[Suivi lecture] Claire C

 
  • Rascar Capac

    Magicien des lignes

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    #291 13 Décembre 2023 15:32:03

    ... et moi qui suis en train de le lire, j'en ai lu 14%, je garde ces remarques en tête concernant la condition ouvrière. Je ne pense pas que ce soit chez lui qu'il faille attendre de la compassion pour les classes populaires, car à la base il décrit sa vie de bourgeois Viennois, mais je vous donnerai mon avis :)
  • Claire C

    Passionné du papier

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    #292 13 Décembre 2023 17:21:58

    Olala merci à tous pour vos réactions, j'adore ce genre de discussions !
    Et merci pour vos compliments ça me fait chaud au coeur :pink: !

    @ Grominou
    et pontdeslivres : dans la globalité, à part les petits points que je re-mentionne plus bas, je suis d'accord avec vous. La condition ouvrière n'est pas le sujet de Zweig, et il décrit magnifiquement la vie intérieure et sentimentale de ce que j'en lis !

    @ Rasca Capac : oui, je veux bien ton avis quand tu passeras sur les pages qui m'ont fait réagir en défaveur de Zweig. Et sur le reste aussi bien sûr ! J'espère que cette lecture te plait ! Tu vas la finir avant moi, je suis trop contente que tu te sois plongé aussi vite dans ce livre !

    ***

    Tant qu'il décrit ses ressentis et ses actes, je n'ai aucune critique pour Zweig, et je l'adore même, et je ne lui en veux pas du tout de rester spirituellement et en actes dans son milieu.

    Mais quand il se permet de généraliser un peu vite et de dire que le progrès est bon pour tout le monde, que tout est mieux, plus grand, plus innovant, etc. sans tenir compte des gens qui plongent dans la misère à cause de cela, ça m'énerve ! Et quand il pense que l'Europe ne forme qu'un peuple uni parce qu'il croise les mêmes amis dans tous les musées européens et les cercles artistiques où il se trouve, c'est un peu vite dit aussi. Et il s'étonne aussi des volontés d'expansion des grandes puissances, qui ont selon lui bien assez de place pour tout leur peuple, sans considérer que le fameux "progrès" ne tombe pas du ciel, et qu'il faut de l'énergie pour alimenter les machines, et que ça peut faire du sens de se battre dans d'autres continents pour récupérer tout cela et l'assurer pour son peuple pour l'avenir... Enfin, je radote, j'arrête là, j'espère que j'ai mieux circoncis les quelques points qui m'ont fâchée.

    ***

    Donc, à part sa vision un peu étroite sur ce point, qui ne dure heureusement que quelques pages, j'apprécie infiniment sa façon de voir les choses et de les raconter. Là, dans la montée des tensions avant la première guerre mondiale, en essayant de défendre la paix avec ses armes intellectuelles, je le retrouve tel que je l'aime.

    D'ailleurs j'ai appris grâce à lui qu'il y avait eu en 1904-1905 une guerre russo-japonaise, et aussi une guerre des Balkans avant la première guerre mondiale (qui permet aux différents constructeurs européens de canons de les "tester" efficacement sur "matériel humain" comme le dit joliment Zweig). Son point de vue historique est tout-à-fait intéressant !

    Dernière modification par Claire C (13 Décembre 2023 18:26:53)

  • Ciboulette

    Tourneur de pages compulsif

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    #293 14 Décembre 2023 14:50:04

    Intéressant ce que tu écris sur Zweig, je ne m'en souviens pas très bien mais il me semble que je lui avais
    aussi trouvé un côté bourgeois déconnecté mais c'est aussi pour ça qu'on l'aime, sans doute.
  • Claire C

    Passionné du papier

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    #294 14 Décembre 2023 15:26:22

    @ Ciboulette : je suis d'accord avec ce que tu écris !

    ***

    Ca y est. C'est la guerre. C'est très intéressant de voir l'escalade et le tout début de la guerre côté autrichien. Et il n'y a pas si longtemps dans mes lectures j'étais un siècle plutôt dans les guerres de Napoléon côté russe avec Tolstoï. D'ailleurs Zweig mentionne Balzac qui aurait écrit sur Napoléon, cela ne me parle pas, auriez-vous des titres en tête ?

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    Remarque : Zweig était en train de lire un livre intitulé Tolstoï et Dostoïevski quand il reçoit la nouvelle de l'assassinat à Sarajevo de l'héritier de la couronne d'Autriche. J'aime quand les livres se répondent !


    Ce qui est génial avec Zweig qui est un amoureux des artistes passés et de son temps, c'est qu'il nous rend vivants de grands noms, certains me sont connus, comme Rodin et Rolland, et d'autres non, comme Verhaeren et Bazalgette. Ces deux noms vous disent quelque chose ?

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    Note : Zweig nous apprend que jusqu'en 1914, "Marcel Proust passait pour un gommeux de salon" et qu'on son oeuvre "était plongée dans l'obscurité au milieu de la ville la plus curieuse et la plus spirituelle du monde". Ce n'est plus le cas aujourd'hui !


