Voyage inattendu (à partir d'une consigne d'écriture)

 
    • ecumeuse

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #1 04 Novembre 2014 18:22:23

      Voici ma petite production suivant la consigne hebdomadaire des Impromptus littéraires :


      Voyage inattendu

      Elle m'y avait invité un peu contre mon gré. Je l'attendais depuis bientôt quarante cinq minutes. Ce que je haïssais le plus dans cette expo, c'était la fixité des regards, le glauque du gris étalé dans le bleu, la couleur dominante de cet artiste. Le bleu : la couleur de la résilience me disait t-elle souvent. Sa résilience devait être sans doute aussi froide que ces taches indigo noyées dans une bruine grisâtre. Juste quelques barques de pêcheurs au fond d'une crique que l'artiste avait ainsi dénaturées à coup de pose longue... Je l'attendais, trempé de bleu, étouffé par le gris. Je m'apprêtais à entendre ses gémissements contaminer ma bonne humeur dominicale. Les remous de son âme céruléenne dépressive lentement s'infiltreraient entre mes synapses jusqu'à m'engluer totalement dans ses confessions insipides. La journée s'étirerait ainsi mollement en sa compagnie. Docilement j'acquiescerais ici ou là. Comme chaque fois, à la fin du jour j'irais courir, seul, débarrassé de son étreinte poisseuse, afin de récupérer quelques couleurs. Et puis, alors que j'atteignais, seul, la dernière pièce de l'exposition mon regard fût soudain absorbé par une tâche verdoyante. Je m'approchais, saisissais l'espace d'une seconde, l'incongruité, le trait d'humour, l'unique de tout cet étalage froid. C'était un vert un peu orange finalement, la couleur du rire. L'orange qui devait emplir ces courges galopantes... Tout me parlait dans cette saynète. Le rôle de brancardier que j'allais sans doute tenir dès le premier frisson de ses lèvres... Distraitement, sans trop regarder le clavier, je lui écrivis un sms : « Je t'attends...» Et puis j'eus cette envie démesurée de courir, de fuir à travers le rire et de piquer un sprint en compagnie des courges. Au moment même où elle pénétrait le premier salon, je fus aspiré et transmué en courge galopante. Tout à coup prisonnier volontaire dans l'urgence du rire. Je n'avais pas perçu l'empreinte du temps lorsqu'à la nuit tombante la photographie me recracha. Il était tard sans doute et je lui avais posé un lapin. La première fois depuis notre rencontre. Elle était d'une nature susceptible, voire intransigeante, et ce jour là, cela m'arrangeait bien. Je n'eus plus jamais de ses nouvelles. Sur mon téléphone, dans les sms envoyés : un énigmatique « Je t'attends ma courge».

      pour tout saisir voici la photo qui a inspiré ce texte : les courges galopantes


      Vos avis sont les bienvenus, et si vous aimez comme moi scribouiller deux ou trois bafouilles à l'occasion je vous invite à participer aux "impromptus" cités plus haut  !