[Suive lecture] Widukind

 
  • Widukind

    Lecteur timide

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    #11 02 Juillet 2018 17:22:10

    Compte rendu de Lecture N°1 :Baltasar Gracian : Le héros

    Céline disait des stylistes qu'il n'en existait que deux ou trois par génération. On peut, à la suite de la lecture du Héros, affirmer que Gracian aurait pu dire la même chose concernant son sujet d'étude. IL est à la mode aujourd'hui de voir des héros partout, des héros du quotidien qui bouleversent l'actualité l'espace d'une semaine et qui retournent dans l'anonymat après leur quart d'heure de gloire médiatique. Pourtant s'il devaient être définis comme "Héros" selon la grille de lecture de notre moraliste espagnol, aucun d'entre eux ne passerait la barre de sélection.
    Car pour définir le héros, Gracian place la barre très haut. En quelques courts chapîtres d'un "livre nain destiné à former des hommes gigantesques" selon ses dires, il nous dresse le portrait de ces hommes d'exception et des caractéristiques auxquelles ils se doivent de répondre. Et c'est une véritable éthique de vie qui se dessine sous nos yeux :  intelligence étendue, jugement solide, recherche perpétuelle de la gloire, aucun appesantissement permis, faire figure d'exception dans son domaine et y être précurseur, ne pas chercher à s'entendre dans des domaines mal maîtrisés, recherche des actions éclatantes. Et pour terminer : "se signaler par des actions dignes de l'immortalité et par des largesses capables d'intéresser les plumes à perpétuer la mémoire de ces actions." Rien que ça ! Nous sommes loin des glorioles hollywoodiennes à une époque où les exploits des héros grecs (Achille, Hercule) sont dans les mémoires des hommes d'actions et des lettrés. Même Alexandre le Grand est vertement critiqué dans le livre pour s'être laissé grisé par ses victoires.
    Le livre est d'une lecture très abordable, une vingtaine de chapitres de deux ou trois pages chacun. Le tout servi par la limpide traduction de Joseph de Courbeville (XVIIIè) Il vaut la peine de prendre deux heures de son existence pour méditer Gracian. Il faisait partie des auteurs favoris de Guy DEBORD qui n'était pas né de la dernière pluie pour choisir de bons ouvrages, alors pourquoi se priver.

    Une édition bilingue français/espagnol fut éditée aux éditions Sulliver. Et comme je le disais dans un post précédent, la quasi-intégralité des traités de Gracian est disponible aux éditions du Seuil sous le titre : Traités politiques, esthétiques, éthiques (1000 pages tout de même).

    Je ne sais pas encore si je vais garder ce format (longueur, présentation) de chronique. Certaines seront plus brèves sans doute.
    Merci de votre patience et à bientôt pour un prochain compte rendu. N'hésitez, bien sur, pas à commenter !
  • Mirmont

    A la découverte des livres

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    #12 02 Juillet 2018 18:41:29

    Le pavé aux éditions du Seuil me fait de l'œil depuis quelques mois, je vais sans doute craquer et me le procurer. Outre Debord (qui était en effet un fin lecteur), Valéry et surtout Schopenhauer évoquent Gracián avec une vive admiration dans certaines de leurs lettres. Par ailleurs, ce héros vu par Gracián me rappelle un peu la figure de l'übermensch nitzschéen et, si mes souveniers sont bons, il me semble que ce dernier a lu Gracián : a-t-il lu le héros en particulier et ce texte a-t-il un peu inspiré le concept du Surhomme ? Ce serait intéressant de le savoir.

    Merci en tous cas pour ce compte rendu intéressant (merci notamment pour certains détails comme la mention à la qualité de la traduction, ce qui est toujours utile pour le choix d'une édition. Schopenhauer d'ailleurs dans sa correspondance se plaignait de l'absence d'une traduction potable pour les oeuvres de Gracián et s'est même proposé - sans succès - de le traduire pour une rétribution plus que modique, ce qui est une forte marque de volonté pour lui qui était très proche de ses sous !).
  • Widukind

    Lecteur timide

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    #13 06 Juillet 2018 16:59:15

    J'avoue n'avoir fréquenté que très peu (à tort) l'oeuvre de Schopenhauer et je n'ai guère touché à Nietzsche depuis quelques années. Il est toutefois possible que Gracian ait inspiré ces deux philosophes.
  • Widukind

    Lecteur timide

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    #14 09 Juillet 2018 22:00:15

    Compte rendu de lecture N°2 : Les Déracinés de Maurice Barrès et Les choses de Georges Perec

