De l'autre côté du pont - Chapitre 1 ======> Votre avis ?

 
    • Echecs et mat

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #1 26 Septembre 2018 21:34:14

      Ce n'était pas la première fois. Bien sûr c'était arrivé déjà, un soir d'hiver, peut-être l'an dernier. Il avait déjà lu pareille histoire dans les journaux. Mais de la lecture à l'expérience, il y a cette même distance que de la fable à la réalité. Lui n'y avait d'abord pas cru ; et puis, quelque détonation lointaine l'ayant fauché aux tempes, l'écho tout bourdonnant encore, il revint sur ses pas, mordu de curiosité, les frissons à fleur de peau. « bang bang ! » deux cartouches. Un râle. On venait d'en passer un par les armes. Ce secteur de la ville était strictement réservé au personnel autorisé. qui ne le sait pas ? Un panneau en grosses lettres en interdisait l'accès « ZONE DÉFENDUE. TIR À VUE ». Ce n'était pas la première fois. Bien sûr c'était arrivé déjà.
          Dix-neuf heures. Une nuit sale aux reflets de fondrière. Pas un chat dans les gouttières. Adel avait les mains moites et glacées quoiqu'au fond des poches. Il allongeait des foulées toujours plus grandes en faisant profil bas, la suée dans la nuque. Deux cartouches. Un râle. Et puis plus rien. Le silence. Un silence d'hiver et de givre. Et le cadavre, embourbé, là.
          Les sirènes du mirador aboyaient de longues traînées sonores que les faubourgs de Communalia répétaient de loin en loin. Les soldats en faction s'agitaient sur les remparts. Les chiens découvraient leurs crocs, hors d'haleine, pistant la chair et le sang tandis que le faisceau des torches parcourait la poudreuse. Le corps gisait là, dans la boue froide, tordu, figé d'épouvante et la mâchoire égueulée. Il y eut une voix sourde : « nettoyez-moi ça. »
          Adel venait de tourner lâchement par une rue sinueuse ; un détour qu'il connaissait pour l'avoir emprunté souvent. Ses jambes l'y avaient mené sous le coup de l'effroi. N'obéissant plus qu'à son instinct, il regagna tourmenté d'horreur l'appartement où il logeait quelques rues en contrebas : un mauvais immeuble de quartier populaire, les étages empilés les uns sur les autres et le béton, saisi de gerçures, qui ne semblait sous une perspective renversée que le prolongement de l'asphalte.
    • Echecs et mat

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #2 27 Septembre 2018 12:44:11

      Bonjour,

      je vous propose une autre version du même passage. Dîtes-m'en des nouvelles. Quelle ambiance vous plaît le plus ? avez-vous détecté des fautes ? Avez-vous des recommandations pour que le style soit plus fouillé ?


          C'était une nuit sale et boueuse comme il y en a de décembre à janvier. Un ciel plafonné de nuages bas et noir, l'abcès crevé, des trombes de neige ; des caniveaux bourbeux, englués d'ordures et d'une pâte amalgamée de poussière et de poudreuse en fonte.
          Adel rentrait du travail, éreinté, les bottes encrassées, l'écharpe, un tissu de carton roidi par l'hiver et le chapeau, le crâne bien engoncé dedans. Dix-neuf heures à la montre. Des ruisseaux marron dégorgeaient des gouttières. Un froid de loup.
          Il n'y avait plus personne à cette heure-là sur la voirie. Quelques volets claquaient de proche en proche avec dans les masures, des lumières tièdes de bougie qu'on souffle. Et lui, enveloppé de noir, la nuit collée aux basques, remorquait des paquets de neige. Il allongeait ses foulées lamentables par les faubourgs. Tous les jours la même rengaine. Allait-il chez lui ? Non. Quelque détonation lointaine l'ayant fauché aux tempes, l'écho tout bourdonnant encore, il revint sur ses pas, mordu de curiosité mais les frissons à fleur de peau. « bang bang ! » deux cartouches. Un râle. On venait d'en passer un par les armes.
          Ce secteur de la ville était strictement réservé. Un panneau en grosses lettres en interdisait l'accès « ZONE DÉFENDUE. TIR À VUE ».
          Lui n'y avait d'abord pas cru : un tour que lui jouaient les chimères de la nuit. Pourtant, il avait déjà lu pareille histoire dans les journaux. On en dézinguait un de temps en temps. Piqûre de rappel, qu'il se dit en ironisant pour un peu de courage.
          Mais bientôt les sirènes du mirador aboyèrent de longues traînées sonores que répétaient les rues de Communalia. Les soldats en faction s'agitaient sur les remparts. Les chiens découvraient les crocs, hors d'haleine, pistant la chair sous les faisceaux des torches qui parcouraient la poudreuse. Le corps gisait là, dans la boue froide, tordu, figé d'épouvante et la mâchoire égueulée. Il y eut une voix sourde : « nettoyez-moi ça. » et puis plus rien. Un silence de givre. Le cadavre étendu là.
          Adel venait de tourner lâchement les talons par un détour qu'il connaissait pour l'avoir emprunté souvent. Ses jambes l'y avaient mené sous le coup de l'effroi ; et n'obéissant plus qu'à son instinct, faisant profil bas, il regagna tourmenté d'horreur l'appartement où il logeait quelques rues en contrebas : un mauvais immeuble de quartier populaire, les étages empilés les uns sur les autres et le béton, saisi de gerçures, qui ne semblait sous une perspective renversée que le prolongement de l'asphalte.
    • Jelisetalors

