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#1 12 Juillet 2012 19:24:31
Je vous préviens, y'a plusieurs chapitres ! Courage :)
Introduction
Aujourd’hui, c’était chemise à carreaux. Les couleurs du tissu se démarquaient de celles de la veille. Un passage nonchalant devant le miroir rassura Peter, ces lignes croisées lui procuraient une nouvelle sensation. Elles propulsaient dans son visage un éclair de changement, même si les traits grossiers de son visage lassé étaient eux religieusement identiques à ceux de la veille. Son visage s’éclaircit par un rare sourire. Et si cet heureux événement présageait une journée nouvelle, différente des précédentes ? Irène, sa femme était déjà partie. Elle travaillait dur ses temps-ci. Douze ans. Telle était la durée de cet amour passionnel qui s’était au fil du temps transformé en une cohabitation forcée. Pourtant, Irène semblait satisfaite de cette situation, du moins elle n’exprimait jamais les déceptions qu’elle pouvait ressentir. Alors Peter adoptait lui aussi cette attitude, tentant de justifier par lui même cette situation. Il parvenait même parfois naïvement à se raisonner. Le travail représentait sans doute l’une des raisons de cet essoufflement mais si un motif valable pouvait justifier cet épuisement mutuel, c’était sûrement le trop grand nombre de divergences –intellectuelles et physiques- qui les différenciait. Irène était grande, élancée et à mesure qu’ils vivaient ensemble, elle avait acquit une certaine assurance qui se transformait progressivement en indifférence. Peter s’était inquiété de ce désintéressement mais avait fini par renoncer à le comprendre. Depuis que Status l’avait employé, il y a de ça quatre ans, la confiance qu’il avait accumulée s’était évaporée. Il faut le dire, la position hiérarchique qu’il occupait chez Terence l’entreprise qui l’employait auparavant était hautement supérieure à celle que lui avait proposé Status. Mais Terence fit faillite et il fallait retrouver un travail, rapidement. Initialement, il considérait le job comme éphémère, comme une passerelle qui permettrait d’éviter le chômage. Seulement, voilà plus de quatre ans que Peter exerçait le métier d’assistant chargé de logistique, et cela l’épuisait. Le travail, essentiellement informatique ne l’enjouait plus. Originellement, cela constituait pour lui comme une expérience supplémentaire pour un futur travail, mais à bientôt quarante-trois ans maintenant, Peter avait quelque peu oublié cette idée optimiste. Il avait, bien entendu recherché d’autres postes qui lui convenaient mieux. Son truc, c’était la finance, il adorait ça. Cependant, son diplôme vieillissant lestait ses ambitions. Il se cantonnait, jusqu’alors aux entreprises à l’effectif réduit, dont il savait qu’elles ne seraient que peu sollicitées. Cela ne le dérangeait pas, mais inévitablement, quand il postula à Status, il comprit qu’il ne serait pas « assez performant » dans ce domaine. Du moins, telles avaient été les remarques de ses recruteurs, qui l’avaient maladroitement repositionné à un rôle d’assistant logistique, domaine qu’il n’avait pas pratiqué depuis une quinzaine d’années. Depuis, Peter redoutait chacune de ses journées, et tentait de faire reluire leur déroulement par des superstitions toutes plus candides, les unes des autres.
Irène, elle, semblait s’épanouir, elle était consultante pour une entreprise, et était souvent chargée de missions d’observation concurrentielle. Elle était redoutable pour sa discrétion. Malgré sa silhouette peu commune, elle parvenait à espionner ses concurrents avec une grande finesse. En réalité, ses missions ne consistaient pas uniquement en un travail de dissimulation ; elle devait également s’entretenir avec ses rivaux pour y prélever des informations précieuses. Evidemment alors, elle devait posséder des connaissances diverses pour incarner le poste auquel elle prétendait. Mais, il fallait avouer qu’elle avait une habilité stupéfiante et que le mensonge ne l’effrayait aucunement. Bien sûr, ces missions devenaient parfois envahissantes et selon ses dires, empiétaient considérablement ses soirées. Alors, parfois Peter se retrouvait seul pendant plusieurs heures, dans un environnement qui l’apaisait, et l’angoissait aussitôt. Ces murs ornés, ce sol aux couleurs nuancées lui faisait oublier, l’espace de quelques heures son travail angoissant. Mais ce même environnement lui rappelait, la minute d’après les déboires de son couple. Et ces pensées se croisaient indéfiniment dans son esprit torturé, étriqué.
Il s’observa une dernière fois dans le miroir et les lignes de sa chemise semblaient maintenant s’onduler à travers réflexion du miroir. Il s’agissait d’une illusion, elles avaient toujours tracé une trajectoire rectiligne. Cependant, son visage n’était plus rayonnant, son sourire s’éclipsa. Tout redevint habituel. Il saisit alors son pardessus, l’enfila hâtivement et claqua la porte du 34 Valley Street.
Chapitre 1
Status était implanté en périphérie nord et surplombait l’ensemble du quartier. Il s’agissait d’une immense tour géométrique qui se distinguait par l’opacité de ses vitres teintées. Les lettres de l’enseigne figuraient sur la partie haute de l’édifice et étaient actuellement entretenues par deux hommes qui s’efforçaient à rendre ces six énormes lettres propres et distinguées. Un immense parking découvert encerclait le bâtiment et la multitude de voitures qui y foisonnaient amplifiait l’effet de conformité qui s’y dégageait. Elles étaient toutes là, garées de manière identique, sans que l’une d’entre elles vienne bouleverser cette rigueur collective, toutes dans des couleurs plus ou moins environnantes, pour la plupart lavées de l’intérieur comme de l’extérieur. Parfois, un petit pendentif venait ornait le rétroviseur, dans une vaine tentative de singularisation. Elles ne s’en rendaient pas compte, mais elles étaient toutes ridicules ces voitures, minuscules face à l’aura de Status et le contraste était stupéfiant face à cette tour qui se perdait dans les nuages. La voiture de Peter ne venait pas à se démarquer dans cette concentration de tôle et de ferraille, elle se confondait même particulièrement bien. En émergeant de sa voiture, il croisa un collègue, Tom, qui bossait là depuis bientôt vingt-ans. C’était un chevronné, un habitué de tout ça lui, il en avait vécu, des événements à Status. Il avait passé les échelons, et avait accédé, récemment au poste de chargé de la communication. A Status toutes les fonctions se mélangaient, se mixaient inlassablement sur le parking, dans le hall ou dans l’un des quatre énormes ascenseurs. Toutes, sauf le « top 20 ». Eux ont un ascenseur privé et un parking privé. Ils ne croisaient leurs inférieurs que par malchance comme lorsqu’il n’y avait plus de café dans leur machine. Ils ne se confondaient pas eux.
