[Coe, Jonathan] La vie très privée de Mr Sim

 
  • Shamash

    Néophyte de la lecture

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    #1 02 Mars 2011 15:16:10

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    Depuis Testament à l’anglaise et Le cercle fermé, la sortie d’un nouveau roman de Jonathan Coe est toujours un événement que je ne rate jamais. Encore une fois, je ne suis pas déçu : ambitieux, stimulant, subtil, parfois déjanté, voila  les qualificatifs que m’inspirent la lecture de ce livre. Incontestablement un grand roman, d’un grand auteur.

    Maxwell Sim est un être terne et  sans éclat, ayant une conscience précise de sa fadeur. L’épitaphe gravée sur sa tombe devrait être, selon lui :  « Ci-git Maxwel Sim, un type archi-banal ».  Il est en effet d’une terrifiante banalité. Un dépressif quitté par sa femme, méprisé par sa fille, qui  ne s’intéresse à rien d’autre qu’à son travail  de  VRP en brosse à dents de luxe et va établir, au cours de son périple vers l’Ecosse, une relation privilégiée avec son GPS, qu’il baptisera Emma.  Pourtant, nous devinons,  au fil des pages, qu’il n’est  pas que cela. 

    L’ambition et le projet de Jonathan Coe  percent rapidement : si l’auteur  a créé cet « homme »  si terne  et  si fade au début du roman, c’est d’abord pour le faire évoluer sous nos yeux, ensuite  pour livrer en pâture à ses lecteurs des questions et des réflexions sur le roman, ses personnages et  l’écriture.  Que nous dit-il ? En substance, ceci  : je vais vous montrer comment se construit un personnage de roman, ce qu’il est réellement, comment il s’enrichit  progressivement, ce que j’ai voulu en faire sans totalement le vouloir, sans en être complètement conscient au moment où  je l’écrivais. Je vais vous placer au cœur du processus de la création romanesque. Ce faisant, vous comprendrez quel rôle vous jouez, vous, lecteur, dans cette création. Car le lecteur n’est pas neutre : moi, auteur, je tiens compte de lui pour dessiner mes personnages et leur histoire.

    Pour arriver à ses fins, il place Max dans des situations qu’il pourrait avoir lui-même  vécues  tout en lui insufflant un passé qui n’est  pas le sien, des passions qui lui sont étrangères, des désirs qui lui sont inconnus. Dès le début, Max apparaît pour ce qu’il est : un personnage de papier, factice, vide, auquel par son talent  l’auteur donne un souffle de vie et qui va nous accrocher, peu à peu, au fil des pages, tout comme Mr Sim est accroché par sa vie… quand elle est  racontée par d’autres.

    Car c’est la force de ce roman et de son personnage fantôme : Max est le lecteur de sa propre vie,  écrite  par  son entourage proche.  Il est donc placé dans la même situation que nous  puisque nous  sommes aussi  lecteurs du roman qui nous expose  sa « vie très privée ». 

    Max, qui reste toujours attaché à son ex-femme Caroline, entre en rapport avec elle sur un forum Internet en utilisant un pseudo féminin, Liz Hammond. Et Caroline, qui pendant quatorze ans n’a jamais pu vraiment communiquer avec son mari, développe alors avec  Liz une relation épistolaire chargée d’émotion et d’amitié, ce qui le bouleverse :  « (…) vous n’en reviendriez pas de la chaleur, de l’amitiés, de l'affection, oui, qu’elle mettait dans ces mots adressés à une étrangère, une  parfaite  inconnue qui n’existait même pas, bon Dieu de bon Dieu ! ».

    Leur relation se développe tant  que Caroline  envoie à Liz/Max une nouvelle qu’elle vient d’écrire, dans laquelle elle met en scène un événement de sa vie de couple où Max tient un rôle central.  Ainsi, Max devient, à travers la lecture de cette nouvelle, le lecteur de sa propre vie, décortiquée par Caroline qui joue alors le rôle de l’écrivain (elle ambitionne de le devenir). Et nous, lecteurs du roman de Jonathan Coe, devenons des lecteurs de la vie de Max écrite par un des personnages de Coe.

    Au cours de son périple, notre personnage  va être amené  à lire un nouveau récit d’un épisode de sa vie , lorsqu’il rencontre  Alison, la sœur de son ami d’enfance Chris. Les révélations apportées par ce récit, qui concernent aussi bien son père que lui-même, vont à nouveau le bouleverser, le transformer. 

