[Suivi lecture] Claire C

 
  • Claire C

    Chercheur de mots

    Hors ligne

    #31 05 Août 2023 15:16:37

    C'est gentil de venir écrire sur mon suivi, merci à tous les deux !

    @ Nicolas : Je t'admire pour lire Zola dans l'ordre. Je suis incapable d'être aussi méthodique malgré toute ma bonne volonté, alors oui, je les prends quand le coeur m'en dit, quand un titre semble me parler plus que les autres. Il se trouve que je lis l'Oeuvre juste après Germinal, mais c'est un hasard. Là, c'est la découverte et la participation à une lecture commune qui m'a lancée dans la lecture de l'Oeuvre, et c'est une belle aventure !

    @ Chris : je suis complètement d'accord avec toi ! La prochaine fois que je tombe à Paris (ce n'est pas prévu tout de suite rassure-toi...), je te fais signe et on se fait une ballade dans le vieux Paris si ça te tente ! J'avais essayé de lire Métronome en me promenant en même temps, je n'ai pas réussi à faire tous les chapitres, mais c'était chouette et très enrichissant !
    Et oui, la langue russe, c'est chaud, mais ça reste une très chouette aventure ! Je l'ai d'ailleurs un peu mise en pause avec l'Oeuvre qui prend toute la place dans ma tête en ce moment...

    Je pense tenter de m'acheter un petit livre de Dostoïevski en édition bilingue si je trouve, comme ça je découvre cet auteur et je progresse en russe !
  • Grominou

    Modératrice

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    #32 05 Août 2023 15:30:54

    Je suis comme toi, j'ai lu les Rougon-Macquart dans le désordre, selon les disponibilités à la bibliothèque!  Par contre, je m'étais fait un arbre généalogique que je remplissais à mesure,  pour m'y retrouver dans la famille!
  • Claire C

    Chercheur de mots

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    #33 05 Août 2023 18:40:08

    Excellente idée pour l'arbre généalogique ! J'essaierai de regarder où se situe l'Oeuvre après avoir fini.
    Je ne suis pas particulièrement attirée par l'aspect "Saga", j'aime lire chaque livre comme une oeuvre à part entière.
  • Claire C

    Chercheur de mots

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    #34 07 Août 2023 19:55:08

    Plusieurs point me travaillent dans l'Oeuvre de Zola. Je ne sais pas si certains d'entre vous ressentent cela, mais lire un livre me demande tellement d'énergie, que j'ai besoin d'écrire pour décharger toutes mes émotions, même en cours de lecture. Il y a tellement de pensées qui me traversent au fil des pages ! Et je ressens fort le besoin de faire des liens (cela faisait plusieurs jours d'affilée que je n'avais pas parlé de mon cher Tolstoï...).


    ** L'importance du milieu **

    Il se trouve que Zola (1840 - 1902) et Tolstoï (1828 - 1910) sont contemporains. Et Tolstoï vient en France (principalement à Marseille) en 1860. A cette époque, Zola a 20 ans, est à Paris et cherche le succès. Ce qui me fait rapprocher les deux hommes d'abord, c'est leur référence à la sociologie. Très explicitement, les deux écrivains donnent le milieu et la classe sociale comme facteur déterminant dans la vie. Sandoz (la pâle copie de Zola) veut "étudier l'homme tel qu'il est, non plus leur pantin métaphysique, mais l'homme physiologique, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes".

    La sociologie est en train de se mettre en place doucement depuis la fin du XVIIIè siècle, et à travers ces deux écrivains, je sens que cette idée était clairement dans l'air du temps. L'influence du milieu sur l'individu leur semble une évidence, alors que moi j'ai du batailler longtemps pour m'ouvrir à cette idée. Mon chemin en sociologie a commencé avec Didier Eribon (Retour à Reims), un très beau témoignage. Depuis, je me suis construite une belle bibliographie dans ce domaine, et dès que le moment sera venu, j'attaquerai par le début de la pile je pense : Les héritiers, de Bourdieu.


    ** C'est quand qu'on va où ** (Titre d'une chanson de Renaud qui parle de l'école avec des mots que j'aime. J'apprécie ce chanteur, j'ai même lu son autobiographie : Comme un enfant perdu, intéressante et facile à lire.)