Le hall était comme toujours empreint d’une rigueur troublante. Les cheveux des secrétaires, rigoureusement peignés et dépourvus d’une quelconque recherche créative dépassaient des écrans 17 pouces. Tout le monde arborait un costume, et rien n’était aléatoire, pas même la trajectoire que chacun entreprenait. Peter s’orienta de la même façon vers l’ascenseur numéro trois dont les portes s’ouvrirent docilement sous la pression machinale de ses deux doigts. Quatre hommes débouchèrent alors, et contournèrent Peter à tour de rôle. L’ascenseur s’arrêta successivement à plusieurs étages et aboutit finalement au vingt-sixième. Le quarantenaire abandonna à son tour le compartiment, salua quelques collègues et s’installa à son poste de travail. Non, vraiment, les lignes de sa chemise, si éclatantes de couleur quelques heures auparavant n’avaient rien promis de nouveau. Alors, il se sentait à nouveau formalisé, automatisé, ses agissements ne devenaient plus naturels, ils s’opéraient à nouveau d’eux mêmes comme gouvernés par une force supérieure. Alors qu’il procédait à sa tâche tel un hébété, des idées saugrenues vinrent traverser l’esprit de Peter. Ce n’était pas la première fois qu’elles intervenaient, mais aujourd’hui, elles se faisaient plus pressantes. Aussi déraisonnées qu’elles soient, elles semblaient pour lui, durant l’espace de quelques secondes, devenir logiques, comme évidentes. Et la réalité tardait de plus en plus à surgir, à reprendre les rennes de ce déraisonnement. Sauter du vingt-sixième n’aurait pas été une mince épreuve. Effectivement, au delà du courage qu’il fallait disposer, il aurait surtout fallu être en mesure d’ouvrir la vitre teintée supérieure –car celle du dessous ne s’ouvrait pas- et, se précipiter dans son embrasure, à l’aide d’une chaise ou d’un support quelconque et ce sans se faire arrêter d’ici là. Et les conséquences auraient été désastreuses si l’échec de cette tentative se serait manifesté –pire sûrement que si il serait parvenu à s’effondrer lamentablement sur le parking de Status-. Mais cette idée, il ne cessait de la rejeter, elle était terrible, emplit d’une logique ténébreuse, inavouable. Les autres en revanche qui sonnaient en lui semblaient plus accessibles, mêmes si elles s’apparentaient toujours à la déraison. L’idée d’une partie de Poker a 10000$, quoique très risquée, lui sembla attrayante et pleine de défi et d’adrénaline, chose que Peter n’avait pas rencontré depuis plus de quatre ans –si toutefois on excluait la panne de l’imprimante, la mise en veille inattendue de l’ordinateur ou encore la courte panne de l’ascenseur-. Mais d’autres idées venaient se mêler à cet essaim inharmonieux de pensées obscures, toutes révélées par un ennui douloureux. Parmi elles, figurait l’alcool, et il est vrai, que pendant les heures ou Irène n’était pas là, Peter était saisi de cette volonté d’engloutir plus abondamment que d’augure, des verres de gin tonic, son cocktail préféré. Parfois, il voulait se reprendre en main, prendre des décisions importantes, mais il ne disposait pas de suffisamment de courage pour de telles prises de positions. D’autre fois encore, c’était l’idée de rejoindre une secte, un cercle de scientologie, ou un cercle d’alcooliques anonymes. Parfois même, c’était toutes ces idées qui se confondaient en même temps, dans un maelstrom de pensées. Il s’agissait en fait d’un cycle infini, dans lequel certaines idées s’effaçaient au profit d’autres, pour revenir plus revigorées le lendemain. Et à mesure que ce cycle se prolongeait, Peter avait progressivement dût mal à maitriser ses pensées. Il songea alors à une maladie mentale ou à une quelconque infirmité cérébrale, mais les recherches sur Internet furent vaines. Bien sûr, il n’avait pas voulu en communiquer un mot à Irène, qui avait pris la méchante habitude de ne revenir qu’après 21 heures. Il devenait solitaire, plus que jamais. La désirait-il encore ? Il n’avait plus le temps de le savoir. La quasi intégralité des moments passés avec sa compagne s’effectuait dans une nuit profonde rythmée, par intervalles de ronflements solennels. Et si sa femme ne l’aimait plus ? Certes, elle n’avait jamais nié un quelconque désamour, mais ne le pensait-elle pas ? Et si ces retards devenus presque quotidiens n’étaient pas justifiés par un motif professionnel mais par un adultère finement dissimulé ? Et puis, Peter connaissait le talent d’Irène pour les affaires de mensonges, qui pouvait affirmer que sa femme ne le trahissait pas ? Mais alors que surgissaient par milliers des hypothèses déprimantes, Peter fut interrompit par une voix amère :
« -M.Goaster, Elvis est malade aujourd’hui, vous vous chargerez alors de l’intégralité de nos flux externes de la journée, vous savez comment ça se passe ? »
Peter remarqua l’imposante silhouette qui se dressait à deux mètres de lui –il s’agissait de l’assistant des ressources humaines-.
«-Bonjour, M.Carrence, oui, oui bien entendu, j’ai déjà réalisé de tels travaux auparavant. Pourquoi donc, Elvis est-il absent ?
