#5 28 Septembre 2018 22:22:27
Bonjour à tous,
Je vous soumet une troisième version du même passage. Je suis véritablement à la recherche de la formule la plus juste. Donnez-moi votre avis !
C'était une nuit sale et boueuse comme il y en a de décembre à janvier. Un ciel plafonné de nuages bas et noir, l'abcès crevé, des trombes de neige et des caniveaux bourbeux, englués d'ordures et d'une pâte cimentée de poussière et de poudreuse en fonte.
Adel rentrait du travail, éreinté, les bottes encrassées. L'hiver lui toussait au visage une haleine de glace et de flocons froids. Dix-neuf heures à la montre. Des ruisseaux marron dégorgeaient des gouttières. Un froid de loup.
Personne à cette heure-là sur la route. Quelques volets claquaient de proche en proche avec dans les masures, des lumières de bougie tiède. La défroque enveloppée de noir, la nuit pour ainsi dire collée au manteau, il bravait le blizzard, l'écharpe roide, le chapeau cartonneux, les mains bien engoncées dans les poches. Adel remorquait emplâtré jusqu'au genou des paquets de neige derrière lui. Tous les jours la même rengaine. Et tandis que la suée dans la nuque, il enlevait ce soir encore de lamentables enjambées par les faubourgs, quelque détonation lointaine le faucha aux tempes. L'écho tout bourdonnant encore, mordu de terreur et de curiosité, il revint sur ses pas, allongea, raccourcit la marche, tendit l'oreille à la nuit. « bang bang ! » deux cartouches. Un râle. On venait d'en passer un par les armes.
Ce secteur de la ville était strictement réservé. Un rideau de barbelés ainsi qu'un panneau en grosses lettres en interdisait l'accès « ZONE DÉFENDUE. TIR À VUE ».
Il avait déjà lu pareille histoire dans les journaux. C'était donc vrai ! on en dézinguait un de temps en temps. Piqûre de rappel, pensa-t-il pour se donner du cœur.
Les sirènes du mirador soufflèrent de longues traînées sonores que répétaient les rues de Communalia. Les soldats en faction s'agitaient sur les remparts, leurs carabines hérissées aux quatre vents. Les chiens aboyaient à tout va, pistant la chair sous les faisceaux des torches qui parcouraient la poudreuse. Le corps gisait tordu dans la boue froide. Il y eut une voix sourde.
« Nettoyez-moi ça. »
Et puis plus rien. Un silence de givre. Le cadavre étendu là.
Adel prit un détour de ruelles et fila droit où ses jambes le menaient. Il fit profil bas, rabattit son chapeau, regagna l'appartement qu'il louait à deux pas de là dans un mauvais immeuble de quartier populaire où s'empilaient des étages de béton craquelé, saisis de gerçures.
Ses pas résonnèrent dans la cage d'escalier. Il monta les marches trois à trois sous les feux blafards des d'ampoules mangées de rouille ; elles se balançaient au bout de leur câble, la gaine et le cuivre à l'air. Les couloirs étaient vétustes et plaquées par endroit d'un crépis de moisissures. Arrivé devant sa porte, hors d'haleine, il fouilla ses poches et s'empara de son trousseau de clefs. La serrure bloquait. Les échos montaient les marches à sa suite. « Clic » le verrou céda.