[Suivi lecture] Saintrailles

 
  • Saintrailles

    Néophyte de la lecture

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    #1 19 Décembre 2013 21:07:43

    Bonjour,

    Allez, je me lance dans l'aventure du suivi !
    Si j'écris mes pataquès de commentaires ici, ça m'évitera peut-être de trop balancer de pavés verbeux sur le reste du forum :goutte: .

    J'ai deux romans d'entamés actuellement :

    - Même pas mort de Jean-Philippe Jaworski (la trilogie des Rois du Monde, t.1) : cette lecture est, hélas, en "jachère" depuis le mois d'octobre. J'ai eu plein de livres à lire entre temps pour les cours, et je n'avais pas le loisir de me plonger dedans. Et même s'il me plaisait beaucoup jusque là, n'aimant guère reprendre un livre au milieu je ne sais trop par quel bout m'y remettre.

    Je suis absolument fan de Jaworski depuis que j'ai lu Gagner la guerre et Janua Vera. Même pas mort est assez différent, car il s'appuie sur l'histoire Celte, encore qu'"histoire" ne soit guère approprié, puisqu'on parle d'une époque sur laquelle on n'a quasiment aucune source littéraire (à part chez Tite-Live ou dans d'autres récits romains sur les conquêtes). C'est assez intéressant, car l'auteur a cherché justement à brouiller les frontières entre les sources très précises sur lesquelles il s'est appuyé (il est notamment assez calé dans tout ce qui est épigraphie, et passionné d'archéologie), et d'autre part, le caractère fantastique que prend son récit. Le héros a un espèce de statut étrange, entre la vie et la mort, et on ressent vraiment la prégnance du magique, la proximité constante du monde des morts et des esprits, qui semblait caractériser cette civilisation. L'intrigue comporte une dimension politique, mais bien sûr, on n'est pas dans quelque chose d'aussi sophistiqué que dans Gagner la guerre, ce sont des histoires de chefs de clans, de guerriers, et j'apprécie particulièrement la façon qu'a Jaworski de ne pas chercher à plaquer des conceptions modernes sur la période proto-historique qu'il reconstitue.

    Bref, c'est un excellent roman, écrit magnifiquement (comme toujours avec Jaworski : d'ailleurs, les premières pages de ce bouquin sont tellement excellentes que j'en étais complètement extatique quand j'ai commencé à le lire !), mais du fait de tous ces brouillages (notamment temporels), de cette vision très particulière du monde qui est distillée dans la trame narrative, c'est aussi une aventure extrêmement dépaysante pour le lecteur. Ce qui peut dérouter. Ainsi, je le juge plus difficile d'accès que Gagner la guerre, qui par son côté racoleur (du fait d'avoir un personnage aussi truculent que Don Benvenuto aux commandes de la narration, surtout !) conquiert le lecteur beaucoup plus facilement. Et par "racoleur", j'utilise en fait un terme que Jaworski lui-même a employé à l'égard de son roman (ça m'avait fait beaucou rire d'ailleurs :P).

    Donc je pense que je m'y remettrai quand je serai sûre d'avoir beaucoup de temps devant moi (et le cerveau "libéré", si je puis dire), quitte à le reprendre depuis le début... parce qu'il le vaut bien !


    - Le cycle du A de A.E. Van Vogt : J'en suis pour l'instant au Monde des A, le premier tome, que j'ai commencé tout récemment. Ca me branchait bien, d'abord parce que j'avais envie de lire plus de classiques de la SF (ma culture est trop pauvre de ce point de vue là), ensuite parce qu'il est basé sur la sémantique générale "non-aristotélicienne" de Korzybski, une théorie du langage issue de la philo analytique, qui consiste en quelque sorte à dépouiller le langage de tout postulat essentialiste. C'est-à-dire défaire le postulat métaphyisque qui consiste à penser que le langage désigne quelque chose de réel au-delà de lui-même.

