[Suive lecture] Widukind

 
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    #51 31 Décembre 2023 12:00:09

    Compte-rendu de lecture N°17 : Penser la révolution française de François Furet

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    De retour sur mon suivi lecture en cette fin d'année. J'ai pu lire quelques livres sur la Révolution et le livre de F. Furet me semble digne d'une petite chronique. Il s'agit d'un livre de théorisation de la révolution française et non pas un livre d'histoire événementielle qui reprendrait la chronologie année après année.
    Grosso modo le livre est découpé en 2 parties qui se superposent et se complètent à la fois. C'est d'ailleurs très étrange car la deuxième partie, de l'aveu même de l'auteur a été écrite quelques années plus tôt que la première. J'aurais d'ailleurs du commencer par là ma lecture.
    Dans chacune des parties, l'auteur traite 3 cas différents d'analyse de la Révolution.

    1. Il fait un dynamitage de l'historiographie marxiste de la Révolution (dominante entre les années 1900 et 1970). Des historiens comme Claude Mazauric à qui il répond et Albert Soboul en prennent pour leur grade. Georges Lefebvre et Albert Mathiez s'en sortent mieux étonnamment. Que leur reproche-t-il ? De plaquer artificiellement un schéma marxiste fondé sur la lutte des classes dans l'Ancien régime mais qui s'adapte mal à la réalité et aux études publiées sur le sujet notamment sur les mobilités sociales entre bourgeoisie et noblesse. Il ne voient pas que ces ordres ne peuvent pas être considérés comme des blocs homogènes. Ensuite Furet critique leur vision téléologique de l'histoire, la Révolution est perçue par eux comme fatale, inévitable. Elle est une première étape vers un but final. D'abord il s'agissait de conquérir la République et ensuite dans un deuxième temps il faut conquérir la République socialiste. Tant que la logique se s'est pas accomplie jusqu'au bout alors pour les marxistes on peut dire que la Révolution n'est pas terminée. Furet prend le contre pied de cette analyse et entend démontrer que la révolution ne suit pas un schéma pré-construit et que les événements qui s'enchainent n'ont rien de prévisible.

    2. Il fait une analyse détaillée du livre de Tocqueville L'ancien régime et la Révolution. D'abord, il consacre quelques paragraphes très pertinents à la comparaison entre l'Histoire de l'Ancien Régime décrit par Guizot dans les années 1820 (cela donne envie de lire Guizot) et celle de Tocqueville. Tout deux essayaient de comprendre comment l'évolution de la monarchie et l'effacement de la classe dirigeante aristocratique avaient pu changer les mentalités au XVII / XVIIIè siècles et comment les notions de démocratie égalitaire et de liberté sont apparues et ont débouché sur la Révolution. Il s'agit donc ici de comprendre comment Tocqueville analyse les causes lointaines et plus proche de la Révolution. Dans la première partie du livre Furet reprend d'ailleurs une partie des thèses de Tocqueville à son compte tout en remarquant ses limites.

    3. La troisième partie du livre est consacrée à l'œuvre d'Augustin Cochin sur la Révolution. Furet à largement permis au cours des années 1960 la redécouverte de cet historien original et méconnu de la Révolution. Contrairement à Tocqueville Cochin ne s'intéresse pas vraiment aux causes de la Révolution mais à sa dynamique interne et notamment ce qui a conduit au jacobinisme de la période 1793-1794. Cochin a montré le rôle des sociétés de pensée et des intellectuels qui ont remplacé les nobles en tant que classe qui fournit le cadre intellectuel au XVIIIè siècle. En d'autres terme le pouvoir était vacant, la place était à prendre. La Révolution était déjà au 3/4 faite avant 1789. Il analyse bien comment le mode d'élection des députés aux Etats-généraux de 1789 à influé sur la prise de pouvoir politique par les militants révolutionnaires et comment ceux-ci se sont autodésignés "figures de la volonté du Peuple". Il ont mis en place une sorte de démocratie pure où le maitre mot est la transparence et la fusion entre société civile et pouvoir politique. Comme dans la pratique ceci est impossible, le peuple ne pouvant, pratiquement, pas se représenter lui même, alors il faut des politiciens professionnels agissant dans l'ombre (Danton, Brissot, Robespierre) pour figurer le Peuple. S'ensuit une logique d'exclusion progressive des ennemis ou des dissidents de l'idéologie dominante. D'où la tendance funeste de ces militants de s'éliminer les uns les autres au fur et à mesure que la Révolution se radicalise. Pas de place pour les tièdes. On n'est loin ici de l'analyse complotiste d'un Barruel sur la Révolution.