-Je vous l’ai dis, Peter, Elvis est malade.
-Oui, j’ai bien compris, mais j’aurais aimé souhaiter en savoir un peu plus. Mine de rien, j’apprécie beaucoup Elvis » improvisa Peter afin de justifier son inattention.
-Je n’en sais pas d’avantage pour le moment. Tout va bien Peter ? J’aurais aimé m’entretenir avec vous demain. Disons vers 14 heures, avant votre reprise. Qu’en pensez-vous ?
-Bien entendu. Mais, à quel propos ?
-Ne vous en faites pas. Il s’agit juste là d’un entretien. »
L’homme fit volte face et à la façon d’un colonel, vagabonda quelques instants entre les rangs puis finit par s’installer dans son bureau, seule pièce dans laquelle l’espace était clos.
Peter se questionnait alors à présent sur son sort. Allait-on le licencier ? Cela signifierait une fin terrible et symboliserait une défaite, sans résistance, sans opposition, qui mettrait fin à l’existence fragile de Peter Goaster. Non, le manager l’avait bien précisé, il n’y avait aucune raison de s’inquiéter, seulement il n’avait rien ajouté. Peut-être soupçonnait-t-il un défaut de concentration de Peter, qui devenait récurant ? Mais Peter restait performant, du moins, il le pensait, et puis, comment pouvait-on s’intéresser à lui ? Finalement ces lignes colorées, avaient eut raison. Aujourd’hui, un événement inattendu s’était produit, et cela égaya provisoirement son visage étroit.
Il était 22 heures lorsque Irène fit tinter ses clefs sur la lourde porte d’entrée du 34 Valley Street. Peter avait déjà mangé, et les pensées qu’il avait eu durant le matin venaient le harasser à nouveau. Une idée subtile lui vint alors à l’esprit, et il décida de la mettre en œuvre dès le lendemain. Lorsqu’Irène pénétra le hall d’entrée, elle entrevit Peter qui sortait de la douche et ne sembla porter aucune attention à l’homme qui se présentait en face de lui. Elle lui adressa bise furtive et se lança dans de mièvres explications qui devaient appuyer la raison de son retard. Peter engloutit alors un ultime gin tonic pour oublier sa peine et fut aussitôt plongé dans un lourd sommeil.
Chapitre 2
C’est après avoir répété une énième fois le trajet qui menait à Status que Peter appliqua son idée. Elle consistait à prélever des informations auprès du patron d’Irène par mail. Peter possédait ses coordonnées depuis longtemps et cela ne constituait pas un obstacle. Seulement, il n’utilisa pas sa propre adresse mail et en créa habilement une autre afin de détourner les soupçons et de rendre plus véritable sa supercherie. Il n’eut d’autre idée que de se faire passer pour un concurrent qui avait découvert l’espionnage que réalisait Irène, et, obnubilant toutes les conséquences que pouvaient avoir ce mensonge, il essaya par cette manière d’obtenir confirmation qu’Irène travaillait bien après 19 heures. Finalement, le mail s’apparentait très bien à ceux des professionnels et ressemblait à ceci :
« Monsieur Placing
C’est suite à des soupçons portés sur un commercial s’étant rendu à mon entreprise le 19/04 à 19h30 que je vous contacte.
J’ai en effet relevé des signes qui confirment mes soupçons et je me permets de vous contacter sur mon mail personnel car je ne souhaite pas que cette affaire s’ébruite d’avantage, malgré le bénéfice que nous pourrions en tirer. Notre situation concurrentielle ne doit en aucun cas venir influer ma position.
Ces doutes ont été confirmés suite à des renseignements effectués sur le commercial que nous avons accueilli. Nous sommes parvenus à en déduire qu’elle travaillait pour votre entreprise, et qu’il s’agissait de Irène Goaster. J’aurais aimé avoir confirmation que votre employée, s’est effectivement rendu au sein de notre entreprise comme commercial et je souhaiterai, dans ce cas que toute nouvelle tentative d’espionnage soit avortée. De cette manière, nos relations demeureront cordiales et ne s’épilogueront pas dans le vaste chantier qu’est le tribunal.
Avec toute ma gratitude,
Benjamin Salant,
DM de Gox’. »
Benjamin Salant, c’était le directeur général de Gox’, l’entreprise qu’Irène avait prétendu espionner, la veille, après 19 heures. Mais ce dont Peter n’avait pas conscience, c’est qu’en plus d’agir d’une manière totalement illicite, il prenait des risques considérables pour lui et pour sa femme. Mais lorsque la raison lui revint progressivement à l’esprit, le mail était déjà envoyé.
La matinée se termina de façon plus monotone, quoiqu’il attendait cette fois impatiemment la réponse de Jeff Placing. Peter fit, pendant la pause du midi un détour au drive du coin et expédia rapidement le repas que lui avait machinalement servi la jeune stagiaire souriante. A son retour, Carrence l’invita dans son bureau. Peter essaya de lire sur son visage une quelconque expression mais n’en ressortit rien de concluant. Il imita Carrence en s’asseyant à son tour sur l’un des deux sièges qui s’opposaient à son bureau et sentit les pulsions de son cœurs s’accélérer. Ses nerfs se crispaient alors que Carrence égalisait inutilement ses paperasses sur son bureau. Il joignit alors ses mains devant sa fine bouche et entreprit une profonde inspiration qui préluda ses propos :
« -M.Goaster. Vous vous interrogez sans doute de la raison de cette entrevue et je le comprends tout à fait. En réalité, c’est suite à la demande d’Elvis, que je vous sollicite. Comme vous le savez, des rapports mensuels sont tenus par nos responsables de logistique. On y trouve des requêtes, des conseils, des suggestions, des plaintes. Quoi que ces dernières se raréfient. Dans le dernier rapport d’Elvis, votre nom est largement mentionné. Elvis affirme en effet que vous êtes lents, parfois inefficaces et peu pragmatiques. Il reconnaît que ce genre de périodes peut lui arriver aussi, et je le rejoins parfaitement sur ce point. Cependant, le rapport date du mois dernier et, j’ai récemment observé chez vous des égarements. Cette somme de déconvenues m’a inévitablement amené à inspecter votre historique, et cela a confirmé mes doutes. Cette entrevue n’a pas pour objectif de vous sanctionner mais avouez que je suis dans une position délicate. Si nous vous avons recruté, c’est bien sûr pour votre prétendue efficacité, votre rendement qui a incontestablement été constaté lors de votre parcours chez Terence. Alors, j’aimerais que vous m’apportiez précisément une raison à ces égarements afin de les effacer au plus tôt sans quoi je serais dans l’obligation de prendre des décisions que vous et moi ne désirons pas. S’il le faut, je pourrais être conciliant et vous accordez quelques jours de repos.