    Bon, j'avoue que pour l'instant, cet aspect n'est pas celui que je trouve le plus intéressant dans le bouquin (forcément, c'est un roman de SF : conceptuellement, ça ne peut pas rivaliser avec du Wittgenstein et c'est bien normal !), mais l'intrigue est assez sympa, bien construite, avec pour le moment un côté polar : le personnage principal, un non-A (c'est-à-dire quelqu'un qui a appris à vivre selon la philosophie que j'ai sommairement décrite plus haut) réalise que toute sa mémoire était une invention (un peu comme au début de Total Recall !), et qu'il est probablement le pion d'un complot qui lui échappe totalement. On suit donc la quête qui l'amène à rechercher qui il est, et quelle est sa fonction dans tout ce bazar.

    Je ne puis me prononcer plus avant d'avoir terminé le premier volet, mais bien que le style ait un peu vieilli, et qu'il soit assez désincarné (c'est dû au fait que le point de vue, à la troisième personne mais interne, est celui d'un homme extrêmement rationnel qui inhibe ses émotions du fait qu'il ne postule aucun fondement métaphysique à ce qu'il vit), c'est assez prenant, et je loue la tentative d'avoir voulu créer un univers aussi intéressant, qui constitue presque une "expérience de pensée" (comme on en trouve beaucoup en philosophie contemporaine). Après, c'est clair qu'on aura du mal à ressentir quelque attache affective pour ce roman ou pour son personnage principal, mais perso, ça ne m'empêche pas d'avoir de l'intérêt pour l'intrigue et le "fond" du roman.

    Par ailleurs, je trouve assez rigolo de lire un roman très sérieux dont le héros s'appelle Gilbert =D. Heureusement, c'est rarement son prénom qui est employé au cours du récit...

    Voilà pour le moment !

    Parallèlement, j'ai une lecture affriolante de la Critique de la Raison Pratique de Kant qui m'attend (je dois l'avoir lu et "fiché" dans deux semaines), mais je vous ferai grâce de mes commentaires à ce sujet. Ca risque de délayer un peu mon avancée dans Le Monde des A, par contre.  :S

    Dernière modification par Saintrailles (19 Décembre 2013 21:08:10)

  • Saintrailles

    Néophyte de la lecture

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    #2 26 Décembre 2013 20:22:48

    Voilà, j'ai terminé Le Monde des Ã, premier volume de la trilogie de A. E. Van Vogt.

    Un roman très intéressant, trépidant même dans son déroulement. Le final ne m'a guère surprise, mais je crois que c'est surtout parce que ce type de retournement a été, depuis, abondamment utilisé au cinéma ou dans la littérature de genre.

    Comme je le disais précédemment, c'est un excellent classique qui a légèrement vieilli ; j'y trouve surtout quelque chose d'assez impersonnel, bien que le point de vue adopté par la narration nous plonge dans les pensées du personnage principal. Ce dernier est un individu extrêmement rationnel, bien qu'il soit, dès le début, dépassé par des événements dont il peine à découvrir le sens au cours du roman. En effet, même si le récit de ses aventures constitue également la quête de son identité perdue, il n'a rien d'une réflexion psychologique, ou existentielle, au sens auquel on pourrait s'attendre dans le cadre d'une telle quête.
    D'ailleurs, son passé, et du même coup toutes ses attaches affectives, sont évacuées dès le premier chapitre, comme si tout sa vie antérieure s'effaçait au moment où il apprend où il n'est pas l'individu qu'il croyait être. Dès lors, on a du mal à concevoir ce personnage autrement que comme un "agent", puisqu'il est toujours plongé dans l'action, concentré sur la situation qui se présente, faisant ses choix d'après la configuration des événements, et dans la perspective plus générale de sa quête de vérité. Pour moi, c'est le prototype de l'individu de la "théorie de l'action rationnelle" (c'est un courant de pensée des sciences humaines, assez typiquement américaine) : tout ce qu'il fait est l'objet de décisions raisonnables, il n'est pas hanté par son passé, par son inconscient. Ses passions ne viennent pas entraver son libre arbitre.

    C'est donc un point de vue audacieux, et à mille lieues de la mode de l'anti-héros trop humain, ce qui est assez rafraîchissant en un sens. Intellectuellement, c'est aussi assez stimulant, puisqu'on est tout à fait raccord avec le parti pris philosophique de l'auteur, qui nous sert donc un roman d'une grande cohérence. Par contre, ça peut être un frein à la lecture, puisqu'on a tout de même du mal à s'attacher à ce personnage. Ca limite, en quelque sorte, la portée dramatique de toutes les péripéties du récit : ça n'est pas forcément un défaut, mais je pense que beaucoup de lecteurs (particulièrement ceux qui aiment s'identifier aux personnages) auraient du mal à se projeter dans un tel livre.

