L'instant d'après par Saint Epondyle

 
    • Saint Epondyle

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #1 24 Novembre 2011 23:05:16

      Bonjour à tous,

      Je profite de cet espace sur le forum pour vous proposer un petit texte de ma plume, que j'ai écrit en 2010 pour participer à un projet d'écriture sous contraintes. Pour lire la liste des obligations de ce projet, c'est par ici.

      Tous les commentaires sont les bienvenus sur ce petit exercice ; directement ici ou sur mon blog.

      En espérant être au niveau. :grat:

      --

      <image>

      [Saint Epondyle présente
      L'instant d'après]


      Image : Minefos, par Moket (sa galerie)

      Ce texte a été réalisé dans le cadre du projet 2, du site En Quête de Mots.

      Jamais jusqu’alors il ne s’était senti aussi mal. Engourdi comme le lendemain d’un passage à tabac un soir de cuite, Wladek Kazhinski venait de passer quarante deux jours en sommeil artificiel. Tout en ouvrant gauchement le couvercle de son cercueil de plastique jaune, il tentait de rassembler ses pensées.

      On appelait ces quelques minutes « l’instant d’après ». Le moment du réveil, lors duquel on avait l’impression d’être à peine tombé dans le sommeil depuis quelques secondes, tout en ressentant physiquement les désagréments de plus d’un mois de totale inertie. Impossible de s’habituer à cette sensation de fatigue extrême.

      Titubant sur quelques mètres dans la cabine, Wladek commençait à se souvenir : Néo London, le voyage, l’équipage limité. Puis l’hibernation. On ne rêve pas en sommeil artificiel.

      Déjà, la sonnerie stridente du téléphone par satellite se fit entendre ; avec la même violence pour Wladek qu’une balle de fusil tirée au contact de son oreille.

      « - Oui ? demanda-t-il faiblement dans son micro-oreillette tout en se laissant tomber dans le vieux fauteuil de pilote ; éventré.
      - Kazhinski ? demanda une voix grésillante.
      - Oui Monsieur, je me réveille… à l’instant.
      - Bon, Libovski n’a pas été capable de vous amener là où vous deviez arriver initialement. Vous devez rejoindre 102.12.8 par vos propres moyens.
      - Ah, Wladek se remettait difficilement, les yeux toujours mi-clos, oui Monsieur, il a toujours eu du mal avec les coordonnées de pilotage…
      - On s’en fout Kazhinski, la mission est maintenant de votre ressort, vous avez toutes les informations dont vous aviez besoin. A vous de jouer.
      Sans laisser le temps à son interlocuteur d’assimiler tous ce qu’il venait de lui dire, Monsieur mit fin à la conversation.

      Wladek s’était habitué au ton arbitraire de Monsieur, il ne s’en formalisait plus. Laissant tomber mollement l’oreillette sur le sol, l’officier ouvrit enfin les yeux sur ce qui l’entourait.

      Comme lorsqu’il l’avait quitté, plusieurs semaines auparavant sur la plate forme orbitale de Neo London, la cabine de pilotage était un vaste et sombre espace métallique, qu’éclairaient de leurs lueurs blafardes les écrans des ordinateurs hors d’âge. Au fond de la pièce se trouvaient les trois sarcophages jaunes vif destinés à accueillir l’équipage lors des phases de sommeil forcé. Le premier sarcophage était occupé par Stanislas Libovski, son copilote ; le second était le sien ; et le dernier, destiné au troisième membre d’équipage réglementaire, était vide. Sur un vieux rafiot de onze mille tonnes comme l’Arkhangelsk, on en était plus à une infraction au règlement près, même si elle concernait un tiers de l’équipage.

      L’inconvénient de cette organisation à deux équipiers, la sécurité mise à part, était le manque de contact humain. Pendant les huit mois de mission, les deux hommes alternaient les phases d’éveil et de sommeil forcé ; seul dans une mégalopole en ruine à bord d’un rafiot vieux comme le monde, sans jamais voir son équipier. Il y avait de quoi devenir cinglé.

      Dans un coin aussi perdu que Paris, il était inutile d’essayer de capter Internet. D’autant plus que le navire n’était pas équipé des derniers systèmes de réception à onde ultra longues. Il y avait l’électricité et c’était déjà pas mal.

      Heureusement, la vodka ne manquait pas.

      Cette ville avait tout d’une cité fantôme. Quittée en masse par ses habitants après les événements du 24 décembre 2057. Une veille de Noël. Le « drame de Paris », comme on l’avait appelé dans les années qui suivirent, avait marqué la fin de la civilisation dans cette partie de la Terre. On ne comptait plus qu’un petit millier de villes habitées sur la planète, en Asie du sud-est pour la plupart.

      Les immenses métropoles d’Antan, New York, Paris, Londres, Moscou, avaient perdu toute leur population. Elles étaient maintenant semblables à d’immenses cimetières de fer et de béton. Pas de zombi, de robot ou d’androïde ; seulement une absence de vie totale, sur une zone allant de l’Ecosse à l’Angola. Les seuls navires qui s’y aventuraient étaient les quelques désosseurs venus récupérer les matériaux qui pouvaient l’être, et les patrouilles gouvernementales qui assuraient le bon déroulement du pillage.

      Paris n’était composée que d’immenses structures en métal et en béton noirâtre. L’endroit ne ressemblait plus à une ville, mais à un enchevêtrement de pylônes, de cubes, de pyramides, de cylindres métalliques et crasseux. Entre les tours suintait une brume persistante de pollution qui obstruait le ciel gris. Telles étaient les ruines d’une humanité décadente et révolue.

      Alors que l’Arkhangelsk slalomait prudemment dans le brouillard, Wladek n’aurait pas pu deviner l’heure qu’il était ni à quelle altitude il se trouvait par rapport au sol. Malgré cet aveuglement, il pouvait se diriger avec une certaine assurance, en jugeant à l’œil de la direction. Se renversant entièrement dans son fauteuil de pilote grinçant, il prit une grande rasade de vodka. Après plusieurs années de navigation, il avait appris à supporter cette boisson synthétique en cubes lyophilisés. Le breuvage avait un arrière goût de céleri, ou peut-être de fenouil. Ca n’était pas bon, mais ça décrassait.

      Wladek savait que d’ici quelques heures il arriverait sur les lieux de sa mission. Là, il aurait deux jours pour mener à bien un travail bien différent d’un simple désossage. Passé le délai des 48 heures, chaque minute ferait croître le danger.

      Plutôt que de se perdre en conjectures, il valait mieux mettre un peu de musique et attendre de voir. Même si la musique « subversive » avait été interdite depuis longtemps, la cabine du navire était pleine de vieux disques de Pink Floyd, Queen et Led Zeppelin.

      C’était interdit, mais si une patrouille décidait de fouiller le vaisseau, la musique serait vraiment le dernier de ses soucis.



      - St Epondyle – 2010 -
      Pour En Quête de Mots

      --

      En souhaitant vous avoir plu. :angel:

      A vos claviers !