-Eh, bien » reprit Peter, « je dois avouer que ces temps-ci ne me sont pas favorables. Personnellement j’entends. Mes relations professionnelles sont tout à fait extérieures à ces… bouleversements. Mais je me réjouis de votre courtoisie et de votre générosité. Je vous en remercie même. Ces quelques jours de repos, pourraient en effet me faire le plus grand bien. Je reviendrais en forme, soyez en certain, et je regrette d’avoir généré en vous l’once d’une déception » formula Peter, incertain de la réaction de son supérieur.
L’homme qui lui faisait face semblait alors sonder dans ses yeux la raison de ce désarroi, ses yeux piquants paraissaient vouloir pénétrer les siens, comme si ils pouvaient s’extraire de leurs orbites mais finirent par céder à cette folle tentative.
« -Peut être pouvez vous éclaircir un peu la raison de ce désagrément. Y-a-t-il un problème de santé qui vous nuit ?
-Je ne pense pas non. Je ne le sais pas. J’ai l’impression… Non, je pense que ma femme me joue des tours, » s’étendit Peter, refusant d’assumer son état mental.
« -D’où ce mail à M.Placing ?
-Exactement. Mais cela ne se reproduira plus. Vous avez ma parole.
-Très bien. Je vous laisse jusqu’à la fin de la semaine pour vous laisser votre repos. Si vous avez toutes autres questions, n’hésitez pas à venir me voir ».
Il se leva et l’accompagna jusqu’à l’embrasure de la porte vitrée avant de retourner mécaniquement vers son bureau. Le reste de la journée fut quelque peu troublé, mais Peter était apaisé du repos que lui avait accordé Carrence. Il passa quatre heures face à son ordinateur, assurant alors les flux externes de façon rigoureuse, n’osant guetter l’hypothétique réponse que pouvait lui donner Placing. Il se réjouissait par avance de son long week end. A son retour, les embouteillages vinrent perturber son enthousiasme. Elles s’amoncelaient à nouveau ces voitures, dans la quête d’une trajectoire individuelle. Dans ce pullulement infect régnait le désordre et l’anarchie et les klaxons résonnaient par rebond sur les tôles modulées. Cette masse enchevêtrée de berlines et de citadines anéantissait toute solidarité, toute générosité. Les conducteurs, malmenés se métamorphosaient en de véritables démons derrière leurs pare-brises, proférant à l’infini des injures à leurs semblables. Et alors que les salves d’invectives proliféraient dans tous les sens, Peter se sentit une nouvelle fois solitaire, perdu dans ces ténèbres modernes, ignominieusement inutile. Lorsqu’il parvint enfin chez lui, un événement le frappa. Irène. Elle était déjà là.
Chapitre 3
En traversant l’allée qui menait chez lui, il l’aperçut, à travers la fenêtre. Sa chevelure, rousse et dense, retombait sur ses fines épaules. Quelque peu interloqué de la voir sitôt, il s’empressa de pénétrer le hall grisonnant.
« -Irène ? Lança-t-il à l’aveugle.
-Oui ? » Répliqua-t-elle naïvement, comme si sa présence prématurée ne demandait aucune explication. Mais Peter, il les chercha les explications, plus ardument que celles qui justifient ses retards. Maintenant, elle devrait rendre compte de tout ça. Et puis, Peter aurait le temps de la sonder, plus amplement encore qu’il ne l’avait effectué avec le mail pendant son repos. Voilà qu’il l’observait à présent, guettant sa stature, elle se trouvait là, plus haute que lui, et il la regardait, la méprisant à moitié. Ce regard, elle lui renvoyait astucieusement, et dans la lueur de ses yeux, se perlait un début de haine, envisageant une somme de sincérités non dévoilées, mais tellement devinables. Peter coupa net à cet échange silencieux et d’une rare agressivité pourtant.
« -Que me vaut ta présence à cette heure ? Je croyais que ta semaine serait chargée » la défia-t-il insidieusement.
Mais, du tac au tac, elle s’expliqua lucidement, comme si elle eut préparé cette argumentation au préalable.
« -Placing a annulé mon dernier rendez-vous, il était assez désagréable, semble-t-il.
-Les patrons, ça change rapidement d’humeur. Le mien, de directeur, il m’a filé quatre jours de repos, jusqu’à dimanche. Il m’a jugé trop épuisé. Faut dire, ça me crève tout ça.
-Tout ça ?
-Oui. Le travail j’entends. C’est pas ce qui me ravie le plus, tu dois bien le savoir, depuis que j’y suis.
-Eh bien pars, alors ! » rétorqua subitement Irène, comme si elle cela était une évidence.
« -Partir ? Tu me fais bien rire toi. T’y crois toi ? Et pour aller où ? » S’enquit ironiquement Peter, dans un accès de colère.
Ils demeuraient là, à se dévisager dans le hall, puis elle se retourna brusquement, et, comme si cela n’eut pas été suffisant pour faire comprendre son désarroi, elle souffla fortement, et retourna à ses activités. Mais Peter déboussolé en eut assez de ce silence qu’il connaissait que trop bien. Il s’approcha d’elle, alors qu’elle semblait déjà absorbée par l’écran de son ordinateur et lui témoigna de sa lassitude face à son comportement. Ca ressemblait un peu à ça :
« -Peut être que tu en fais aussi partie du ‘tout ça’. C’est vrai, même quand t’es là tu m’ignores. Avec toi, les discussions s’interrompent dès que je cherche à me raisonner. Finalement, toi aussi, tu contribues à me rendre fou. »
A l’écoute de ce dernier mot, elle devint visiblement interloquée, et releva tout son poids, jusqu’à alors si leste et immobile.