    Un  autre des multiples thèmes du roman porte  sur la recherche de l’identité réelle d’un père avec qui  Max n’a jamais pu communiquer et qu’il ne comprend pas.  Et Jonathan Coe, qui s’amuse à créer un suspense à travers cette double recherche d’identité, nous montre combien il est difficile d’interpréter des faits pour les rendre signifiants.  Car là encore, dans le récit d’Alison, Max ne saisira pas l’essentiel. Il lui faudra poursuivre sa quête pour y parvenir.  En attendant, écrasé  par les révélations sur son passé, Max  se surprend lui aussi, comme les autres, à inventer, à imaginer ce qu’aurait pu devenir sa vie si l’auteur l’avait voulu, et il nous  raconte des scènes imaginaires qui auraient pu se dérouler entre  Alison et lui.  A cet instant  du roman,  le personnage de Max commence à sortir de sa médiocrité initiale : « Non, rien n’est vrai, mais vous savez quoi ? Je crois que je commence enfin à me débrouiller, comme écrivain (…) Et je dois avouer que j’y ai pris vraiment du plaisir. Je n’aurais jamais imaginé qu’inventer soit aussi gratifiant. »

    Peu à peu, Max se rapprochera de son père et finira par le connaître mieux, en même temps qu’il  découvrira les raisons profondes de son mal-être. Il poursuit  d’ailleurs sa quête de sa propre identité à travers les carnets de son père, poète et admirateur de T.S. Eliot, que celui-ci lui a demandé de ramener en Australie.  Lorsqu’il  trouve ces carnets,  leur lecture est une nouvelle révélation.  La perception qu’il  a de la réalité de son enfance, de ses relations avec son père et avec les femmes se trouve modifiée par sa   lecture. Dans le même temps,  notre perception de lecteur happé par l’histoire de Max s’en trouve aussi bouleversée. 

    Dans le courant de l’histoire, Mr Sim  va nous révéler  sa  conception de la création artistique, directement induite de ce qu’il vient d’apprendre :

    « Si nous vivions tous dans un parfait bonheur, sans conflits, sans tensions, sans névroses, sans angoisses, sans problèmes irrésolus, sans injustices monstrueuses tant sur le plan personnel que politique, sans rien de toutes ces saletés, alors les gens qui courent chercher des consolations dans des histoires n’auraient plus besoin de le faire, n’est-ce pas ? Ils n’auraient plus du tout besoin d’art. C’est pourquoi je n’en ai pas besoin, moi, et vous non plus, désormais ».

    Est-ce la conception de Jonathan Coe lui-même qui est ainsi dévoilée ? Bien sûr, nous n’en saurons rien.  Mais Coe joue avec  le lecteur avec son humour habituel  : si  vous avez commencé  ce roman, nous dit-il en substance, c’est que vous étiez  névrosés et malheureux. Max découvre et comprend  en même temps que le lecteur les ressorts de sa sexualité et les raisons profondes de son mal-être : il est guéri  peu de temps avant sa disparition, désormais  il n’aura plus besoin de lire des histoires.

    Paul  Auster avait  lui aussi exploré les rapports ambigus entre le romancier et ses créatures/personnages, dans « Seul dans le noir », «  Invisible » ou « le livre des illusions ». Jonathan Coe  ne se contente pas de ce seul élément pour faire exploser son roman au visage du lecteur, il va plus loin en développant  le  triptyque auteur/lecteur/personnage.  Il  le fait d’une façon plus décontractée qu’Auster, avec  son humour discret, si  corrosif,  en nous donnant   le sentiment qu’un personnage de roman n’est qu’une création littéraire et un jeu de l’esprit  que ni le romancier, ni son lecteur, ne doivent  prendre trop au sérieux. 

    Le roman avait commencé par la vision, dans un restaurant de Sydney, d’une jeune femme asiatique et de sa fille qui jouaient aux cartes au restaurant. La complicité entre la mère et la fille, leurs liens étaient si  évidemment forts que le solitaire Max, qui n’avait jamais pu communiquer ni avec sa fille ni avec son père en avait été bouleversé. Il avait conservé ces images là dans sa mémoire et son rêve était de les retrouver un jour.  Magie du roman, l’auteur exauce son rêve et Mr Sim peut enfin discuter avec la jeune femme, quelques pages avant la fin. Quelques phrases lui suffisent pour deviner qu’elle a  perçu le point essentiel  de sa personnalité, celui qu’il  cachait  à lui-même  : ce n’est pas avec elle qu’il pourra être heureux, mais plutôt  avec Clive, l’homme qu’il a rencontré au cours de son périple.

    Lorsque le livre s’achève, nous  avons fait le tour de  la vie de Mr Sim, nous savons comment Coe a créé son personnage. Comment  finir l’histoire ? par une note d’espoir ? Une fin heureuse ? désespérée ? Ouverte ? Chacun de ces choix serait mal venu : Coe veut nous montrer que le personnage n’est qu’un accessoire, un moyen d’atteindre son but  qui est de  parler de notre époque,  de la création littéraire, des rapports entre les êtres. L’histoire terminée, le héros peut alors disparaitre d’un claquement de doigt. C’est ce que fait l’auteur dans une scène finale que certains commentateurs jugent étonnante, mais qui est, somme toute, d’une logique imparable.
  • Ikebukuro

