[Anonyme] L'herbe bleue

Après, je ne comprend pas pourquoi ce roman est présenté comme une histoire vrai... L'impact serait-il moins fort si on savait avant de lire que tout est "faux", du moins, que ce témoignage est un amoncellement de témoignages, que tout n'est pas arrivé à une seule et unique personne ?

Dans les années 70, on pouvait diviser les lecteurs de l'Herbe bleue en deux catégories :

* Ceux qui le lisaient au 1er degré étaient généralement assez âgés, et constituaient pour simplifier la clientèle du Figaro, qui menait alors un battage très rentable contre les dangers de la "marginalité" et tout ce qui l'accompagne : union libre, enfants illégitimes, avortement, marijuana etc. (oui, ça paraît désuet voire carrément risible, mais à l'époque c'était encore nouveau). Les livres qui dénonçaient "l'enfer de la drogue", spécialement, avait le vent en poupe puisque c'est quelque chose que cette génération n'avait jamais connu et ne comprenait pas. On pouvait donc lui faire gober à peu près n'importe quoi. A la même époque, Barjavel faisait un tabac avec ses "Chemins de Katmandou" (autre terreur des parents : la route).

* Dans les milieux jeunes de ce qu'on appelait alors "la contre-culture", l'Herbe bleue était aussi très lu, mais pour d'autres raisons : ce journal intime grossièrement fabriqué par quelqu'un qui n'avait pas la moindre idée de ce dont il (elle) parlait était tellement risible que c'était devenu un classique comique. :D Barjavel énervait par ses pamphlets réacs dans le Figaro et ses romans qui puaient le pétainisme, mais l'Herbe bleue, c'était tellement ridicule qu'on ne pouvait qu'en rire. Genre : la drogue expliquée à la ménagère de moins de 50 ans.  :lol:

Le livre s'appelle "Go Ask Alice" en anglais et est sans doute un travail collectif, qui a été supervisé par Beatrice Sparks, écrivain plus ou moins spécialisée dans les faux journaux intimes du type "regardez ce qui est arrivé à cette innocente jeune fille qui s'est éloignée des saines valeurs chrétiennes inculquées par nos ancêtres". La droite conservatrice américaine à la Nancy Reagan, quoi : "just say no". A son palmarès :

* It Happened to Nancy (elle meurt du SIDA)
* Annie's Baby: le faux journal intime anonyme d'une adolescente tombée enceinte
* Treacherous Love: encore un faux journal intime d'une adolescente abusée sexuellement par un professeur
* Jay's Journal ; toujours un faux journal intime, mais cette fois d'un garçon qui tombe dans l'adoration de Satan et la drogue
* Almost Lost: l'histoire "vraie" d'une adolescente qui vit dans la rue
* Kim: Empty Inside: et on finit la liste avec une adolescente anorexique.  :sarcastic:

Bref, l'Herbe bleue restera l'une grandes oeuvres comiques des années 70, aux côtés de Placid & Muzo et Intervilles ! Vive l'Herbe bleue !  :D

Tiens, un article de fond très intéressant sur Beatrice Sparks : http://www.shutitdown.net/text/askalice.html. Sa fructueuse carrière y est détaillée. Non seulement elle s'est enrichie avec ses faux journaux intimes d'ados versant dans le satanisme, la prostitution et la drogue, mais elle s'est également fait passer pour une spécialiste diplômée des problèmes de jeunes en difficulté (selon les années : assistante sociale, thérapiste etc.). On y apprend sans trop de surprise qu'elle habite dans l'Utah et est membre de la "Church of Jesus Christ of Latter-day Saints". Autrement dit, c'est une mormon.  :p

Elle avait 53 ans quand elle a écrit (ou supervisé l'écriture) de l'Herbe bleue. Ce qu'on pourrait appeler une vieille bigote, quoi.  :D

Visiblement, la suite de l'Herbe bleue a l'air encore meilleure. "Jay's Journal" raconte la déchéance d'un ado avec un QI de génie qui va devenir un adorateur de Satan, sacrifier des chatons et finir par se suicider. Bien que le satanisme soit le thème principal, l'auteur de l'Herbe bleue en profite aussi pour dénoncer la drogue et cette abomination qu"est le sexe avant le mariage.

"Dans les milieux jeunes de ce qu'on appelait alors "la contre-culture", l'Herbe bleue était aussi très lu, mais pour d'autres raisons : ce journal intime grossièrement fabriqué par quelqu'un qui n'avait pas la moindre idée de ce dont il (elle) parlait était tellement risible que c'était devenu un classique comique."

Car même faux et exagéré, cette histoire ne m'a pas fait sourire une seule fois.
Cela viens aussi sans doute de mon rapport à la drogue; un mélange de dégout, de peur et de mépris; et de mon milieu social, assez détendu en ce qui concerne les valeurs ancestrales "chrétiennes".
Je n'ai sans doute pas le recul nécessaire.