TRANSIRE, premier roman ebook

 
    • williamdomont

      Livraddictien débutant

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      #1 14 Juin 2022 11:12:20

      Bonjour à tous,
      Je souhaite vous partager le premier chapitre de mon premier roman Transire.
      N'hésitez pas à visiter ma page Facebook pour en savoir plus.

      Transire, Chapitre 1

      Le pommeau face au visage, on n’entend plus que le bruit tonitruant de l’eau. Le torrent infini rend aveugle, il entre dans les oreilles et l’on devient sourd. Puis, au fur et à mesure, le bouillonnement finit par diffuser ses vertus bienfaisantes. Lentement un rayon de chaleur englobe entièrement le crâne, la sensation apaise et détend. Le corps pense revivre le souvenir de la bulle des premiers mois. En sécurité, on relâche son attention. La canicule relaxante se répand maintenant dans toute la chair.
      La tête en arrière, le visage face au jet, il est là, il se sent bien sous l’eau.
      Soudain, un bruit assourdissant retentit. Le carrelage tremble. Ses tympans vibrent. Les yeux recouverts par l’eau il ferme le robinet puis passe une main sur sa figure. La vue retrouvée, il se met à observer avec intérêt. Il se penche et adopte plusieurs angles de vision, plusieurs points de vue.
      La faïence de la salle de bain d’ordinaire immaculée s’est métamorphosée en mur d’horreur. Tout est tapissé de substance organique. Une mélasse de gruaux aux teintes rouge écarlate, rose pâle, et blanc crème. La composition de cette mixture est écœurante. On distingue les différentes matières, un peu de cervelle, un bel éclat d’os brisé et beaucoup de sang. Certains ingrédients projetés à haute vélocité se sont superposés, formant un amas gluant et visqueux.
      Le rituel de la douche est toujours un moment pour soi, une pause solitaire empreinte d’introspection. Il consacre ce temps pour éveiller ou relâcher son corps.
      Encore quelques semaines avant les belles journées d’automne. La saison chaude n’est pas vraiment sa période préférée. La sensation de moiteur apparaît rapidement, et avec elle, une gêne désagréable s’installe pour rendre le quotidien inconfortable. Durant l’été, il profite de chaque occasion pour se rafraîchir. Son travail ne lui impose aucun effort physique, mais il apprécie le rituel d’une bonne douche. Il s’agit certainement d’un effet placebo. En tout cas, le moment passé sous l’eau lui procure beaucoup de bien, surtout avant un rendez-vous. Cela fait plusieurs mois que le cérémonial de relaxation se voit régulièrement interrompu. Les scènes violentes l’arrachent trop souvent à ses instants de détente.
      Pourtant, il ignore la cause et l’origine de ces extrusions. Il s’agit peut-être d’une prémonition ou bien d’un fantasme de l’esprit. Depuis janvier, son état mental est instable.
      À juste titre, cette situation pourrait sembler inquiétante, voire alarmante. Il s’en cache, mais au fond de lui il le sait : la mort le préoccupe. Il ne cesse de voir son cerveau projeté en dehors de sa boite crânienne. Les circonstances de ces apparitions n’ont pas de lieux privilégiés, juste un contexte, un moment de réclusion.
      L’érosion chaleureuse diminue peu à peu les tensions intérieures. La douche bienfaisante assoupit la vigilance de l’esprit, une parenthèse hors du temps s’ouvre. La procession de paix commence, les mêmes gestes l’emportent vers son sanctuaire. Il ferme ses yeux et prend conscience de sa respiration. Cloitré du monde, il se détend enfin dans son for intérieur. Puis, le bruit de la détonation gâche sa retraite spirituelle, le retour à la réalité est violent. Une nouvelle projection picturale de sa cervelle se présente à lui.
      L’ermite est lassé d’assister à ces performances artistiques, mais il garde pour lui ces visions malsaines. Les soldats blancs des forces de l’axe psychique ne sont pas dignes de confiance. La suicidologie n’est pas fiable, une maladresse verbale et l’on côtoie Mc Murphy en séance d’électrochocs.
      Il se savonne et pense à son rendez-vous. Il a hâte, et se plaît à imaginer la prochaine expérience à vivre. Il traîne dans son fantasme puis la réalité le rattrape. C’est le moment de s’agiter afin de ne pas être en retard. Le corps élancé se rince à l’eau fraiche et écourte sa douche.
      L’homme de quarante ans sort de la baignoire. Face au miroir, il observe sa silhouette mince. Son rasage de près affine un peu plus les traits de son visage à la peau claire et au teint cireux que rehausse le vert de ses yeux.