      Les doigts collés au papier

      Hors ligne

      #3 27 Septembre 2018 14:59:40

      Coucou, c'est vraiment pas mal ça :D

      J'ai préféré la deuxième version ,mais ce n'est que mon avis (même si la première était bien : j'étais un peu plus perdu pour débuter ma lecture: dans la deuxième version, j'ai l'impression qu'on entre un petit plus doucement dans le sujet; tout dépend donc de l'impression que tu veux donner selon moi) ^^

      C'est pour une nouvelle, un roman ?

      ça se passe pendant quelle période ? ^^

      Bises
    • Echecs et mat

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #4 27 Septembre 2018 17:48:12

      Salut !

      Merci pour ton retour. Je pense aussi que la seconde version est meilleure, mais c'est encore insuffisant. L'ambiance y est plus marquée. je souhaiterais quelque chose de très déroutant, d'ordurier, avec beaucoup de tension et que le malaise gagne le lecteur. A la louche il y en aura pour 250-300 pages. J'ai besoin qu'on me dise si le vocabulaire retransmet bien l'inquiétude et si on aurait des suggestions ?

      C'est un projet de roman que j'ai commencé il y a presque un an. ça se passe à Communalia, ville imaginaire sur une île baignée de brume, avec l'hiver pour seule saison, et qui aurait pour unique liaison avec le monde extérieur, un pont interdit d'accès par lequel transitent toutes les denrées alimentaires que l'on ne peut cultiver. Communalia est donc dépendante de ce qui se passe "de l'autre côté du pont" mais personne n'y a jamais vraiment mit les pieds. En échange de ces denrées alimentaires, Communalia produit des biens d'industrie lourde, et exploite des mines. Il faut s'imaginer des hauts-fourneaux et des usines partout. Pendant ce temps, le gouvernement ferait de la propagande pour qu'on aille jamais se mêler de se qui se passe de "l'autre côté du pont". Ambiance année 1920-1930 Grande Dépression.

      Pour faire court ^^

      Merci encore,
      Bises
    • Echecs et mat

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #5 28 Septembre 2018 22:22:27

      Bonjour à tous,

      Je vous soumet une troisième version du même passage. Je suis véritablement à la recherche de la formule la plus juste. Donnez-moi votre avis !


