#1 07 Janvier 2011 17:48:19
Parce qu’elle avait senti au son de sa voix qu’il allait la quitter, elle était rentrée plus tôt ce jour-là. Elle avait fait couler un bain, s’y était immergée pendant longtemps, jusqu’à temps que l’eau devienne froide et que le bout de ses doigts se fripent. Elle avait ensuite enfilé un déshabillé en soie puis l’avait attendu sur le canapé pendant de longues heures.
De temps à autre, elle se levait, se servait un verre de scotch bien fort, puis se rasseyait. Elle hésitait à fumer.
Fumer. Il avait toujours détesté cela. Quand elle l’avait rencontré, elle fumait un paquet de cigarettes par jour. Des Marlboro. Il lui avait fait cesser cette « répugnante habitude » selon ses mots. Elle ne l’avait pas contredit mais avait obéi. Elle était alors encore jeune et belle. Sans une ride, sans un pli, lisse….
A présent elle se voyait là seule, vieillissante, cherchant à donner un regain de vitalité à son charme émoussé, fané. A quoi tout cela servait-il ? Elle ne pourrait plus jamais revenir en arrière, elle le savait. Sa jeunesse était derrière elle. Il partirait avec une plus belle, une plus jeune, sa nouvelle secrétaire. Pourquoi celle-ci plutôt qu’une autre ? Il en avait pourtant eu des maîtresses. Cela ne la dérangeait pas à l’époque. Elle, elle avait des amants, tous plus jeunes. A leurs côtés, elle se sentait vivante. C’est peut-être ce qu’il éprouvait avec cette nouvelle conquête.
C’était donc ça vieillir ? Se sentir inutile, délaissé ? Ça ne ressemblait en rien à ce qu’elle avait pu voir dans les films ! C’était plutôt triste même.
Elle entendit la clé tourner dans la serrure. Elle se releva instantanément et adopta une pause lascive. Elle ne voulait pas le quitter et lui laisser une image de femme désespérée, désemparée. Elle serait fière et sûre d’elle jusqu’au bout. Elle avait toujours obtenu ce qu’elle désirait. Rien n’allait changer.
Lorsqu’il entra dans la pièce, il ne la remarqua pas tout de suite. Elle avait éteint toutes les lumières. La pièce était plongée dans la pénombre. Puis il s’approcha du canapé et la vit. Elle était toujours belle malgré son âge. Et désirable. Mais c’était plus fort que lui. Il aimait les aventures, la jeunesse, les rendez-vous clandestins qui pimentaient sa vie d’homme affairé. Et puis une secrétaire, c’était pratique. Pas besoin d’aller bien loin, de se démener pour courtiser l’élue. Il n’avait qu’à se pencher pour cueillir ces belles de jour. L’argent faisait beaucoup.
Comment lui avouer à présent ? Il allait la quitter. Pauvre chose. Elle ne se doutait de rien. Comme à l’accoutumée elle l’accueillait, mettant en avant ses plus beaux atours, cachant la fatigue et le poids des années. Il s’assit à ses côtés. Lui prit la main et la caressa longuement. Il ne se décidait pas à parler. Il la contempla une dernière fois avant de se décider à lui faire du mal. Elle avait un étrange sourire au coin des lèvres, presque ironique. Se doutait-elle de quelque chose ? C’est à ce moment là qu’il comprit. Cette odeur si bizarre, forte et entêtante. Elle tenait dans sa main un briquet. Elle porta une cigarette à ses lèvres. Avant qu’elle ne l’allume, il réalisa qu’elle avait laissé le gaz ouvert. La dernière chose qu’il vit fut le point incandescent de sa Marlboro.
