Petit homme sans nom

 
    • Hifilgood

      Livraddictien débutant

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      #1 27 Mars 2018 15:16:26

      En cette période d'actualités tragiques et indigestes, j'ai décidé de mettre ce petit texte que j'avais écrit sur le mode humoristique il y a presque 20 ans.

      Bonne lecture sur le cœur vous en dit:

      PETIT HOMME SANS NOM

      Je veux ici, vous conter la fabuleuse histoire
      D’un petit homme très célèbre pour avoir
      Été un jour à l’origine de la plus épique
      Des batailles, bien qu’elle ne soit historique
      Que dans la mémoire des seuls habitants
      D’une province loin de tout, loin du temps ;
      Cela commence dans le tout petit cimetière
      D’un village sans nom, sans borne ni frontière…

      On le met aujourd’hui en bière,
      Le petit homme tout rond,
      On le met aujourd’hui en terre
      Le petit homme au visage rubicond,
      Un beau discours de monsieur le Maire
      Un beau sermon de monsieur le curé
      Rappellent aux quelques vieux présents
      Cette histoire dont le mort se porte garant…

      Il naquit quelque part
      Entre hier et naguère
      Il naquit de sa pauvre mère
      À côté d’un sinistre hangar
      Par un petit matin de froidure
      En tombant lourdement
      Sur le pavé rond, gris et dur.
      Quelle entrée en matière
      Pour ce nabot, tout nu, tout blanc
      Né sans lit, sans toit ni chaumière
      Avec comme seul habit, une peau de maman !
      Mais voilà qu’elle mourut de froid, de faim,
      Sans même la main secourable d’un pèlerin ;
      Alors, bébé pleura si dru, cria si fort
      Que ses larmes attirèrent du renfort;

      La rue jusqu’à présent déserte
      S’emplit soudain de monde : des curieux, des badauds :
      — La police,
      — Un avocat,
      — Un prêtre en chasuble verte,
      — Des pompiers,
      — Le croque-mort,
      — Des salauds ;
      Tous se précipitèrent autour du marmot
      Qui braillait sans pouvoir dire un seul mot ;
      Certains virent de suite qu’il ne possédait rien
      Et disparurent au loin, vite et bien…

      Le prélat, fort distrait, fit l’extrême-onction au gamin,
      Revenu de sa méprise, il partit incertain
      Et, psalmodiant, en perdit son latin ;
      La police dans l’élan chargea les pompiers
      D’emmener à la morgue le petit corps :
      « Mais celui-ci n’est pas mort » !
      Rétorqua le capitaine sûr de son métier ;
      Le chef de la police gras et suiffeux
      Sentant soudain son autorité ébranlée,
      Plissa le front et d’un air sentencieux,
      Prit les mesures idoines pour la restaurer ;
      Il verbalisa la mère pour vagabondage
      (elle qui vagabondait déjà dans les cieux !)
      Puis il fit arrêter l’enfant nu
      Qui implorait en hurlant aux nues,
      Pour attentat à la pudeur, scandale et outrage
      À un digne fonctionnaire en tenue ;
      Alors la foule, sans retenue se mit à gronder
      Et la police (par réflexe sans doute) se mit à charger ;

      Dans ce tohu-bohu
      Rien n’allait plus
      Il se mit à pleuvoir des coups, des horions ;
      Dans ce méli-mélo de combattants,
      Dieu lui-même aurait eu quelque hésitation
      Avant de reconnaître les bons des méchants.

      Le Maire, en désespoir de cause, fut alerté,
      Il se rendit sur-le-champ des hostilités,
      Discourut sur la notion d’ordre et le respect,
      Mais comme rien n’y fit,
      Il se le tint pour dit ;
      Il fit quérir le Sous-Préfet qui présidait un banquet
      Mais ce dernier trop saoul pour endiguer les heurts,
      Éructa quelques mots inintelligibles, voire muets ;
      Le Maire le pria de retourner au champ sur l’heure.
      Monsieur le Préfet à son tour fut alerté,
      Il vint à la rescousse en toute hâte,
      Quand il vit, des événements la gravité
      Il déclencha, le Maire aidant, le plan « Fichus Pirates ».
      Dès lors, sans se concerter, ils convoquèrent l’armée,
      De terre pour le Préfet, de l’air pour le Maire ;
      Avec tant de casques et de bérets entraînés,
      Ordre et discipline revinrent vite de pair,
      Quinze policiers, quatre pompiers et deux civils furent arrêtés
      Pis encore, l’armée de terre fut elle-même amputée
      De douze soldats (sûrement des salopards),
      Molestés par quelques têtes de lard,
      De l’autre armée… Celle de l’air ;

