Les coups de coeur littéraires et vous

Salut !

Je pense que tu abordes un sujet assez complexe dont il faut démêler tranquillement les éléments pour savoir de quoi on parle.

Comme tu le dis, un coup de cœur, c'est vraiment une impulsion de ton être, une sensation qui tient à un millier de choses plus ou moins conscientes. Donc à mon avis il faut accepter qu'un coup de cœur soit temporaire : ce qui fait un coup de cœur tient de l'instant (plus ou moins long, ça peut être une période de la vie comme une belle journée qui te met dans le bon état d'esprit). Vouloir qu'un coup de cœur le reste indépendamment du temps qui passe, c'est comme d'exiger d'un souvenir qu'il ne ternisse pas avec l'âge, ou ne change pas à mesure que notre pensée évolue : le moment qui fait le souvenir est définitivement parti, tout ce qui reste c'est un regard, et ce regard évolue en même temps que nous.

En plus, on est par nature assez changeant, je pense. Je ne crois pas spécialement aux absolus (à part la vodka, mais c'est une autre histoire), et j'apprécie d'autant plus l'existence depuis que je me suis rentré dans le crâne qu'être heureux n'a pas de sens si on n'apprend pas à savourer nos épisodes de tristesse. Pour les coups de cœur je pense que c'est pareil : aller de coup de cœur en coup de cœur sans redescendre deviendrait usant, ça viderait complètement de son sens le terme coup de cœur. On est des créatures de contraste, on balance du haut vers le bas en permanence, selon une longueur d'onde plus ou moins grande, selon des périodes plus ou moins longues. Je ne crois pas qu'il faille y chercher de régularité à tout prix, ça dépend de trop de choses difficilement perceptibles et analysables.

Tu parles de la notation et je dois m'arrêter deux secondes parce que ça m'a fait tiquer ! La notation n'est mathématique que si elle repose sur des critères objectivables. Si tu as un barème, avec des critères qui permettent d'échelonner les notes sur une base commune à tout le monde, et reproductible de livre en livre (enfin, de notation en notation), tu t'approches de quelque chose d'objectif. Mais tu t'en approches seulement, parce que le subjectif se terre juste un peu plus loin dans le détail. Et noter un livre par une note seule, sans barème, sans expliquer ce que l'on note (l'ambiance, les personnages, le style de l'auteur ? Tout ? Mais alors dans quelle proportion ?), ça revient précisément à donner un avis purement subjectif : à mon avis, ne te tracasse pas trop et si tu adores un livre, que tu ne vois pas de raison de lui reprocher quelque chose, ou seulement des petits trucs sans importance, mets-lui un 20. Parce que l'intérêt des notes comme ici sur Livraddict, à mon sens ce n'est pas la précision de celui qui note mais plutôt la quantité de gens qui notent, qui permet d'obtenir une statistique (qui cette fois approche un peu de l'objectivité, mais bon, ça reste une moyenne). Et surtout, ce n'est pas si grave si ton regard change avec le temps, c'est même normal, voire enthousiasmant ! Le changement, c'est plutôt chouette.


Sinon, pour répondre à tes questions, je suis un peu comme toi j'ai l'impression : mes coups de cœur se comptent sur les doigts d'une main pour ces dernières années (en comptant certaines saga comme un seul coup de cœur même si elles comptaient pour certaines plusieurs tomes).

Je ne sais pas si l'exigence y joue pour quelque chose. J'imagine que oui : j'ai eu un énorme coup de cœur en Fantasy (Abercrombie, coucou !), et depuis j'ai tendance à être moins tendre vis-à-vis de ce genre. C'est parfois handicapant, mais j'y vois deux avantages : le premier, c'est déjà d'avoir défini quelque chose que tu aimes, donc que tu peux rechercher plus efficacement que si tu n'as pas vraiment d'idée de ce qui te fait vibrer dans un livre. Le deuxième, c'est de pouvoir être d'autant plus intensément surpris : n'avoir que quelques coups de cœur parce qu'on est habitué à un certain style, certaines qualités, c'est se réfugier sur un piédestal d'où l'on pense avoir une vue imprenable (mais où on peut se sentir seul). Et là, on tombe de tellement plus haut quand on découvre un truc génial que le coup de cœur n'en est que plus puissant ! Enfin, ça peut sembler abstrait dit comme ça, mais je l'ai ressenti quelques fois et... Ben rien que pour ça, je ne m'en veux pas d'être un peu exigeant. Bien sûr, ça demande de rester ouvert et curieux, de s'autoriser à sortir de sa zone de confort aussi. Ou en tout cas, de savoir se laisser tenter parfois par des choses qu'on aurait ignoré sans même y penser.