      Malgré les années, il éprouve toujours le même dégoût pour son nez démesuré qui brise l’harmonie de son faciès. Au bout d’un moment, il finit par se convaincre, il n’est pas si laid. Pourtant, en reportant son attention sur ses cernes marqués, il porte la main au visage et passe un doigt sur les renflements. Sa conviction s’échappe dans un soupir de désespoir.
      La fin de l’été est étouffante cette année. Il fait encore trop chaud pour se reposer correctement. Le métronome dort sept heures par nuit. Avec la chaleur, ses capacités de récupération lui font défaut. Ce week-end, il prendra le temps de savourer une sieste, le meilleur remède à ces cernes affreux.
      Ses cheveux noirs effleurent ses épaules. Pendant qu’il les coiffe, un élément attire son attention. Au-dessus de son oreille droite, un orifice étrange s’est formé. Le point d’entrée n’a rien de spectaculaire, mais quelques mèches ont brûlé. À présent, il observe avec sang-froid le point de sortie du projectile. Cette fois, le cratère est impressionnant. Devant la glace, il constate l’état de son crâne éclaté par l’arme à feu. Le mutilé prend le temps d’observer l’ensemble du massacre cérébral puis jette un dernier coup d’œil vers la douche ensanglantée.
      La plupart du temps, ces illusions ne s’attardent pas. Il le sait, dans quelques minutes, le carrelage sera à nouveau immaculé et sa tête reprendra son aspect normal.
      Davis est quasiment sec. Il se dirige vers sa chambre. Dans son élan et dans son plus simple appareil, il s’arrête un moment pour admirer l’œuvre d’art face à son lit. Le cours de son existence se poursuit et il se saisit des vêtements préparés pour son rendez-vous. Ils attendent sur une étagère du dressing depuis deux jours. Rien d’extravagant, ni trop élégant, ni trop décontracté. Ce serait inapproprié. Un pantalon bleu nuit et un polo bleu clair, ces couleurs inspirent la confiance. C’est la tenue qu’il affectionne pour ses entrevues.
      Près de la porte d’entrée, il enfile une paire de mocassins noire, rien d’original.
      Le rendez-vous est prévu à dix-huit heures dans un bar du front de mer, sur le quai de la marina.
      L’homme méticuleux incarne la ponctualité. Il sait qu’il faut vingt-quatre minutes de marche jusqu’au pub. Il part en avance. Sa montre indique dix-sept heures trente, cela lui donne une marge suffisante pour flâner en route.
      Il sort de l’appartement et descend les quatre étages. En bas, Davis adresse à nouveau un signe de la main à l’homme d’entretien. C’est peut-être la troisième fois qu’il salue Gustavo aujourd’hui. Ce geste social élémentaire est extrêmement important pour lui. Respect et politesse laissent aux gens un bon souvenir de soi.
      Une fois dehors, il referme derrière lui la porte du 85 West Cedar Street. Depuis quinze ans, il habite sur la colline de Beacon Hill. La balise installée au XVIIIe siècle a laissé place aux cottages et aux maisons de briques. Depuis l’époque victorienne, c’est l’un des plus beaux quartiers de Boston et l’un des plus prisés. Au bout de la rue, Davis prend la direction du centre-ville. Quelques mètres plus loin il fait un autre signe de la main à travers la vitre du Beacon Hill coffee shop. Rachel est de service, la plantureuse rouquine lui rend son geste en l’accompagnant d’un large sourire. Elle a toujours eu un faible pour les grands bruns ténébreux.
      Ces gestes absurdes font partie d’un rituel. Chaque jour ou presque, il prend contact avec quatre personnes. Elles sont inscrites dans une récurrence sociale fonctionnelle. Le misanthrope éprouve un mépris viscéral pour ces interactions. Son dédain va parfois jusqu’à la haine lorsqu’il pense à eux. Ces quatre êtres humains représentent un bel échantillon de médiocrité acquise. Bien qu’il les déteste profondément, il entretient ce rituel avec beaucoup d’assiduité dans un but très précis.
      Après avoir quitté les ruelles de Beacon Hill, sa main se glisse dans sa poche afin d’échanger ses lunettes contre des solaires. Il passe maintenant devant le capitole et continue un peu plus loin jusqu’à la boutique de donuts. C’est le vieux Sam qui s’en occupe depuis plus de quarante ans. En passant, il jette un coup d’œil à travers la vitre, l’homme âgé le salue d’un geste de la tête. Davis fait signe à son tour et poursuit son chemin. Ce n’est pas le pire, mais son ouverture d’esprit est restée coincée au mandat de Nixon. Cependant, il sait qu’il peut compter sur lui. Il en va de même avec Rachel et Gustavo.
      Ces gens-là n’ont pas été choisis par hasard. Ils sont passionnés par la morosité de l’existence. Ils ne sont jamais atteints par l’érosion et la tristesse du quotidien. Pire, ils trouvent dans la routine un merveilleux guide qu’ils suivent sereinement vers leur propre fin. Davis leur voue un culte. Il est en totale admiration devant ces êtres résignés à survivre. Pourtant, il pleure déjà en pensant au dénouement tragique qui consacrera leurs vies insignifiantes.