    On note bien peu à peu comment la propagande, l'information, la mise à grande échelle réussit à concrétiser une "pensée de masse".

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    Ici Zweig cite l'analyse de son ami Romain Rolland : "Nous sommes entrés dans une époque de grands sentiments de masse, d'hystéries collectives, dont on ne peut encore absolument pas prévoir la puissance en cas de guerre."


    Et je note aussi un changement de point de vue intéressant de Zweig. Jusqu'à la guerre, il ne jure que par le progrès, par la technologie. Puis, à la déclaration de guerre, il commence enfin à ouvrir les yeux sur la nature et ses beautés.

    ***
    Bon, j'arrête de faire la piplette et je vais lire un peu... et j'aurai vite encore plein de trucs à écrire ici !
    Bonnes lectures à vous !

    Dernière modification par Claire C (14 Décembre 2023 15:27:00)

  • mia82

    Espoir de la lecture

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    #295 17 Décembre 2023 11:53:53

    Dessine moi un énigme :P
  • Claire C

    Passionné du papier

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    #296 17 Décembre 2023 18:31:37

    mia82 a écrit

    Dessine moi un énigme :P


    Heu... Peux-tu m'en dire plus ?

  • Claire C

    Passionné du papier

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    #297 18 Décembre 2023 16:30:32

    J'ai besoin d'écrire ici quelques mots. J'entre doucement dans la dernière partie de mon livre. Je suis remplie d'émotions et pénétrée de respect pour Zweig. Quel témoignage ! Jamais plus je ne regarderai l'Europe de ces années comme avant. J'ai juste envie de m'agenouiller, pleine de reconnaissance pour ce merveilleux écrivain.
  • Claire C

    Passionné du papier

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    #298 19 Décembre 2023 10:29:25

    Je me pose quelques instants pour écrire à propos du Monde d'hier.

    Au fur et à mesure que je lis un livre, je le lis de plus en plus vite. Il me faut du temps pour rentrer dans l'écriture, dans l'atmosphère, et après tout devient plus facile et plus fluide, en tous cas quand j'adhère au monde créé et au style, ce qui est le cas ici. Là, où Zweig est au sommet, je ressens pourtant le besoin de faire un point avant la redescente jusqu'à sa mort (puisqu'il se suicide juste après avoir envoyé Le monde d'hier à son éditeur, ce qui marque fortement cette oeuvre pour moi).

    Le style de Zweig nous emporte.

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    Et en plus il nous en livre les secrets. Pas de pause, pas de longueurs, il veut une intensité maintenue tout au long de ses écrits, ce qui fait pour lui son originalité et la source de son succès. J'ai trouvé quand même 3 redites pour l'instant dans ce livre (peut-être un peu moins relu et retravaillé que ses autres oeuvres ?).
    - l'assassinat de son ami diplomate
    - l'envie de voir un livre écrit sur les variations de la monnaie
    - l'envie de constater l'oeuvre des grands esprits dans sa genèse


    La manière dont il écrit envoûte presque, et il aborde des sujets sensibles avec doigté et finesse. Par exemple, il traite de la célébrité, et de la transformation que cela provoque. Il mentionne aussi le rapport entre vie intime et vie publique. Toutes ses réflexions et ses témoignages sont infiniment précieux.

    Son point de vue sur la première guerre mondiale, l'escalade, la guerre, et l'après guerre, est simplement passionnant, on voit la guerre du côté des cercles intellectuels et littéraires, et j'ai appris énormément. On comprend de l'intérieur comment cette guerre change en profondeur des choses et met en place les bases d'un autre monde, et on comprend qu'elle ne suffira pas, qu'elle amène d'autres bouleversements. Zweig dit très justement que le terrain passe du national au social entre les deux guerres. On voit le vaste terrain des extrémismes naître, on sent la montée du bolchevisme avec la Révolution russe, et du fascisme. Pour l'instant pas de nazisme où j'en suis.


    Une fois l'émotion liée à la force et à la finesse de son écriture retombée par une pause, d'autres pistes de lecture de ce livre s'ouvrent à moi.

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    Le personnage même de Zweig nous révèle énormément sur cette époque. Il est complètement déconnecté (je reprends le mot de Ciboulette) des réalités matérielles et des classes sociales plus modestes. Même pendant la guerre, quand il voit des blessés, des mourants, il ne s'identifie jamais à eux. Il les regarde, mais on sent que ces gens sont et restent à jamais des étrangers pour lui. Il reste au-dessus de la misère, dans son château acheté pendant la guerre et avec sa fortune qui lui permet de vivre presque normalement malgré l'inflation. Je me suis étranglée quand j'ai lu qu'il dit "retrouver les réalités de la guerre" quand il rentre en Autriche depuis la Suisse à la fin de la guerre et qu'il trouve que les trains sont plus lents et vandalisés, lui qui a ses valises pleines et bien assurées.