    Le livre de Furet est donc à conseiller à tous ceux qui voudraient aller plus loin qu'une simple histoire classique et événementielle de la Révolution et qui veulent saisir ses origines et la logique de son déroulement. C'est une bonne introduction, très pédagogique malgré le caractère un peu dense et répétitif de l'ouvrage dans ses deux parties.

    Dernière modification par Widukind (07 Janvier 2024 11:16:20)

  • Widukind

    Lecteur timide

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    #52 07 Janvier 2024 10:56:02

                                                                                                               BILAN LECTURE DE 2023

    Je n'aurai lu cette année que 66 livres mais aussi 120 BD ce qui est finalement honorable. Il faut dire que la fin de l'année fut assez chargée et que je n'ai quasiment rien eu le temps de lire entre octobre et décembre.
    Les lectures ont été pour le moins variées, je regrette toutefois de ne pas avoir lu plus de classiques ou de livres d'histoire / essais. Cela va donc être une priorité pour l'année 2024. C'est drôle, je me rappelle avoir dit exactement la même chose fin 2022.
    Point positif : j'ai enfin ouvert un chantier de lecture qui me tenait particulièrement à cœur -> La Révolution française. Je compte appréhender l'événement par strates chronologiques, c'est donc naturellement que j'ai commencé par l'année 1789 (Etats-généraux, grande Peur, Nuit du 4 août...). J'ai lu le livre de François Furet qui fut finalement une des meilleures et la dernière lecture de 2023 (ouf !). Je veux donc poursuivre cette année sur ma lancée en terminant l'année 1789 et enchainer sur 1790. Je me suis également rendu compte qu'il était très difficile de comprendre la Révolution sans avoir des bases sur la société française au XVIIIè siècle Ce sera donc un nouveau chantier.

    Mes avancées ont été chamboulées au mois de juin avec une passion qui m'est venue subitement : l'Affaire Seznec. Ce n'était pas prévu mais j'ai du lire coup sur coup une quinzaine d'essais liés à cette affaire, c'est à dire à peu près tout ce qui s'est publié dessus. Il m'en reste encore 3 ou 4 à lire et j'aurais fait le tour du sujet. Mais je commence à me désintéresser de cette affaire, alors on verra. J'ai de plus envie de m'intéresser plus en profondeur à une autre affaire criminelle que j'ai eu l'occasion de découvrir cette année avec un livre fort médiocre : L'affaire de l'auberge rouge de Peyrebeille. Je ne serai pas aussi exhaustif qu'avec Seznec.

    L'autre chantier débuté en 2023 fut celui sur le Rwanda et la tentative de comprendre le déclanchement du génocide. J'ai simplement lu un livre et commencé un deuxième. Les diverses polémiques d'historiens qui entourent ce tragique événement vont me donner du fil à retordre mais je me suis déjà composé une bibliographie copieuse sur le sujet pour l'appréhender sous toutes les coutures, reste maintenant à trouver le temps pour lire tout ça !

