Essais de l'Arbre

 
    • L'Arbre

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #1 03 Mars 2016 22:54:14

      POURQUOI JE N'AI PAS DE TELEPHONE PORTABLE

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      Quand on me connait un peu, cela peut paraitre étonnant que je n'ai pas de téléphone portable. Pas un seul, pas même le pas cher, pas intelligent, qui ne sait que passer et recevoir des coups de fil. Pourtant, ne suis-je pas régulièrement à la défense des technologies, dans mes textes ? Éclaircissons-donc ce paradoxe. Je ne parlerai pas de mon budget de vie, qui est ce qu'il est. Abordons donc d'autres sujets.

      Je ne nierai pas qu'avoir un téléphone portable sur soi a ses avantages. Ne serait-ce que si je dois appeler les urgences, parce que je me fais renverser par une voiture, la nuit, sans témoins, et que le conducteur prend la fuite. Et puis, c'est toujours bien d'être joignable en permanence, non ? Justement, non. Pas forcément en tout cas. Je ne suis pas quelqu'un d'important, il n'y a pas besoin que je sois joignable en permanence. Je ne suis pas un pompier, je ne suis pas un médecin, je n'ai pas de patron qui peut avoir besoin de moi en permanence. Quant à mes amis, hé bien, il peuvent bien se débrouiller sans moi, de temps en temps. La plupart du temps, ces appels urgents, qui nécessitent d'être joignable tout le temps, partout, à chaque instant, peuvent très bien terminer sur le répondeur et attendre mon retour.

      Pourquoi alors irais-je gaspiller des ressources premières et du temps de travail pour un téléphone dont je n'ai pas besoin ? Plus encore, pourquoi cèderais-je à la mode d'en changer tous les ans, participant ainsi aux monticules de déchets dilapidés pour rien ? Si un jour, ma vie nécessite que je doive pouvoir appeler ou être appelé tout le temps, alors j'en achèterai un. Ou plus probablement, je trouverai bien un vieux téléphone qui ne sert plus dans le tiroir d'une connaissance.

      En fait, si, c'est bien d'être joignable en permanence. Pour des urgences par exemple. Le véritable problème n'est pas là. Le problème, c'est que certains ne décrochent plus de leur téléphone. Entendons-nous : je ne parle pas forcément de celui qui n'en décroche pas parce qu'il parle, par coup de fil ou par sms, parce que la discussion en question peut être intéressante ou importante pour lui. Je parle de celui qui passe tout son temps sur des jeux idiots ou sur des potins.

      Comprenons-nous à nouveau : moi aussi, il m'arrive de jouer à des jeux idiots ou de lire des potins. C'est normal. On ne peut pas faire quelque chose d'important ou d'intelligent 100% du temps. Et quand on tombe sur un type qui joue vingt minutes dans le métro sur son portable, et qu'on se dit « tiens, voilà encore un zombie accro au téléphone », peut-être qu'en vérité, on tombe sur les vingt seules minutes ou presque que cette personne passera sur son téléphone de la journée.

      Cela me rappelle deux photos qui ont été juxtaposées, quelque part sur internet, et que malheureusement je ne retrouve pas. Sur la première, on voyait pleins de jeunes, tous plongés dans leurs téléphones portables, avec un message disant « la technologie nous rend asocial ? », et la deuxième photo s'abattait alors : on y voyait, en noir et blanc car elle avait quelques décennies, toute une troupe de personnes plus âgées dans le tram, tous plongés dans leurs journaux.

      Le fait que l'on voit tout le monde plongé dans les portables, au point que la toile est infestée de dessins et de photos dénonçant cette « zombification » et qu'on en parle même aux infos, montre un grave problème auquel la société fait face. Mais ce problème n'a pas été créé par les nouvelles technologies, il est plus vieux que cela. Ce problème, c'est la peur de l'ennui.

      L'ennui, ou plutôt le désœuvrement, a été diabolisé. Cela fait longtemps qu'il l'est. Il faut toujours être utile, toujours être actif, toujours en mouvement. On nous apprend à être efficace, à ne pas perdre son temps, dès l'école. Du coup, quand on perd son temps, par exemple dans le métro, il faut se donner l'illusion d'être actif. On joue, on va sur Facebook, on lit un journal ou un livre, on regarde la télé, voire même on se concentre sur nos deux pouces qui tournent l'un autour de l'autre. Sinon, on est désœuvré, et on a apprit que c'est mal.

      C'est pour cela que je n'ai pas de téléphone portable. Pour me donner le temps d'être désœuvré. Pour me donner le temps de m'ennuyer. Vous savez ce qu'il se passe, quand on s'ennuie ? On pense. On rêve. On réfléchit. L'esprit s'occupe de lui-même, automatiquement. On dit souvent que la meilleure preuve d'intelligence et d'imagination, c'est d'aimer lire des romans. Moi je dis que la meilleure preuve de cela, c'est d'aimer s'ennuyer.

