#54 18 Août 2023 17:59:44
Mon livre commence mal : écrire à propos de ce qui soit-disant nous sépare des animaux, la science est spécifique à l'homme, parce les animaux sont trop plein de leurs besoins primaires pour penser, etc. Ce genre de propos m'horripile. Parle de ce que tu sais, et à moins que la métempsycose existe et que tu me le prouves, tu n'as pas été dans la tête d'un animal. Pas besoin de faire des introductions vides de ce genre, par pitié. C'est comme les "de tous temps...", le jour où l'auteur de ces lignes aura vécu dans tous les temps, je pourrai supporter cette phrase.
Mais bon, je lui pardonne, les maths sont un de mes gros points faibles, donc je lis donc au delà de ce paragraphe qui m'énerve, et là, ça devient plus intéressant !
** Les mathématiques comme économie de la pensée **
Pour Jourdain l'essence profonde des sciences "is the prevention of waste of the energies of muscle and memory". "This sounds as if science were governed by the same laws as the management of a business ; and so, in a way, it is."
A force de me concentrer sur l'aspect artistique et créatif des mathématiques, j'en avais oublié l'aspect économie de la pensée. Merci pour cette pensée qui me réouvre un champ !
Les mathématiques sont donc un langage qui permet décrire les expériences faites dans le passé, pour faire gagner du temps aux générations futures. "Memory is handier than experience, and often answers the same purpose. Science is communicated by instruction, in order that one man may profit by the experience of another and be spared the trouble of accumulating it for himself ; and thus, to spare the efforts of posterity, the experiences of whole generations are stored up in libraries. And further, yet another function of this economy is the preparation for fresh investigation."
C'est intéressant de lire des livres du passé. Je trouve justement que je suis complètement déconnectée des réalités concrètes qui nous ont permis de créer les outils mathématiques. Je ressens donc besoin de sentir leur provenance, de retrouver un contact avec la vie, avec la Terre, avec les anciens. Et Jourdain est précisément ravi de trouver un moyen de nous couper complètement de l'expérience et du vrai monde pour rester dans le monde de l'esprit et gagner du temps. Rester ancré pour savoir d'où l'on vient et donner du sens aux choses, mais pas trop pour avoir la liberté de créer, de conceptualiser, et de penser, pas facile de trouver le juste équilibre !
** Le rapport à l'expérience et à la réalité **
La géométrie pour elle-même serait vraiment née en Grèce, "When Archytas and Menaechmus employed mechanical instruments for solving certain geometrical problems, "Plato," says Plutarch, "Inveighed against them with great indignation and persistence as destroying and perverting all the good there is in geometry ; for the method absconds from incorporeal and intellectual to sensible things, and besides employs again such bodies as require much vulgar handicraft : in this way mechanics was dissimilated and expelled from geometry, and being for a long time looked down upon by philosophy, became one of the arts of war."
"This explains much of the naïve, hazy, and dreamy character of ancient natural science. Only seldom did the impulse to make experiments for oneself break through ; but when it did, a great progress resulted."
Encore une fois, une juste balance entre l'amour de la pensée (même si c'est dommage que ça s'accompagne d'un mépris pour d'autres sciences... toujours un problème de classes sociales à la base), et la confrontation au réel (c'est comme cela qu'Aristote affirme que les hommes ont plus de dents que les femmes... et on croira jusqu'au Moyen-Age !).
** Langage mathématique **
"Perhaps the most important advantage of symbolism - the power it gives of carrying out a complicated chain of reasoning almost mechanically."
Ca me fait du bien de lire cela. Quand on fait des calculs, souvent c'est difficile de suivre conceptuellement ce qui se passe à chaque ligne, le crayon va bien plus vite que le cerveau !
J'ai lu un point de vue également intéressant, plus proche de nous, et presque opposé dans la préface de The road to reality, de Roger Penrose (je n'ai pour l'instant lu que la préface de ce pavé, mais un jour il sera aussi disséqué dans ce suivi ;)). Il parle des gens qui ont des difficultés à comprendre la manipulation des fractions (leur intelligence n'est pas mise en cause, au contraire !) : "Perhaps many of those who find cancelling mysterious mysterious are seeing a certain profound issus more deeply than those of us who press onwards in a cavalier way, seeming to ignore it."
Encore une fois, un équilibre est à atteindre. Accepter de manipuler des symboles sans tout comprendre, et à la fois savoir se poser des questions sur ce qu'on manipule.
** Question : Comment les égyptiens mesuraient un angle droit ? **
Réponse : ils prennent une corde et il font des nœuds dessus (à 3, 4, et 5 unités de distance) comme dessiné : A---N1----N2-----B. Le tout reste tendu, les noeuds N1 et N2 restent fixes. Des gens prennent alors la corde en A, d'autres en B et ils se rejoignent. Ils obtiennent ainsi un triangle rectangle en N1, c'est chouette !
Cela marche car 3^2+4^2=5^2 (Théorème de Pythagore : dans un triangle rectangle, le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés du triangle)! C'est aussi une application du Théorème de Fermat.
Voyager dans les théorèmes ça me fait penser au très joli roman de Apóstolos Doxiádis : Oncle Petros et la conjecture de Goldbach.
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Je me rends compte que je lis très lentement et que j'ai besoin d'écrire beaucoup pour m'approprier ce que je lis. j'espère que mes pavés ne sont pas trop imbuvables, l'idée reste le partage !