    J'ai envie de me lancer sur un autre terrain historique au cours de cette année : comprendre la transition entre judaïsme antique et christianisme primitif, peut-être commencerai-je par les livres de Simon-Claude Mimouni qui semble être une référence incontournable sur le sujet. Peut-être également reprendre mes lectures de Thomas Römer et ses cours au Collège de France.
    J'ai par ailleurs envie de commencer une histoire de la philosophie (celle de Bréhier idéalement, dont je possède depuis des années le tome sur l'Antiquité et le Moyen-âge). En parallèle il me faudra reprendre mes lectures sur la Grèce archaïque pour pouvoir lire mon Pléiade sur les Présocratiques. J'avais déjà dis ça en 2017 je crois... L'espoir fait vivre après tout.
    Niveau essai, il faut bien dire que ce fut un peu le néant : 2 livres d'essayistes décoloniaux médiocres, un livre de Jancovici 'assez bon), un Guilluy (dans la lignée des précédents), un bon livre du journaliste Jauvert sur la mafia des hauts fonctionnaires (la prochaine caste à abattre lors de la future Révolution ?!) et 2 livres de Philippe Fabry que je continue de suivre ardemment sur sa chaine Youtube. C'est à peu près tout.

    Niveau classiques, j'ai pris la résolution depuis l'année dernière de lire un GROS classique chaque année. En 2023, ce fut le tour de Guerre et Paix de Tolstoï que j'ai globalement beaucoup apprécié même si ça tire un peu en longueur sur les 300 dernières pages. Je n'ai pas eu le courage de lire un livre d'histoire sur la campagne de Russie avant de me lancer dans Tolstoï (ce que j'avais prévu au départ). Je ne suis pas vraiment passionné par la geste Napoléonienne de tout manière et je ne relirai pas Guerre et Paix.
    Cette année devrait être le tour de Don Quichotte dont je me suis procuré le premier tome et ai lu la préface; je me demande simplement si ce roman de chevalerie avec toutes ces péripéties ne vont pas finir par m'ennuyer, mais bon je ne lis jamais de littérature hispanophone après tout. Sinon j'ai bien avancé dans mes lectures de livres de Céline et sur Céline, je poursuis ma découverte de Gabriel Garcia Marquez (je lirai Cent ans de solitude cette année, j'avais commencé mais j'ai eu la flemme il faut bien le dire). J'ai continué Vincenot, j'ai découvert Lagerlöf que je lirai encore.
    En littérature contemporaine pas grand chose. J'ai été assez déçu par Emmanuel Carrère. Je ne sais donc pas si je lirai sa biographie/roman de Limonov. Je pense qu'il vaut sans doute mieux lire directement les bouquins de Limonov. En outre, 2/3 livres policiers bien sentis (Colin Niel toujours très bon, et Norek qui est revenu à son inspecteur Coste pour mon plus grand plaisir). Je me suis procuré en collection Bouquins le premier tome de San Antonio donc pourquoi ne pas en lire 1 ou 2 cette année.
    Les deux belles trouvailles furent Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra et Le mage du Kremlin de Da Empoli. Auteurs à suivre donc.

    Mon emploi du temps cette année devrait me permettre de lire plus qu'en 2023. J'ai pris la décision de passer beaucoup moins de temps devant mon PC et plus devant mes bouquins donc je devrai sans peine pouvoir (ENFIN cette année !) remplir les objectifs de lecture que je viens solennellement de m'assigner. 

    En vous souhaitant de très bonnes lectures pour 2024, j'espère vous retrouver très bientôt. Car c'est aussi une de mes résolutions pour cette année -> Faire plus de compte rendus sur ce suivi lecture. Enfin on verra, les promesses n'engagent que ceux qui y croient comme disait l'autre.

    Dernière modification par Widukind (07 Janvier 2024 11:03:01)

  • Rascar Capac

    Magicien des lignes

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    #53 07 Janvier 2024 12:03:49

    François Furet ! Cela me rappelle mes années d'étudiant en Histoire :)
    Si tu veux découvrir la société française du XVIIIème siècle, le livre de référence est La France des Lumières de Daniel Roche. Plus récent, tu as aussi La France des Lumières de Pierre-Yves Beaurepaire, mais un peu ardu à lire.

    J'ai envie d'essayer Tolstoï, aussi ... c'est un peu rébarbatif ?

