#1 12 Juin 2011 15:39:50
Silence !
Je veux l'entendre. Je veux le comprendre. Je veux le dompter. Face à moi, majestueux et mystérieux, il me nargue. Il me presse de le rejoindre. Il veut jouer. Il veut jouer avec moi. Il veut se jouer de moi. Mais je lui résiste. Lui dit que je ne veux pas. Que je ne peux pas. C'est un duel de titan qui se joue en ce moment. Aucun son sinon le froissement de mes chaînes. Je n'ai toujours pas bougé. Lui non plus d'ailleurs. Je ne sais plus quoi faire. Je sens que je lui cède du terrain. Il insinue en moi ses paroles envoûtantes qui abattent mes barrières une à une.
Un pas.
Il a gagné un pas. Plus que deux et je serais à lui. Toujours aucun son. Seuls au monde. Il n'y a plus que nous deux. Lui et moi. Dans mon dos, mes mains tremblent. Les chaînes qui les relient émettent un cliquetis régulier. Je le regarde. Je voudrais m'abandonner à lui. Lui laisser la chance de me posséder et de me faire vivre sa mélodie dont il a le secret. Mais je ne peux pas, je n'en ai pas le droit. Il ne m'appartient pas.
Je me souviens de notre première rencontre. Tout comme aujourd'hui, il n'y avait que lui et moi. Je ne le voyais pas mais j'entendais sa voix douce et mélodieuse. Chaque note qui s'échappait de son corps atteignait mon cœur plus durement qu'une flèche. Je ne voulais pas le voir de peur d'être déçue par son physique. Seules les notes qu'il créait m'importaient. Etait-il beau ou tout à fait banal ? Aucune idée. J'étais trop timide pour oser l'aborder alors je restais à l'écouter caché derrière la porte qui me séparait de lui. Je m'imaginais être la personne qui le faisait chanter si joliment. Tous les jours à la même heure, il faisait chanter son corps et vibrer mon cœur. Lui seul arrivait à faire cesser mes pleurs et contenir ma colère. Je l'écoutais quand je souhaitais la mort et que la vie coulait le long de mes bras. Je l'aimais. Je ne l'avais jamais vu mais je l'aimais plus que tout être au monde. Il était la réponse à mes prières. Et un jour je l'ai rencontré. Un hasard. La porte était restée ouverte. Il ne disait rien. Seul au milieu de la pièce, il me regardait. Habillé tout de noir, laissant seulement apparaître quelques tâches blanches de ci de là. Majestueux, comme dans mes rêves, il m'impressionnait par sa présence.
Un pas.
Encore un pas de gagné. Plus qu'un et je serais à lui. Je ne m'en suis pas rendu compte, mais le souvenir de notre première rencontre jusqu'à ce jour, m'a rapproché un peu plus de lui. C'est la première fois que je le vois et il ne me dit rien. M'en veut-il ? A-t-il peur lui aussi ? Je sens en moi la tristesse qui le gagne à me voir si hésitante à m'abandonner à lui. Je le peine. Il me le dit. Il se remet en question. Mais je le rassure. Je suis maintenant assez proche pour poser une main réconfortante sur lui. Il frisonne et me regarde de nouveau. Il m'implore de jouer avec lui. Mais je ne peux pas. Je n'en ai pas le droit. Mais je ne suis pas assez forte pour lui résister et c'est avec appréhension que je fais le dernier pas.
Un pas.
Je suis maintenant à lui. Il m'enlace de ses bras puissants et me promets qu'il ne m'arrivera rien si je joue avec lui juste un peu. C'est alors avec difficulté et révérence que je pose sur lui ma main gauche. Enchaîné à cause d'une erreur, je ne peux jouer avec lui qu'avec une main. Il ne me livre alors que la moitié de ses secrets. Mes doigts frêles glissent sur son corps d'où émane cette mélodie que j'aime tant en lui. Il me murmure à l'oreille que je suis à lui et qu'il me délivrera de mes chaînes. Un jour, il me livrera tous ses secrets et alors je serais libre.
Le plus beau des cadeaux sort de l'âme d'un piano, c'est un cri intérieur.
Sisol