      Les gens ne s'accordent plus de temps pour réfléchir, tout seul ou en groupe. Ils ne vont plus se balader pour rien, canoter sur le fleuve comme on le faisait à l'époque victorienne, ou s'allonger sur l'herbe pendant des heures pour contempler les étoiles. Tenez, regardez : vous n'avez pas déjà entendu quelqu'un dire qu'il y a plein d'idées qui lui viennent en tête, capables parfois de révolutionner le monde, quand il est sous la douche ou quand il essaie de dormir ? Et qu'est-ce que ces deux moments ont en commun ? Il n'y a pas de livre, pas de journal, pas de téléphone portable. On s'ennuie.

      Les grandes idées se sont développées, et les grandes révolutions de l'Histoire se sont préparées, quand les gens se faisaient chier. Et tant que vous n'aurez pas déposé ce que vous fixez des yeux toute la journée, téléphone ou journal, le monde n'ira pas mieux.

    • mm03

      Apprenti Lecteur

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      #2 05 Mars 2016 09:07:20

      Interessant, ça pourrait être grandement développé.
    • L'Arbre

      Livraddictien débutant

      Hors ligne

      #3 09 Mars 2016 03:20:05

      PLAIDOIRIE POUR L'HUMANITE

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      Vous savez, de temps en temps, sur le net, on tombe sur un petit questionnaire qui permet aux membres de tel ou tel endroit de mieux se connaître. Et parmi ces questionnaires, je suis tombé plusieurs fois sur une question très particulière, formulée plus ou moins ainsi : « Que détestez-vous le plus chez l'homme ? »

      J'ai répondu la haine.

      Hilarant, n'est-ce pas ? Difficile de faire plus cliché me direz-vous ? Et pourtant, faut-il vraiment chercher à être original en répondant à une question pour laquelle quasiment tout le monde a plus ou moins le même avis ?

      Parce que, si on y réfléchit bien, la haine est partout. Les intégristes religieux haïssent les non-croyants, les athées à l'extrême haïssent les croyants. Des gens de droite haïssent les gens de gauche, et des gens de gauche haïssent les gens de la droite. Des pauvres haïssent les riches, des riches les pauvres, des blancs les noirs, des noirs les blancs, des hommes les femmes, des femmes les hommes. Des homophobes haïssent les homosexuels, des pro-gay haïssent les homophobes.

      Et quand on tombe sur quelqu'un qui semble ne pas haïr un groupe en particulier, c'est souvent pour l'entendre dire au final que l'humanité est un fléau, un cancer, et qu'il faudrait une catastrophe pour l'exterminer. Oui, l'exterminer, entièrement, y compris lui-même, y compris les gens qu'il aime. L'homme hait l'humanité, il se hait si fort qu'il désire son propre anéantissement. Il a une telle dent contre lui-même que dans le questionnaire tout à fait innocent d'un coin de forum, on demande parfois ce qu'on déteste chez l'homme, mais jamais, jamais, on nous demande ce qu'on aime chez lui.

      L'homme est un fléau. L'homme est une plaie. Il devrait disparaître pour que la Nature reprenne ses droits.

      Ah la Nature. La Reine des rêves et des fantasmes de l'homme, son exemple de pureté et de perfection. La Nature, vénérée comme un Éden perdu et sali par l'homme moderne.

      Vous savez quoi ? Je n'ai jamais vu de beauté dans la Nature, ou plus exactement, dans les rouages des écosystèmes et de l'évolution. Oui, ils fonctionnent, les êtres vivants se succèdent, de génération en génération. Mais qu'en est-il de l'individu ? Qu'en est-il de l'être vivant ? Il souffre. Il chasse et est chassé, il a peur, il a faim, il blesse et est blessé, il tue et est tué. Les individus sont broyés dans les rouages de la Nature, impitoyablement, sans relâche.

      Et ne croyez pas que je déteste les animaux. Je les aime suffisamment pour refuser de les abaisser au rang d'engrenage sans individualité. Je ne crois pas qu'il y ait un seul animal sauvage dont la vie n'est pas une tragédie. Il subit le froid, les canicules, la pluie et la neige, les tempêtes et, s'il n'a vraiment pas de chance, les cataclysmes naturels, et malgré tout, a encore le courage de chercher chaque jour à ne pas être le prochain à tomber dans les engrenages sanglants, parce qu'ils n'ont de toute façon pas vraiment d'autre choix. Voilà ce qu'est la Nature, à mes yeux : une machine à souffrance.