      En tous les cas, il peut avoir confiance en ces êtres routiniers. L’absence d’interaction sociale avec ces gens provoquera en eux une anomalie. Ne supportant pas l’interruption de leurs habitudes ils ne manqueront pas de donner l’alerte.
      Il cohabite depuis trop longtemps avec la mort. Les visions l’ont conditionné. Il n’éprouve aucun remords à se supprimer. Il aimerait simplement que son corps soit retrouvé avant qu’il entre dans une phase de décomposition avancée. Mais surtout, il souhaite éviter que Charlie, son fils de onze ans, découvre son cadavre lors de l’une de ses visites, une semaine sur deux.
      Après avoir croisé à de nombreuses reprises le Freedom Trail, il arrive maintenant au parc Christophe Colomb. Il parcourt l’espace vert puis passe sous les arcades végétales. Les glycines enroulées autour des colonnes s’épanouissent en une voute de verdure. L’ombre offerte est agréable, et quelques rayons de soleil traversent la canopée en caressant la peau des flâneurs. Au bout de cette allée, le pub est en vue.
      Dix-sept heures cinquante-cinq.
      Il approche de la terrasse du Jack America bar et grill afin de voir si son rendez-vous est arrivé. Il est en avance. Il est le premier et aime ça. Pour lui, il n’y a rien de pire que de faire attendre quelqu’un.
      Pendant plusieurs minutes, il reste debout, appuyé sur la rambarde de la promenade. Il observe les bateaux. Sur le quai de Long Wharf un groupe de touristes enjoués débarquent. Leur catamaran revient du large. En croisant leur route migratoire, ils ont peut-être aperçu des baleines à bosse. La mer devait être calme, personne n’a l’air malade. Un enfant à peine arrivé sur la terre ferme réclame une glace à sa mère.
      À nouveau, il scrute les environs, baladant son regard le long de la promenade, puis en direction du parc avant de finir par la terrasse du bar. L’homme n’est pas là.
      Dix-sept heures cinquante-huit.
      Davis fait quelques pas vers le pub. Il choisit une table en terrasse, à l’écart des autres pour ne pas être dérangé. Une ambiance calme est nécessaire pour aborder un sujet de cette importance. Ce bar est l’un des rares de la ville qui ne diffusera pas le match des Patriots ce soir. Pendant le tête-à-tête, les deux hommes parleront de choses sérieuses. L’entretien qu’ils vont avoir ensemble est capital. La destinée de cette personne se jouera dans les prochaines minutes. Il n’est pas question qu’une bande de supporters désinhibés criant « Go Brady ! Go ! » perturbent leur conversation.
      Un hipster stéréotypé s’approche de la table.
      — Bonjour, qu’est-ce que vous prenez ?
      Pendant que notre homme regarde sa montre, le barbu récite sa carte des bières.
      — J’attends quelqu’un. Vous pouvez revenir un peu plus tard, merci.
      — Très bien.
      Tatouages et chemise à carreaux repartent. Il regarde à nouveau sa montre. L’heure n’a pas changé, il est bien dix-huit heures. Il jette un coup d’œil autour de lui : personne.
      Le balai ininterrompu des mouettes offre une distraction temporaire, puis l’ennui s’installe. Les volatiles affamés s’enfuient de la terrasse lorsque deux jeunes filles s’installent à proximité. La position change, il se met à les observer. L’une d’entre elles a particulièrement attiré son attention. La jeune personne rayonne de bonheur dans ce monde terne, elle semble habitée par une douce béatitude.
      Il glisse sa main dans la poche de son pantalon pour sortir un petit carnet. Il le garde ouvert, comme s’il étudiait ses notes. L’insoupçonnable peut tranquillement effectuer sa prédation.
      La jeune fille n’a pas l’air d’avoir dix-huit ans. Seize ans peut-être, pas moins en tout cas. Elle est magnifique pour son âge. Pas vulgaire, elle ne fait pas adolescente, mais ne ressemble pas non plus à une femme. Son visage est très beau, très pur. L’attirance est plus profonde, l’allégresse qui s’émane d’elle intrigue.
      Il sort de sa poche un étui puis change ses lunettes. Il regarde autour de lui, à la recherche de l’homme qu’il attend. Un rapide coup d’œil à sa montre lui indique dix-huit heures quatre. La contemplation se porte sur les jambes de la jeune fille. Elles sont croisées, celle de droite au-dessus de l’autre. La jupe est un peu remontée et offre une vision délicieuse. Il échange à nouveau ses lunettes. Les couleurs sont moins fidèles, mais la discrétion est là.