    Malgré ce bémol, j'ai commencé le deuxième tome (Les joueurs du Ã) avec un certain enthousiasme : il a l'air tout aussi bien, et j'avais quand même envie d'en savoir plus sur l'intrigue autour de Gilbert Gosseyn (le héros).

    Mais je dois dire qu'actuellement, je suis surtout en train de trépigner d'impatience, parce que j'ai hâte d'entamer les bouquins que j'ai prévu de lire pour le challenge ABC - littérature de l'imaginaire. Vivement le 1er janvier !  :)

    Dernière modification par Saintrailles (26 Décembre 2013 20:35:24)

  • Sia

    Super-Livraddictienne

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    #3 26 Décembre 2013 20:30:22

    Si ça peut te rassurer, on aime tes pavés argumentés dans les Discus par genre :D
    J'ai hyper envie de découvrir Jaworski (j'ai encore rien lu de lui...) et ce que as écrit sur Gagner la guerre me ferait presque trépigner d'impatience !
    Et ta liste est hyper alléchante (et nous avons un titre en commun : Planète à louer, mais je crois que pas mal de monde l'a inscrit cette année :sifflote: )
  • Saintrailles

    Néophyte de la lecture

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    #4 27 Décembre 2013 01:34:19

    Merci^^.
    Effectivement, j'ai vu passer Planète à louer sur pas mal de listes... déjà, pas si facile de trouver un auteur en "Y" (=D), et surtout il paraît que c'est super !

    J'espère que Gagner la guerre te plaira... contente d'avoir contribué à ton envie de le lire, en tout cas !
  • Saintrailles

    Néophyte de la lecture

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    #5 04 Janvier 2014 09:24:43

    Bonne année à tous ceux qui passeront ici !  :)

    J'ai bien avancé dans mon premier livre du challenge ABC, le tome 1 de Perdido Street Station (China Miéville).

    L'intrigue est assez passionnante, j'étais un peu larguée dans les descriptions des quartiers, des populations, et du fonctionnement de Nouvelle-Crobuzon, surtout au début, mais ça va de mieux en mieux : on se repère assez bien, finalement, malgré le foisonnement et la diversité. Je n'avais pas aimé Le Roi des rats, son premier roman et je ne regrette pas d'avoir persévéré, en terme de qualité les deux livres n'ont rien à voir, même si l'ont retrouve quelques éléments communs dans les deux (comme cette fascination pour les recoins sordides de la ville).

    Je ne suis pas toujours convaincue par certains passages (notamment les dialogues mettant en scène Isaac, que je trouve parfois artificiels dans leur familiarité), et pas toujours hyper fan des personnages. Mais c'est relativement rare que je m'attache à des personnages. Par contre, on sent qu'il y a un vrai effort de caractérisation et  d'originalité (notamment chez les différentes espèces présentes à Nouvelle-Crobuzon : khepri, cactacés, voydianoi...), et puis ça ne m'empêche pas d'être assez captivée par l'histoire : elle laisse planer encore pas mal de mystères, et j'ai le pressentiment que les intrigues des deux personnages principaux finiront par se rejoindre d'une manière ou d'une autre...

    J'aime beaucoup les postulats philosophiques du roman : la question centrale, celle des caractères hybrides d'un organisme vivant (présente dans chacune des deux intrigues principales, sous un angle différent) ; l'articulation entre les disciplines de la science et celles de l'occulte ; et surtout, ce principe judiciaire à l'oeuvre dans leur société, à savoir qu'on "recrée" les criminels en fonction du crime qu'ils ont commis. Ils sont mutilés, transformés en mutants et en paria, le choix du type de transformation étant largement tributaire de l'arbitraire et de la fantaisie du juge.

    J'espère avoir le temps de le terminer d'ici la fin de la semaine, et je ne sais pas encore ce que je lirai après !

