[Saviano, Roberto] La Beauté et l'Enfer

 
    • Matilda

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      #1 09 Mai 2010 11:36:05

      J'ai bien cherché, et pourtant je n'ai pas trouvé de sujet consacré à un seul des livres de Roberto Saviano, réparons à présent la chose ! je vais reprendre un beau l'ébauche de mon billet lui étant consacré, c'est un peu long, mais nécessaire je trouve.

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      La beauté et l'enfer, Roberto Saviano. Textes écrits de 2004 à 2009.


      Le danger de la lecture : "Ecrire, ces dernières années, m'a permis d'exister. Des articles et des reportages. Des nouvelles et des éditoriaux. Beaucoup plus qu'un travail, écrire à coïncidé avec ma vie même. Ceux qui pensaient m'obliger au silence en me faisant vivre dans des conditions impossibles se sont trompés. Ce que j'avais à dire, je ne l'ai pas tu, je ne l'ai pas perdu. Mais ça été une vraie lutte, quotidienne, un corps-à-corps silencieux, comme un combat fantôme. Ecrire, ne pas me taire, c'était ne pas me perdre. Ne pas m'avouer vaincu. Ne pas désespérer."

      Ces phrases sont celles qui ouvre La Beauté et l'Enfer ; et tout est dit. C'est le combat d'un homme uqo'n veut condamné au silence et à l'oubli et qui ne cède pas. Le combat d'un homme qui nomme ce qui n'est pas nommé, qui parle, qui dit les choses qui dérangent.
      Roberto Saviano remercie ses lecteurs, ceux qui ont rendu son livre dangeureux ainsi que tous ses propos. Ces lecteurs qui en lisant, parlant ont permi au livre d'être traduit dans 43 langues, de devenir un film et une pièce de théâtre. Ces lecteurs qui ont fait que la mafia l'a condamné à mort. Gomorra sort à 5.000 exemplaires en 2006, et est traduit en français l'année suivante. Au départ comme le dit l'auteur, les mafieux n'y ont pas prêté attention. Après tout on avait déjà écrit des livres sur la camorra. Mais deux ans plus on condamne Roberto Saviano à mort (on dira même qu'il sera mort avant que noêl soit passé), le contraignant à quitter sa ville, sa famille, et à vivre sous constante protection policière. Le condamnant à la solitude. Mais pour autant être condamné à mort ne l'effraie pas :

      "A chaque interview, dans tous les pays où mon livre a été publié, on m'a toujours demandé :"Mais vous n'avez pas peur ?" Question qui, de toute évidenve, se réfère à la peur d'être tué. Je réponds aussitôt "non", et je m'en tiens là. Je me dis parfois que les gens ne me croient pas. Pourtant, c'est ainsi. Vraiment. J'ai ressenti et je ressens toutes sortes de peurs, mais la peur de mourir, je ne la ressens presque jamais. Ma plus grande peur, celle qui me tourmente, est qu'ils parviennent à me diffamer, à détruire ma crédibilité, à couvrir de boue ce pour quoi je me suis battu et que j'ai chèrement payé."

      On essaye aussi de le discréditer. De le faire passer pour un fou, un plumitif avide d'argent, de renommée. On le traite de menteur, on lui tourne le dos ; on dit qu'il n'est pas l'auteur de ses articles, de son livre, de ses nouvelles. C'est de cela dont l'auteur a le plus peur ; de perdre sa crédibilité, de ne plus être écouté. Car il écrit pour que les choses chagnent, ou tout du moins pour que les gens changent et ne permettent plus ce qu'il se passe en Italie, mais dans le monde entier. Comme il le dit dans Siani, journaliste authentique dans la deuxième partie de l'ouvrage :

      "A partir des éléments qu'il a trouvées sur le terrain ou des faits, Giancarlo Siani a ouvert de nouvelles pistes. Son travail se fondait sur une analyse de la Camorra en tant que phénomène de pouvoir, et non en tant que simple phénomène criminel. Ainsi les conjectures, les hyptothèses devenaient, dans ses articles, des outils pour comprendre les connivences entre Camorra, industrie et politique."

      Il craint par dessus tout d'être diffamé, comme Anna Politkovskaïa, journaliste et écrivain russe assassiné en 2006 et qui s'échinait à montrer les dessous du pouvoir de Poutine, de la guerre en Tchétchénie. Il craint de ne plus êtré écouté.
      Mais quiconque n'a serait-ce que lu cette introduction, comprend que l'auteur ne ment pas. Quand on lit ces mots, quand on ressent l'émotion que Roberto Saviano nous transmet, on sait qu'il dit la vérité. Quand on ne cesse de s'interroger en lisant ces textes, quand on a tellement de chsoes en tête qu'ilf aut reposer le livre pour réfléchir, quand on ressent le besoin irrésistible d'écrire et de faire partager ce qu'on ressent à cette lecture, on sait que ce ne sont pas ici les délires d'un fou, mais les paroles d'un sage. Ecrire, c'est mourir dit-il. Mais écrire, c'est aussi vivre. C'est aussi réveiller les gens bien installés dans leur confort comme nous le sommes tous, écrire c'est faire entendre sa voix et faire peut-être, changer les choses.