    Quoi de commun en effet entre ces deux romans parus à 60 années de distance. La réponse est très simple : ils sont à eux deux des œuvres de sociologie qui permettent d'éviter la lecture de rébarbatifs essais universitaires. En effet, 100 pages de Pérec valent bien tous les ouvrages assommants du mandarin Bourdieu.
    Barrès n'a pas son pareil pour décrire la vie de ces jeunes provinciaux de la fin du XIXème siècle qui se lancent à l'assaut de la capitale et croient, sous l'impulsion d'un professeur de philosophie un peu présomptueux, la conquérir facilement. L'euphorie des débuts de l'aventure laisse place aux mesquineries, trahisons et promesses rompues entre amis qui ne l'étaient pas tant. C'est avant tout un roman qui joue sur l'impossibilité de voir se mixer des univers culturels et sociaux différents. On y retrouve évidemment la plume de Barrès qui signe avec ce livre un de ses plus grands romans. Seuls quelques passages sur les péripéties de la vie politique sous la troisième République (les déboires de Gambetta) ont mal vieillis. Pour le reste, il s'agit d'un roman pour une grande part initiatique comme Barrès avait l'habitude d'en écrire au début de sa carrière. Je songe à sa trilogie Le culte du Moi qui était déjà d'un très bon niveau.
    Si les héros de Barrès ont encore des montagnes à gravir, autour d'un scène magnifique aux Invalides à côté du tombeau de l'Empereur, les deux protagonistes de Pérec, eux, sont déjà blasés avant d'avoir commencé leur vie. Pérec se livre à une critique impitoyable et revigorante de la petite-bourgeoisie des années soixante et de sa mentalité. Bien avant Houellebecq, il avait su cartographier l'époque de la société consumériste et son anémie progressive. Les choses sont l'anti-Roman de l'énergie nationale de Barrès en un sens. Les description des deux personnages Jérôme et Sylvie sont chirurgicales avec leur petite vie bien tranquille, leur mobilier à là mode, leur tranquillité que rien ne vient déranger. Pérec le résume très bien dans un passage : leur vie est une vie de Rien.
    Même si Pérec écrit tout de même largement moins bien que Barrès, son livre vaut quand même le détour. 2 heures de lecture suffisent.
  • Widukind

    Lecteur timide

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    #15 03 Août 2018 10:06:09

    Après un mois de Juillet riche en lectures, je reviens à la charge sur mon suivi quelque peu délaissé (déjà!) pour soumettre une question : la littérature populaire mérite-t-elle d'être lue ? Par "littérature populaire", je n'entends bien évidement pas les livres types "Marc Lévy" ou les livres à la mode qui se vendent à des millions d'exemplaires (Fifty shades of grey, Katherine Pancol etc;) mais bien plutôt les livres publiés par des auteurs secondaires mais qui ont tout de même résisté à l'épreuve du temps. Je pense par exemple à la saga "Les rois maudits' de Druon que je lis depuis quelques mois, ou aux livres de René fallet, Henri Vincenot, Marcel Pagnol,... Ces ouvrages sans être de la grande littérature, n'ont ils rien à nous dire sur le monde ? Ne sont-ils là que pour distraire ?

    Si vous passez par ici, dites moi si vous lisez ou non ce types de littérature (j'ose employer le mot) et pourquoi vous en lisez ou non.

    A bientôt !
  • Sophisme

    Lecteur en pantoufles

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    #16 05 Août 2018 21:40:52

    Salut,

    J'aime lire des classiques et je trouve qu'ils sont peu représentés sur internet. Alors je vais suivre ton suivi lecture avec attention
  • Widukind

    Lecteur timide

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    #17 08 Août 2018 11:11:49

    Merci Sophisme pour l'intérêt que tu portes à ce suivi.

    Compte rendu de lecture N°3 : La liberté de blâmer de Renaud Matignon et L'écume et les galets d'Alain de Benoist.