« -Fou ? Je croyais que tu étais juste ‘fatigué’ M.Goaster ? »
-Fou, barge, taré, tout ce que tu veux. Je ne supporte plus toutes ses mauvaises habitudes qu’on a entre nous. J’ai l’impression que l’on est étranger l’un de l’autre même lors de nos rares étreintes sexuelles.
-Parce que moi, je n’ai pas le droit d’être fatiguée ? Je me bats pour mon salaire, je ne me relâche pas pour des jours de repos. Je suis une battante, et si je rentre tard, c’est pour nous. Alors repose toi ou pars de ton job. Après tout, avec ton diplôme tu pourras toujours en trouver ailleurs du travail. Je vais faire à manger. »
La soirée ne fut pas l’occasion de révoquer ces thèmes sensibles et Peter les évita judicieusement. Il en avait déjà dévoilé trop à son goût. Sa phobie des habitudes, cela le perdait tellement qu’il avait finit par en parler à sa femme. Faut dire, elle ne faisait que les renforcer elle les habitudes. Ses retards devenaient courants et ses regards se faisaient rares. Alors ils s’étalèrent vaguement sur des discussions générales, sans optimisme. Le soir Peter consulta ses mails. Placing lui avait répondu. Son cœur comme ses nerfs tous entiers furent parcours d’une adrénaline que trop précieuse. Il sentait bouillir l’exaltation, le succès de sa ruse se dessinait.
« M.Salant
Je suis navré de vous apprendre que Irène Goaster ne s’est pas rendu à votre entreprise dans une quelconque motivation d’espionnage et qu’il s’agit sûrement là d’un malentendu. Mon employée, qui est effectivement chargée de l’observation concurrentielle ne s’est en aucun cas infiltré dans votre entreprise sous une quelconque identité à des fins commerciales et marketing.
Je peux vous confirmer cette information car je viens en effet de consulter mon employée. Cependant, il est vrai que du fait de notre situation concurrentielle, nous avons déjà entrepris des démarches d’observation notamment auprès de votre société. Il ne s’agit pas d’une tentative de vol de données, ni quoi que ce soit de la sorte. Seulement, je comprends votre confusion et c’est pourquoi je peux vous assurer que si une mission d’observation devait être envisagée, vous en serez les premiers informés.
Je vous prie de bien vouloir m’excuser et je n’ai en aucun cas voulu trahir l’amitié respectueuse et les liens commerciaux qui nous rassemblaient.
Je vous prie d’accepter mes plus sincères salutations.
Jeff Placing »
Voilà qu’il ne le réjouissait pas. Ses soupçons s’étaient vus confirmés. Il en était presque sûr maintenant. Qu’est ce que cela pouvait bien lui faire après tout ? Lui non plus, il ne la désirait plus. Ses sentiments à son égard, s’étaient quasiment envolés. Mais tout de même, la fierté, la dignité, il fallait la conserver. Sa situation s’embourbait. Il s’imaginait déjà sa compagne, avec un homme, plus grand aux yeux pernicieux qui sauvagement détruisait sa dignité à lui, en même temps qu’il lui faisait son affaire à cette traitresse. Comme-ci Status ne suffisait pas à cet enlisement infini. C’en était trop. A nouveau ses idées refranchirent le seuil de son esprit, surgissant par saccades, s’éclipsant par moment, mais que pour quelques instants alors. De nouvelles s’invitèrent hideusement à cet orchestre de folies enchevêtrées. Et puis, finalement le sommeil le submergea, d’une traite et le plongea dans d’autres hallucinations, subliminales celles là.
Chapitre 4
Le lendemain fut une journée paisible. Peter envoya un mail de réponse qui devait clore la discussion avec Placing. Il n’avait aucune raison de s’éterniser avec cet homme qui pouvait à tout moment émettre des soupçons quant à la véracité des propos. Plus ils échangeraient, plus il se trahirait à travers son manque d’instruction à propos de « Gox ». Ce fut alors vers 17H20 qu’on le réveilla de son ennui. Alors qu’il entamait une nouvelle bouteille de Gin, Peter fut surpris par l’écho perçant de la sonnerie. Il hésita, puis, interloqué par l’événement, se décida à ouvrir la porte. Il y vit deux hommes bien vêtus, un relativement grand –plus grand que lui, cela ne posait aucun doute- au visage assez carré, prégnant. Des lunettes ovales reposaient sur son nez écrasé et reculé au centre et aux narines bien plus enrobées. Le contraste était fort cocasse et Peter s’amusait à penser que ces narines pouvaient permettre une inspiration supérieure. Mais ce fut l’autre bonhomme qui engagea la conversation en premier. Il tennait un petit livre relié dont la couverture acajou et granulée était parée de lettres d’or.
« -Bonsoir Monsieur. Permettez-nous de nous présenter. Je m’appelle Wielfried Branks et voici Stanley Hopper. Nous sommes tous les deux membres de l’Exumos. Nous ne voulons convaincre personne n’y exploiter les gens. Nous n’avons pas d’objectifs, hormis celui de faire ouvrir les yeux à travers Exumos. »
Peter restait immobile, les regardant, ces deux pantins. Quel théâtre ! Il envisageait alors une réponse qui pourrait les congédier cordialement mais ne trouva rien. Il fit alors mine de s’intéresser à ces déclarations stupides.
« -L’Exumos ? De quoi s’agit-il ?