      Rappelez-moi pourquoi l'homme est tant haï ? Parce qu'il applique un esprit de compétition à mort dont il a été pourvu par l'évolution, exactement ce qui est glorifié dans la Nature et admiré dans tous les reportages animaliers sous le nom de sélection naturelle ? Bravo pour l'équité dans le jugement. Parce que son savoir et sa technologie menacent la possibilité de la continuité de la vie sur Terre ? Je vais y revenir un peu plus tard.

      Avant cela, je voudrais vous parler de ce qui m'est arrivé il y a quelques temps. Rien de bien extraordinaire : j'ai été arrêté par une militante qui a essayé de me convaincre de faire une donation à son ONG humanitaire.

      Je sais déjà ce qu'on peut me répondre. L'envers du décor des ONG n'est pas reluisant, une bonne partie des donations sont détournées par untel ou untel, etc... Je ne sais pas si c'est vrai ou faux, et pour l'instant, je m'en moque. Ce que je sais, c'est que j'avais devant moi quelqu'un prêt à prendre de son temps pour... Pour quoi ? La sensation d'avoir aidé quelqu'un, quelque part, une personne qu'elle ne rencontrera probablement jamais ?

      Tout le monde connait le monde actuel. Tout le monde connait les problèmes du quotidien, le travail, l'argent, la pression sociale, la fatigue, la maladie, les engueulades. Et malgré tout, malgré les nécessités du quotidien qui nous occupent tous, malgré le fait de devoir « gagner sa vie », j'avais devant moi quelqu'un prêt à donner de son temps pour chercher quelqu'un prêt à donner de son argent. Je me demandais : combien de milliers de militants comme elles, dans le monde, à vouloir sauver des hommes, des animaux, des plantes ? Combien de millions de donateurs pour que cela semble valoir l'effort de le faire ?

      Combien de médecins, de chirurgiens, d'infirmiers pratiquant dans le but d'aider les malades et les blessés ? Combien de pompiers, de sauveteurs prêts à se mettre en danger pour sauver quelqu'un d'autre ? Combien d'activistes bravant la loi pour ce qui leur paraît juste ? Combien de scientifiques et d'ingénieurs rêvant d'améliorer à leur manière la vie de leurs semblables ? Combien d'artistes voulant embellir le monde, redonner de l'espoir, ou simplement donner un bon moment aux autres ? Combien de religieux espérant guider autrui vers un Mieux prophétisé ? Combien de militaires prennent les armes en espérant qu'elles serviront à défendre ce qui est juste ? Combien de pacifistes s'y opposent en pensant à ceux qui se retrouveront de l'autre côté du canon ? Combien prêts à faire un boulot qu'ils n'aiment pas pour nourrir une famille ? Combien d'inconnus qui vous ont filé le petit coup de pouce qu'il vous fallait à un moment donné, alors qu'au fond, rien ne les y obligeait ?

      Je crois que, derrière les frustrations, les peurs, les haines, la méfiance, la lassitude, le désespoir, la bêtise, l'agressivité, les désaccords, les rivalités, derrière tout le cercle vicieux de notre monde qui érode peu à peu l'espoir et l'optimisme et qui encourage à apprendre à ne compter que sur soi-même et à ne penser qu'à soi-même, je crois qu'au final, dans beaucoup d'hommes – pas tous, mais beaucoup – on peut trouver un fond de bonté. A qui cela ne parle pas, la phrase « Laisser un monde meilleur à nos enfants » ? Et cela même si nous ne sommes pas d'accord sur la définition d'un « monde meilleur » ?

      Si cela intéresse encore quelqu'un que je réponde à la question « qu'est-ce que vous aimez chez l'homme ? », voilà ma réponse : son aptitude à vouloir mieux non seulement pour lui-même, mais aussi pour autrui.

      Qu'est ce que cela a donné au final ? Admettons-le, pas grand chose. On a plus ou moins sorti un pied de la machine à carnage made in Nature pour le plonger dans une machine à carnage faite maison qui, il faut bien l'avouer, est elle aussi bien redoutable. Souvent, cette recherche du mieux se fait par tâtonnement, à l'aveuglette. Beaucoup de gens diraient vouloir aider à améliorer le monde, mais ne pas trop savoir comment s'y prendre, voire être persuadés que cela est impossible. Oui, c'est vrai, cette envie d'améliorer le sort d'autrui se conjugue souvent avec des aspects bien moins reluisants de la psychologie humaine (pour en revenir à la haine, par exemple les guerres et massacres perpétrés pour soumettre ou exterminer ceux qui sont considérés comme un obstacle sur le chemin d'un monde meilleur), à quoi on peut rajouter l'influence de qui ne se soucie pas ou plus du tout du sort d'autrui.

