Un beau jour pour mourir

 
    • Telesia_

      Lecteur glouton

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      #1 01 Juin 2018 21:16:54

      Un beau jour pour mourir

      Il paraît qu’avant de mourir, le doux film qu’a été notre vie repasse une dernière fois dans notre esprit. Mais alors que les étoiles annoncent minuit passé, je réalise que, si mon existence s’achève ici, je me serais éteinte un 22 mai. Explosion sourde à ma gauche. Des éclats de voix. Je perds l’équilibre. A cet instant, ce n’est pas l’intégralité de ma vie que je visualise, mais celle que j’ai partagée avec toi. A travers la retombée de sable, mon regard cherche le tiens. Mais tu es trop loin. Tu es avec eux. Une prise stable. La course effrénée d’une paire de Rangers dans le désert. Ecoute-la Gabrielle. Souviens-t-en. C’est la tienne. Et c’est la dernière. Je te tourne le dos, mais je ne cesse de te voir. Sifflement à ma droite. Tes yeux, d’un bleu si pâle qu’ils en apparaissent gris. Une tôle froissée sous l’éclat argenté de la lune. Ta chevelure, d’un blond miel enivrant. Tu les vois ? Les perles vermeilles enfouies dans le sable… La dureté de tes traits, et la douceur de ton regard. Le sol tremble. Le sable s’introduit partout, et mes genoux touchent terre. Il suffisait que tu m’effleures pour que je perde pied. Mais cette nuit, alors que tu ne me touches même pas encore, je frissonne déjà.

      Un cri plaintif. On a besoin de mon aide… On dit que l’amour fait perdre la tête. Qu’il rend aveugle et sourd. Je crois que c’est vrai. Le sol est bien trop près. Comment fait-on déjà, pour se mettre debout ? Parce que peu importe la situation, je te choisirai toujours. Le voilà. Un spectre dans la pénombre environnante. C’est à ce moment que le brouillard s’est levé. Sonnée par l’agonie, une vague de prise de conscience me fait vaciller. Le temps d’un instant, je fais état des dégâts : oreille gauche sanguinolente, sifflement sourd et continu ; ampoules crevées aux pieds, douleur lancinante ; blessure par balle au bras droit, saignement modéré. Puis je baisse de nouveaux les yeux sur mes jambes. Voilà pourquoi je suis au sol : une longue plaie, trouvant sa source au milieu du mollet, remonte jusqu’à mi-cuisse et expose à la vue chair, tendons, ligaments, et os… Mon regard se porte sur l’horizon, pour y trouver une carrosserie de véhicule blindé. Je reconnais celui dans lequel nous sommes arrivés, mon équipe et moi-même. Le PVP a explosé avant même que nous n’atteignions l’objectif. Je n’ai aucun souvenir d’autres survivants. Nouveau râle. Il me faut quelques secondes pour réaliser que je suis celle en mauvais état. Celle qui a besoin d’aide. Je ne reconnais même pas ma voix. Mais au loin, se rapprochant, me parvient la sienne. Autoritaire, assurée, reconnaissable entre mille. Il vient me chercher… parce que nous sommes le 22 mai.

      Des 22 mai, nous n’en avons pas eu beaucoup à fêter ensemble. Mais il n’en a suffi que d’un seul, à vrai dire. Le premier que nous avons passé à deux, comme des grands. Tu célébrais tes 18 ans, je venais d’en avoir 17. Il était temps de se voir l’un l’autre comme nous en avions toujours rêvé. Je me souviens aussi de cette OPEX. Celle dont tu n’es jamais revenu. Celle au cours de laquelle tu ne m’as jamais écrit. En vérité, c’est moi qui était partie. Mais aussi loin que je fusse, aussi isolée que je pus être, ce fut toi le plus inaccessible. Quand je suis rentrée, on m’a annoncé que tu avais disparu. Tu avais laissé les clefs de notre maison dans la boîte aux lettres. Celle que tout le monde pouvait ouvrir, sans que personne ne le sache jamais. Quand je suis rentrée… tu n’étais plus là. Pas physiquement. Je veux dire, tu étais parti. Et avec toi, tous mes espoirs. Cette maison, que nous occupions depuis presque quinze ans, n’était plus que la mienne. Mais tout a réellement commencé un 22 mai, signifiant notre union plus que ton anniversaire. Et puis… Nouvelle détonation. Tir d’intimidation ? Tu es en face de moi désormais. Tu m’observes de ton regard vide. Celui que je connais si bien. Celui derrière lequel tu te protèges. Celui que tu m’as si souvent réservé, avant ce fameux 22 mai. Et moi, je n’ai jamais détourné le miens. Cette nuit, je veux que tu achèves ce pourquoi tu es venu sans me quitter des yeux. Je veux que tu te souviennes, après ce jour, que quoiqu’il arrive, je ne regarderai jamais que toi. Car tes yeux, emplis de larmes, brillent plus que le canon de ton 1911. Car tu es celui pour qui j’ai laissé l’amour me rendre folle et aveugle. Aveugle face aux signes évidents de ta rébellion contre la nation, mais folle de toi. Finalement, le 22 mai est un beau jour pour mourir.