-Eh bien, reprit-il. Il s’agit là d’une… idéologie. D’une croyance en l’autre. L’égoïsme mis à mal, la générosité à son apogée ! La nature qui domine la civilisation. Voilà quelques règles qui définissent l’Exumos. C’est comme un ensemble de lois oubliées que nous tentons à rappeler. Il ne s’agit pas là d’une secte où quoi que ce soit. Tout le monde est le bienvenu, nous n’imposons strictement aucun critère… »
Peter restait pantois face à ces salves de persuasions. Il se retrouvait un peu après tout dans ses propos, à ce petit homme. Puis le plus grand rehaussa son discours. Il semblait plus sérieux lui, mais à la fois moins tenace, moins nerveux.
« -Exumos, n’a aucune finalité mercantile, assura-t-il d’emblée. La vision du monde doit changer. Ceux que l’on considère comme marginaux détiennent une partie de la raison. La vie est trop complexe et trop courte pour se disperser dans des journées exaltantes. Les gouvernants d’aujourd’hui ne sont rien d’autre que les ingénieurs d’une machinerie mortelle dans laquelle son système est totalitaire et sectaire. Point d’évasion hormis la pauvreté ou la mort. Exumos, c’est l’issue de ce système. Après tout, la vie n’est-elle pas un jeu ? Pourquoi devrait-on se soumettre pour jouer ? Chacun ne possède-t-il pas la liberté ? Cherchez la raison des guerres et des conflits qui animent tristement ce monde. Elles sont inhérentes à cette gigantesque et infâme machinerie. Celle-là même qui nous aliène au travail comme dans la vie.
-Vous balancez toujours les mêmes sordides discours ? Où vous alternez, selon les maisons, le décor ? Où même selon celui ou celle qui vous ouvre ? Vous ciblez comme cela pour augmenter votre rendement ? » Ironisa odieusement Peter.
Mais étonnamment, cela ne les offusqua pas –du reste en apparence- et ils demeurèrent impassibles jusqu’à ce que le plus petit lança avec sa voix nasillarde :
« -Nous pensions avoir été clair quant à nos intentions. Nous n’insistons pas d’avantage. Voici cependant la carte de visite de Exumos. Si jamais, un peu de clarté d’esprit vous reviendrait. »
Peter les regarda partir et à mesure qu’il les guettait ces deux étranges bonhommes, il semblait s’attacher à eux, à leurs silhouettes si distinguées, à leurs démarches et puis alors ils s’éloignaient un peu plus jusqu’à s’enfoncer dans une autre allée. Il claqua la porte, mais ses esprits se troublèrent encore et il préféra les sombrer dans l’alcool. Deux verres de Gin Tonic et puis tout irait mieux. Mais tout n’allait pas mieux et dorénavant, il ne cessait de penser à ces deux mystérieux personnages. Il paraissaient si simples, si libérés. Puis, observant au second plan la carte de visite de Exumos il repensa à ces théories anticonformistes mièvres et insipides. Ils excellaient dans leur niaiserie. Peut-être pouvaient ils permettre à Peter d’être expiés de la lassitude à laquelle il s’était accommodé. Cette idée lui jaillit soudainement en lui comme évidente. Il irait à leur club, leur cercle, leur association, juste une fois. Par curiosité. Après tout, ces idées, ne les pensait-il pas, par moment ? Peu importe où cela le mènerait, sa vie à présent était un échec, le résumé de mauvaises décisions. Il s’empressa, à l’aide de la carte de visite de se rendre sur le site de Exumos. Il y découvrit des informations plus complètes et envoya même un mail à « Lovric » qui devait être le chef de ce groupe. Il se prétendit intéressé par cette association, curieux d’en découvrir plus etobtenu, quelques minutes plus tard un rendez vous à 186 Giant Street, dans la ville d’à côté. La séance aurait lieu le lendemain, à 16H30 mais Peter restait curieux des pratiques qui auraient lieu pour Exumos. Qu’était-ce Exumos finalement ? Une entité, un dieu, une révolte, une opération comme l’opération Walkyrie ? Le site n’en dévoilait pas d’avantage.
Le lendemain, alors qu’il se dirigeait vers le lieu d’Exumos, Peter se surprit à entendre son cœur s’accélérer, devenir plus lourd à chacune de ses pulsations. Il ne s’agissait pas de la première fois de la semaine que cela se produisit mais il ne parvint toujours pas à s’en accommoder et contenta de s’en réjouir. L’inconnu, le nouveau, la liberté, voilà ce qui l’animait, et ses yeux circulèrent, aléatoirement, alors qu’il conduisait l’esprit plus libre. Il entrevoyait cette ville sombre, lugubre, écrasante et il eut cette impression que les bâtiments alentours étaient aspirés par la terre, comme destinés à s’écraser. Mais non, ils persistaient dans leur laideur, et à mesure qu’il s’enfonçait dans cette longue avenue, l’obscurité semblait gagner en taille, partout, sur les façades, sur la chaussée, mais cette illusion, bientôt se déroba. A l’intersection suivante, Peter entre aperçut la « Giant Street ». Elle n’avait rien de géant cette rue, hormis sa disgrâce et peut-être sa saleté. Le n°186 n’était autre qu’un entrepôt désaffecté dont la tôle ondulée avait été vieilli ça et là par une rouille puissante. Devant la porte d’entrée, l’air pollué dominait l’espace. Peter consulta son portable, et checka l’heure : pas de retard… Et personne ne figurait à portée de vue. Pourtant, Exumos rassemblait selon le site, plus de quarante adeptes -terme qui l’avait relativement effrayé-. Mais cela ne le découragea aucunement. Il s’avança alors timidement vers la porte de bois rugueux et, n’y discernant aucun bouton de sonnerie, il frappa avec délicatesse sur la porte, puis plus vigoureusement quand il remarqua que ses premiers coups étaient trop faibles. Des voix résonnèrent à l’intérieur de l’enceinte et se rapprochèrent progressivement. Finalement la porte s’ouvrit largement et le grand homme qui s’était présenté la veille y occupait à présent densément l’espace, le sourire toujours de mise.
« -Bienvenue, Monsieur ! Visiblement, vous avez changé d’avis ! Enchanté de vous compter parmi nous. Vous êtes monsieur ?