    Bonnes lectures !
  • Mypianocanta

    Livraddictien de l'espace

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    #54 07 Janvier 2024 20:21:21

    Beau bilan avec des objectifs ambitieux !
    Je te souhaite donc une bonne année remplie de lectures

    @ Rascar Capac : j'adore Tolstoï que je n'ai jamais trouvé rébarbatif (mais il faut supporter les détails… )
  • Widukind

    Lecteur timide

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    #55 17 Janvier 2024 20:15:43

    Bonjour Rascar Capac & Mypianocanta,

    Je vous souhaite à vous deux également de très belles lectures en 2024.

    Merci pour tes conseils sur la France du XVIIIème Rascar. Cela tombe bien que tu me conseilles le livre de Beaurepaire car je l'ai acheté il y a quelques mois et je comptais bien commencer par celui là. Je me note également le livre de Daniel Roche que je ne connaissais pas.
    Tolstoï n'est pas un auteur rébarbatif malgré la longueur de ses romans. Dans Guerre et Paix on a une mise en perspective de l'aristocratie russe du début du XIXème vivant dans le monde des salons et plutôt francophile, avec la réalité de la guerre lors de la campagne de Russie et des conquêtes napoléoniennes. Parfois Tolstoï digresse un peu et donne sa conception de l'histoire ou de la philosophie (et dans ces passages on sort un peu de la narration) mais cela reste une lecture très plaisante à condition d'avoir le temps. Si tu veux commencer par des nouvelles de cet auteur il y a un recueil intitulé "La tempête de neige" chez Folio qui est une bonne introduction à son œuvre littéraire.
  • Widukind

    Lecteur timide

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    #56 09 Février 2024 10:21:27

    Compte rendu de lecture N°18 : Murabeho de Pierre Lepidi

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    J'ai ouvert en début d'année mon chantier de lecture consacré aux origines et déroulement du génocide Rwandais. C'est alors qu'en lisant un livre de Philip Reyntjens traitant des débuts du génocide je suis tombé sur cette affaire de gendarmes français assassinés au Rwanda le 8 avril 1994, qu'il évoque en quelques lignes, sans en dire plus. Piqué par la curiosité, je me précipite sur Internet, cherchant s'il existe des ouvrages plus précis sur ce sujet. Il se trouve que vient de sortir un roman-enquête d'un journaliste du Monde spécialisé dans le service Afrique du journal. Je me précipite donc pour l'acheter dans ma librairie.
    Quelle ne fut pas ma déception à la lecture de l'ouvrage. L'auteur a voulu écrire un roman (et non une enquête d'investigation) pour protéger ses sources selon ses dires. Le problème c'est qu'on ne s'improvise pas romancier. L'auteur multiplie les fautes de style dans tous les chapitres. La protagoniste principale est appelée "La Rwandaise" toute les 3 lignes. Lorsqu'elle rencontre un ancien casque bleu belge, celui-ci deviendra "Le Belge" pendant plusieurs pages. De plus, les figures de style sont souvent vaseuses, les références pas très recherchées et le vocabulaire très pauvre. Sans compter les innombrables clichés propre au petit milieu journalistique parisien (il est évidemment question de start-up, de sexe à base de yoga (il y a même une scène érotique parfaitement insolite qui arrive comme un cheveu sur la soupe au milieu du roman), d'auto-congratulation du milieu journalistique; M. Lepidi est visiblement très fier d'appartenir à ce petit monde qu'il décrit comme quasiment idyllique.
    Bref, le livre alterne constamment entre pages romancées et enquête d'investigation et cela ne fonctionne absolument pas.

