sa fille.

      Puis la douleur cessa. Il s’était calmé. Anaïs en profita pour se remettre debout. Elle n’était pas prête à baisser les bras. Sur son bureau, elle attrapa son lecteur mp3 et plaça les écouteurs dans ses oreilles. Ainsi, elle espérait qu’il ne puisse pas l’entendre penser. La musique brouillerait les pistes.

      - Je reviens, maman, à toute !

      En courant, elle s’échappa de la maison et sauta sur son vélo, sans que sa mère n’ait le temps de réagir. Déjà elle filait sur la route. Le soleil brillait de mille éclats. Elle leva un instant les yeux au ciel, comme pour profiter peut-être des derniers rayons de son existence. Le mal attaqua à nouveau. Elle avait pensé trop fort. Elle accéléra. Ses pieds arrachaient les pédales, son souffle prenait un rythme effréné et son cœur explosait sa cage thoracique. Peu lui importait. Si elle crevait là, il perdait quand même.

      Droite, gauche, droite puis encore gauche. Elle dérapa et jeta son vélo dans l’herbe. La douleur manqua la faire chavirer, le Mal avait compris. Affolée, elle courut encore plus vite et enfonça la porte de la chapelle abandonnée devant elle. Hormis Jésus sur la croix, il n’y avait personne.

      Son ventre la tiraillait, elle hurla enfin ce cri qu’elle ne pouvait plus contenir. Alors que les secondes défilaient, elle sentit son estomac se nouer, comme rongé de l’intérieur. Elle imaginait des griffes lui raclant la panse et se léchant les doigts de son sang de fillette. Elle s’écroula sur le sol. Déjà du sang glissait entre ses jambes, il était trop tard.

      Du bout de la chapelle, une femme au souffle haletant fit irruption. La mère d’Anaïs s’avança aussitôt auprès de sa fille pour lui porter secours. Elle l’avait suivie. Entre deux sanglots de douleur, la jeune adolescente lui fit part de sa tourmente.

      - Il est trop fort, maman. Il est trop fort…

      - Qui est trop fort ?

      - Le… Le Diable…

      - Je ne comprends pas ma chérie ! Le Diable tu dis ?

      - Oui ! Il est train de me tuer.

      Elle lâcha un nouveau cri de terreur.

      - Regarde, maman, je saigne.

      La mère d’Anaïs sourit. Elle connaissait bien les talents dramaturgiques de sa fille. Elle l’embrassa puis ajouta.

      - Il était temps, enfin les voilà !