En ce qui concerne le terme "coup de cœur" je pense qu'il faut aussi faire attention à ne pas se laisser engoncer dans une catégorisation binaire. Si tu cherches "le coup de cœur" comme LE truc qui se démarque et qui te laisse un souvenir impérissable, c'est vrai que ça va tomber plus rarement. En revanche, j'ai tendance à m'autoriser des "catégories" plus diffuses. Il y a "le livre de fou que je relirai au moins deux fois par an tous les ans jusqu'à ma mort", les "franchement, ce livre est dingue, j'ai tellement envie que tu le lises que si tu ne l'as pas je t'achèterai un exemplaire", le "j'ai vraiment adoré ce livre, je vais lire tout ce que l'auteur a écrit !"... Et puis idem pour ceux qui me laisse de marbre, ceux que je déteste. En fait on en revient à la notation : plus tu as de catégories, plus tu vas pouvoir percevoir tes lectures avec un regard fin. Plus tu vas pouvoir le vivre librement. Dans un premier temps, c'est même mieux peut être de carrément ne pas chercher à coller l'étiquette "coup de cœur" et juste laisser mûrir un sentiment un peu vague vis-à-vis d'un livre. Juste ressentir que ce livre t'a touché, à quel point tu sens les réverbérations de la voix de l'auteur dans ton être, et lui donner un étiquette à posteriori, quand tu auras eu le temps de le digérer.

Parfois, je sors d'un livre en me disant "ouais, bof, c'était sympa". Et puis le temps passant, c'est là que je me reprends à y penser, à me rendre compte de tout ce que j'ai aimé dedans. Je pense que ça tient à ce dont je parlais avant, le fait que notre regard évolue.

Bref, c'est un sujet compliqué, je pense que pour s'en sortir il faut très largement accepter d'abandonner l'idée d'être objectif : sinon, on en revient à une scène du Cercle des poètes disparus, quand le Capitaine, ô, le Capitaine, se moque salement d'une théorie qui prétend analyser la qualité de la poésie selon un graphique mathématique... L'écriture c'est une pure création de l'être, inscrite dans le temps, tissée par les mots de l'auteur mais surtout par les perceptions et les émotions des lecteurs. Donc en tant que lecteur, je pense qu'il faut vraiment se fier à ses tripes. Pas de coup de cœur : cherche encore, ça viendra. Pleins de coup de cœur : tant mieux, prends quand même le temps de détester certaines choses, ça fait du bien aussi. Très peu de coups de cœur : parfait, le prochain sera divin.

@ Ben Tchev :
Ton message est très intéressant. :)
C'est vrai qu'il faudrait que j'accepte qu'un coup de cœur puisse ne l'être que sur le moment.

Mais après la question se pose quand ce n'est pas nous qui avons un coup de cœur mais des dizaines voire des centaines de personnes.

je pense qu'on peut tirer des conclusions sur la qualité d'un livre par rapport aux nombre de coup de cœur qu'il provoque.  En ce moment, la 1er place dans BBM revient au Disparus du Clairdelune de Christelle Dabos, noté à 19,1 pour 417 votes et 50% des membres qui ont voté lui ont attribué la note de 20. Pour un livre sorti il y a 6 mois, c'est énorme. Et si on lis les 96 commentaires, ils sont tout aussi dithyrambiques.
Bref, si je parle de ça, c'est juste qu'à partir d'un certain seuil, je pense qu'il y a une statistique qui se dégage. On peut décemment s'attendre à de la qualité avec d'aussi bonnes critiques mais si tous les membres qui ont chroniqué le livre comme un coup de cœur l'ont fait sans trop se poser de questions, peut-on parler de gage de qualité ?
Et là, c'est le moment où je risque de me prendre des coups de bâtons mais si vous avez tout le temps des coup de cœur, je finis par me demander si vous ne manquez pas un peu d'exigence, que bon à ce rythme là, un coup de cœur chez vous ne veut plus rien dire.
Je ressens ça quand je vois qu'un livre ne récolte quasiment que des "wow quelle claque", "coup de cœur magistral", etc ... Ça en devient n'importe quoi au bout d'un moment. :chaispas:

@Elizewyn : Ah la relecture des livres qui nous ont marqué, ça fait vraiment peur ^^