      L'enfer est pavé de bonnes intentions. Je crois que tout le monde ne donne pas la même signification à cette expression, mais je sais pour l'avoir déjà vu explicitement décryptée ainsi que certains considèrent qu'une bonne intention mène souvent, voire toujours à une catastrophe. Qu'il faut plus ou moins faire taire cette envie d'améliorer le sort d'autrui pour éviter d'empirer la situation. Ainsi, le monde ne changerait pas.

      Le problème, c'est que si l'enfer peut être pavé de bonnes intentions, il peut tout aussi bien être pavé de mauvaises. Oui, une mauvaise action peut découler d'une bonne intention, mais elle peut aussi être la conséquence très probable d'une mauvaise intention, et je crains que l'époque où plus jamais un humain n'aura de mauvaise intention est encore loin. Ainsi, pour que le monde ne change pas, ou au moins qu'il ne change pas d'une mauvaise manière, il faut réagir face aux actions provoquant de mauvais changements, et réagir ainsi pour ces raisons part, il me semble, d'une bonne intention. Faudrait-il abandonner celle-ci aussi ? Comprenons-nous : je ne cherche pas à défendre des crimes, des massacres, ou des oppressions, je dis que les causes sont à chercher ailleurs que dans des intentions louables à la base. Quand quelqu'un fait quelque chose de mal en pensant bien faire, ne critiquez pas le fait qu'il ait cherché à faire quelque chose de bien, critiquez le fait qu'il ait fait quelque chose de mal. Critiquez ses idéaux, son incompétence, son manque de prévoyance face aux conséquences de ses actes, mais ne critiquez pas ce qui, parfois, est peut-être la seule chose de bon à retenir dans l'affaire. Les bonnes intentions restent, je pense, les plus grands espoirs de voir se réaliser de bons actes, et ainsi de voir le monde changer positivement.

      Il y a par ailleurs quelque chose de paradoxal au fait qu'on entende à la fois qu'on ne peut changer le monde, et que le monde est de pire en pire. Parfois même venant de la même personne. Je ne crois pas impossible de changer le monde. Après tout, il y a bien eu un changement entre les tribus de chasseurs-cueilleurs et notre société actuelle. Mais je crois que ce qu'attendent beaucoup de gens, c'est un changement provoqué par quelques personnes en quelques années, ce qui est rare. On attribue souvent les grandes révolutions de l'Histoire à leurs leaders, en oubliant qu'un leader ne peut généralement rien faire sans suiveurs derrière lui, et que ces suiveurs sont réunis grâce à une modification des mentalités parfois longue, parfois dirigée par ceux qui « critiquent mais ne font rien ». Un changement est souvent la combinaison d'une multitude d'influences à travers un nombre parfois conséquent de générations, de petits coups de pouce d'anonymes auxquels on attribuera jamais ce changement, et c'est une conception radicalement différente de ce qu'on espère habituellement. D'où, je pense, la conclusion de certaines personnes que le monde ne peut pas être changé.

      Or, même en considérant que le monde empire ces derniers temps, en considérant qu'il a toujours empiré depuis la venue de la civilisation humaine, rien n'a démontré que le changement ne peut pas devenir positif. Même dans le cas où la Nature serait effectivement bonne et sage, et que je me trompe parce que je suis trop gland pour le voir, dans le cas où l'homme s'en est éloigné et où la meilleure chose à faire serait d'y revenir, il existe des hommes qui en ont conscience. Est-ce que considérer que rien ne peut changer, que leur bonne intention d'améliorer le sort de l'homme et du monde en revenant à la Nature ne doit pas être écouté, ou que l'homme est irrécupérable les aideraient à convaincre d'autres personnes qu'ils ont raison et à les aider à poursuivre dans le bon chemin ? Personnellement, j'en doute fort.

      Qu'est-ce que cela a donné au final ? Justement le fait que cette question est mal formulée. Ce n'est pas « au final », car il n'est pas certain que cela soit la fin, mais plus tôt « à l'heure actuelle ». Et même si le bilan actuel du changement peut paraître négatif, je crois que cela peut changer à l'avenir. Mais haïr l'humanité, selon moi, ne va pas dans ce sens. En la haïssant, on met en reliefs ses défaut, et on atténue ses qualités. Moins de personnes luttent pour le bien de l'humanité, voire du monde, car ils jugent qu'elle ne le mérite pas, ou qu'ils ne peuvent pas gagner au vu de la noirceur de leur espèce. Haïr l'humanité, j'en suis convaincu, c'est laisser le champ libre à ses pires facettes. Et c'est là un cercle vicieux assez redoutable.