    Puits de lecture

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    #2 06 Mars 2011 13:48:53

    J'adore cet auteur et sa façon de décrire la société anglaise. Le trait caustique et brillant de Testament à l'anglais et ensuite de La Maison du sommeil a fait que j'ai toujours essayé de suivre ce romancier au fur et à mesure de ses parutions même si j'ai toujours un petit décalage car j'attends les sorties en poche.
  • constance-ciel

    Improvisateur de marque-pages

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    #3 06 Mars 2011 19:34:12

    j'en ai entendu beaucoup de bien de ce nouveau Jonathan Coe (je connais pour ma part Testament à l'Anglaise, Bienvenue au Club et Le Cercle Fermé) et ton avis ne me donne que plus envie de le lire rapidement Shamash  : merci :)


    je repasserai ici une fois lu ;)

    Dernière modification par constance93 (06 Mars 2011 19:35:46)

  • mandorla

    Casual lecteur

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    #4 09 Mars 2011 13:18:37

    Pareil pour moi, il est sur le devant en librairie. J'avais lu " La pluie avant qu'elle tombe" de cet auteur. Et j'avais bien aimé. Dès que je l'aurais lu, je reviendrais vous dire mon avis.En attendant, bonne lecture.:cool:
  • lili25

    Lecteur assidu

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    #5 04 Avril 2011 18:28:20

    Je dévore tout Coe depuis que je l'ai découvert. Le dernier est différent, plus léger en apparence, mais aussi très profond. J'aime le style de cet auteur et je me laisse toujours charmer par ses histoires.
  • Stellabloggeuse

    Lecteur-express

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    #6 06 Avril 2011 20:30:39

    J'ai commencé Jonathan Coe avec Bienvenue au club, et ensuite j'ai dévoré ! J'aime particulièrement ses romans sur l'Angleterre, dont il dépeint la société avec grand talent.

    Cependant...

    Les derniers livres m'ont un peu déçue (La femme de Hasard, La pluie avant qu'elle tombe), je les ai trouvés déprimant.

    J'ai l'impression qu'avec La vie très privée de Mr Sim, il se reprend, et qu'il y aura du rythme et de l'humour. La chronique de Shamash me donne encore plus envie ! J'espère pouvoir me le procurer très bientôt pour apporter ma part de commentaires !
  • Invité

    Invité

    #7 07 Juin 2011 01:40:13

    En fait La femme de hasard est son premier roman publié ^^ (mais je viens de lire sur son site qu'il l'avait un peu revu pour une édition Penguin de 2000, peut-être que ça a été retraduit après ça?)
    C'était d'ailleurs le seul livre de lui que j'avais lu avant Mr Sim (que je viens de finir dans la soirée) et j'avais déjà beaucoup aimé. Alors ce roman-ci, je l'ai adoré. Il vaut mieux ne pas lire d'avis trop détaillés pour éviter de se gâcher toutes les révélations qui parsèment le livre ^^ Je tournais les pages à toute vitesse, jusqu'à ce qu'il n'en reste que quelques unes...là, j'ai beaucoup ralenti parce que je ne voulais pas que ça s'arrête...C'est un peu triste de devoir quitter Mr Sim, c'est vraiment un personnage attachant (notamment par son côté "Monsieur tout le monde", en tout cas j'aime ce genre de personnages)...Mais la conclusion m'a semblé parfaite.

    Bref, quand je l'ai fini j'avais un grand sourire sur le visage, et une grande envie de découvrir le reste de l'œuvre de Coe! Je m'en réjouis d'avance :yeah:
  • Stellabloggeuse

    Lecteur-express

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    #8 07 Juin 2011 11:16:29

    Tonia a écrit

    Bref, quand je l'ai fini j'avais un grand sourire sur le visage, et une grande envie de découvrir le reste de l'œuvre de Coe! Je m'en réjouis d'avance :yeah:


    Si tu veux continuer avec Mr Coe je te conseille vivement Bienvenue au Club et sa suite, Le Cercle fermé, c'est une vraie fresque sur l'Angleterre des années 70 et 90, un vrai bonheur !

  • Invité

    Invité

    #9 07 Juin 2011 11:48:05

    Merci du conseil :D Ça tombe bien, je m'étais déjà procuré Bienvenue au club il y a quelques temps.
  • lili25

    Lecteur assidu

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    #10 13 Juin 2011 20:56:59

    Stellabloggeuse a écrit

    Tonia a écrit

    Bref, quand je l'ai fini j'avais un grand sourire sur le visage, et une grande envie de découvrir le reste de l'œuvre de Coe! Je m'en réjouis d'avance :yeah:


    Si tu veux continuer avec Mr Coe je te conseille vivement Bienvenue au Club et sa suite, Le Cercle fermé, c'est une vraie fresque sur l'Angleterre des années 70 et 90, un vrai bonheur !


    Je confirme, et dans un autre style : la maison du sommeil, très bon !