          C'était une nuit sale et boueuse comme il y en a de décembre à janvier. Un ciel plafonné de nuages bas et noir, l'abcès crevé, des trombes de neige et des caniveaux bourbeux, englués d'ordures et d'une pâte cimentée de poussière et de poudreuse en fonte.
          Adel rentrait du travail, éreinté, les bottes encrassées. L'hiver lui toussait au visage une haleine de glace et de flocons froids. Dix-neuf heures à la montre. Des ruisseaux marron dégorgeaient des gouttières. Un froid de loup.
          Personne à cette heure-là sur la route. Quelques volets claquaient de proche en proche avec dans les masures, des lumières de bougie tiède. La défroque enveloppée de noir, la nuit pour ainsi dire collée au manteau, il bravait le blizzard, l'écharpe roide, le chapeau cartonneux, les mains bien engoncées dans les poches. Adel remorquait emplâtré jusqu'au genou des paquets de neige derrière lui. Tous les jours la même rengaine. Et tandis que la suée dans la nuque, il enlevait ce soir encore de lamentables enjambées par les faubourgs, quelque détonation lointaine le faucha aux tempes. L'écho tout bourdonnant encore, mordu de terreur et de curiosité, il revint sur ses pas, allongea, raccourcit la marche, tendit l'oreille à la nuit. « bang bang ! » deux cartouches. Un râle. On venait d'en passer un par les armes.
          Ce secteur de la ville était strictement réservé. Un rideau de barbelés ainsi qu'un panneau en grosses lettres en interdisait l'accès « ZONE DÉFENDUE. TIR À VUE ».
          Il avait déjà lu pareille histoire dans les journaux. C'était donc vrai ! on en dézinguait un de temps en temps. Piqûre de rappel, pensa-t-il pour se donner du cœur.
          Les sirènes du mirador soufflèrent de longues traînées sonores que répétaient les rues de Communalia. Les soldats en faction s'agitaient sur les remparts, leurs carabines hérissées aux quatre vents. Les chiens aboyaient à tout va, pistant la chair sous les faisceaux des torches qui parcouraient la poudreuse. Le corps gisait tordu dans la boue froide. Il y eut une voix sourde.
          « Nettoyez-moi ça. »
          Et puis plus rien. Un silence de givre. Le cadavre étendu là.
          Adel prit un détour de ruelles et fila droit où ses jambes le menaient. Il fit profil bas, rabattit son chapeau, regagna l'appartement qu'il louait à deux pas de là dans un mauvais immeuble de quartier populaire où s'empilaient des étages de béton craquelé, saisis de gerçures.
          Ses pas résonnèrent dans la cage d'escalier. Il monta les marches trois à trois sous les feux blafards des d'ampoules mangées de rouille ; elles se balançaient au bout de leur câble, la gaine et le cuivre à l'air. Les couloirs étaient vétustes et plaquées par endroit d'un crépis de moisissures. Arrivé devant sa porte, hors d'haleine, il fouilla ses poches et s'empara de son trousseau de clefs. La serrure bloquait. Les échos montaient les marches à sa suite. « Clic » le verrou céda.
    • Jelisetalors

      Les doigts collés au papier

      Hors ligne

      #6 29 Septembre 2018 09:38:56

      J'aime beaucoup la troisième version. On y sent plus de tension je trouve, la ponctuation doit aussi beaucoup jouer. J'ai ressenti le froid qui m'a presque piqué le visage, et j'avais presque les doigts engourdis aussi :)
    • Echecs et mat

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #7 29 Septembre 2018 16:51:31

      La suite pour ceux que ça pourrait intéresser  :)

      Quand il fut chez lui bouclé à double tour et que le galop des escaliers se fut évanouit, il s'arrêta net, les fibres tendues, appuyé d'une main au rebord d'une commode et se soutenant le front de l'autre. Il haletait. C'était donc vrai ! on en dézinguait un de temps en temps. Adel tâcha de reprendre son souffle et d'ouvrir ses poumons à l'oxygène. L'air lui monta au crâne et de vastes inspirations l'enivrèrent bientôt. Son cœur lui battait dans les veines. Il eut chaud, dévissa son chapeau, le pendit au crochet du porte-manteau. Puis il dénoua son écharpe et se tamponna la sueur. Quand il fut dépouillé pour de bon de sa redingote, ses pores suintaient des fumées de charogne. Il s'était vu mort, lui aussi ! Quelque peu soulagé cependant, ses membres s'amollirent, appesantis de paresse, et lui réclamèrent une trêve. Enfin, le premier effroi passé, Adel se tourmenta de mille questions. L'autre ne pouvait pas avoir ignoré les mises en garde... le voilà bien mort ! Ce n'était pas la première fois.
          Une heure se passa. Il tournait en rond dans son appartement, allait de sa fenêtre à la porte avec des regards tétanisés de bête qu'on traque. Il avait détaché ses bretelles, ouvert son col de chemise et roulé les manches au coude quand lui vint l'idée de fumer une cigarette et de laisser la nicotine prendre le relais sur son angoisse. Les miettes de tabac lui coulaient d'entre les doigts tandis qu'il en nivelait un sillon le long d'une feuille. Le filtre placé en équilibre et la langue portant une bande de salive, il roula la cigarette et craqua une allumette pour la flamber ; puis il se la coinça à la commissure des lèvres, en aspira de petites vapeurs qu'il rendit d'un jet noir et profond en se rappelant les coups de feu. « bang bang ! » deux cartouches. Un râle.
          Les rideaux, le tapis, le papier des murs, s'empoissèrent de fumée. Tout baignait chez lui  dans une brume de cimetière. Les couleurs, le gris, le marron, répondaient aux matières, au bois du plancher, des meubles. L'odeur du tabac l'apaisait. Les volutes allaient s'écrasant au plafond former un nuage. Il retrouvait pleinement ses esprits.
          « Quelle idée de passer dans ce coin-là. Si près du pont... l'imbécile » soupira-t-il entre deux bouffées.