#64 24 Avril 2024 11:10:17
Just have fun
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Cette fois je suis à Boston. Dans une petite chambre d'hôtel. Pour l'instant je suis seule, ma colocataire arrivera dans quelques jours. Alors, fiévreuse, je cherche sur internet, et je trouve : oui, ici, sur cette côte où est née la danse qui me fait vibrer, moi, je vais aller danser !
Une heure est proposée à Harvard, je regarde bien mon plan, et je me lance dans la métro. Ai-je bien fait ? Ou aurais-je dû rester au frais, en sécurité, dans la chambre avec mes cahiers ? Mon coeur bat, je suis un peu folle, je me perds, je me retrouve, et, avec un peu de retard, j'arrive au bon endroit. Je suis devant la porte, mon cours de danse est bien là. Un frisson me parcourt, non, tu ne rêves pas, cette heure est bien pour toi.
Des étudiants de mon âge, décontractés, échangent dans une atmosphère bon enfant, je suis accueillie chaleureusement, sans cérémonial, simplement, comme ils savent si bien le faire là-bas. Et nous voilà partis dans la ronde, quelques passes d'échauffement, et deux par deux, liés par cette connexion corporelle qui ne peut s'expliquer par les mots, nous vivons chacun notre histoire sur la piste, au son de la musique, en harmonie avec son tempo.
J'aime danser, sur la piste le sourire ne quitte jamais ni mon coeur ni mes lèvres, une joie brûlante m'habite, même en l'écrivant mes mains s'enflamment... Et pourtant ! Mon origine me trahit, et voilà que je demande pardon pour un oui, pour un non. Petite française, je suis entraînée à la compétition, à la critique, à la perfection. Je n'arrive pas à lâcher ce regard sur moi-même qui me juge tout le temps, et focalise mon attention. Et je reste, malgré moi, un pied en dehors de ce moment.
Alors mon partenaire s'arrête, un beau brun d'origine indienne je suppose, mais peu importe. Il me regarde de ses yeux perçants : "Forget everything, just have fun". Comme j'aimerais lui obéir ! Mais une partie de moi résiste. Il est en chaussettes sur le parquet, libre dans son corps, il me prend la main, et puis il m'entraîne. Loin, à l'autre bout de la salle, il me fait oublier les pas que j'ai sagement appris, et il me guide vers quelque chose de nouveau, nous sommes complètement dans la musique, et à ce moment là, enfin, je n'ai plus de cerveau, que c'était beau !
Je suis rentrée tremblante de cette heure de danse. Mes repères un peu déstabilisés, j'en suis même tombée dans le métro. J'ai fini par rentrer saine et sauve à l'hôtel, et, le genou en sang, je souriais encore à cette séance. Et chaque fois que je repose un pied sur une piste de danse, j'y repense.
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