    Contrairement à Remarque (avec qui j'espérais une rencontre, eux qui ont à leur manière lutté contre la guerre avec des livres, mais pour l'instant cet espoir est vain, ils ne sont pas dans les mêmes cercles), il n'a jamais imaginé vivre la moindre réalité de la guerre, du front. Ce n'est pas son monde, un point c'est tout. Lui, il est écrivain, et il travaille (avec je ne sais combien de personnes à sa disposition, il trouve absolument extraordinaire un écrivain sans secrétaire).

    Je pense que la guerre a rendu ces différences visibles, ceux qui se sont enrichis, qui n'ont pas été sur le front, et ceux qui ont tout perdu, la vie, la santé, et qui rentrent trouver la misère. Et même si Zweig profite encore une dizaine d'années, presque honteusement je dirais, de sa richesse, de sa célébrité, des voyages, le fait que ce genre de personnages existent à côté de la misère des autres me semble une aberration. Zweig a beau analyser la guerre, il n'a pas un seul geste de générosité, il veut juste retrouver le monde d'avant, et il vit toujours entouré de sa sécurité et cela lui semble normal.

    Je dirais que ce caractère appartient à un ancien monde, le Monde d'hier justement, un monde avec des gens intouchables, qui rayonnent au dessus du quotidien, et ce monde je ne peux pas le comprendre puisque ce n'est pas le mien.

    Une autre chose qui me marque dans le caractère de Zweig est son adhésion totale au monde du progrès, monde qui commence à être remis en question aujourd'hui même si nous sommes toujours bien dedans. Justement, son écriture se veut intense, efficace, rapide. A l'image du monde du progrès, du monde de la propagande. Au début de son livre, il fait l'éloge d'une petite communauté d'artistes parisiens qui vit retirée, au calme, sans se presser, qui prend le temps. Je pensais que son coeur irait vers cette manière de faire. Mais non, il se fait happer par le rythme des changements de son temps. Il va vite, il publie beaucoup, et il veut vivre toujours intensément, et il est toujours dans de luxueux hôtels partout en Europe (il lui semble bien sûr évident que des gens sont à sa disposition partout pour porter ses nombreux et lourds bagages).

    Un autre trait de caractère est son aptitude à collectionner. Ca aussi, je dirais que ça marque une époque : l'envie d'accaparer, d'accumuler. Cela commence sans doute avec les fortunes gigantesques des grands industriels américains à la fin du XIXème siècle, qui leur rend tout possible et qui se mettent à acheter l'histoire et l'art. Et bien Zweig fait pareil, il collectionne, il accapare, et il montre.

    Un autre moment tout-à-fait caractéristique pour moi est son voyage dans la "Nouvelle Russie" pour célébrer Tolstoï. Pour la première fois, il sent qu'il côtoie "le peuple", qui l'appelle "camarade" et qui traite en apparence d'égal à égal avec lui. Il regarde de haut le saut culturel que veut faire d'un coup la Russie, mais il est gagné par l'enthousiasme général autour de lui et de ses collègues européens. Il lui faut une lettre anonyme pour le désaveugler un peu sur ce qu'il voit et qu'il y réfléchisse. Pourtant, dans Guerre et paix, Tolstoï décrit très bien combien les paysans sont orchestrés, dirigés, surveillés, menacés pour faire semblant et plaire à un homme de passage. Il dit que la Russie lui est familière avec ses lectures, et cependant il me semble qu'il en a négligé certains enseignements. Mais Zweig dit aussi que pour la plupart des choses de la vie, c'est en vivant et non en lisant qu'on les apprend !

    Note : Cette visite en Russie fait écho au récit de celle du chanteur Renaud décrite dans sa biographie.


    A l'occasion j'ajouterai des citations, pour l'instant je n'ai écrit que de mon souvenir. Je me sens un peu plus disponible maintenant pour accueillir la suite du livre !

    Dernière modification par Claire C (19 Décembre 2023 13:36:22)

  • pontdeslivres

    Lecteur assidu

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    #299 19 Décembre 2023 22:11:45

    Tu sembles vivre ta lecture à 300% ! En tout cas, tu me donnes sincèrement envie de le lire pour me faire mon avis !
    Et je suis d'accord - le fait qu'il se soit suicidé avec sa femme juste après avoir fini d'écrire ce livre le rend particulier - c'est pour cette raison que j'ai toujours repoussé la lecture de ce Zweig !
  • Claire C

    Passionné du papier

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    #300 20 Décembre 2023 16:07:35

    Merci pontdeslivres pour ton message ! Oui, je ne sais pas faire les choses à moitié, lecture y compris... J'ai d'ailleurs du mal à sortir de ce livre qui m'a énormément marquée.

    Du coup la perspective du Book Club Théâtre de ce week-end me fait très plaisir ! Et commencer La guerre de Troie n'aura pas lieu, avec son ton si agréable à lire, me fait un bien fou !