      Les jambes sont fines et longues, un léger duvet blond les fait briller. Son bronzage estival lui donne un teint hâlé qui lui va à merveille. Le mollet garde la délicatesse, la courbe est raffinée. La cheville est magnifique, on devine les os. Maintenant la cuisse, souvent mal proportionnée, ce n’est pas le cas ici. Le muscle allongé apparaît de temps en temps à travers la peau. Ces jambes semblent parfaites.
      L’œil voyeur s’attarde maintenant sur le genou. De manière générale, il est assez rare de contempler de belles articulations. Pour ratifier celles-ci, il faudra attendre qu’elle se lève.
      Après cette dernière pensée, il regarde aux alentours. Une personne se dirige vers la terrasse du bar. Un rapide échange de lunettes confirme ses doutes. Il parle à voix haute :
      — Il est en retard.
      D’un coup d’œil, il vérifie l’heure, dix-huit heures six.
      — Oui, il est bel et bien en retard.
      La ponctualité est une valeur désuète de nos jours. C’est pourtant le premier signe de respect. L’homme exaspéré soupire.
      Très vite, son humeur évolue vers la passion : la jeune fille se lève. Le voyeur ne change pas de lunettes, il veut pouvoir scruter sans le filtre de la teinte grise.
      Pendant un moment merveilleux, l’harmonie avance majestueusement. Il contemple devant lui un trésor inestimable. Le galbe est possédé par la grâce, ce corps est parfaitement proportionné, la créature est divine.
      Les yeux de l’obsédé se promènent sur la jeune poitrine puis se fixent sur son visage. Le hasard fait qu’il croise le regard pétillant de la jeune femme quand elle le remarque. Un grand sourire se dessine sur les lèvres de la beauté. Visualiser ce délicieux paradis provoque en lui un enthousiasme démesuré. L’ensorceleuse passe près de sa victime et dépose son odeur avant de disparaître à l’intérieur du bar.
      Charmé, il ne peut s’empêcher de prolonger l’instant dans son imagination. Dans une scène plus intime, l’effluve fugace devient permanent. L’arôme enivrant de la jeunesse l’accompagne sur le lit. L’homme s’approche d’elle et lui enlève son haut. La nymphette garde son sourire finement dessiné et se laisse faire. L’admirateur découvre les petits seins de nubile.
      La sirène d’une ambulance met fin au fantasme. Toujours assis en terrasse, il attend. Désormais, il est plus impatient de retrouver la fille que de rencontrer son rendez-vous. Le moment suprême arrive, dans un courant d’air frais elle ressort enfin. Elle passe et tout s’arrête.
      Préparé pour cette apparition, il prend le temps de graver dans sa mémoire les moindres détails de ce corps parfait. Il souhaite posséder en lui l’image de la beauté accomplie. L’œil du sculpteur observe son modèle, ses merveilleuses jambes sont la base de petites fesses. La mini-jupe galbe l’ensemble divinement, si bien que l’on aperçoit le sillon. Son cerveau part en utopie et la dénude intégralement. Quelle délicieuse créature, la voilà ancrée dans ses souvenirs à jamais. Jusqu’à sa mort, l’homme pourra repasser le plaisir dans sa tête. À force de visionner la scène, il finira peut-être par se convaincre qu’elle fut sa maîtresse. Alors il s’en réjouirait et serait fier de lui.
      La sirène hurlante d’une voiture de police met un terme à son rêve. Il retourne à la contemplation. La beauté de cette jeune fille mineure provoque en lui une attirance. À ce moment-là, il éprouve le désir intense d’être avec elle. Il ne peut s’empêcher de sentir dans le creux de sa main la douceur de ses jambes. L’instant suivant, il ressent la chaleur délicate d’une poitrine que l’on câline.
      Une vague suffocante l’envahit soudainement. Accablé par l’ardeur, il hèle le hipster et lui demande de l’eau. Le moment d’après le serveur dépose sur la table un verre recouvert par la condensation. Davis saisit le contenant et s’efforce de boire lentement pour ne pas s’étouffer.
      La culpabilité s’empare de lui, la morale le réprimande. Il prend encore une petite gorgée du liquide glacé avant d’être à nouveau gagné par la tentation.
      Il ne parvient pas à résister, Humbert jette un coup d’œil aux jambes de Lo. L’esprit torturé, le pervers se demande comment ne pas être alléché devant tant de beauté. Ses yeux observent négligemment. Comment ignorer cette perfection de chair ?
      Dix-huit heures treize.
      Son rendez-vous n’arrivera pas. Même s’il venait à se présenter, cette impolitesse compliquerait le dialogue. Plus que deux minutes et le retard sera acté, un temps infini à passer en compagnie de la tentation et de la morale. De nombreuses pensées obscènes continuent d’affluer dans son esprit. L’homme pragmatique classe les informations. L’attirance est évidente, le désir d’aller en elle est certain. Notre coupable préfère se soumettre aux règles sociétales, le repenti ne pourrait jamais franchir cette ligne. Privilégiant ses principes à cette attraction désastreuse il bat en retraite.