  • Saintrailles

    Néophyte de la lecture

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    #6 14 Janvier 2014 10:25:36

    J'ai terminé le premier tome de Perdido Street Station la semaine dernière. Assurément un excellent livre, d'une grande invention (certaines parties m'ont scotchée). Les éléments mis en place se découvrent petit à petit, si bien que le livre est de plus en plus captivant à mesure qu'on avance : on sent qu'un truc va se passer (pour ceux qui n'ont pas lu le livre, je préfère ne rien dévoiler), et on en a quelques indices sans pouvoir réellement prévoir la nature exacte de l'inévitable cata. La fin était assez spectaculaire, et donnait assez envie d'attaquer directement le tome 2.

    Néanmoins, quelques éléments sont venus me freiner un peu, qui sont plutôt relatifs à l'écriture (je ne peux pas juger directement de la langue de l'auteur, puisque je lis une traduction, mais ces remarques ont moins trait au style lui-même qu'à la façon de raconter dans son ensemble)... et aux personnages :

    - J'ai l'impression que le livre est très bavard, et particulièrement certains dialogues. Les passages dans lesquels Isaac explique ses théories, par exemple : celles-ci avaient beau m'intéresser au plus haut point, j'ai trouvé ses explications interminables, verbeuses et artificielles. Pourtant je suis plutôt rodée au discours théorique (je me farcis des textes de Hegel régulièrement, par exemple), et le fond en était passionnant, mais les trois pages d'explications "dialoguées", je trouvais que ça sonnait faux, surtout que l'auteur a voulu leur donner une tournure verbale, naturelle (le personnage se reprend, sors des "tu me suis, mec ?" toutes les 5 lignes), et ça se sent.
    Je suis peut-être un peu dure, mais je n'aime pas quand les enjeux de l'auteur (genre faire comprendre une théorie compliquée à son lecteur à un moment de l'histoire) se voient comme le nez au milieu de la figure, et je trouve qu'il aurait pu délayer un peu, quitte à faire l'impasse sur certaines explications.

    - Dans le même registre, de nombreuses descriptions de l'univers m'ont un peu larguée, j'ai eu du mal à ne pas décrocher. C'était peut-être un défaut de concentration de ma part, ou bien c'était dû au fait que l'univers (la ville de Nouvelle-Crobuzon) foisonne de tellement de détails, d'éléments dépaysants, tellement singuliers qu'il serait difficile de s'en faire une représentation visuelle exacte, mais quand même, là encore, j'ai trouvé le livre un peu bavard, et pas forcément très bien dosé au niveau des phases descriptives. Elles sont longues, exhaustives, et parfois comme détachées du reste. A la fin du livre, j'avais pas mal d'images, et une représentation de la ville en tête, donc l'auteur réussit quand même à nous donner un bon aperçu, à nous imprégner de la ville, mais de temps en temps les descriptions sont un peu lourdes.

    - Les personnages : alors, franchement, gros point faible de ce livre à mes yeux. Là encore, c'est peut-être purement subjectif, car je suis un peu retors avec les personnages ; mais Isaac, le personnage principal, m'est absolument antipathique ; je crois qu'encore une fois, c'est parce que j'ai l'impression de lire à travers lui l'effet qu'essaie de produire sur nous son créateur. Ca n'est pas du tout un archétype, au contraire, il est plutôt original (un espèce de savant génial, mais en marge du monde universitaire, créatif mais imprudent, débonnaire et corpulent, subversif dans ses idées, qui couche avec une femme-insecte et ne mâche pas ses mots), mais la façon qu'a l'auteur d'appuyer sur tout ça n'a pas cessé de m'agacer. Et notamment, je ne supportais pas trop ses dialogues avec Yagharek, la familiarité et la grossièreté forcée que l'auteur essaie d'instiller dans ses propos... encore une fois, je ne sais pas dans quelle mesure ça peut être dû à la traduction, mais je me souviens que les dialogues et la volgarité forcée m'avaient également ennuyée dans Le Roi des rats. J'aime l'argot et son emploi en littérature (Céline ! Jaworski !), mais faut que ça ait du style, ou au moins, que ça n'ait pas l'air forcé.

