#21 04 Mai 2021 15:31:49
Puisqu'on parle d'anecdotes animalières.
Un jour où je suis passée à un tabac, dans cette glorieuse ambiance des bars PMU, un quinquagénaire accoudé au comptoir a dévié la conversation qu'il avait avec ses collègues :
- Puisque je te dis qu'il était bleu, ce poisson ! Bleu comme not' ciel du sud ! Bleu comme les yeux de la demoiselle, là ! Aaaah j'irai au front pour ces yeux-là ! Vous n'êtes pas mariée à tout hasard, mademoiselle ?
- Eh non Monsieur ! Ce n'est pas facile tous les jours !
- Même pas de soupirant ? J'ai toutes mes chances alors !
- Justement, il y en a beaucoup trop, de soupirants ! Prenez un ticket et attendez votre tour !
Des rires gras répondent à ma répartie aussi lourdingue que son approche. On se sourit et on se souhaite une bonne journée. Fin de l'histoire.
Un autre jour, à un autre endroit, une autre personne (en l'occurrence, une de mes copines).
Elle rentre tard après une longue journée et marche tranquillement dans le quartier désert. A 50 m, un homme sur le trottoir qu'elle tente d'éviter en traversant la rue, chose qu'il s'empresse d'imiter. Le type a la trentaine et un air plutôt louche. Il semble nerveux, gesticule beaucoup, parle vite et indistinctement, la reluque de la tête aux pieds en lui demandant son numéro. Elle refuse poliment et s'empresse de s'en aller malgré l'indignation du bonhomme. Celui-ci râle mais semble se calmer au fur et à mesure qu'elle s'éloigne. Au coin de la rue, elle ne peut s'empêcher de jeter un regard en arrière : l'homme la suit à bonne distance. Elle se croit folle mais accélère le pas et, voyant que l'autre en fait de même, se met finalement à courir. Un autre regard en arrière lui confirme que le type la pourchasse. Elle arrive en bas de son immeuble et a à peine le temps de badger, de s'engouffrer dans le hall et de refermer la porte derrière elle que le type la rattrape. Tandis qu'elle reste là, tremblante, récupérant son souffle, regardant le type de l'autre côté de la porte vitrée, il se colle à la porte, se met à la lécher tout en se frottant contre, descend son pantalon et se met à se masturber tout en la fixant.
Elle n'a pas dormi cette nuit-là et n'est pas sortie de chez elle pendant une semaine.
Autant je soutiens pêle-mêle la dénonciation de tentatives/cas de viol, de l'harcèlement (le vrai), de la pression que les femmes subissent au travail, de l'inégalité salariale, de la drague insistante, des préjugés et des stéréotypes à tout va, et j'en passe, autant jamais il ne me viendrait à l'idée de qualifier ce compliment lourdingue d'un vieux du PMU qui compare la couleur de mes yeux à celle d'un poisson d'harcèlement face à ce qu'a vécu mon amie. Je vois déjà venir ceux et celles qui me diront "il y a toujours pire mais il y a mieux quand même !". C'est quel niveau d'indécence, sérieusement ?
Alors, certes, la sensibilité de chacun (chacune, en l'occurrence) est différente, la personnalité et le caractère aussi (certaines n'auraient rien osé répliquer là où j'ai répondu du tac au tac). On peut ne pas apprécier les compliments d'inconnus, se sentir mal à l'aise ou autre. Mais on peut aussi garder la tête froide et ne pas se laisser emporter dans une spirale de paranoïa sans fin qui n'a pas réellement lieu d'être.
D'ailleurs, il serait temps aussi d'arrêter les comparaisons dichotomiques du type boîte de chocolats comestibles/empoisonnés et apparentés. Un homme peut très bien être le plus gros lourdingue de la terre dans ses blagues mais être respectueux au possible, tout comme un autre peut être l'exemple parfait de l'allié du féminisme quand il parle mais être un sombre crétin dans ses actes. Ils sont aussi divers et tout en nuances que les femmes !
Pour les hommes de 50 ans et au-delà, il faut penser aussi au fossé générationnel. Ce qui était acceptable pour l'époque de leur jeunesse ne passe plus du tout aujourd'hui. Tout le monde sait à quel point la société et ses codes changent rapidement de nos jours et à quel point c'est difficile pour les générations d'avant de s'adapter. On peut les trouver maladroits et balourds, mais de là à les huer, les accuser d'harcèlement sans réel fondement et lancer des procès d'intention…
Les femmes posent souvent la fatidique question "imagine si ta mère/sœur/fille était à ma place, tu réagirais comment ?". Pour rester dans le registre émotionnel, pensez à votre père/oncle/parrain/grand-père/grand-oncle qui un jour a eu l'audace de complimenter une plus jeune que lui, gauchement ou non, cela en fait-il un harceleur en puissance ?
Dernière modification par thatonemary (04 Mai 2021 15:37:58)