    Qu'en est-il de l'enquête ? A la fin du livre nous ne sommes pas plus avancés qu'au départ. Je me doutais un peu que M. Lepidi dans son roman n'allait pas faire des révélations fracassantes sinon il se serait empressé d'en faire un long article dans le Monde. Donc, au final rien de nouveau sur le plan de l'affaire des gendarmes.
    Par contre, l'auteur semble avoir compris une chose de ses séjours au Rwanda : s'il a envie de continuer à aller siroter des cocktails dans les beaux hôtels de Kigali ou sur la rive du lac Kivu, il ne fait pas bon critiquer le régime de Paul Kagamé, en place depuis 30 ans au Rwanda. Lepidi, dans tout le livre prend systématiquement des positions pro FPR (Front patriotique Rwandais) et annone la propagande du régime. Le Rwanda actuel serait un paradis réalisé par la volonté de Kagamé. A peine y a-t-il 10 lignes un peu critiques noyées dans un flot de flagornerie. Vous ne saurez rien des exactions commises par les milices FPR au Congo entre 1996 et 2003, ni des massacres (beaucoup moins médiatisés que les autres) commis par le FPR durant le génocide. C'est assez navrant de voir des journalistes disposant d'aussi peu d'esprit critique (ou ayant accepté une forme de servilité). Il en profite également pour régler ses comptes avec Pierre Péan (qui n'est plus là pour se défendre) et attaque ouvertement son livre Noires fureurs, blancs menteurs. Les thèses critiques remettant en cause la version du FPR son qualifiées de négationnistes. Circulez, y'a rien a voir...

    Je ne conseille donc pas ce "roman" raté du début à la fin et qui ne correspond pas non plus au sérieux que l'on serait en droit d'attendre d'un journaliste du "quotidien de référence"
  • Widukind

    Lecteur timide

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    #57 26 Février 2024 18:46:19

    Compte rendu de lecture N°19 : Testo Junkie de Paul Preciado

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    Objet étrange que ce livre, quand on a pas l'habitude de lire une telle prose. Il se découpe en deux parties qui s'entrecroisent dans des chapitres séparés. D'un côté on a une sorte de journal intime de l'auteur qui s'administre des doses de testostérone pendant des mois et qui nous en commente le effets. De l'autre, une tentative de théorisation des mutations du Capitalisme post-seconde guerre mondiale. La thèse principale s'organise comme suit : avant la seconde guerre mondiale, nous sommes encore dans un capitalisme fordiste ou industriel où l'objet du capitalisme est la production de masse d'objets manufacturés. Après la seconde guerre mondiale, le capitalisme va muter, la production être délocalisée vers le tiers-monde et donc il faut trouver de nouveaux marchés et de nouvelles formes de production en Occident. C'est à ce moment que le "sexe et la sexualité deviennent l'enjeu principal de l'activité politique et économique".
    L'auteur retrace alors la montée en puissance de cet extension du capitalisme dans ces nouveaux domaines : l'industrie pharmaceutique se mobilise pour fabriquer des produits chimiques pour  stimuler les individus sexuellement et les prendre complètement en charge. C'est l'ère de  l'invention des pilules en tout genre (du Viagra à la pilule contraceptive et autres). Nous sommes selon l'auteur entrés dans l'ère du "pharmacopornisme". Dans cette ère la "force orgasmique" des individus remplace leur force de travail, et tout le travail du Capital va être de s'emparer de cette force orgasmique pour la contrôler à son avantage et l'exploiter économiquement.
    Comme le dit l'auteur : "L'industrie pharmaceutique et l'industrie audiovisuelle du sexe sont les deux piliers du biocapitalisme contemporain" (p.52)
    De plus pour que cette industrie fondée sur la nécessité de provoquer de l'excitation puis de la  frustration qui conduira à nouveau à générer de l'excitation dans un cycle ininterrompu, il faut  garder les catégories de genre inventées pour l'occasion dans les années 1940. Autrement dit, il  faut qu'il y ait encore des gens qui s'identifient comme homme ou femme pour pouvoir leur vendre des produits chimiques ou audiovisuels qui correspondent à ces genres. Le pouvoir politique repose sur le "contrôle des biocodes de production du genre" (p.110)
    Le capitalisme se débarrasse également de la nécessité de contrôler les corps de manière coercitive  comme c'était les cas dans les phases antérieures du capitalisme. Aujourd'hui le contrôle des corps est sous-traité aux individus eux-mêmes qui s'administrent traitement chimiques, pilules etc et se conforment ainsi de manière inconsciente
    aux désidérata du capitalisme "pharmacopornographique" -> "la pilule contraceptive est le panoptique  comestible" (p.171). L'idée de coercition cède la place, dans le discours biopolitique, à la liberté de l'individu et à son émancipation sexuelle.