    Quant au deuxième personnage principal, Lin, elle m'est déjà plus sympathique (probablement parce qu'elle parle moins, vivent les insectes), mais elle ne m'a pas passionnée non plus. Bien que son histoire fût intéressante, c'est toujours pareil, j'ai l'impression qu'on nous la sort en brique à un moment de l'histoire (sous prétexte qu'elle se promène dans ce quartier et qu'elle est plongée dans ses réminiscences). L'auteur prend subitement le parti de nous faire le récit de son enfance jusqu'à sa vie d'adulte, et même si ça nous apprend des choses très instructives et très bien pensées sur l'organisation des communautés d'insectes à Nouvelle-Crobuzon, donnant une nouvelle dimension à l'univers du roman en général, ça n'a pas vraiment transformé mon intérêt plus que modéré envers le personnage lui-même.

    Bref, j'ai bien aimé l'univers et la trame générale du roman, mais je lui trouve des ressorts narratifs assez maladroits, et des personnages auxquels j'ai vraiment du mal à trouver un intérêt, quoique sur le papier, en surface, ils soient assez originaux. J'ai pas parlé de l'oiseau, Yagharek : soit, il est beaucoup plus attachant que tous les autres réunis, mais je ne le trouve pas non plus exceptionnel.

    Enfin, je dirais qu'au fond, toutes mes critiques se rejoignent en une seule, globale, qui concerne peut-être moins China Miéville qu'une caractéristique plus générale de beaucoup de romans et qui a tendance, de plus en plus, à me rebuter : le point de vue omniscient. Il faudrait que je lise plus de romans qui adoptent ce point de vue afin de m'en faire une autre idée (car je n'avais jamais vraiment réfléchi à ce problème avant), mais je crois que j'ai un peu de mal avec cette "focalisation zéro", qui embrasse tous les personnages, quand elle se permet d'isoler des éléments narratifs comme autant de monades. C'est vrai que tous les romans ne peuvent pas s'écrire d'un point de vue interne (première personne du singulier ou non), que celui-ci comporte également son lot de facilités (l'empathie avec le personnage étant immédiate, de même que l'accès à ses pensées, certains auteurs en abusent), et de dérives ; c'est vrai aussi qu'en tant que lecteur, on a nos préférences, et que ma remarque a principalement trait à mes goûts personnels. Néanmoins, je constate que j'ai du mal à me projeter dans certains romans où le narrateur est omniscient, quand la vue y est trop éclatée. Ca permet beaucoup de choses, mais quand l'auteur ne maîtrise pas par ailleurs l'unité du point de vue, je trouve qu'il peut rapidement y avoir un caractère décousu, et surtout, trop artificiel. Cette neutralité de spectateur global a parfois tendance, je trouve, à devenir ennuyeuse, quand l'auteur n'arrive pas, par ailleurs, à nous faire entrer dans les personnages ou à maintenir un intérêt continuel pour l'intrigue. Par exemple, ça donne lieu à des tableaux descriptifs détachés de tout, en prélude à une action qui va se dérouler dans l'endroit en question, qui prennent un caractère purement informatif, devenant facilement désincarnées et plates.
    Il y a pourtant nombre de descriptions, même longues et constituant un "morceau" un peu autonome dans le texte, que j'aime en littérature, mais c'est chaque fois parce que j'ai l'impression qu'elles sont habitées, ou particulièrement clairvoyantes (mais souvent c'est parce qu'elles sont redoublées d'un propos, et ne se contentent pas de nous détailler l'aspect extérieur de quelque chose, qu'elles nous font aussi bien imaginer). Mais quand j'ai l'impression qu'on voudrait remplacer une description par une image pour me l'épargner, je me dis que c'est assez mauvais signe pour son intérêt littéraire, et j'ai parfois eu parfois ce sentiment en lisant le premier tome de Perdido Street Station. Comme elles sont par ailleurs assez denses, elles m'ont donc parfois paru bien longuettes.

    Mais ça n'enlève rien à l'intérêt pour l'univers lui-même, donc au total, je suis assez partagée : je ne peux pas m'empêcher de critiquer ce livre alors que je l'ai quand même bien aimé :grat: .

