#65 24 Mars 2018 17:21:50
Je ne te convaincrai sûrement pas à partir du moment où tu qualifies cette pratique de "hippie new age", mais déjà je te fais remarquer qu'elle est loin d'être si nouvelle, tombée comme un cheveu sur la soupe, et que des études ont effectivement prouvé qu'elle était efficace, ce pourquoi la médecine en France, loin d'entraver ce genre de pratique, choisit en fait de l'encourager tout en évitant, effectivement, des dérives. C'est d'ailleurs pour ça qu'elle réglemente ces pratiques, au lieu de les interdire...
Je suppose que tu diras la même chose de l'art-thérapie qui est aussi une discipline de soin, ô surprise, qui a non pas l'objectif de "réparer ce qui est cassé" (ce qui est avant tout le but de la médecine) mais de mettre en avant les points forts de la personne pour lui redonner une estime de soi et améliorer sa santé psychique. Les deux peuvent donc fonctionner en parallèle, elles n'ont rien d'opposé et si des médecins (généralistes, neurologues, etc),, psychothérapeutes ou autres y croient, c'est que ce n'est pas sorti de nulle part et qu'il y a quelque chose à exploiter.
Par ailleurs, pour parler des origines, c'est une bibliothécaire américaine qui a mis au point cette thérapie et a travaillé en étroite collaboration avec l'équipe médicale de l'hôpital où elle travaillait. Elle conseillait des lectures en fonction de la pathologie de ses malades, s'est consacrée plus particulièrement aux anciens militaires (revenus souvent blessés et traumatisés de guerre) et aux personnes déficientes visuelles.
La bibliothérapie ne guérit pas tout le monde... cela dit, c'est le cas de nombreuses disciplines médicales ou paramédicales, aussi je ne vois pas pourquoi elle serait moins légitime que les autres. Un médicament prescrit ne va pas non plus avoir les mêmes effets sur deux personnes différentes, une d'elles peut se porter très bien et une autre mal le tolérer, c'est pareil. La bibliothérapie s'adapte à la personne et prend le temps de la connaître avant de lui conseiller la moindre lecture, elle demande aussi pas mal d'intuition et un sens de l'écoute développé. Si une lecture ne lui a pas convenu, qu'elle n'y a pas trouvé son compte, alors c'est que ce n'était pas celle qu'il lui fallait sur le moment, qu'il faut chercher autre chose. Ça ne signifie pas non plus que la démarche était complètement inutile.
Ce qui semble te gêner, en fait, c'est plutôt la traduction littérale du mot si ronflant de 'bibliothérapie' : 'biblios' = livre ; 'therapeuien' = soin. Soigner par les livres, tout est dedans. Alors effectivement, on s'interroge : le livre seul ne peut pas soigner, mais il peut être utilisé en complément d'un traitement médical. Il n'est pas question de considérer que n'importe quelle activité, à partir du moment où on y accole le terme de 'thérapie', peut guérir une personne malade ou en détresse. Car ce que je perçois dans ton argumentation, c'est que la bibliothérapie est une de ces pseudo-médecines de charlatan qui veulent décrédibiliser la médecine elle-même. C'est pas du tout le but, elle n'a pas vocation à la remplacer.
Parfois la médecine ne peut pas tout traiter, car elle a une démarche avant tout pragmatique et s'attache à diagnostiquer les maux physiques. Il est d'ailleurs dommage de s'en arrêter là, sachant à quel point les maladies physiques peuvent impacter sur le mental et l'inverse.
Donc l'intérêt d'utiliser l'art, la lecture, la musique ou même l'écriture dans un cadre thérapeutique, c'est de permettre à la personne d'exprimer ce qui est difficile à mettre en mots ou trouver des réponses que les traitements médicaux classiques ne peuvent pas forcément apporter, sans aller jusqu'à dire qu'ils sont tous à mettre à la poubelle pour cette raison, si réductrice.
Bref, je voulais aussi te dire, toi qui penses que la médecine va écarter ce que tu compares à une dérive religieuse, qu'une thèse de médecine générale a été consacrée à la bibliothérapie et soutenue en 2009 par le Dr Pierre-André Bonnet. Je t'invite vivement à aller jeter un œil à cette étude, qui démontre que la bibliothérapie est loin de ne rencontrer que des barrières auprès des médecins. Beaucoup d'entre eux sont ouverts à la question. Après, cette thèse date de 2009, donc les choses ont évolué depuis et les statistiques ne sont plus les mêmes, même si l'auteur l'a rééditée en 2013 aux éditions Sauramps Médical.
J'ai également pu voir des travaux universitaires s'intéressant à ce sujet et qui, en le traitant intelligemment, étaient capables de lui trouver de réels effets : au-delà du thérapeutique, il y a aussi un aspect sociologique à prendre en considération, et notamment la diffusion de la lecture auprès de publics en difficulté (migrants, handicapés physiques et mentaux, publics empêchés de lire). Là on constate que la lecture permet d'améliorer les conditions de vie des personnes, de les aider à se sentir mieux et à avoir une vision plus large du monde qui les entoure. C'est également un symbole de liberté (je pense aux personnes qui disent lire pour s'évader).
Bref, je trouve ta vision extrêmement peu nuancée, même si je comprends très bien que tu rejettes en bloc l'idée. Je me suis moi aussi posé des questions et j'ai fait des recherches. Heureusement que d'autres personnes pensent à prendre la question en considération au lieu de conclure que, si elles ne connaissent pas, c'est que c'est forcément mauvais.
Merci quand même pour tes questions, je vais toutes les recueillir précieusement et les poser aux thérapeutes que j'interrogerai, pour savoir ce qu'ils ont à répondre. Je suis certaine que ça fera ressortir une argumentation très intéressante.