    Quelques critiques maintenant de ce livre :

    Je ne comprend toujours pas à la fin de ma lecture pourquoi l'auteur nous parle de ses expériences personnelles à base de testostérone. Cela n'apporte rien au livre. De plus, il nous raconte dans ces  chapitres sa vie sexuelle dans les moindres détails avec Virginie Despentes. Le tout dans un langage des plus crus. Comme si, pour se prouver qu'on est réellement révolutionnaire il fallait écrire de la  manière la plus vulgaire qui soit. De plus les chapitres théoriques sont écrits eux à la façon des nouveaux auteurs en sciences sociales gorgés de prose foucaldienne ou derridienne et M. Préciado tombe dans ce travers d'écrire de longs paragraphes très amphigouriques où il enchaine les concepts comme des  perles alors qu'une explication simple et dans une langue claire aurait largement fait l'affaire.
    Le livre est assez mal organisé; on a envie comme les profs corrigeant les copies, de réorganiser tout  le plan et l'ordre des chapitres pour éviter les redites et les paragraphes inutiles. Lorsque l'auteur se contente de paraphraser Foucault, Thomas Laqueur eu Judith Butler ses propos semblent  cohérents (certains passages sont sans doute tout à fait pertinents dans l'analyse) mais d'autres passages sont assez confus voire délirants (à cause du vocabulaire employé, de l'emploi de néologismes pas franchement nécessaires ou de l'utilisation trop massive de la coke lors de l'écriture du livre ?)

    Petit florilège de ces passages :
    "Nous théoriciens du capitalisme pharmacopornographique nous intéressons au travail sexuel comme processus de subjectivation, à la possibilité de faire du sujet une réserve inépuisable d'éjac planétaire transformable en abstraction, en données numériques, capital"(p.46)
    "Si la théorie actuelle de la féminisation du travail fait omission du cum shot, dissimule l'éjaculation  vidéographique derrière l'écran de la communication coopérante c'est que, les philosophes de la biopolitique  préfèrent ne pas révéler leur qualité de clients du pharmacopornomarché mondial"(p.49)
    "Le corps phamacoporno n'est pas un simple effet des systèmes de contrôle, mais d'abord et avant tout puissance  de vie, potentia gaudendi, qui aspire à se transférer en tout et à tous, envie d'éjaculer avec l'univers, force de transformation du tout planétaire technoculturel interconnecté."

    Enfin, il y a les sempiternels reproches de ces révolutionnaires envers la société traditionnelle ou sexuée.  L'auteur considère comme "un microfascisme" le fait que sur le mode d'emploi de son médicament à base de testostérone, le fabricant dise qu'il s'agit d'un médicament pour homme et non pour femme. A plusieurs reprises, il nous gratifie
    évidemment de son aversion pour la société hétéronormée, pour la reproduction sexuée et les amours hétérosexuelles. A certains moments la pulsion de mort fait même quelques incursions : obsession pour le suicide, volonté de non-reproduction volontaire de l'espèce etc...
    Exemple (p.195) : "Comme méthode contraceptive, le féminisme aurait pu décréter obligatoire la masturbation technique, promulguer la grève des femmes hétérosexuelles et fertiles, le lesbianisme de masse, la ligature des trompes obligatoire dès l'adolescence, l'avortement libre et gratuit, voire l'infanticide si nécessaire" -> Vous avez bien lu, l'auteur serait prêt à défendre l'infanticide 'si nécessaire'. On se demande bien les cas où un infanticide deviendrait une nécessité... Bien sur pour lui la solution passe par une suppression des notions d'homme et de femme ou même de genre. C'est de toute  manière pour lui la direction que l'humanité va prendre désormais pour "les siècles à venir". En somme il nous ressort le vieux projet révolutionnaire de l'homme nouveau et de la table rase du passé. Il y a un petit côté khmer rouge chez  Préciado qui n'est pas vraiment là pour nous rassurer.
    Il ne se contente pas de dénoncer l'emprise des normes mais voudrait de surcroit les subvertir si ce n'est les supprimer. Il faut que tout le monde devienne comme lui, le reste c'est du fascisme.
    Comme il l'écrit (p.373) : "J'ai pour ambition de vous convaincre que vous êtes comme moi. Tentés par la même dérive  chimique. Vous l'avez en vous : vous vous croyez biofemmes mais vous prenez la pilule, des biohommes mais vous prenez du Viagra, vous êtes normaux et vous prenez du Prozac ou du Deroxat dans l'espoir que quelque chose vous libère de l'ennui vital, vous êtes shootés à la cortisone, à la cocaïne, à l'alcool, à la ritaline, à la codéine..."
    Cela nous donne une petite idée du monde dans lequel évolue cet auteur et de son mode de vie, qui correspond très bien à une certaine frange de la bourgeoisie en perte complète de repère et qui s'en vante désormais ouvertement. Ce type est littéralement paumé et pire encore, il voudrait que l'on se paume tous avec lui.
  • Widukind

