L'âme des mots par Cnslancelot

 
    • cnslancelot

      Espoir de la lecture

      Hors ligne

      #1 31 Août 2017 15:53:49

      C'était un soir d'hiver, j'avais fait cinq cent bornes pour me rendre dans le midi et je commençais à sentir la fatigue tirer mes paupières comme l'on tire les volets une fois qu'il fait nuit. Je cherchai donc un endroit où me reposer pour la nuit. Il me restait encore cinquante kilomètres mais j'avais trop peur de m'endormir au volant. Aussi convins-je que la solution la plus raisonnable fut de trouver un hôtel où passer la nuit. Là, comme pour exhausser mon souhait, une auberge se dressait juste devant moi. Elle ressemblait à ces auberges typiques du monde de Tolkien ou encore celles que l'on pouvait voir dans les contes médiévaux. Sans même réfléchir, je me garais sur le parking, descendais de voiture puis me dirigeais vers la grande porte en bois.

      Je contemplai un instant l'établissement devant lequel je me tenais puis enfin je me décidai à entrer. L'auberge avait à la fois un côté chic et cosy. Je cherchai des yeux l'accueil où devait généralement se trouver celui qui s'occupait des entrées quand j'aperçus un homme me faire signe, assis derrière un comptoir. Je me dirigeais vers lui quand soudain je vis un homme à une table.

      Il portait une chemise vert émeraude en dessous d'une fine veste de soie, trop fine à mon goût pour ce temps glacial mais bon, ce ne fut pas ce qui attira mon attention, ni même le chapeau ridicule qu'il semblait porter fièrement sur la tête. Non ce qui m'avait étonné ce jour-là, c'était le fait qu'il écrivait et écrivait. Et quand il avait fini d'écrire, il arrachait les pages pour ensuite les dévorer.

      La stupéfaction de voir un homme manger ses écrits semblait m'avoir cloué sur place car je ne pouvais plus bouger. J'étais à la fois intrigué et captivé par ce qui se déroulait sous mes yeux. Le réceptionniste me sortit à temps de ma torpeur et me demanda ce que je désirais.

      Je lui répondis qu'une chambre pour la nuit me comblerait bien assez puis je lui demandai qui était cet étrange personnage semblant dévorer ses propres mots. Il m'expliqua que l'homme en question était arrivé très tôt dans la journée et que depuis il ne faisait que ça, écrire et manger.

      "Et personne ne s'est demandé pourquoi ? dis-je interloqué.

           
           
           Si bien sûr, répondit le réceptionniste comme si j'avais posé la plus stupide des questions. Mais il n'a pas dit un mot, pas même adressé un regard, comme si on n'existait pas pour lui."
           

      Personne donc ne semblait connaître la raison de ce comportement plus qu'étrange mais moi je voulais savoir. Je m'approchai donc du mangeur de mots. Je lui demandai pourquoi il mangeait ces pages  et ce qu'il me répondit me surprit.

      "Je ne fais pas que manger les pages, me répondit-il.

           
           
           Alors quoi ?"
           

      J'étais curieux de connaître la suite. Mon interlocuteur sourit, comme s'il était ravi que quelqu'un s'intéresse enfin à son œuvre. C'est là qu'il me raconta une étrange histoire.

      Voyez-vous, mesdames et messieurs, cet individu se faisait appeler le mange-mot. Il dévorer les mots, non, il ne faisait pas que les dévorer, il les absorber entièrement, leur valeur et leur sens. Il s'imprégnait psychiquement de tout ces mots et jusqu'à l'âme ils se frayaient un chemin. Puis quand les lettres arrivaient, déchirées, dans le désordre, son esprit les rassemblait en image, en paysage dans lesquels il voyageait, loin de toute cette misère, loin de tous ses galères. Car de galère, il en vivait, étant un écrivain raté dont les récits de ces mêmes étendues bleues et sauvages ne touchaient pas le moindre cœur sauf une élite qui avait appris comme lui à absorber les mots, ceux qui nous rassurent, nous protègent comme un rempart contre toute cette misère que moi-même je fuyais. Et je me surpris à lui demander comment devenir un mange-mot, comment envoyer ma propre âme dans le paysage de mes propres mots.

      Il me dit que tout ce qu'il fallait, c'était croire et vouloir au plus profond de son cœur et je finis par m'asseoir à sa table, écrire et dévorer.

      Ainsi ce termine l'histoire, celui d'un mange-mot. Celui qui a saisi l'âme des mots.