      Enfin, le Préfet au vu de tout ce micmac pas très clair,
      Délégua tous ses pouvoirs à monsieur le Maire
      Avant d’aller défendre un moratoire sur le nucléaire.
      Le premier élu de la commune qui n’était pas sot
      Fit preuve de beaucoup de diplomatie et aussitôt
      Félicita tous les chefs en présence pour leur efficacité.
      Après le repli général des troupes, il harangua avec sévérité
      Les prisonniers avant de les amnistier sans plus de procès ;
      Il fit enlever le corps de la pauvre femme décédée
      Puis adopta le rejeton afin d’éviter une nouvelle explosion ;
      La population acclama le chef pour son abnégation.

      Ainsi s’achève l'une des plus troublantes et curieuses pages
      Que notre histoire contemporaine recèle à ce jour, c’est certain !
      Et si vous ne me croyez pas, dépêchez-vous de prendre le train,
      Puis le car qui vous emmènera au village sans nom, sans âge…
      Vous verrez monsieur le Maire pleurer son fils un peu trop rond,
      Vous verrez monsieur le Curé prononcer l’inévitable oraison
      Pour ce petit homme qui ne laissera ni empreinte ni nom
      Mais seulement cette histoire saugrenue avec peut-être un soupçon
      De je ne sais quelle infime fragrance qui m’interpelle !
      La vérité parfois ne manquerait-elle pas non plus de sel ?

      Dernière modification par Hifilgood (27 Mars 2018 20:40:51)

    • Matea

      Commence à sentir l'encre qui colle aux doigts

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      #2 27 Mars 2018 21:24:20

      Une jolie plume, j'aime le côté "poésie sans prétention" qui utilise les rimes pour donner un ton humoristique et léger au texte.

      Les rimes sont bien employées, le ton a juste ce qu'il faut de cynisme pour sonner juste.

      C'est une belle façon de mettre en mots notre société un peu folle.
    • Cara

      Lecteur professionnel

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      #3 07 Avril 2018 15:51:04

      Hifilgood a écrit

      Dans ce tohu-bohu
      Rien n’allait plus
      Il se mit à pleuvoir des coups, des horions ;
      Dans ce méli-mélo de combattants,
      Dieu lui-même aurait eu quelque hésitation
      Avant de reconnaître les bons des méchants.


      Ce ne serait pas plutôt :

      "quelques hésitations" ?

      Sinon et bien de magnifiques rimes et très joli texte.

    • Matea

      Commence à sentir l'encre qui colle aux doigts

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      #4 07 Avril 2018 20:58:02

      Cara a écrit :
      Ce ne serait pas plutôt :

      "quelques hésitations" ?


      En fait, "quelque hésitation" est correct. Aujourd'hui, à l'oral, on pense que "quelque" est toujours pluriel à cause de nos habitude de langage : "quelques fois, quelques temps..."

      Mais "quelque" a plusieurs sens, et peut s'employer au singulier (exemple de la vie courante : "je fais quelque chose").

      Dans une certaine acception, ce mot peut être remplacé par le synonyme "un certain".

      Dieu lui-même aurait eu quelque hésitation


      On pourrait dire "Dieu lui-même aurait eu une certaine hésitation". C'est une formule qui s'est perdue dans notre langue orale, mais qui reste courante en littérature ou en poésie.

      Dernière modification par Matea (07 Avril 2018 20:58:47)

    • Hifilgood

      Livraddictien débutant

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      #5 08 Avril 2018 15:38:21

      Merci Cara pour ces jolis compliments et merci Matea pour cette réponse qui devance la mienne.

      En effet, comme le dit Matea j'ai employé quelque hésitation au singulier dans le sens "une certaine hésitation ou bien une seconde d'hésitation" donc avec la notion de temps plutôt que la notion de choix. Mais il est vrai que la poésie devient un langage qui disparaît peu à peu, c'est dommage.

      Merci à vous deux et continuons à écrire:)

      Patrice

      Dernière modification par Hifilgood (08 Avril 2018 15:38:46)