    Lecteur timide

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    #58 29 Février 2024 21:38:44

    Compte rendu de lecture N°20 : Histoire du Rwanda de Bernard Lugan

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    Cette histoire du Rwanda est une des synthèses les plus complètes rédigées depuis celle de Vansina en 1962. Il y avait donc nécessité en 1997 de réviser l'histoire de ce pays qui avait alors traversé une des pires tragédies du siècle.
    Lugan, spécialiste de ce pays à qui il a consacré ses deux thèses universitaires a donc relevé le défi. Il s'en sort plutôt bien car le sujet aurait semblé aride à première vue mais il fait preuve d'une remarquable clarté du début à le fin.
    L'ouvrage peut être décomposé en trois périodes :
    - La période pré-coloniale de la préhistoire aux années 1890 : Lugan s'attache ici à montrer la mise en place des populations au cours du Ier millénaire et à expliquer les rapports de domination Hutu-Tutsi. Il fait litière de l'explication ethnique car les hutus et tutsis parlent la même langue, ont la même religion, partagent des valeurs communes et vivent dans les mêmes clans. On ne peut donc parler de différences ethniques. Pour lui, les deux populations émergent de deux groupes raciaux différents issus chacun des migrations antiques et médiévales. Les pré-tutsi sont des pasteurs ayant migré vers le sud (crête Congo-Nil) à la suite du réchauffement du Sahara tandis que les pré-hutu sont des agriculteurs arrivés sur zone à la faveur des migrations bantoues qui s'échelonnent sur plusieurs siècles au Moyen-âge. Entre le XII et le XVème siècle se forme alors un creuset qui va constituer la future nation rwandaise. Les clans se forment et comprennent chacun des hutus et des tutsi. Le clan Nyiginya va tirer son épingle du jeu et entreprendre la conquête progressive du territoire au dépens des autres clans. Se mettent en parallèle des rapports de sujétion des hommes de la lance et de la vache  (Tutsi en majorité) sur les hommes de la terre et de la houe (Hutu). Une société fondée sur des rapports de clients à patrons se met en place au sein des populations. Le tout dirigé par une dynastie Tutsi qui va régner pendant des siècles jusqu'à l'indépendance du pays en 1962. Pour Lugan, un hutu pouvait acquérir des vaches et devenir aisé mais pour autant il n'en devenait pas un Tutsi. Les Tutsis faisant tout pour se démarquer des Hutus et maintenir leur pouvoir, y compris en accentuant des différences morphotypiques). Il s'oppose ici à d'autres historiens comme J-P Chrétien où F. Reyntjens qui voient dans la distinction hutu-tutsi une origine politique ou sociale (et non raciale).