    Sinon, je suis actuellement dans Poupée aux yeux morts de Roland C. Wagner. Une aventure fleuve, bourrée d'inventions farfelues, de références, sur fond d'univers qui se barre en sucette ; et pourtant, une grande simplicité dans le style de Roland C. Wagner,  une écriture qui ne paye pas de mine, mais qui est capable de nous captiver sur plus de 400 pages, et de lier entre elles un ensemble de scènes et d'événements particulièrement barrés, qu'on arrive pourtant à suivre sans problème. Je prends mon pied !
    Allergiques aux calembours douteux, s'abstenir ! XD

    Par ailleurs, le livre (un tirage "hardcover" des Moutons Électriques, paru à l'occasion de leurs dix ans d'existence) est très beau, ce qui ne gâche rien au plaisir de la lecture, quoiqu'on ne puisse pas le trimbaler facilement avec soi.

    Dernière modification par Saintrailles (03 Juin 2014 00:23:40)

  • Saintrailles

    Néophyte de la lecture

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    #7 24 Janvier 2014 16:48:56

    J'ai terminé Poupée aux yeux morts (géant !), et pris le temps de finir Même pas mort de Jean-Philippe Jaworski.

    Ce premier tome des Rois du monde (non, pas ceux qui vivent au sommet, qui ont la plus belle vue, mais y a un "mais", haha =D... oui, j'ai honte T.T) est une grande réussite, et je pense que j'essaierai de le relire d'une seule traite avant la parution du deuxième, parce qu'il le vaut bien !

    Les Celtes, ce n'est pas un univers qui m'attirait au premier abord, et je ne suis pas non plus très mordue de fantasy traditionnelle (les grandes sagas avec des guerriers, des royaumes, des mages et cie ont tendance à m'ennuyer, même Le Trône de Fer !), mais les qualités littéraires de ce livre m'ont conquise. Par ailleurs, on n'est pas dans un univers thématisé selon les codes du merveilleux (au sens où la fantasy est un genre participant du registre merveilleux), mais plutôt dans une fiction proto-historique mâtinée de fantastique, puisque Jaworski fonde sa trilogie sur un travail de recherche sérieux (et visiblement, passionné !) sur cette civilisation, tout en prenant en compte dans sa reconstitution le fait qu'à cette époque l'Histoire écrite n'existe pas, que la transmission des grands récits se fait sur un mode oral, que les héros y sont loués par les vers des Champions. Cela transparaît particulièrement dans un prologue de registre oratoire, que j'ai trouvé magistral.

    Donc il ne fait pas que s'inspirer de ce qu'on sait des Celtes pour composer son propre univers de fiction, comme il a pu le faire pour Janua Vera et Gagner la guerre, qui étaient imprégnés de références culturelles et historiques (par exemple aux Cités-Etats italiennes du XVé et du XVIé siècles pour Gagner la guerre). C'est d'ailleurs généralement le cas dans les œuvres de fantasy, bien sûr, de façon plus ou moins fouillée, consciente et explicite. Non, la démarche est comme inversée dans Même pas mort : il y a une dimension surnaturelle  omniprésente, mais qui, étonnamment, n'entre pas en conflit avec la dimension historique du récit, mais la renforce au contraire puisqu'elle donne corps, en quelque sorte, aux croyances de la culture Celte.

    Ainsi, quand je parle de "qualités littéraires", ce n'est pas simplement au sens où Jaworski écrit très bien, qu'il a une langue riche et un style envoûtant (dont il a montré les trésors de sophistication dans Gagner la guerre), mais au sens où il parvient, par des procédés littéraires intelligents et bien dosés, à donner au roman tout entier l'aura singulière d'une légende orale, très ancienne, qui nous transporte dans un monde composé d'entre-deux et de seuils. Un monde où la frontière entre le sacré et le profane, entre le monde des vivants (monde des enjeux politiques, du lignage et des luttes de pouvoir), et celui des morts, des esprits, des oracles, est à la fois poreuse et indistincte.

    A cet égard, Jaworski joue très bien des repères qu'il donne à son lecteur : il arrive à nous en livrer suffisamment pour qu'on puisse appréhender l'univers sans trop de confusion (il faut ainsi avoir la patience d'attendre la fin du roman pour obtenir certaines clefs), tout en restant assez subtil pour préserver cette atmosphère étrange, dépaysante, qui est inhérente à l'univers qu'il décrit tout comme au roman lui-même. En effet, le roman est assez déroutant dans son déroulement : il est comme un territoire à la temporalité brouillée, qui nous fait glisser, d'un moment à un autre, d'une intrigue politique et guerrière solide à des pérégrinations initiatiques hors du monde des vivants, sans que les transitions soient toujours clairement précisées.

