#5 10 Septembre 2017 18:11:58
Eva Qiziyeva a écritEn France, on dit souvent que les livres en course pour les prix littéraires sont trop intellectuels, trop pompeux... Est-ce que c'est l'image que tu en avais aussi ? Et plus largement, est-ce que c'est l'image que les gens ont des prix littéraires en Pologne ?
Quand j'enseignais en Azerbaïdjan, j'avais été plus qu'étonnée de voir l'importance donnée aux textes classiques par les professeurs de FLE. A tel point que certains étudiants qui n'apprenaient le français que depuis deux ou trois ans devaient lire des extraits de Molière, Rousseau, Hugo en VO car cela avait un côté "prestigieux" aux yeux de leurs professeurs. Pourtant on voyait bien que ces jeunes ne comprenaient pas un traitre mot de ce qu'ils lisaient.
Je trouvais ça plutôt dommage car ils ne demandaient qu'à apprendre et malheureusement, ces textes trop compliqués (et au vocabulaire parfois daté) ne faisaient que creuser un fossé entre eux et leur objectif. Il aurait été plus judicieux de commencer par leur faire étudier des œuvres plus simples et dynamiques comme... Le Petit Prince !
C'est un problème que tu as rencontré au cours de tes études ? Est-ce que tu as déjà eu des livres "défi" dont tu savais qu'ils seraient très difficiles à lire et, malgré tout, en t'accrochant, tu les as lus jusqu'au bout ?
As-tu été "surprise" quand tu as découvert ce que les français lisent vraiment ? :)
En ce qui concerne les prix littéraires, en Pologne les deux les plus connus, "Nike" et "Le Passeport", mettent en valeur les livres ("Nike) ou bien les auteurs ("Le Passeport") importants, souvent novateurs, presque toujours exceptionnels mais en même temps abordables, comme par exemple - parmi les écrivains traduits en français - Olga Tokarczuk, Wiesław Myśliwski ou bien Jacek Dehnel. C'est très différent de ce que j'ai ressenti en lisant les livres ayant reçu le prix Goncurt, déjà le premier qui m'est tombé dans les mains, "Syngué sabour. Pierre de patience", était vraiment loin de ce que je connaissais comme livres primés en Pologne, dans tous les sens du terme. C'est vrai que si on prend par exemple "Boussole" de Mathias Enard, on peut facilement constater que ce n'est pas une lecture pour tout le monde...Par contre "Une chanson douce" de Leila Slimani, traduit récemment en polonais, est tellement poignant et universel...
Je n'ai pas fait la philologie romane donc je ne connais pas le canon, mais je sais qu'ils commencent par le Moyen Age et "La chanson de Roland", "Tristan et Yseut" et "Le roman de la Rose" en VO, ce qui est très difficile pour les étudiants de la première année qui souvent n'ont pas le niveau du français très avancé et du coup abandonnent les études :( Apres ils enchaînent avec tous les classiques, ils terminent la littérature "contemporaine" avec Romain Gary je crois...
Nous ne lisions pas des ''vrais" livres en VO ni à l’école primaire ni au lycée, il y avait des lectures dans le manuel préparées pour chaque niveau, je me souviens qu' à l’école primaire on suivait la ''Mission spéciale" (titre du manuel) d'un certain Julien qui avait notre age. Notre prof au lycée nous faisait aussi écouter des chansons en français en analysant le texte, c’était vraiment chouette! :)
J'ai commencé à lire des romans en français ayant déjà un très bon niveau, C1-C2 je crois, mais au début j'ai eu pas mal de difficultés avec Beigbeder par exemple, car il y a et de l'argot et du verlan, ça s'apprend pas à l'école ;)
J'ai étudié la littérature comparée et je faisais toujours en sorte de m'occuper de la littérature francophone; pour valider la première année j'ai fait la comparaison entre la "Consolation à M. Du Perrier sur la mort de sa fille" de Malherbe et un cycle funéraire écrit par un grand poète polonais, Jan Kochanowski, son contemporain. Pour la deuxième année je me suis amusée à retracer la réception de "L'art poétique" de Nicolas Boileau en Pologne. Ma licence était une comparaison de deux traductions: française et polonaise d'un best-seller latin de John Barclay, "Argenis" (1621), traduit (ou plutôt adapté) par Pierre de Marcassus comme "L'Argénis de Barclay" déjà en 1623, et par Wacław Potocki en 1697 comme "Argenida" (voila d'où vient mon pseudo...). C’était étonnamment facile de lire un texte du XVIIe siècle en VO, pour moi à l’époque c’était plus facile à comprendre que Beigbeder :)
Oui j’étais un peu surprise en comparant les livres populaires en France avec ce qu'on lisait en Pologne, nous on a eu plus rapidement la vague des traductions de la littérature contemporaine japonaise ou indienne par exemple, en même temps j'ai découvert plusieurs auteurs francophones que je ne connaissais pas du tout, j'avoue que la découverte de Barjavel a été un vrai choc, chez nous, dans le pays de Stanisław Lem on lit et traduit beaucoup de science-fiction et pourtant on ne connait pas Barjavel, alors que "La nuit des temps" est pour moi un des plus beaux livres sci-fi de tous les temps...
Dernière modification par Argenida (11 Septembre 2017 11:25:15)