    Deux livres portant sur l'actualité, l'un sur l'actualité littéraire au XX siècle et l'autre sur l'actualité politique. Lorsque je lis des critiques littéraires dans des revues je suis assez souvent sidéré de la mauvaise foi ou de la partialité abusive des critiques. Ce n'était pas le cas de R. Matignon qui au travers de ce livre montre à la fois sa capacité à faire aimer ou redécouvrir des auteurs de talent mais aussi à "descendre" de leur piédestal des auteurs qui ne méritaient pas autant de considération. L'important est qu'il le fasse la plupart du temps avec beaucoup de justesse et de finesse, ce qui est plutôt rare; Il fait partie des critiques à qui l'on peut faire confiance car ils ont un jugement sûr; Matignon n'était pas du genre à s'enthousiasmer pour telle ou telle mode ou pour le dernier auteur encensé par la presse. Un auteur a du talent ou n'en a pas. Le goût littéraire permet d'en juger et rien d'autre. L'avantage de lire Matignon est de juger soi-même en creux son propre goût littéraire. Je remarque que souvent, avec bonheur, mes goût et les siens sont assez similaires (j'arrête ici mes prétentions ultra-narcissiques). Matignon se fait un plaisir de dégommer les imposteurs à la Duras, Ben Jelloun, Paulo Coelho, Darrieusseq, Djian, Umberto Eco, BHL, Sagan, Robbe-Grillet, Sollers et compagnie. Seule Amélie Nothomb échappe curieusement à l'hécatombe.  Il est un peu sévère, il me semble, envers Cioran, Yourcenar ou Garcia Marquez. C'est donc un livre savoureux pour parfaire sa culture littéraire (la plupart des auteurs jugés sont des auteurs contemporains).

    L'autre livre est un recueil d'éditoriaux d'Alain de Benoist parus dans la Lettre de Magazine-Hebdo entre 1991 et 1999. Benoist me semble être un historien des idées injustement méconnu de nos jours. Il souffre de la réputation nationaliste de sa jeunesse que les médias dominants et les cénacles intellectuels ne lui ont jamais pardonnés. Il est vrai qu'il a toujours maintenu des positions le faisant demeurer (pour mon plus grand plaisir) à l'écart du ronron médiatique ambiant. L'intérêt du livre de Benoist est qu'il différencie l'essentiel de l'accessoire, d'où le titre du livre, l'écumé étant ce qui dans l'actualité ne fait que passer et sera oublié et les galets qui perdureront dans le temps. Contrairement à d'autres recueils d'analyse politique type Alain Duhamel ou l'ineffable J-M Apathie, Benoist avec sa solide culture dans le domaine des idées et de la philosophie, parvient à replacer chaque événement dans son contexte idéologique et en nous en faire ressortir toutes les implications futures. Beaucoup d'articles ont trait à la critique du libéralisme ou des droits de l'homme,à la question du racisme, à la désastreuse politique étrangère américaine, aux dangers de la mondialisation en termes économiques et culturels ou au développement de l'inquiétante pensée unique qui commence à être fragilisée aujourd'hui. Livre intéressant donc, même s'il est plutôt long (600 pages avec un texte très serré sur double colonne) et si certains événements qui passaient pour digne d'intérêt à l'époque ne le sont plus tout à fait aujourd'hui.

    Dernière modification par Widukind (09 Août 2018 21:54:01)

  • Mirmont

    A la découverte des livres

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    #18 08 Août 2018 14:15:17

    Merci pour ces recensions, Widukind. Je retiens Matignon que je connaissais de nom mais sans avoir lu ses articles et critiques (et puis ce genre de recueil est souvent très agréable à parcourir). En ce qui concerne Benoist, tu connais sans doute (mais peut-être que cela intéressera des lecteurs de ton suivi) déjà ses articles en libre accès : loin d'être d'accord avec l'ensemble de ses analyses mais j'aime son esprit de synthèse, sa bonne connaissance de l'histoire des idées et il est profitable d'en lire un de temps en temps.
  • Widukind

    Lecteur timide

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    #19 08 Août 2018 18:18:05

    Je connaissais en effet le cercle des amis d'Alain de Benoist et de ces articles mis en ligne. Je m'amuse actuellement à relire d'anciens numéros du magazine Éléments des années 1990 et force est de constater que sur nombre de sujets il a plutôt amendé ses positions. Pour ma part je le préfère largement en historien des idées qu'en journaliste.  Ses deux autres revues Krisis et Nouvelle école  sont d'un assez bon niveau et font preuve d'un pluralisme des idées assez étonnant parfois (et de plus en plus).
  • Mirmont

    A la découverte des livres

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    #20 08 Août 2018 20:05:52

    Oui, il a une capacité à penser contre lui-même et contre sa famille de pensée - ce qui l'a d'ailleurs conduit dans le passé à vouloir tisser des liens avec d'autres familles de pensées, d'autres organisations "méta-politiques" - qui est signe d'une certaine probité (et liberté) intellectuelle, le tout appuyé par une culture certaine - avoir l'une des deux ou trois plus grandes bibliothèques privées d'Europe et sa capacité de travail (assez considérable) doit aider. C'est parfaitement louable et c'est surtout rafraichissant dans ce petit milieu très politisé qui reste souvent dogmatique, limité et borné.