    Une autre remarque, par rapport à mon fil rouge de lecture du moment : l'école.
    Zola décrit dans le début de l'Oeuvre une partie de sa jeunesse avec Paul Cézanne à Aix en Provence où il a passé son enfance. Et tous ses souvenirs liés à l'apprentissage de l'art et de la littérature se trouvent... en dehors de l'école : "Déjà, Claude, entre sa poire à poudre et sa boîte de capsules, emportait un album où il crayonnait des bouts d'horizon ; tandis que Sandoz avait toujours dans sa poche le livre d'un poète. C'était une frénésie romantique, des strophes ailées alternant avec les gravelures de garnison, des odes jetées au grand frisson lumineux de l'air qui brûlait ; et, quand ils avaient découvert une source, quatre saules tachant de gris la terre éclatante, ils s'oubliaient jusqu'aux étoiles. Ils y jouaient les drames qu'ils savaient par coeur, la voix enflée pour les héros, toute mince et réduite à un chant de fifre pour les ingénues et les reines."

    Et cela fait directement écho aux impressions de Tolstoï sur Marseille : "Regardez un ouvrier de la ville, d'une trentaine d'années : il sait écrire une lettre avec moins de fautes qu'à l'école et parfois même tout  à fait bien ; il a une idée de la politique et donc de l'histoire et de la géographie moderne. D'après les romans il sait un peu d'histoire, possède quelques notions des sciences naturelles ; très souvent il dessine et applique des formules mathématiques à son métier. Où donc a-t-il acquis tout cela ?
    J'ai trouvé spontanément cette réponse à Marseille en commençant, après avoir visité les écoles, à parcourir les rues, les guinguettes, les cafés-concerts, les musées, les ateliers, les docks, les librairies. [...] Cette instruction est-elle bonne ou mauvaise, c'est une autre affaire, mais celle-là c'est l'instruction spontanée, combien plus féconde que l'instruction obligatoire, celle-ci ayant réduit presque à rien son enseignement et n'ayant gardé qu'une forme despotique".

    Je ne peux citer que le début de l'ouvrage de Dennison (Lives of children) que je n'ai pas encore terminé, mais ces mots m'ont marqués et semblent s'appliquer encore une fois à l'histoire de Zola : "learning is never the result of teaching". A méditer.


    ** Du guépard au chacal **

    Encore un point qui m'a paru très intéressant dans le début de cette Oeuvre, c'est le changement des mentalités par rapport à l'art et à l'achat de tableaux. On sent très fortement l'arrivée d'un nouveau modèle, fondé sur la toute puissance de l'argent, et utilisant massivement la publicité. Zola a d'ailleurs débuté dans le milieu littéraire par le service de publicité de chez Hachette (dixit wikipédia), et publie ensuite en ayant connaissance des rouages de la commercialisation du livre.

    Dans son Oeuvre, il décrit le modèle type du nouveau marchand d'art : "un spéculateur, un boursier, qui se moquait radicalement de la bonne peinture. Il apportait l'unique flair du succès, il devinait l'artiste à lancer, non pas celui qui promettait le génie discuté d'un grand peintre, mais celui dont le talent menteur, enflé de fausses hardiesses, allait faire prime sur le marché bourgeois. Et c'est ainsi qu'il bouleversait ce marché, en écartant l'ancien amateur de goût et en ne traitant plus qu'avec l'amateur riche, qui ne se connaît pas en art, qui achète un tableau comme une valeur en Bourse, par vanité ou dans l'espoir qu'elle montera."

    Et cela change aussi le rapport au succès et à la célébrité. "je me rappelle nos débuts, à nous autres. Fichtre ! Nous n'étions pas gâtés, nous avions devant nous dix ans de travail et de lutte, avant de pouvoir imposer grand comme ça de peinture... Tandis que, maintenant, le premier godelureau sachant camper un bonhomme fait retentir toutes les trompettes de la publicité. Et quelle publicité ! un charivari d'un bout de la France à l'autre, de soudaines renommées qui poussent du soir au matin, et qui éclatent en coups de foudre, au milieu des populations béantes."