      Le fuyard s’apprête à partir en compagnie de la morale. Il se lève et laisse un billet sur la table, la tentation quant à elle reste assise, immobile. En passant devant les adolescentes, il la regarde. Le visage angélique lui adresse un sourire, une profonde euphorie s’empare de lui.
      Seulement quinze minutes le séparent du domicile de son rendez-vous raté. L’homme acquitté marche sans penser à rien, puis des formes attirantes se montrent devant lui. Les femmes de trente ans sont certainement les plus charmantes. Leur sensualité s’est affinée et leurs reins battent enfin la mesure. En entendant cette affirmation, le nympholepte exilé réapparaît soudainement. Il déclare que ces arguments tentants ne sont rien face à l’allégresse juvénile. L’instantané revient en tête, il repense aux jambes de la jeune fille. La comparaison est impossible.
      Il continue à avancer puis le moment romantique réapparaît dans son esprit, lorsque la contemplation de la beauté s’est transformée en attirance. La romance passée, l’émotion suivante s’invite dans ses pensées, quand la fascination s’est métamorphosée en désir.
      À présent sur Fleet Street l’homme amoureux se fait plaisir, il visualise ses jambes. Il pousse la jouissance à savourer dans sa tête la silhouette et son sillon.
      Arrivé sur Hanover Street, il marche sur les briques rouges du Freedom Trail. Le chemin de la liberté permet aux visiteurs d’admirer les endroits qui ont fait l’histoire de Boston. Encore pris dans ses pensées, le désir revient soudainement lorsqu’il se remémore le regard et le sourire de sa lolita. Surpris par son enthousiasme tumescent, il préfère s’arrêter là.
      Le fautif arrive maintenant devant la statue équestre de Paul Revere. Dorénavant, il marche en compagnie de la culpabilité et de la morale.
      Drôle d’histoire cette attirance pour les jeunes femmes. Davis n’avait jamais eu ce genre d’affinités avant. Comme tout le reste, c’est apparu peu après janvier.
      L’homme s’interroge à voix haute :
      — Comment une chose aussi pernicieuse est-elle arrivée en moi ?
      Il longe à présent le lieu qui a fait la légende du patriote Revere. Old North Church à côté de lui, il se pose à nouveau la question. Sur Salem Street, il traverse la route pour emprunter Hull Street. De l’autre côté, il se retourne pour contempler la façade de la vieille église de Boston.
      La réponse vient à lui en un murmure.
      — L’héritage.
      Il continue à suivre la ligne de briques rouges du Freedom Trail, et longe à présent le cimetière. En regardant les tombes, il affirme à voix haute.
      — Le mal non exorcisé se répand à travers les générations.
      Davis quitte la trace rouge, puis après plusieurs mètres sur Snow Hill Street, atteint enfin sa destination.
      L’angle du dernier bâtiment dévoile un événement imprévu : la rue est bouclée. Les lumières et les flashs clignotent dans tous les sens. Les secours sont réunis devant le domicile de sa cible.
      Les lumières rouges du camion des urgences aveuglent tout le monde. À côté, un Ford Interceptor de la police éblouit la rue avec ses flashs bleus. L’homme curieux continue à s’avancer et se glisse parmi les badauds. Maintenant assez près du cordon de sécurité, il aperçoit une civière sortir par la porte de l’immeuble. Un sac mortuaire noir est transporté par deux hommes. Le convoi macabre passe, puis les ambulanciers embarquent le cadavre.
      Il fait un pas en avant, mais le déplacement est remarqué par l’officier du BPD. L’agent a pour mission de tenir à distance les badauds. Il hurle à l’individu de rester en retrait.
      Davis insiste. Il souhaite s’entretenir avec le policier et s’avance vers lui en repoussant la ligne à ne pas franchir. Malgré les injonctions, le suspect fait à nouveau un pas de plus. Le représentant de la loi est agacé, il fait signe de reculer. L’homme obstiné soulève le ruban jaune. Le flic furieux s’approche lentement en prenant ses précautions, la main posée sur son arme, prête à dégainer.
      — Vous là, reculez !
      Les mains bien en évidences Davis fait quelques pas en arrière. Le policier vient à lui.
      — Désolé officier, qui est dans le sac ?
      — Qu’est-ce que vous voulez ?
      — C’est monsieur Grave ?
      — Il me semble que c’est son nom. Vous le connaissez ?
      Le regard perdu dans le vide, l’esprit absent, il répond machinalement.
      — Oui, on avait rendez-vous. Je devais le tuer.

