#480 29 Juin 2017 09:41:59
Tout dépend de la partition, je dirais : certaines sont très complètes en termes d'indications de rythme, de phrasé, etc. tandis que d'autres offrent plus de latitude au chef, et rien que le choix du tempo peut changer le rendu d'une œuvre ! Pour les livres, il y a un peu de la même chose, même si les contraintes sont plus serrées, il y a toujours des éléments qui laissent un peu plus de place à la subjectivité du lecteur – après tout, un même livre peut être perçu différemment par des lecteurs différents.
Et parfois, même avec toutes ces contraintes dont tu parles, Fredd, on peut trouver des solutions différentes pour les rendre. Plus l'œuvre est exotique ou relève d'un style particulier, plus c'est difficile, parce qu'il y a un empilement de critères. Faut-il expliciter ce qui relève de différences culturelles pour que le lecteur comprenne tout, ou bien faut-il garder une part d'étrangeté ? Arrive un moment où on est forcé de faire des compromis, de laisser tomber un aspect impossible à concilier avec un autre. C'est là que la traduction devient vraiment un travail personnel, parce que les choix varient d'une personne à l'autre. Il n'y a pas de règle absolue gravée dans le marbre "tel mot se traduit par tel mot, point barre".
Même s'il y a des tonnes d'ouvrages théoriques sur la traduction, on en revient toujours à une certaine proportion de subjectivité - j'avoue que les études théoriques me passaient à une certaine altitude au-dessus du crâne quand j'étais à la fac, et j'ai beau avoir pris un peu de hauteur à force (enfin j'essaie), j'en reste à mon petit boulot gratte-papier avec un certain bonheur : du moment que mes clients aiment bien mon travail, je n'analyse pas trop ce que je fais : j'essaye de faire attention à tout dans un texte, la partie visible (style…) et l'invisible (contexte culturel, impact souhaité / réel sur le lecteur…), mais ça reste assez empirique, je crois. Après, en lisant Eco, je me suis souvent dit "ah oui, ça je fais". Je fais mon Monsieur Jourdain, en gros.
Surtout, je fais attention à ne pas écrire d'énormités, même s'il y en a dans le texte source ! Hier soir j'ai regardé un documentaire à la télé, et à un moment le narrateur dit "Quand il marche dans la neige, le lynx met ses pattes antérieures dans les empreintes de ses pattes postérieures". Et là, grosse interrogation : qui est coupable de cette absurdité (parce que même si on confond sa droite et sa gauche, on distingue la marche avant de la marche arrière, normalement) ? Le narrateur en VO (le docu est anglais ou américain, à la base) ? La personne qui a dactylographié le script pour le traducteur ? La traductrice-adaptatrice française (qui, si elle a vu son truc hier soir a dû sauter au plafond, enfin j'espère, mais je ne lui jette pas la pierre, avec ma fille on s'est bien gondolées à imaginer le lynx marcher façon "tout au rétro") ? Le correcteur qui est passé derrière ? Le comédien qui a lu la traduction lors du doublage ? Ça en fait du monde qui peut laisser passer des horreurs ou en introduire en cours de route…
Quand j'y pense, plus ça va moins je suis capable de lire ou d'entendre une traduction sans réfléchir ne serait-ce qu'un instant à toute la chaîne éditoriale et à toutes les personnes qui ont potassé pour qu'on en arrive au résultat que j'ai sous les mains ou les yeux. C'est grave, docteur ? :-)