      ~Telesia.



      Ickarri ΣꜪληνη ‘EϏάτη
      « C’est d’une tristesse magnifique, d’une beauté qui te ressemble, c’est juste… Désolé, mais je n’ai pas les mots, je ne pourrais pas en mettre sur des sentiments indéfinissables… C’est… Non vraiment, je ne sais pas. »

      Dernière modification par Telesia Nlki (01 Juin 2018 21:17:21)

    • Matea

      Commence à sentir l'encre qui colle aux doigts

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      #2 03 Juin 2018 13:47:09

      Je ne saurais pas dire pourquoi précisément, mais je trouve que tu as une plume vraiment fluide. On ne sent pas une ébauche, ça ressemble plutôt à quelque chose de sûr, de travaillé. Honnêtement, j'ai rarement lu dans cette section quelque chose d'aussi naturel. En te lisant, je n'ai buté sur aucun mot, aucune tourne de phrase. S'il y avait des fautes, elles n'ont pas eu le temps de me sauter aux yeux, le texte n'en laissait pas le temps. Et c'est ce qui fait un texte réussi : ne pas laisser au lecteur le temps de réfléchir.

      Est-ce un texte isolé, où le fragment d'un récit complet ? Parce qu'évidemment, tu poses là énormément de questions. On dirait le début d'un roman où on donne un fragment de la fin, et où le reste du récit décrit les événements qui ont mené à cette conclusion. On se demande forcément quelle est leur histoire, à ces deux personnages. Dans quel conflit étrange sont-ils pris ? Pourquoi apparaissent-ils comme des ennemis alors qu'on comprend qu'ils sont censés s'aimer ?

      Tu m'as mis l'eau à la bouche. Comment ne pas désirer une explication après un fragment de texte aussi intense que troublant ? =)
    • Telesia_

      Lecteur glouton

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      #3 03 Juin 2018 14:04:36

      Bonjour Matea,

      Je te remercie pour ton retour. Très honnêtement, je n'en attendais pas vraiment. Je n'écris pas aussi souvent qu'avant, mais Un beau jour pour mourir m'a redonné de l'inspiration. J'avais envie de coucher sur le papier de nombreuses émotions. J'ai mis quelques temps avant de me décider à partager ce récit très personnel, et finalement, je ne le regrette pas.

      En réalité, il ne m'a fallu qu'un peu plus de dix minutes pour rédiger Un beau jour pour mourir. L'inspiration m'est venue sans prévenir, et j'ai lâché ce que j'étais en train de faire pour ne pas la perdre. J'ai bien sûr relu l'ensemble avant de le publier, et j'ai dû changer une ou deux virgules de place; corriger une faute d'inattention... Je suis ravie de voir qu'il fait son effet.

      A l'origine, c'est donc un texte isolé oui. Mais quitte à reprendre du service en matière d'écriture, pourquoi ne pas transformer ça en projet ? Je ne sais pas comment je vais m'y prendre. Si je continue à publier sur mon blog mes récits courts, en faisant quelques liens entre eux. Ou si je garde pour mon blog mes autres récits isolés, pour ne dévoiler mon projet que lorsqu'il sera terminé. C'est à voir.
      En tout cas, à toutes les questions que tu as posées, j'ai déjà toutes les réponses... Mais je préfère ne pas les révéler. Si la suite t'intéresse, je t'invite à me suivre sur LA ou sur mon blog : si je décide de continuer cette aventure, tu pourras ainsi la poursuivre avec moi.

      Soit dit en passant, j'adore ta signature. Je suis tellement d'accord avec cette citation.

      En tout cas je te remercie d'avoir prêté attention à mon texte. Il me tient à coeur, et savoir qu'il plaît à d'autres me réconforte.

    • Matea

      Commence à sentir l'encre qui colle aux doigts

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      #4 03 Juin 2018 15:58:10

      Je comprends tout à fait ce genre d'instant de frénésie où l'on ressent le besoin impérieux de coucher ce qu'on a en nous sur le papier, et je suis vraiment heureuse que tu l'ais fait, car j'ai été emportée par ce texte.

      Je serais ravie de te suivre pour en découvrir l'évolution, et connaître les réponses aux questions nombreuses que soulèvent ton extrait. Si jamais tu vas plus loin et que tu recherches quelqu'un pour te relire, faire la chasse aux petites erreurs... n'hésite pas à me demander. Je n'ai pas autant de temps libre que je le voudrais, mais ça ne me poserais aucun soucis de t'en consacrer un peu.

      PS : cette citation m'avais été donnée par un prof de français du lycée qui a beaucoup apporté à ma vision de la littérature... je la trouve si juste qu'elle m'accompagne maintenant à chaque fois que j'ouvre un nouvel ouvrage, et que je me dis : qu'apprendrais-je sur moi-même grâce à lui ?
    • Telesia_

      Lecteur glouton

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      #5 03 Juin 2018 16:58:26

      Je te remercie, ça me fait plaisir.

      Je vais réfléchir à ce projet, en espérant qu'il ne décevra pas les personnes qui, comme toi, ont aimé ce premier texte. Merci également pour ta proposition, ça ne peut être que bénéfique, et je garde ça en tête!