-Peter… je m’appelle Peter.
-Très bien Peter. Je m’appelle Tom. Ne soyez pas effrayés par les lieux -je dois l’admettre- peu accueillants. Nous n’avons pas trouvé d’autres endroits qui puissent supporter nos… expériences. »
Lorsque ce dernier mot lui parvint, Peter le foudroya du regard, puis recula la tête nerveusement en plissant les yeux, comme si il n’en avait pas saisit le sens.
« -Expériences ? Répéta-t-il.
-Oui. Ne soyez pas surpris. Mais nous avons besoin de discrétion, vous comprenez, et aussi, d’espace. Nous avons des ambitions, des croyances. Alors évidemment, quand celles-ci sont à l’encontre de la société, elles nécessitent irrémédiablement de la discrétion. »
Il déposa sa main de colosse sur son dos l’entrainant ainsi vers une pièce aux vitres brisées dans laquelle discutaient quelques hommes qui, cigarettes à la main, expiaient avec douceur des nuages de fumée. Lorsqu’ils aperçurent Peter, ceux-ci ne bronchèrent à peine, et adressèrent un hochement de tête en signe de salut tout en continuant leurs discussions. Tom abandonna provisoirement Peter et s’échappa par la porte opposée, jusqu’à disparaître complètement. Ces cinq hommes échangeaient paisiblement des phrases, obnubilant totalement la présence du nouvel arrivant. L’un deux, adossé sur un mobilier de fer menait la discussion et semblait disposer d’un calme envoutant. Alors que les autres se stimulaient presque inutilement dans leurs propos, lui demeurait paisible, presque passif et pourtant terriblement pertinent dans chacune de ses réflexions. Il introduisait visiblement ses propos par un tic verbal qui faisait taire presque instantanément ses camarades. Il s’exprimait avec une éloquence supérieure et daignait rarement observer ses interlocuteurs. Peter ne sût ou se placer, et alors qu’il cherchait à se faire oublier, dans cet ambiance indigeste, l’homme, le visage toujours abaissé, lui lança:
« -Peter. Présentes-toi un peu à nous. Qu’est ce qui t’a fait venir ici d’abord ?
-Eh bien. Tom et un autre homme se sont rendus chez moi, et il faut dire que je ne suis pas resté indifférent à leurs dires. Je pense que vous avez une bonne philosophie. Leurs propos m’ont… intrigué. Mes pensées s’accordent avec votre philosophie.
-Je comprends. Cela doit te sembler un peu bizarre, ces inconnus, ce lieu… Je m’appelle Hans. Mais on me surnomme Lovric. J’ai fondé Exumos. »
Le visage de l’homme se releva enfin, faisant dorénavant face à celui de Peter. De ce visage, on en déduisait une jeunesse évidente, 29,30 ans, 31 peut-être? Mais étrangement, une certaine expérience émanait de ses traits, précis, engagés et particulièrement marqués au seuil de ses joues glabres. Peter se demanda si il n’avait pas exerçait la ventriloquie lorsqu’il remarqua avec stupeur que ses lèvres ne se déformèrent que très faiblement chaque fois qu’il parlait. Mais ce qui l’alerta davantage, ce fut ses yeux, encrés d’un noir profond et lumineux, qui soupçonnaient une agressivité ferme et intense de cet homme. Ils étaient meurtriers ses yeux, assassins même, et fort heureusement préservés dans leurs orbites, elles mêmes surmontées de sourcils touffus.
-Mais alors, tu n’as jamais lutté contre cette société ?
-Pas encore. Cependant, je dois bien avouer qu’il m’arrive –régulièrement je crois- de penser à tout abandonner : ces répétitions de journées interminables qui ne m’apportent rien si ce n’est de l’argent qui doit à nouveau alimenter ce que je méprise… Ces pensées m’obscurcissent les sens, j’ai perdu en efficacité, je me pose des tas de questions. Je ne sais plus où j’en suis, réellement…
-Nous étions tous comme ça. Pas vrai Phil ?
-Ouais, grommela le plus épais d’entre eux.
-Phil était professeur de gymnastique dans un collège délabré du quartier. La première fois qu’il est venu nous voir, il venait d’avoir un avertissement de la direction suite à une plainte d’un gosse qui s’était planté une punaise dans le pied. Ils l’ont tenu pour responsable. T’imagines un peu ? Tu penses que c’est le job de Phil, de vérifier si aucune punaise ne figure sur le sol ? T’y crois toi ?
-Mais, je ne saisis pas… y-a-t-il un rapport à tout ça ?
-Un rapport ? Certainement mec. Le monde part en couille ! Le voilà le rapport. On est tous là pour une cause personnelle, mais des millions de gens comme nous supportent les mêmes problèmes. Et peu d’entre eux se révoltent. Parce qu’ils ne peuvent pas ! Ils ne peuvent pas lutter contre l’invisible. C’est pour ça que j’ai créé Exumos.
-Mais, c’est quoi Exumos ? Et puis, quelque part, vous avez raison, mais le monde n’est il pas voué à évolué ? Par la technologie, l’écologie, l’industrie. Tout cela ne résulte-t-il pas des prouesses de l’homme ?
-J’ai rien contre tout ça, non vraiment. L’évolution, vraiment, on est tous pour. Ce que tu comprends pas, c’est de la façon dont tout cela évolue, qui nous dérange. C’est le sens de l’évolution qui prend une mauvaise direction. Les politiques nous discréditent, la société forme les gens à penser uniformément.
-Vous proposez quoi, alors ?
-Ce qu’on propose ? Penser autrement. Adhérer à notre courant de pensée, adhérer à Exumos. Plus nous serons en nombre, plus nous aurons du pouvoir d’influence. Aujourd’hui, nous sommes encore que trop peu.
-Je vois. Et le porte à porte connaît un bon rendement ? S’enquit Peter.