    - La période coloniale des années 1900 à 1962 : Il rend bien compte des transformations opérées par la colonisation allemande dans un premier temps et par le Mandat et la Tutelle Belge dans un second temps. Le pouvoir du roi (Mwami) Tutsi va s'affaisser progressivement et sera concurrencé par celui de l'Eglise, ce qui va changer le rapport de force. Si l'Eglise au départ est favorable aux Tutsi car elle veut convertir le pays et donc commencer par la tête, elle comprend que le pouvoir tutsi lui est plutôt hostile. Elle va alors choisir de s'intéresser à la masse des paysans hutus et les placer sous sa protection. L'implantation des idées démocratiques suit son cours et le régime aristocratique Tutsi subit de plus en plus de contestation à l'intérieur du pays. Les masses paysannes font pression sur le pouvoir, aidées par l'Eglise et les colonisateurs belges.  Devant la menace, les tutsi font pression à partir des années 1950 pour obtenir l'indépendance du pays et voir les colons belges et les missionnaires perdre leur pouvoir. L'ONU restera jusqu'à l'indépendance le seul soutien du pouvoir Tutsi. Les choses vont définitivement basculer en 1957-1959 quand des intellectuels Hutus vont dénoncer le joug féodal et racial Tutsi et s'emparer du pouvoir par un coup de force  au nom des valeurs démocratiques. Le cycle des violences va alors s'enclancher entre d'un côté ceux qui veulent se maintenir au pouvoir (hutus) et ceux qui rêveraient de le reprendre (Tutsis) avec des passerelles entre les deux camps et des extrémistes de tous bords.

    - La période post coloniale de 1962 à 1997 : Des massacres vont avoir lieu constamment de la part du nouveau pouvoir Hutu envers les Tutsis à partir de 1959, craignant que ces derniers ne soient une cinquième colonne à l'intérieur du pays. Des centaines de milliers de réfugiés Tutsi prennent le chemin de l'exil dans les pays voisins. Le parti unique hutu va alors régner sans partage jusque dans les année 1990, se radicalisant et s'isolant de plus en plus au fil des décennies, jusqu'à créer une véritable division chez les hutu. La situation devient intenable et au début des années 1990, la pression internationale s'accroit sur le régime rwandais pour démocratiser le pays. Pendant 3 ans des pourparlers sont organisés à Arusha (Tanzanie) pour créer un système politique fondé sur le multipartisme. Ce qui ne satisfait absolument pas les extrémistes hutus (du nord du pays majoritairement) qui veulent continuer à contrôler tous les leviers de commande. Le FPR (composé des Tutsi en exil) lance son offensive en 1990. De nouveaux massacres sont perpétrés jusqu'en janvier 1994. Puis en avril 1994, avec l'attentat contre le président Habyarimana (hutu), c'est l'étincelle et le génocide commence sous les yeux éberlués de la communauté internationale qui reste impuissante et qui tergiverse. Elle se souvient de l'échec cuisant deux ans plus tôt en Somalie. Seule la France met en place (très tardivement) une opération militaro-humanitaire qui va avoir la conséquence paradoxale de permettre aux génocidaires du fuir le pays après leur défaite militaire face à l'armée du FPR.
    Le dernier chapitre du livre est consacré à la guerre du Kivu entre réfugiés Hutu et forces militaires rwandaises de l'APR.

    Voici brièvement résumé l'ouvrage de Bernard Lugan qui est riche d'enseignement. Il ne fait pas l'unanimité dans la communauté des historiens spécialistes de la région des grands lacs. Cela se ressent dans les annexes où il critique vertement son collègue J-P Chrétien au sujet des ethnies.
    De plus, depuis la rédaction de l'ouvrage en 1997, il semble avoir largement révisé ses positions sur le génocide et la culpabilité de la France. En 1997, il semblait indiquer que le génocide avait été planifié ce qui n'est plus son discours aujourd'hui. Il disait aussi ouvertement que la France avait aidé les génocidaires à s'enfuir. Il est aussi beaucoup plus modéré aujourd'hui et surtout moins conciliant avec le régime de Kagamé. Je lirai ses autres livres sur la question pour me rendre compte de cette évolution.