    Cela me fait penser à une citation du film Le Guépard, de Luchino Visconti (j'ai le livre quelque part dans ma bibliothèque en italien, quand j'aurai assouvi mon appétit de russe, un jour je me lancerai !) : "Nous fûmes les Guépards, les Lions : ceux qui nous succéderons seront les Chacals, les Hyènes. " L'action se passe également en 1860, lors de l'unification italienne.


    ** L'art et la foule **

    Un point qui me semble lié : l'intellectualisation du monde de l'art. On sent très fort le gouffre qui commence à séparer le public des artistes dans l'Oeuvre.

    Une tendance fortement remise en question par Tolstoï (je la remets, je l'adore celle-là) :
    "Le paradoxe vulgaire que, pour comprendre le beau, il faut une certaine instruction, est devenu une banalité. Qui le dit ? Comment est-ce prouvé ? Ce n'est qu'un trou pour sortir de la situation sans issue à laquelle nous ont conduit la fausseté de nos opinions, le rattachement exclusif de notre art à une certaine classe. Et pourquoi ? La beauté du soleil, la beauté du visage humain, la beauté d'une chanson populaire, d'un acte d'amour et de sacrifice sont accessibles à chacun et ne demandent pas d'instruction préalable."

    En réfléchissant je retrouve cette idée dans le film Intouchables. Le décalage entre Philippe, qui va à l'opéra pour voir des arbres chanter en allemand pendant des heures, qui écoute de la musique "qui ne se danse pas", qui achète des tableaux modernes des sommes folles, et Driss, qui accueille tout cela avec un oeil neuf. Il réagit plutôt avec sa sensibilité, et je trouve son regard très intéressant. Il m'amène à me poser des questions. Pourquoi la culture "classique" devrait être si inaccessible, si sérieuse et si guindée ?

    Zola prend plutôt le parti de mépriser le public : "La foule s'est bien gardée d'ailleurs de juger Le Déjeuner sur l'herbe comme doit être jugée une véritable œuvre d'art ; elle y a vu seulement des gens qui mangeaient sur l'herbe, au sortir du bain, et elle a cru que l'artiste avait mis une intention obscène et tapageuse dans la disposition du sujet, lorsque l'artiste avait simplement cherché à obtenir des oppositions vives et des masses franches. Les peintres, surtout Édouard Manet, qui est un peintre analyste, n'ont pas cette préoccupation du sujet qui tourmente la foule avant tout ; le sujet pour eux est un prétexte à peindre tandis que pour la foule le sujet seul existe."

    Si le public ne peut plus apprécier les oeuvres telles qu'il les voit, les critiquer avec sa sensibilité et qu'il lui faut des clés de compréhension données par des intellectuels qui détiennent la vérité, ça devient compliqué pour connaître la valeur d'une oeuvre. Rien d'étonnant à ce que des marchands utilisent leur influence pour décider de la côte d'une oeuvre d'art.


    ** Intérieur de tendresse **

    Voici les idées de Sandoz (alias Zola) sur le mariage "qu'il considère bourgeoisement comme la condition même du bon travail, de la besogne réglée et solide, pour les grands producteurs modernes. La femme dévastatrice, la femme qui tue l'artiste, lui broie le coeur et lui mange le cerveau, était une idée romantique, contre laquelle les faits protestaient. Lui, d'ailleurs, avait le besoin d'une affection gardienne de la tranquillité, d'un intérieur de tendresse où il pût se cloîtrer, afin de consacrer sa vie entière à l'oeuvre énorme dont il promenait le rêve."

    Ca me fait mal, peut-on imaginer le contraire ? Un homme qui offre à une femme un "intérieur de tendresse", pour qu'elle puisse se livrer à une grande oeuvre, même aujourd'hui ?

    Et pourtant je trouve ces lignes débordantes de sincérité. Enfin, quelqu'un dit cela clairement. C'est souvent ce que je constate dans les vies des grands hommes (des grands scientifiques surtout, parce qu'ils me sont plus familiers, je suis une grande collectionneuse d'autobiographies de mathématiciens...). Cet "intérieur de tendresse" leur permet en effet de travailler, de réfléchir, de se concentrer uniquement sur leur oeuvre quand ils le souhaitent.