-Pas vraiment. Le dernier arrivé en date était Dorian, il y a une semaine, répliqua-t-il vivement, en balançant sa tête en direction d’un homme au visage réellement commun, sans fioriture. »
Tom réapparut alors, avec cette fois son compagnon de fortune, le petit homme qui avec sa voix nasillarde salua Peter avant de s’adresser à l’ensemble des protagonistes :
« -On peut y aller ! Tout est prêt. Au fait Peter, moi c’est Gordon. »
Gordon mena alors la promenade qui se prolongeait dans un long couloir miteux. Peter remarqua pour la première fois la saleté qui teintait le sol cimenté de sa crasse infortune. Des traces se confondaient sur ce parquet, coloré ça et là d’une poudre couleur sable qui sans doute provenait de la charpente, incontestablement imprégnée d’humidité. Ils aboutirent finalement dans une vaste salle, qui devait constituer la partie arrière de l’entrepôt à en juger les hautes fenêtres qui couvraient le mur du fond. Des piliers métalliques constitués de croisillons encadraient l’endroit, le rendant davantage pesant. L’odeur de rouille additionnée à l’ambiance métallique rendait l’espace encore plus angoissant. Au milieu, un groupe de chaises circulairement disposées semblait embrasser la large table qui leurs faisaient face. D’autres personnes siégeaient déjà là, anarchiquement, demeurant insensible à l’arrivée du groupe, comme plongés dans une torpeur inaltérable.
« -Messieurs, mesdames, la séance va bientôt commencer. Je vous invite à prendre place, cingla soudainement Hans. »
Ils s’exécutèrent alors docilement, à l’exception de Tom et Gordon qui assistaient Hans à s’élever debout, sur la table. Puis ils apposèrent à leur tour le leurs fessiers sur le rebord de la table, les bras croisés, faisant figure de garde du corps.
C’est alors que Peter remarqua la présence d’une femme, à portée de trois chaises et dont la chevelure brune inondait son visage à la manière d’une fontaine et qui masquait –à son grand désarroi- l’intégralité de son profil. Mais Peter misa sur une beauté certaine dès lors qu’il entrevit ses cheveux soyeux et voluptueux, qui coexistaient dans une harmonie céleste. Son envoutement presque fétichiste fut rompu par la voix profonde de Hans. Son écho résonnait dans la pièce, deux, trois, quatre fois jusqu’à s’échapper définitivement.
« -Aujourd’hui à lieu la vingt-huitième séance d’Exumos et je vous remercie à tous pour votre fidélité. Gordon et Thomas ont effectué, ces derniers temps, un travail remarquable. Leur investissement sans borne est la source de ce résultat aujourd’hui. Mais il faut persévérer, et c’est pourquoi, je vous invite tous à encenser Exumos auprès de vos proches, mais attention, nous voulons éloigner toute force étatique du cercle car cela pourrait constituer un danger fatal pour le cercle.
« -Bien, reprit-il. Etant donnée l’arrivée d’un nouvel arrivant, je vais demander, d’abord, d’apporter un exemplaire d’Exumos à Peter. Aussi, je ne te demanderai pas de te présenter car nous n’obligeons personne et nous n’allons pas à l’encontre de la volonté des gens. Tu auras tout le loisir de discuter avec les autres membres après la séance.
« -Cette semaine, beaucoup d’événements nocifs qui découlent directement du système contre lequel nous luttons se sont manifestés négativement. John Hooper, le directeur de SiPub a bénéficié d’une prime de près de dix millions de dollars. La coopérative Jokle a recensé non loin de dix suicides à son actif. Ces événements se reproduisent chaque jour plus intensément que précédemment. La loi, les politiques, comme nous le savons, n’agissent pas contre ces sociétés car l’économie les gouverne tous, les aliène. Nous même, sommes possédés par ces procédés universels qui empêchent toute forme de marginalisation. »
Et alors que Tom revenait un codex minuscule à la main, Hans continuait de marteler, comme si il faisait résonner les peaux tendues d’un tambour :
« -Les rois d’aujourd’hui ne doivent pas perdurer. Ils ne doivent pas se reproduisent dans leur aisance innée. Luttons contre le manque de discernement de la justice. Ne soyons plus asservis par ces multinationales qui nous hantent ! Sortez l’Exumos ! » rugissait-il maintenant.
Peter venait de recevoir des mains de Tom son Exumos. La scène se transformait en ridicule quand il aperçut que chacun des individus obéissait aux ordres solennels de cet homme devenu flamboyant, atteint d’une aura divine. Puis, sans même que Hans n’eut à l’ordonner, les individus déposèrent allégrement leurs langues sur les pages du livre. Peter contempla à nouveau la femme, il apercevait son profil maintenant, son nez étroit et sa langue humectée qui s’affairait à recouvrir de salive les pages granuleuses de l’Exumos. Il s’adonna bientôt à la tâche, sans comprendre pourquoi et sentit une odeur parfumée qui lui parcourut la langue et l’enivra presque aussitôt. Quand-est ce que cesserait cette bouffonnerie ?
Hans se résolut également à ce geste, et goûta lui aussi aux pages parfumées de l’Exumos. Puis, il recommença impétueusement son monologue, le ton toujours exalté :
« -Mes chers amis. Voyez-vous, l’horreur qui nous absorbe doit être rejetée. Par cette attitude vous venez de prouvez votre fidélité à Exumos et votre rejet de ce monde qui ne nous appartient pas, tissé par des êtres que nous méprisons. »
Il s’interrompit soudainement. Peter en restait troublé, et son regard déambulait ça et là, s’attardant plus longuement sur la femme qui réveillait en lui des désirs charnels. -
#2 14 Juillet 2012 00:00:34
La suite !!!!!!!! -
#3 27 Août 2012 03:56:58
J'ai lu en diagonale ça m'a intriguée :) J'avoue avoir décroché non pas à cause de l'écriture mais de la mise en page, très dure à lire pour moi !
Sinon, même si je sais que c'est du dialogue, j'ai du mal avec les "t'es" au lieu de "tu es" et autres ^^ (oui je suis chiante x<D)
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