      Dernière modification par williamdomont (14 Juin 2022 20:05:57)

    • Chertograd

      Casual lecteur

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      #2 14 Juin 2022 14:54:22

      Très sympa !

      J'insisterais davantage sur les sensations et les impressions du protagoniste pour qui toutes les situations semblent normales. On a un point de vue très extérieur malgré ce qui se passe dans sa tête :)

      Mais sinon, j'aime beaucoup !
    • Les lectures de Pippin

      Casual lecteur

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      #3 15 Juin 2022 08:53:25

      Intéressant.

      Surtout l'idée des visions que je trouve très sympa et qui enclenche un début de questionnement sur ce personnage. Peut-être qu'un peu plus de détails sur ce phénomène aurait été le bienvenue, mais ça viendra peut-être dans la suite du récit :)

      La seule petite remarque que je ferai se porte sur le choix du terme 'cible' dans la phrase "L’angle du dernier bâtiment dévoile un événement imprévu : la rue est bouclée. Les lumières et les flashs clignotent dans tous les sens. Les secours sont réunis devant le domicile de sa cible."
      Même si on devine les intentions du protagoniste, utiliser le mot 'cible' avant la conclusion de la dernière phrase "— Oui, on avait rendez-vous. Je devais le tuer." dévoile directement au lecteur les intentions du personnage.
      La dernière phrase a l'effet d'une bombe qui annonce une suite palpitante mais l'effet est un peu évaporé avec le fait de savoir que l'homme était sa cible avant de savoir qu'il devait le tuer. Mais ce n'est que mon avis :)

      En tout cas très intrigant, bonne continuation !