    Pour les femmes, et encore plus pour les femmes avec enfants, ce n'est pas si simple. Un point commun m'a marqué dans les récits de Marie Curie (Pierre Curie) et d'Annie Ernoux (La femme gelée), c'est qu'après le mariage, la situation change du côté des femmes. La même image revient dans les deux récits. Au sifflement de la cocotte-minute, une seule paire de fesses se lève de la grande table où chacun des deux membres du couple est assis à travailler... sans surprise, celles de la femme. Et cette dissymétrie leur fait mal, mais elles doivent faire avec. Elles doivent porter le quotidien, apprendre à faire à bouffer (pas évident quand on a eu exclusivement la tête dans des études avant...) ; gérer les enfants quand ils arrivent ; et continuer, si elles y arrivent, à travailler à leur grande oeuvre. Tout un programme !

    J'aime ce sujet et je guette les autobiographies/biographies de grandes femmes. Les seules qui me viennent à l'esprit là, dans le domaine des sciences, ce sont des femmes de grands hommes :
    - Marie Curie, j'ai lu son livre à elle : Pierre Curie, et aussi la biographie de sa fille, Eve Curie : Madame Curie.
    - Yvonne Choquet-Bruhat (première femme élue à l'Académie des sciences) : Une mathématicienne dans cet étrange univers.
    Et au moins une femme seule côté lettres :
    - Jacqueline de Romilly (première femme membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres), j'ai lu d'elle : Les roses de la solitude.

    **
    Pour l'instant, je trouve Zola excellent à décrire l'évolution de la société, à écrire des scènes où des tournants se jouent. Il nous donne une vision très percutante de son temps, et c'est l'objectif qu'il s'était fixé. Je reprends donc ma lecture, la tête un peu plus légère !

    Dernière modification par Claire C (13 Août 2023 10:54:29)

  • Milena19

    Grand chef libraire

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    #35 10 Août 2023 22:38:19

    Je m'abonne à ton suivi :)
  • Grominou

    Modératrice

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    #36 11 Août 2023 03:20:04

    J'aime comment tu fais le lien entre différentes œuvres!
  • Claire C

    Chercheur de mots

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    #37 11 Août 2023 10:21:21

    Wha ! Quel plaisir de lire vos messages ce matin !

    Merci Milena ! Je suis aussi abonnée à ton suivi ;)

    Et un grand merci pour ton gentil mot Grominou, ça me touche beaucoup !!
  • Livrepoche.fr (Nicolas)

    Guide touristique des librairies

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    #38 11 Août 2023 10:58:11

    Voila un cours magistral de lecture comparée !! :pouceleve:
  • Claire C

    Chercheur de mots

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    #39 11 Août 2023 13:57:40

    @ Nicolas : C'est sincère ? Si c'est le cas merci c'est gentil !
    Même si je ne suis pas partisane des cours magistraux (cf ma littérature sur l'école ;) ), mais plutôt des partages joyeux !
    (Une remarque : le lien dans ta signature pour ton suivi ne semble plus à jour)

    J'adore faire dialoguer les livres. Et pour la première fois c'est très agréable de sortir ça de ma tête et de l'écrire en vrai !
    Si cela peut intéresser d'autres personnes, alors j'en suis ravie !

    Dernière modification par Claire C (11 Août 2023 13:58:55)

  • Livrepoche.fr (Nicolas)

    Guide touristique des librairies

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    #40 11 Août 2023 16:34:09

    Claire C a écrit

    @ Nicolas : C'est sincère ? Si c'est le cas merci c'est gentil !
    Même si je ne suis pas partisane des cours magistraux (cf ma littérature sur l'école ;) ), mais plutôt des partages joyeux !
    (Une remarque : le lien dans ta signature pour ton suivi ne semble plus à jour)

    J'adore faire dialoguer les livres. Et pour la première fois c'est très agréable de sortir ça de ma tête et de l'écrire en vrai !
    Si cela peut intéresser d'autres personnes, alors j'en suis ravie !


    Sincère ? Bien sûr. Et je pense que tu es au meilleur endroit pour partager tes sentiments de lectures.
    Merci pou le lien vers mon suivi, ça doit mener à mon précédent suivi. ;) Je vais attendre le prochain (bientôt) pour le mettre à jour.