#884 02 Janvier 2025 13:30:35
Cranford de Elizabeth Gaskell
Comment une série de tableaux, centrée sur une demi-douzaine de femmes d’une noblesse plus factice que réelle, aux préoccupations d’une futilité inimaginable, d’une condescendance érigée en dogme, peut-elle vraiment non seulement retenir l’attention du lecteur, mais le charmer au point où ces commérages et bavardages en deviennent agréables ? Ça prend la plume de cette autrice qui nous dessine par traits légers une coterie dont elle se moque allègrement sans toutefois grossir le ridicule de ses femmes qu’elle traite avec un respect qui convient bien à l’atmosphère feutrée dans laquelle elles évoluent.
En situant la narratrice à l’extérieur du cercle (elle ne réside pas à Crandford, mais y fait régulièrement des séjours prolongés chez une amie intime) Gaskell la place au cœur de l’action, si on peut parler d’action dans ce livre, sans la menotter par une adhésion à ce clan exclusif. Le récit est donc abondamment parsemé des réflexions caustiques, brillamment énoncées, parfois sur les motivations ou attitudes individuelles, parfois sur le comportement et la dynamique du groupe et quelques fois sur les normes de l’époque victorienne à l’égard des femmes. La peur délirante qu’entretiennent ces femmes envers les hommes, leur point de vue inusité sur le mariage, leur snobisme empoussiéré, sont autant d’éléments que l’auteure se plaît à étaler pour mieux ricaner. J’ai souvent souri pendant ma lecture, même s’il faut bien avouer que , parfois, les travaux d’aiguille, les angoisses liées à l’habillement et les considérations de vieilles filles m’ont un tantinet exaspéré. Reste que pour le ton moqueur, qui n’est pas sans rappeler Jane Austen, l’ambiance surannée et les réparties fines, j’ai au total aimé cette lecture, bien que ce ne soit pas ma préférée de cette autrice.