    Bref, j'ai trouvé que Même pas mort était, bien que, peut-être, moins immédiatement séduisant que le premier roman de Jaworski, assez brillant. Souvent, je trouve d'une banalité un peu facile qu'on dise d'un livre qu'il "fait voyager", et pourtant, c'est ainsi que je qualifierais la lecture de ce premier tome, en sachant donc que je ne dirais pas ça de n'importe quel roman d'aventures très entraînant.

    Et sinon, je continue ma découverte des classiques de Robert Silverberg avec Les Monades Urbaines : le panorama d'une société futuriste dans laquelle on a trouvé une solution au problème de la surpopulation en empilant les familles dans des gigantesques tours de mille étages. Ce que j'ai apprécié, outre le développement très intéressant et très visionnaire de cet univers contre-utopique, c'est la nuance avec laquelle Silverberg présente cette Humanité, au travers de personnages qui, au-delà de leur conditionnement social, s'interrogent et questionnent aussi la civilisation du passé, celle que nous connaissons. La perspective est toujours critique, jamais unilatérale ou purement dystopique. J'y ai vu un point commun avec Les Ailes de la nuit, autre roman de Silverberg que j'avais lu cet été, particulièrement dans la référence à l'Histoire.  Notre ère est présente en creux, dans le récit, à travers les archives que consultent et étudient des personnages, et constitue comme une sorte de miroir inversé du monde diégétique. Par exemple, l'un des personnage, dans un chapitre, s'interroge ainsi sur la continuité biologique entre l"Homme du XXé siècle et l'Homme des Monades Urbaines, et réalise qu'en lui-même résiste un résidu des passions qu'il reproche à l'humanité du passé.

    Je vais continuer à lire des livres de cet auteur, décidément il m'intéresse^^.

    Et là j'entame La Forêt de Cristal de J.G. Ballard !

    Dernière modification par Saintrailles (24 Janvier 2014 16:53:50)

  • Sia

    Super-Livraddictienne

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    #8 26 Janvier 2014 12:38:15

    Intéressant cet avis sur Même pas mort, ça me donne encore plus envie de le lire (je l'ai réservé à la bibli, alors... j'attends) !
    D'ailleurs, tu ne voudrais pas ouvrir un topic dans la section fantasy ? Il y a d'autres lecteurs de Jaworski sur le forum, je pense que ça peut les intéresser (si l'ouverture te semble trop ardue, envoie-moi un MP je m'en occuperai).
    Je n'ai rien lu de Silverberg mais ce que tu en dis m'intéresse aussi.
  • Saintrailles

    Néophyte de la lecture

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    #9 26 Janvier 2014 15:48:04

    Non ça ne me dérange absolument pas ! D'ailleurs je me suis permis d'ouvrir un topic pour la saga entière, puisqu'il y aura trois tomes en tout.
    J'ai recopié mon avis là-bas, j'espère que ça ne pose pas de problème ! Je me suis dit que ce serait plus accessible sur ce topic que sur le suivi lecture, et que c'est aussi bien, si ça peut donner envie de le lire à d'autres personnes^^.

    Et oui, Silverberg c'est vachement bien, de ce que j'en ai lu pour l'instant ! Et ça se lit en plus très facilement.

    J'en profite pour dire que j'ai commencé La Forêt de Cristal de Ballard. On en est encore qu'au début, mais je suis déjà happée par l'atmosphère très particulière que Ballard met en place, notamment par la luminosité très troublante de ce lieu en lisière de la jungle.
  • Sia

    Super-Livraddictienne

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    #10 26 Janvier 2014 15:53:50

    Super pour le topic, je viens de le voir ! (T'as bien fait de le faire au titre de saga, vu que c'est comme ça qu'on les rentre - j'avais juste pas percuté que c'était une saga).
    Je ne connais pas non plus Ballard : décidément, j'ai des points à améliorer niveau culture G !