@Bambi

Un gage de qualité, non, bien sûr que non. Parce qu'on ne parle pas de la qualité d'un alliage en acier pour forger des fourchettes de grand chef cuisinier. On parle d'un livre qui va parler différemment aux personnes selon leurs expériences, leurs goûts, leurs pensées du moment. Ce que 400 20/20 disent du livre, c'est qu'il plaît énormément à un grand nombre de personnes. Donc potentiellement, il a les atouts pour séduire les masses plutôt que des publics ciblés. Ça peut vouloir dire plein de choses, ça dépend comment tu te situes par rapport à ça. Ça peut être une question de nivellement par le bas, plus quelque chose est médiocre plus il va facilement toucher un large public. Mais ça peut aussi être lié à la popularité, au marketing : il y a des millions de livres géniaux, mais pour être reconnu comme tel encore faut-il être lu. Entre ceux qui ne sont jamais publiés et ceux dont on ne parle pas, ça fait un paquet de bouquins qui passent à la trappe. Alors qu'objectivement... (*se prend une claque sur les doigts*)

Tout ça pour dire que c'est une chose d'observer l'intérêt médiatique pour un livre, de s'en servir comme d'un baromètre, mais c'en est une autre d'y chercher un avis universel. Encore une fois, la lecture est avant tout une affaire de perception. Même si quinze personnes mettent 20 à un bouquin, un film ou un concert, on peut parier que ces quinze là auront des raisons différentes de le faire. Donc quand tu vois que quinze personnes ont donné un 20, tout ce que ça te dit, c'est que quinze personnes ont kiffé ce livre. Tu ne peux vraiment pas en dire plus à moins d'aller lire des chroniques, d'écouter des gens en parler, ou de le lire toi-même. Même un commentaire aussi succinct que "quelle claque !" ou "meilleur livre de l'année !" (quand on est en février, surtout) revient tout simplement à très bien noter. C'est aussi creux qu'une note. Ça veut juste dire que la personne a adoré, mais tu ne sauras pas pourquoi, dans quelle mesure, ni à quelle point tu peux t'identifier à son avis, à moins d'aller creuser un peu.

@Elizewyn :

C'est drôle parce que à te lire, je me suis rendu compte que parfois, c'est pas tellement un livre qu'on pourrait qualifier de coup de cœur, mais le souvenir de lire ce livre. Ce qu'on peut apprécier c'est vraiment l'état d'esprit qu'on a eu, ou que le livre nous a donné à ce moment-là, plus que le livre en lui-même et son contenu.

Quant à utiliser "coup de cœur", ou "je t'aime" à tort et à travers, peut être, mais je pense surtout que tout le monde n'y voit pas la même signification ! Un coup de cœur ça peut être une bonne surprise, un bon roman, sans être le point culminant d'un parcours de lecture sur l'année. Comme dire "je t'aime", ça peut être quelque chose de solennel et d'exceptionnel, ou bien (pour ceux qui regardent un peu Solange Te Parle) une expression spontanée, sincère d'un élan à un moment donné. Sans aller jusqu'à déprécier les choses qui ne durent pas, il faut aussi y voir l'expression de la différence des gens.

Oui c'est vrai qu'on a pas tous les mêmes façons d'exprimer ce que l'on pense, et chacun interprétera selon son vécu et sa personnalité.
Tu as parfaitement résumé ce que je voulais dire aussi sur le fait d'appeler un livre un "coup de coeur" ;)

Les commentaires des gens jouent beaucoup, un simple "j'ai adoré", ça ne sert pas à grand chose en effet.
Après, même avec un avis plus construit, on ne peut pas savoir si le livre nous plaira ou pas, cela dépend de tellement d'autres choses.
Et comme tu dis Ben, il a tellement de livres qui sont hyper populaires mais pour autant pas extraordinaires, et d'autres livres moins connus qui mériteraient vraiment de l'être plus.

Je suis plutôt d'accord avec tout ce qui a été dit plus haut, derrière un livre il y a deux personnes, un auteur qui a un passif, un univers, un certain langage,... De l'autre on a également un lecteur qui a également un passif, des styles littéraires qu'il préfère...
Dans la notation on va retrouver une part objective relative à la "qualité d'écriture", l'usage d'un vocabulaire riche, des constructions de phrases recherchées.
A côté de cela, on a une part moins objectives mais qui permet de donner une idée générale de la capacité de l'auteur à nous intégrer dans l'histoire... C'est ce qui va se lisser en moyenne et qui fait qu'un livre qui recueille des notes de 17/18 présente un intérêt pour beaucoup de monde.

Mais cela reste une indication, le livre que je suis entrain de lire par exemple est écrit par un auteur très connu et que j'aime beaucoup en général.  Fondamentalement, ce livre est bien écrit, bien documenté... pour autant ça ne sera pas un coup de coeur parce qu'il n'aura pas ce petit truc inexplicable qui te donne envie de le relire plusieurs fois et un comportement addictif. Je vais toutefois le finir parce que comme je l'ai dis ce n'est pas un mauvais livre et j'ai envie de connaître la fin c'est juste qu'au moment de la notation je serai plutôt sur un 14 que sur un 19. C'est purement subjectif, je n'ai pas dressé un barème précis de notation.