      Ce livre est un recueil de tout ce qu'a pu écrire Roberto Saviano durant cinq ans, depuis qu'il est obligé d'écrire dans des "hôtels, dans des maisons inconnues et sombres". Il y a des articles de journaux, des éditoriaux, deux textes inédits (Le danger de la lecture ; Ecrire, c'est mourir) ; le tout rangé dans cinq parties différentes : Sud, Hommes, Business, etc ... On y parle de Beauté et d'Enfer. La Beauté c'est Petrucciani, ce fantastique pianiste de jazz mais pas seulement, c'est ce joueur de football, ce sont ces boxeurs italiens. L'Enfer c'est la camorra, les morts, les journalistes diffamés, les innocents tués. L'Enfer c'est la pourriture qui ronge l'Italie et qui envahit le monde sous couvert de commerce. La pourriture c'est l'infiltration de la mafia partout, pour tout. C'est une infiltration qui tant qu'elle ne fera pas de morts, en France par exemple, dont on ne parlera pas, dont on ne se souciera pas (Il en parle plus longuement dans une édition de La grande librairie en 2008, vous pouvez visionner la vidéo sur le site de France 5).
      L'Enfer c'est cette première nouvelle/article :

      "Les responsables ont des noms. Ils ont des visages. Peut-être même une âme. Ou peut-être pas. Giuseppe Setola, Alessandro Cirillo, Oreste Spagnuolo, Giovanni Letizia, Emilio Di Caterino, Pietro Vargas mènent une sorte de guérilla extrêmement violente. Ils tiennent leur légitimité des parrains en cavale, Michele Zagaria et Antonio Iovine, et se cachent dans les environs de Lago Patria. Entre eux, ils doivent se prendre pour des combattants solitaires, des guerriers qui font payer les autres, ultimes vengeurs d'une des terres les plus malheureuses et les plus violentes d'Europe. C'est certainement ce qu'ils se racontent.
      Mais, en réalité, Giuseppe Setola, Alessandro Cirillo, Oreste Spagnuolo, Giovanni Letizia, Emilio Di Caterina et Pietro Vargas sont des lâches : des assassins sans aucun génie militaire. Pour tuer, ils vident frénétiquement leurs chargeurs ; pour se remonter à bloc, ils se shootent à la cocaïne et s'imbibent de Fernet Branca et de vodka. Ils tirent sur des personnages désarmés, qu'ils cueillent par surprise. Ils n'ont jamais affronté d'hommes armés. Ils trembleraient devant eux, au lieu de quoi ils fanfaronnent quand ils tuent des gens sans défenses, les plus souvent des personnes âgés ou des jeunes garçons
      ".

      Je dois bien avouer que je ne suis pas fan de foot, ni de boxe. Mais quand c'est Roberto Saviano qui le raconte, on ne peut pas s'empêcher d'être sensibles aux destins de ces hommes, même si on n'entend rien à leur discipline. On voit bien que ces textes, ceux qui étaient publiés à l'origine dans des journaux, sont en quelques sortes calibrés pour ce format. On a aussi les noms inconnus, les dates, les chiffres. Mais le tout dosé et offert au lecteur avec talent, tellement qu'il est curieux d'en savoir plus et qu'il se documente.
      Mais ce qui est le plus troublant dans tout cela c'est la voix de l'auteur. C'est cet homme, cet être humain qui se dessine derrière les mots et que l'on apprend à connaître. Cela a beau ne pas être une autobiographie, on apprend aussi sûrement à le connaître que si c'était le cas. C'est cet écrivain de 29 ans qui nous parle. Qui nous montre le monde tel qu'il est, tel qu'il le voit, tel qu'il le vit. C'est troublant, et terriblement passionnant.

      Voilà, désolé pour la longueur, mais j'espère que certains auront lu jusqu'au bout et auront ensuite de découvrir les écrits de Roberto Saviano.

      Dernière modification par Matilda (09 Mai 2010 14:31:50)

    • Méloë

      Gastronome littéraire

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      #2 09 Mai 2010 14:00:10

      Merci pour ce topic, car tu as posté un billet sur Persuasion mais j'avoue que je voyais pas trop de quoi tu parlais; du coup j'étais allée me renseigner et là c'est encore plus clair.

      Bilan j'ai bien envie de découvrir cet auteur, par curiosité mais par "devoir" aussi quelque part.

      Juste, petit bug dans ton dernier paragraphe, il est déjà présent un tout petit peu plus haut
    • Matilda

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      #3 09 Mai 2010 14:30:51

      100choses a écrit

      Merci pour ce topic, car tu as posté un billet sur Persuasion mais j'avoue que je voyais pas trop de quoi tu parlais; du coup j'étais allée me renseigner et là c'est encore plus clair.

      Bilan j'ai bien envie de découvrir cet auteur, par curiosité mais par "devoir" aussi quelque part.

      Juste, petit bug dans ton dernier paragraphe, il est déjà présent un tout petit peu plus haut


      Oh zut, j'enlève ça ^^

    • Miss Spooky Muffin

      Mange-mots

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      #4 09 Mai 2010 15:32:46

      Ton post est très intéressant, je ne connaissais pas du tout cet auteur et ses déboires. Ce n'est pas trop mon genre de livre cela dit, mais c'est vrai qu'on a un peu le sentiment de devoir le lire... le style a l'air tout à fait passionnant en tout cas.
    • Matilda

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      #5 09 Mai 2010 16:46:25

      Et quelques informations sur les déboires récents de l'auteur ... avec Berlusconi qui lui dit qu'il fait de la pub pour la mafia et qu'il montre une mauvaise image de l'Italie.

      Dernière modification par Matilda (13 Juin 2011 11:09:44)